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Où le lecteur s’aperçoit que la transparence peut être une illusion d’optique

Numéro 12 Décembre 2011 par Christophe Mincke

novembre 2011

Notre époque n’a que la trans­pa­rence à la bouche : il faut voir dans les comptes, sous les vête­ments, dans les corps, dans les méninges…, rien ne peut plus légi­ti­me­ment arrê­ter les regards, quelle est donc cette socié­té qui voit comme sus­pects le secret, l’in­ti­mi­té, la réserve, la confi­den­tia­li­té et la pudeur ? Celle, sans doute, d’un réseau qui se vou­drait par­fai­te­ment décloi­son­né et fon­dé sur l’é­change total et par­fai­te­ment lim­pide d’in­for­ma­tions. Celle d’un réseau dans lequel les vio­lences se cache­raient der­rière la transparence.


Il en coute trop cher pour briller dans le monde.

Com­bien je vais aimer ma retraite profonde !

Pour vivre heu­reux, vivons cachés »

Le grillon, J.-P. de Flo­rian

Le roi des Belges a affir­mé, dans son dis­cours à l’occasion de la fête natio­nale, vou­loir « faire usage publi­que­ment, en toute trans­pa­rence, de [sa] troi­sième pré­ro­ga­tive : le droit de mettre en garde. » Le mot « trans­pa­rence » était une fois de plus lâché, mot magique qui sus­cite l’approbation et semble avoir pour ver­tu de rendre dési­rable ce à quoi il est accolé.

Qui donc, aujourd’hui, ose­rait encore prendre la défense de l’occulte, du dis­si­mu­lé, du voi­lé, du bru­meux ou de l’opaque ? Qui pen­se­rait à se van­ter de celer en son for inté­rieur ses pen­sées et opi­nions, de ne pas divul­guer ses sen­ti­ments, de res­ter sur son quant à lui ? Qui serait assez témé­raire pour ain­si bra­ver les appels au dévoi­le­ment, à l’exposition, à l’étalage, à l’exhibition ? Pour reprendre le slo­gan affi­ché à la caisse de ma supé­rette de quar­tier : « Nous n’avons rien à cacher, vous non plus… Mer­ci de pré­sen­ter spon­ta­né­ment vos sacs à la caisse. » Le ton est don­né, la trans­pa­rence est un devoir.

Pour­tant, nos ancêtres la gou­taient peu. Pudeur et rete­nue étaient pour nos grands-parents des ver­tus, celles de l’honnête homme et de la femme « comme il faut ». L’on ne fai­sait pas plus éta­lage de ses sen­ti­ments que l’on n’exhibait son corps. La jupe au mol­let, les tour­ments au confes­seur, le corps au méde­cin : les secrets étaient bien gardés.

On lais­sait l’étalage des sen­ti­ments aux artistes, ces gens peu recom­man­dables, aux rustres et aux pauvres, ces gens peu édu­qués, res­tés proches de l’animal. Mon­trait-on son corps, l’on était femme de mau­vaise vie, dan­seuse, pros­ti­tuée, ou bien un sau­vage, étran­ger à toute socié­té et à toute civi­li­sa­tion. L’exhibition du corps était ain­si liée à une infé­rio­ri­té morale ou raciale.

On ne badi­nait pas davan­tage avec la confi­den­tia­li­té des patri­moines, le secret des affaires, la dis­cré­tion des négo­cia­tions poli­tiques. Certes, le mar­ché néces­site une cer­taine trans­pa­rence et la démo­cra­tie une forte dose de publi­ci­té, mais il s’agissait là d’exceptions, de contraintes, impo­sées dans un but pré­cis, dans un contexte où la trans­pa­rence était loin d’être la règle. Que l’on se rap­pelle les pro­tes­ta­tions qu’entraina, dans la pre­mière moi­tié du XXe siècle, le pro­jet d’établissement d’un impôt sur les reve­nus et de la dénon­cia­tion d’une réin­car­na­tion de l’Inquisition dans l’État moderne.

Il ne s’agit pas ici de dire que la trans­pa­rence est une inven­tion récente, que nos ancêtres vivaient dans le noir de peur de se voir, que le corps fut décou­vert à la fin du XXSUPe/SUP siècle ou que le tapage et le bling bling nous sont propres. Il nous semble, plus exac­te­ment, que le dis­cours nor­ma­tif domi­nant, celui qui fai­sait consen­sus par­mi les élites, était fon­dé sur l’idée que le dévoi­le­ment était plus sus­pect que le voi­le­ment et que la trans­pa­rence ne s’imposait qu’à la condi­tion d’une jus­ti­fi­ca­tion stricte.

Nous fai­sons ici l’hypothèse d’un ren­ver­se­ment de pers­pec­tive qui amène à consi­dé­rer le caché comme sus­pect et condam­nable, le mon­tré comme ver­tueux. Se déve­loppe donc un dis­cours nou­veau, qui ren­contre des résis­tances dis­cur­sives et pra­tiques, certes, mais qui abou­tit à une modi­fi­ca­tion pro­fonde de la façon dont nous consi­dé­rons la ques­tion du regard et de ce qui doit y être sou­mis. C’est sur cette ques­tion de la nor­ma­ti­vi­té de la trans­pa­rence que nous vou­drions nous attar­der ci-des­sous, dans ce qui n’a d’autre ambi­tion que d’être un début de réflexion.

Il nous semble que, d’entrée de jeu, nous ne pour­rions trop insis­ter sur le fait qu’il sera ici essen­tiel­le­ment ques­tion des dis­cours et très peu des pra­tiques, que nous sur­vo­le­rons une série de phé­no­mènes sociaux ten­tant de les éclai­rer de la lumière du concept de trans­pa­rence sans pré­tendre en épui­ser ain­si le sens et, enfin, qu’il n’est aucu­ne­ment ques­tion pour nous de prendre posi­tion pour ou contre la trans­pa­rence (si tant est que cette ques­tion ait un sens).

Le corps

Pros­crite ou pres­crite, la nudi­té n’est jamais inno­cente et la lon­gueur des jupes des femmes est un sujet émi­nem­ment polé­mique1. Le corps est donc concer­né au pre­mier chef par la ques­tion de la trans­pa­rence. Or, force est de consta­ter que la nudi­té s’expose tous azi­muts. Elle le fait bien enten­du dans la publi­ci­té et la por­no­gra­phie, plus que jamais omni­pré­sentes, sous la forme de corps épi­lés, lis­sés, « pho­to­sho­pés » ou expo­sés comme viande à l’étal d’un bou­cher. La notion de pudeur semble balayée dans son prin­cipe même, comme s’il était incon­ce­vable que l’exposition du corps nu puisse poser pro­blème, comme s’il n’était plus de voi­le­ment légi­time. Même le per­son­nel poli­tique, dont le corps ne fut pas, jusqu’il y a peu, l’objet d’un grand inté­rêt, s’expose dans les médias. De Nico­las Sar­ko­zy se met­tant en scène torse nu en canoë — et dont les poi­gnées d’amour furent com­plai­sam­ment gom­mées par Paris Match — au corps d’Elio Di Rupo, exhi­bé à l’occasion de l’inauguration de la nou­velle pis­cine de Mons2, les poli­tiques nous signi­fient qu’ils n’ont rien à nous cacher. Comme si cacher son corps reve­nait à don­ner prise à la suspicion.

Ces signes que nous croi­sons tous les jours ne doivent pas nous faire oublier que le corps expo­sé est, le plus sou­vent, celui de la femme et, de sur­croit, un corps par­fait. L’on voit plus rare­ment le corps de l’homme et, pour ain­si dire jamais celui des laids, dif­formes et han­di­ca­pés au regard des cri­tères actuels. La nudi­té sur­ex­po­sée à laquelle nous sommes confron­tés est donc bien un dis­cours qui, s’il nous vend l’idée d’une trans­pa­rence abso­lue, ne cor­res­pond pas à une pra­tique de dénudement.

La valo­ri­sa­tion du corps mon­tré s’accompagne logi­que­ment d’une méfiance à l’égard du corps caché. La femme qui dis­si­mule ses formes ne serait-elle pas vic­time d’un com­plexe ? Ain­si, l’émission de M6 sub­ti­le­ment inti­tu­lée « Belle toute nue » met en scène le corps (nu et habillé) de femmes en sur­poids, se pré­va­lant de la beau­té de tous les corps (de femmes), même gros. Tous les corps peuvent et doivent être mon­trés, la pudeur est une consé­quence d’un malêtre, la lai­deur est le résul­tat d’une inca­pa­ci­té à se valo­ri­ser aux yeux de l’autre3. Car il faut pré­ci­ser qu’un sty­liste accom­pagne les can­di­dates et leur apprend les tech­niques de la pré­sen­ta­tion du corps au regard de l’autre, il est là pour nous rap­pe­ler que le règne de la trans­pa­rence n’est pas celui du n’importe quoi.

Le dis­cours ne porte donc pas uni­que­ment sur la pos­si­bi­li­té de mon­trer tout corps, mais aus­si sur la res­pon­sa­bi­li­té de ceux qui cachent le leur, dans une déné­ga­tion de toute déter­mi­na­tion col­lec­tive du mon­trable. Rien n’est immon­trable en soi, il suf­fit d’oser et de se don­ner la peine de mon­trer de manière adé­quate. Un glis­se­ment s’opère de la mons­tra­tion à la mise en scène.

Si le corps caché indique le malaise per­son­nel, il peut aus­si signa­ler la vio­lence. Ain­si en va-t-il du corps de la femme voi­lée. Il est à cet égard inté­res­sant que, dans les débats, la pos­si­bi­li­té d’un « libre » choix de la femme soit presque sys­té­ma­ti­que­ment écar­tée. Le corps voi­lé est, par essence, un corps sous contrainte, au pire de l’homme bru­ta­li­sant la femme, au mieux, d’une norme sociale inique. Natu­rel­le­ment, le corps libre est nu et son voi­le­ment ne peut être une pudeur décou­lant d’une morale pri­vée qui n’aurait pas à se jus­ti­fier publi­que­ment si la dis­tinc­tion entre public et pri­vé tenait encore. L’exigence de trans­pa­rence semble donc avoir inver­sé le rap­port au corps des femmes : si, long­temps, on s’est offus­qué de tout rac­cour­cis­se­ment, aujourd’hui, c’est ral­lon­ger les vête­ments qui éveille la sus­pi­cion4.

Mais le corps voi­lé n’est pas seule­ment vic­time, il peut aus­si être cou­pable. La péna­li­sa­tion du voile sous pré­texte d’identification et donc de sécu­ri­té publique nous offre une tran­si­tion rêvée vers la pro­gres­sion des dis­po­si­tifs tech­niques des­ti­nés à s’affranchir de l’opacité de notre vêture. C’est ain­si que sont pro­gres­si­ve­ment ins­tal­lés dans les aéro­ports, des scan­ners per­met­tant de voir le corps des pas­sa­gers au tra­vers de leurs vête­ments, en ce com­pris leurs organes géni­taux. La ques­tion de la nudi­té est éva­cuée par l’argument de l’anonymat du pro­cé­dé : les agents de contrôle sont dans une autre pièce et ne peuvent voir les per­sonnes qui passent dans l’appareil, pas plus qu’ils n’ont accès à leurs infor­ma­tions d’identité. La pudeur est ain­si for­close : la nudi­té ano­nyme n’en relève pas. Le voi­le­ment des corps est donc ici sus­pect au titre qu’il pour­rait être un paravent pour le crime. Ver­tueuse trans­pa­rence qui nous pro­tège du pire : le terrorisme.

Vic­time — d’un malêtre ou d’une vio­lence — ou bien dan­ge­reux, le corps voi­lé n’est plus en odeur de sain­te­té. À contra­rio, voi­là le corps nu valo­ri­sé. Mais le pro­blème n’est que dépla­cé, la peau, la boite crâ­nienne, l’utérus ne sont-ils pas ter­ri­ble­ment opaques ? Il se fait que le désir de trans­pa­rence a ren­con­tré un ensemble de tech­niques de pointe : celles qui sous-tendent l’imagerie médi­cale. Bien enten­du, la radio­gra­phie existe depuis bien long­temps, mais il faut rele­ver, d’une part, les pro­grès consi­dé­rables accom­plis ces der­nières années (scan­ner, tomo­gra­phie par émis­sion de posi­trons, réso­nance magné­tique nucléaire, écho­gra­phie, etc.) et, d’autre part, l’enthousiasme extra­or­di­naire des médias et du public pour les avan­cées dans ce domaine, y com­pris hors de toute thé­ra­peu­tique. Tout est en place pour que les lieux les plus mys­té­rieux (et donc les plus sacrés) du corps humain soient enva­his par le regard. L’exemple le plus banal est bien enten­du celui de l’échographie pré­na­tale. Au départ, ins­tru­ment de diag­nos­tic médi­cal don­nant une image lisible par les seuls ini­tiés, elle s’est muée en un outil d’introspection pour des parents qui scrutent sur une image en trois dimen­sions et en cou­leurs arti­fi­cielles la res­sem­blance du reje­ton avec son grand frère. Le mys­tère de la pro­créa­tion, le sus­pens autour du nombre de membres du nour­ris­son et de son sexe ont fait place à une infor­ma­tion plé­tho­rique qui dépasse lar­ge­ment les besoins médi­caux, à tel point que cer­tains gyné­co­logues pra­tiquent des écho­gra­phies sans inté­rêt médi­cal, pour satis­faire des patients qui viennent voir leur enfant et non consul­ter un méde­cin. Des ser­vices non médi­caux se déve­loppent par ailleurs, qui offrent à leurs clients d’ouvrir une fenêtre sur leur enfant à venir5. Certes, trois écho­gra­phies sont médi­ca­le­ment jus­ti­fiées au cours d’une gros­sesse, mais le désir de voir à l’intérieur a pris pos­ses­sion de ce qui n’est désor­mais plus (seule­ment) une tech­nique d’imagerie médi­cale.

La boite crâ­nienne subit un sort simi­laire à celui de l’utérus du fait de la pro­gres­sion d’une ima­ge­rie céré­brale à la réso­lu­tion tem­po­relle et dimen­sion­nelle en pro­grès constant. Le résul­tat obte­nu n’est qu’une moyenne ? Il ne donne pas accès au cer­veau en action ? Qu’importe ! Il colle tel­le­ment bien à notre volon­té omni­sco­pique que nous y voyons l’esprit à l’œuvre. Le rêve d’un organe de la pen­sée par­fai­te­ment trans­pa­rent à l’examinateur, si ce n’est à lui-même, n’a jamais paru si acces­sible. Com­prendre la pen­sée, la lire, détec­ter les patho­lo­gies, tra­quer l’anormalité et le men­songe : le fan­tasme de la trans­pa­rence de l’esprit gagne notre socié­té. Ain­si la France est-elle sur le point de se doter d’une loi de bioé­thique qui pré­voi­rait que « les tech­niques d’imagerie céré­brale ne peuvent être employées qu’à des fins médi­cales ou de recherche scien­ti­fique, ou dans le cadre d’expertises judi­ciaires6 ». Se pro­file, der­rière cette dis­po­si­tion, un détec­teur de pen­sées capable, non seule­ment de repé­rer la signa­ture du men­songe, mais aus­si de vio­ler le silence auquel a droit tout indi­vi­du. On ima­gine déjà une réac­ti­va­tion du débat autour du détec­teur de men­songes, sur la base du prin­cipe qui veut que celui qui n’a rien à cacher n’a rien à en craindre.

Voi­là donc le corps dévoi­lé, puis lui-même ren­du trans­pa­rent, expo­sé, scru­té. La beau­té est sans doute inté­rieure, mais l’intériorité contem­po­raine sur­prend par son lit­té­ra­lisme. Celui qui se cache est oppri­mé, com­plexé ou cri­mi­nel. Ce qui n’apparait pas à nos yeux relève de la mala­die, du men­songe ou de l’inavouable.

Ce que l’on nomme communément vie privée

Comme nous venons de le voir, la trans­pa­rence du corps peut débou­cher sur le rêve d’une trans­pa­rence de l’esprit. Il n’est cepen­dant pas besoin de pro­cé­der à une tomo­gra­phie par émis­sion de posi­trons pour accé­der aux pen­sées d’autrui, on peut, plus sim­ple­ment, l’inviter à les dévoiler.

Il nous semble que c’est une voie par­ti­cu­liè­re­ment exploi­tée aujourd’hui. Une plon­gée dans la lit­té­ra­ture du bie­nêtre indique à quel point nous sommes loin de l’antique impé­ra­tif de stoï­cisme face aux dif­fi­cul­tés de la vie. « Aimer et se le dire », « Parle-moi… j’ai des choses à te dire », « Papa, Maman, écou­tez-moi vrai­ment », « T’es toi quand tu parles » sont ain­si quelques titres de Jacques Salo­mé, un des chantres du bon­heur par la logor­rhée. Il convient donc désor­mais d’ouvrir son cœur, de vider son sac, de se confier, d’être trans­pa­rent sur ses pen­sées et ses sen­ti­ments, en un mot, d’être sin­cère et authen­tique. La clé de notre bon­heur serait donc la trans­pa­rence au regard de l’autre, quand elle fut, long­temps, la capa­ci­té à se contraindre à gar­der sa place en silence, quoi qu’il en coute. On note­ra que cette valo­ri­sa­tion de la trans­pa­rence est reprise par l’État lorsqu’il cherche à pro­mou­voir la média­tion, notam­ment en matière fami­liale. « Échan­ger », s’expliquer, faire connaitre ses sen­ti­ments et ses besoins seraient la clé d’une réso­lu­tion pleine et effi­cace des conflits. Il n’est pas jusqu’à la matière pénale qui ne soit tou­chée par cette jus­tice du débal­lage, sys­té­ma­ti­que­ment oppo­sée à la jus­tice clas­sique, fon­dée sur une dis­cus­sion et une appli­ca­tion de normes pré­exis­tantes et exogènes.

Cet impé­ra­tif de trans­pa­rence se donne encore à voir sur les pla­teaux de télé­vi­sion, lorsqu’il s’agit d’exposer ses pen­sées les plus intimes au cours d’émissions qui pro­mettent le bon­heur au prix de l’exhibition. L’intimité des corps n’est donc pas seule en cause et l’inconvenance autre­fois évi­dente de confi­dences sur ses pré­fé­rences sexuelles, ses déboires fami­liaux, ses peines de cœur, ses grandes et petites bas­sesses semble s’être éva­po­rée. À tel point que des émis­sions comme « Pas­cal, le grand frère » ou « Super Nan­ny », sous un nom se réfé­rant à l’intimité des rela­tions fami­liales, pro­posent à cha­cun le pri­vi­lège d’étaler sur la place publique le pire de ce qui se passe chez lui7… C’est bien enten­du tout le mou­ve­ment dit de la télé­réa­li­té qui est pla­cé sous le signe de l’exhibition, sou­vent au nom d’une trans­pa­rence, gage de sin­cé­ri­té et pro­messe de secours. Que ce signe dis­si­mule la mise en scène est une évi­dence, mais l’impératif expri­mé est bien celui de la transparence.

D’une manière bien plus large et plus banale, la vie pri­vée de tous s’expose sur les réseaux sociaux. Le sym­bole en est bien enten­du Face­book qui per­met à n’importe qui de par­ta­ger de mau­vaises pho­tos de vacances, des vidéos, des adresses de sites inter­net, des consi­dé­ra­tions poli­tiques, phi­lo­so­phiques, esthé­tiques ou autres avec un inex­tri­cable mélange d’amis, de rela­tions pro­fes­sion­nelles et de simples connais­sances. Face­book lui-même a suc­cé­dé à l’ère des blogs, dont bon nombre étaient des car­nets intimes publics… Ce que l’on peut lire sous l’angle d’un estom­pe­ment de la limite entre les sphères publique et pri­vée est aus­si une grande entre­prise de dévoi­le­ment. La trans­pa­rence est deve­nue natu­relle et les jeunes gens, nés à l’internet avec Face­book, apprennent qui flirte, qui est dépri­mé, qui part en vacances et qui a man­gé quoi par son biais. Il est loin le temps où l’on rédi­geait des vies de saints pour l’édification des gens ordi­naires, aujourd’hui, toutes les vies sont bonnes à éta­ler au grand jour. En retour, les menus épi­sodes de la vie quo­ti­dienne ou les grands et banals drames de la vie humaine semblent ne plus prendre sens que par leur expo­si­tion et au tra­vers des échos que celle-ci ren­contre dans le réseau tis­sé au sein du web 2.0.

Il ne fau­drait pour­tant pas croire que l’exigence de trans­pa­rence ne pèse que sur les faibles et les relé­gués. Sous le nom de pipo­li­sa­tion8, l’exposition de la vie pri­vée des poli­tiques, long­temps taboue sur le conti­nent euro­péen, ne cesse de pro­gres­ser9. En témoignent les mises en scène à répé­ti­tion autour de la vie pri­vée du pré­sident Nico­las Sar­ko­zy (divorce, mariage sur­prise avec un man­ne­quin, gros­sesse dudit man­ne­quin à l’approche des pré­si­den­tielles de 2012) et la réplique de sa concur­rente poten­tielle, Mar­tine Aubry, pré­sen­tant son mari à la presse ; elle qui se fai­sait jusqu’alors une ver­tu de pré­ser­ver sa vie pri­vée du regard de ses élec­teurs10. Plus près de nous, on se sou­vien­dra de la série d’articles dans La Libre Bel­gique inti­tu­lée « Nos hommes poli­tiques recto/verso » qui nous pro­met­tait un accès à leur vie pri­vée11. Il semble qu’il faille désor­mais en pas­ser par un renon­ce­ment à l’intimité pour méri­ter sa place au som­met de l’État.

La pudeur ne désigne pas qu’un rap­port au corps, mais, d’une manière plus large, la rela­tion à l’intime et sa pré­ser­va­tion du regard d’autrui. L’exigence de trans­pa­rence semble en passe de lui faire un sort.

La gestion des affaires publiques

La ques­tion de la vie pri­vée des poli­tiques nous offre une tran­si­tion vers la vie poli­tique au sens propre du terme et, d’une manière plus large, vers la ges­tion des affaires publiques. C’est un truisme : la mise sur pied des démo­cra­ties modernes au long du XIXe siècle s’est accom­pa­gnée de la pro­gres­sion d’une cer­taine trans­pa­rence, essen­tiel­le­ment sous la forme de mesures de publi­ci­té. Publi­ca­tion des normes à por­tée géné­rale et des déci­sions indi­vi­duelles (comme les nomi­na­tions), publi­ci­té des débats aux assem­blées, des moti­va­tions et du conte­nu des juge­ments, des audiences de jus­tice : une trans­pa­rence orga­ni­sée — et cir­cons­crite — fut mise en place dès les débuts. Ce mou­ve­ment s’accompagna du déve­lop­pe­ment d’une presse libre, élé­ment essen­tiel du dérou­le­ment public de la vie poli­tique : débats, prises de posi­tion, oppo­si­tions, ini­tia­tives de la socié­té civile emprun­tèrent ce canal pour accé­der au débat public. La trans­pa­rence, sous une cer­taine forme, ne date donc pas d’hier en démocratie.

Il est cepen­dant remar­quable qu’elle pro­gres­sa très consi­dé­ra­ble­ment au cours des der­nières décen­nies. Qu’il s’agisse d’imposer la moti­va­tion des actes admi­nis­tra­tifs — même dis­cré­tion­naires —, d’obliger la publi­ca­tion des man­dats occu­pés par les élus, de leurs dépenses élec­to­rales ou de l’état de leur patri­moine, les ins­ti­tu­tions et le per­son­nel poli­tique ont été sou­mis à un impé­ra­tif de dévoi­le­ment de ce qui, aupa­ra­vant, était per­çu comme rele­vant du pri­vé ou des pri­vi­lèges du pou­voir. L’ambition était à la fois de mettre fin à cer­taines dérives et de rega­gner la confiance de la population.

Par ailleurs, l’activité des poli­tiques est moni­to­rée en per­ma­nence, sous la forme de sta­tis­tiques de pré­sences aux assem­blées, de dépôt de pro­po­si­tions de lois, d’interpellations, etc. Des bilans de l’activité par­le­men­taire peuvent être dres­sés, comme celui récem­ment publié par les quo­ti­diens du groupe Sud­Presse12. C’en est fini de la tran­quilli­té du par­le­men­taire presse-bou­ton (du moins sous sa forme clas­sique), de l’éternel absent et de celui qui se cachait au fond de la classe, près du radia­teur. Que l’on n’en conclue pas pour autant que le par­le­men­taire sous moni­to­ring est une conquête démocratique.

Plus mar­quante en termes de trans­pa­rence est l’exposition volon­taire du per­son­nel poli­tique par le biais de l’internet et des réseaux sociaux. Face­book et Twit­ter sont des « lieux » où se croisent citoyens, blo­gueurs, jour­na­listes, asso­cia­tions, robots spam­meurs, socié­tés com­mer­ciales… et poli­tiques. Ces der­niers y montrent notam­ment la déci­sion poli­tique en train de se prendre — ou de ne pas se prendre. On se sou­vient du « alea jac­ta est » twee­té le 22 avril 2010 par Vincent Van Qui­cken­borne (@vincentVQ13) au sor­tir du bureau de l’OpenVLD qui déci­da du sort du gou­ver­ne­ment Leterme Ier. On connait moins les prises de posi­tions de Els Ampe (@ElsAmpe), la célèbre météo de Didier Reyn­ders (@dreynders), les défenses de sa poli­tique com­mu­nale par Jean-Michel Javaux (@jmjavaux) ou les prises de posi­tions d’Elio Di Rupo (@eliodirupo). S’y mêlent des consi­dé­ra­tions pure­ment poli­tiques et d’autres, plus ou moins pri­vées, si bien que ce qui est une réponse à une demande de trans­pa­rence poli­tique en est aus­si une à une exi­gence de visi­bi­li­té de la vie pri­vée. Il en va de même pour les pages Face­book qui sont deve­nues un ins­tru­ment impor­tant de com­mu­ni­ca­tion entre l’homme poli­tique et les citoyens.

Il est deve­nu néces­saire d’assurer une pré­sence dans l’archipel du web 2.0, ce qui implique de pro­duire des com­mu­ni­ca­tions, la mon­naie d’échange locale. Or, qui dit com­mu­ni­ca­tion dit conte­nu (même mini­mal), pui­sé dans la vie pro­fes­sion­nelle et/ou pri­vée des pro­ta­go­nistes. Bien enten­du, cette trans­pa­rence est de plus en plus orga­ni­sée et gérée par des pro­fes­sion­nels et rien ne per­met d’assurer que c’est bien Elio Di Rupo qui parle par la bouche (le cla­vier) de @eliodirupo.

La transparence, un mouvement généralisé ?

Le point com­mun des phé­no­mènes que nous venons de décrire nous semble tenir dans le déve­lop­pe­ment de l’idée qu’à l’opacité, il faut pré­fé­rer la trans­pa­rence. Sous réserve d’exception, tout doit donc être acces­sible au regard. C’est l’exact inverse de la posi­tion anté­rieure qui accor­dait la pri­mau­té à la dissimulation.

Nous n’avons bien enten­du pas fait le tour du mou­ve­ment de pro­gres­sion et de pro­mo­tion de la trans­pa­rence. Nous avons par exemple lais­sé de côté les ques­tions éco­no­miques et finan­cières. Il nous semble pour­tant qu’elles sont sou­mises aux mêmes pres­sions. Qu’il nous soit cepen­dant per­mis d’y trou­ver un contrexemple. Car la trans­pa­rence n’est pas sans désa­van­tages et n’est pas du gout de tout le monde. Elle ren­contre donc bien enten­du des oppositions.

Son­geons à la ques­tion du secret ban­caire et au main­tien de para­dis fis­caux d’une opa­ci­té presque totale au cœur même de l’Europe. Des dis­cours défen­dant l’opacité sub­sistent donc, qui légi­ti­ment le main­tien de zones cachées dans un mar­ché pour­tant mar­qué par l’image de la trans­pa­rence et de la libre cir­cu­la­tion de l’information, moteurs de l’autorégulation.

De la même manière, le domaine indus­triel, avec ses secrets de fabri­ca­tion, reste lar­ge­ment opaque. Ain­si, alors même que les sous-trai­tants sont som­més de tra­vailler en toute trans­pa­rence — notam­ment au regard du res­pect de normes éthiques et envi­ron­ne­men­tales —, les com­man­di­taires s’inquiètent de la dif­fu­sion de leurs secrets, sus­cep­tibles, entre autres, d’alimenter le mar­ché de la contre­fa­çon. En cette matière, la stra­té­gie com­mer­ciale et indus­trielle d’Apple, essen­tiel­le­ment autour de ce qu’on appelle main­te­nant les iDe­vices (iPad, iPhone, iPod), parait un cas d’école. L’absence de com­mu­ni­ca­tion sur les pro­duits à venir, les règles de confi­den­tia­li­té internes et les rap­ports très règle­men­tés avec les sous-trai­tants sont une manière à la fois de pré­ser­ver des don­nées secrètes, mais aus­si de faire naitre un buzz par l’intermédiaire de mil­liers de chas­seurs de scoops, d’espions en tous genres et d’experts en nou­velles tech­no­lo­gies riva­li­sant de pré­dic­tions sur ce que seront les pro­chaines géné­ra­tions d’appareils électroniques.

Si l’on revient aux ques­tions de vie pri­vée, il est mar­quant qu’en ces heures de grand débal­lage, l’on n’a jamais autant par­lé de la pro­tec­tion de la vie pri­vée. À mesure que gran­dit la capa­ci­té à ficher, à col­lec­ter les infor­ma­tions, à péné­trer l’intimité de cha­cun, se déve­loppent des arse­naux de pro­tec­tion, qui vont de la créa­tion d’une Com­mis­sion de pro­tec­tion de la vie pri­vée, au déve­lop­pe­ment de para­mètres de confi­den­tia­li­té poin­tus sur Face­book14 ou à la mise au point de sys­tèmes de sécu­ri­té infor­ma­tiques des­ti­nés à pro­té­ger les don­nées sen­sibles engran­gées par mille-et-un ges­tion­naires de ser­vices en ligne (Google, Face­book, Twit­ter, Pay­Pal, Drop­Box, iCloud, etc.). Les don­nées engran­gées dans les centres de don­nées liés à ces ser­vices sont en effet aujourd’hui bien plus convoi­tées que l’or de Fort Knox. La pré­ser­va­tion d’une cer­taine opa­ci­té pro­duit des zones à haute valeur ajou­tée aux­quelles on n’accède que contre espèces son­nantes et tré­bu­chantes. La trans­pa­rence n’a pas que des ver­tus, pour l’économie.

La résis­tance à la trans­pa­rence ne se fait pas pour autant uni­que­ment de manière fron­tale, elle peut éga­le­ment prendre la forme de la mise en scène. La nudi­té qui s’affiche par­tout clame que le corps est beau et doit être mon­tré, alors même qu’elle n’est le plus sou­vent que la fabri­ca­tion d’une illu­sion de trans­pa­rence. Un exemple par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant est celui du film The Change Up, dans lequel Oli­via Wilde joue une scène poi­trine dénu­dée. Rien de bien par­ti­cu­lier à cela, sauf que l’actrice, sans doute pour des rai­sons de pudeur, a joué avec des cache-seins mas­quant ses mame­lons. Trop visibles au mon­tage, ils seront cou­verts par des mame­lons en images de syn­thèse… mame­lons choi­sis par l’actrice elle-même en fonc­tion de leur res­sem­blance avec les ori­gi­naux… Le monde entier pour­ra donc admi­rer la poi­trine d’Olivia Wilde parée d’images de syn­thèse plus vraies que nature, mas­quant les caches qui dis­si­mu­laient ses mame­lons. Les jeux de pudeur et de trans­pa­rence s’emmêlent ici de manière inex­tri­cable et inter­rogent les caté­go­ries de la pudeur et du dévoilement.

À la trans­pa­rence répond donc le trompe‑l’œil, lequel pose la ques­tion de la sin­cé­ri­té. Ques­tion d’autant plus lan­ci­nante que la trans­pa­rence ouvre sur une régres­sion infi­nie. Il est tou­jours pos­sible de mon­trer plus, plus com­plè­te­ment ; la trans­pa­rence d’un obs­tacle nous en révèle d’autres, à l’opacité des­quels il convient de s’attaquer. Et si, en fin de compte, tout devient trans­pa­rent, tout est invi­sible et rien ne peut plus être vu. Que voir, en effet, dans un monde où tout serait deve­nu transparent ?

Il en résulte un nou­veau doute hyper­bo­lique, un « mal de la trans­pa­rence » qui s’incarne aujourd’hui dans le com­plo­tisme que l’on voit fleu­rir à tout pro­pos et qui renou­vèle le genre tra­di­tion­nel de la méfiance à l’égard des élites. De l’alunissage d’Armstrong à la mort d’Oussama Ben Laden, en pas­sant par les Twin Towers et l’avion du Penta­gone, tout est vu comme le pro­duit poten­tiel d’un men­songe s’appuyant sur des trompe‑l’œil. La lim­pi­di­té que l’on attend de la pro­fu­sion des images est un leurre — rien d’étonnant — et l’on en déduit que l’on nous ment plu­tôt que de se rap­pe­ler que la vue n’est qu’un point de vue. La pré­ten­tion à la trans­pa­rence contient les fer­ments de son propre échec.

Pourquoi la transparence ?

La ques­tion du dévoi­le­ment et la cri­tique de la dis­si­mu­la­tion ne sont pas neuves. Que l’on songe à ce que furent les Lumières, à la science triom­phant des ténèbres, à la dénon­cia­tion de l’occulte des super­sti­tions et à la valo­ri­sa­tion de la lim­pi­di­té des dis­cours fon­dés en rai­son. Il nous semble pour­tant que le dis­cours trans­pa­ren­tiste actuel­le­ment à l’œuvre fait de la trans­pa­rence la règle et étend son emprise loin des ques­tions publiques, deux évo­lu­tions qui signent l’originalité du mou­ve­ment actuel­le­ment à l’œuvre.

Mais qu’est-ce qui fait que l’on attri­bue si aisé­ment une valeur posi­tive au dévoi­le­ment, lors même que notre culture a, des siècles durant, entre­te­nu une méfiance insigne à son égard ? Ris­quons-nous à émettre une hypo­thèse, celle d’une néces­si­té de la trans­pa­rence dans une socié­té qui se vit comme réti­cu­laire et qui valo­rise, dans ce cadre, la labi­li­té des connexions. Il nous semble en effet vivre dans une socié­té qui se lit et se pres­crit au tra­vers de la figure du réseau15. L’impératif qui y domine est celui d’une mobi­li­té maxi­male : le réseau idéal favo­rise les connexions et les décon­nexions entre ses nœuds, per­met un chan­ge­ment ins­tan­ta­né de posi­tion (géo­gra­phique, phi­lo­so­phique, poli­tique, pro­fes­sion­nelle, etc.), encou­rage les dépla­ce­ments géo­gra­phiques, pro­meut les échanges et le syn­cré­tisme (cultu­rel, reli­gieux, lin­guis­tique, etc.)… La socié­té pla­cée sous le signe du réseau est dès lors par­ti­cu­liè­re­ment mou­vante et les posi­tions et atta­che­ments des indi­vi­dus y sont cri­ti­que­ment instables.

Il convient donc d’être dis­po­nible pour toute sol­li­ci­ta­tion inté­res­sante. Or, dans cet envi­ron­ne­ment de labi­li­té, où tout doit pou­voir se rené­go­cier en per­ma­nence, où la rapi­di­té de réac­tion est cru­ciale et où l’on ne peut se fier à des normes pré­éta­blies, seule la trans­pa­rence per­met d’assurer une quel­conque pré­vi­si­bi­li­té aux échanges. Il faut donc tout dire, tout mon­trer : être trans­pa­rent au regard d’autrui. Pré­ven­ti­ve­ment. L’on peut ain­si faire l’hypothèse que la trans­pa­rence est une exi­gence cor­ré­lée à la baisse de la pré­vi­si­bi­li­té des rela­tions. Deve­nant norme, empor­tant les convic­tions, elle peut désor­mais vivre sa propre vie, s’imposer lors même qu’elle est inutile, voire même contre­pro­duc­tive. Qui nous garan­tit en effet que la trans­pa­rence paie toujours ?

Cette hypo­thèse ouvre sur de nom­breuses ques­tions : quels sont les jeux de pou­voir que la trans­pa­rence per­met, en fonc­tion des capa­ci­tés de cha­cun à cacher, à feindre et à lire dans le jeu d’autrui ? Quelles sont les pra­tiques de trans­pa­rence effec­tive ? Quels sont les domaines dans les­quels sub­siste une opa­ci­té légi­ti­mée ? Le dis­cours trans­pa­ren­tiste a‑t-il eu rai­son de toute pudeur ?

À ce pro­pos, nous vou­drions clore ce texte en lan­çant une der­nière idée. Ne pour­rait-on sou­te­nir que la pudeur a fait place, en tant que norme, à une nou­velle forme d’impératif social de la mons­tra­tion, por­tant sur les formes plu­tôt que sur les objets ? La ques­tion ne serait plus « que mon­trer ? », mais bien « com­ment mon­trer ? ». Notre monde invi­si­bi­lise ce qui dérange, poi­gnées d’amour du pré­sident de la Répu­blique, peau d’orange des man­ne­quins, pauvres, vieux, toxi­co­manes et autres entorses au rêve col­lec­tif d’une socié­té réti­cu­laire aux échanges par­fai­te­ment fluides et satis­fai­sants. Le scan­dale n’est dès lors plus de mon­trer, mais de mal le faire. L’on peut se mon­trer vieux si l’on se révèle dans la pos­ture du sénior actif, plein de pro­jets, pro­duc­tif et heu­reux de son état. On peut se dévoi­ler han­di­ca­pé, mais sous l’apparence de la « per­sonne han­di­ca­pée » qui refuse la fata­li­té d’une réduc­tion à son état, qui reste sur la brèche, qui prouve que le bon­heur est tou­jours pos­sible et que le monde s’ouvre à tous. On peut se consa­crer au per­so­nal bran­ding sur Twit­ter, mais selon des moda­li­tés de mise en scène par­ti­cu­lières16. Tout est mon­trable, à condi­tion d’y mettre les formes. Ce pour­rait être là une nou­velle forme de nor­ma­ti­vi­té de la monstration.

  1. Nous ren­voyons à ce pro­pos à l’exposition qui s’est récem­ment tenue à la Vil­la Empain sous le titre « Pudeurs et colères de femmes », et qui inter­ro­geait l’exposition du corps aux regards. Voir G. Duplat, « Para­doxe : le voile choque plus que le nu ! », www.lalibre.be/…/paradoxe-le-voile-choque-plus-que-le-nu.html.
  2. N. Bay­gert, « Le corps glo­rieux d’Elio », La Libre Bel­gique, 30 mars 2011, www.lalibre.be/debats/opinions/article/651704/le-corps-glorieux-daelio.html. Son­geons aus­si à la polé­mique sur le gom­mage numé­rique des « poi­gnées d’amour » du pré­sident Sar­ko­zy pho­to­gra­phié torse nu en vacances.
  3. Voyez à ce sujet D. Marx, « Belle toute moche », MadmoiZelle.com, www.madmoizelle.com/belle-toute-moche-52244.
  4. À ce pro­pos, on lira avec inté­rêt la chro­nique de Fran­çois De Smet qui, lui, voit dans le voile inté­gral le signe d’une névrose de pure­té repo­sant sur un rejet de l’autre, comme indigne de por­ter les yeux sur le corps de la femme voi­lée. Fr. De Smet, « Le voile inté­gral : la névrose de la pure­té », RTBF Info, 26 avril 2011, www.rtbf.be/info/chroniques/chronique_voile-integral-la-nevrose-de-la-purete?id=6005603.
  5. « Une vraie joie, voir son bébé en 3D était abs­trait pour moi, mais une fois devant lui on est for­cé­ment tou­ché », témoi­gnage publié sur un site com­mer­cial d’échographies, www.echolife3d.com/echographie-3d-temoignages.html.
  6. C. Klin­gler, « Les neu­ros­ciences entrent dans la loi », La Recherche, n° 453, juin 2011, p. 84. Nous soulignons.
  7. Ces émis­sions dif­fu­sées sur M6 sont très modé­rées à côté d’El ciru­ja­no (Le chi­rur­gien), dif­fu­sé sur la chaine espa­gnole Cua­tro, qui met en scène des recours à des chi­rur­giens esthé­tiques, allant jusqu’à fil­mer une labio­plas­tie, chi­rur­gie esthé­tique de la vulve. Cette émis­sion n’est d’ailleurs pas sans inter­ro­ger l’incursion du regard dans le corps lui-même, ouvert pour l’occasion. On note­ra, sur la même chaine, l’arrivée pro­chaine de La aca­de­mia del sexo, sorte de Star Aca­de­my des rela­tions sexuelles au sein d’un couple.
  8. De l’anglais « people » au sens de célébrité.
  9. À ce sujet, voir dans ce numé­ro la contri­bu­tion d’Arnaud Cambier.
  10. Mar­tine Aubry « a tou­jours pro­té­gé son inti­mi­té mais, au moment de ren­con­trer les Fran­çais, elle nous ouvre son jar­din secret », comme l’affirme Paris Match, qui a été choi­si comme vec­teur de la cam­pagne de com­mu­ni­ca­tion. S. San­ti­ni, « Mar­tine et Jean-Louis entrent en lice », Paris Match, 20 juillet 2011, www.parismatch.com/Actu-Match/Politique/Actu/Martine-Aubry-et-Jean-Louis-Brochen-entrent-en-lice-315931/.
  11. www.lalibre.be/dossier.phtml?id=10&folder_id=509.
  12. X., « Qu’ont fait nos dépu­tés depuis un an de gou­ver­ne­ment en affaires cou­rantes ? », Sudpresse.be, 25 juillet 2011, www.sudpresse.be/politique/2011 – 07-25/­qu-ont-fait-nos-deputes-depuis-un-an-de-gou­ver­ne­ment-en-affaires-
    courantes-890066.shtml.
  13. Les men­tions sous la forme «@pseudo » sont les pseu­do­nymes qui servent d’identification sur Twit­ter. Les « fils » Twit­ter sont publics et acces­sibles sur l’internet à l’adresse http://twitter.com/pseudo. Ne sont pas direc­te­ment acces­sibles, les mes­sages pri­vés que les twit­tos peuvent s’envoyer directement.
  14. À tel point que cer­taines pages sont vides pour qui n’a pas mon­tré patte blanche.
  15. Ce qui ne signi­fie bien enten­du pas qu’elle soit orga­ni­sée confor­mé­ment au pres­crit qu’elle énonce elle-même.
  16. Voyez ces conseils des com­por­te­ments à évi­ter pour conser­ver son cré­dit sur Twit­ter : Denis Rodi­ti, « 10 erreurs à évi­ter sur Twit­ter », diateino.com, 2 juin 2011, www.diateino.com/blog/2011/06/02/10-erreurs-a-eviter-sur-twitter/ ; Chris­tophe Dovet­ta, « Quelles sont les erreurs à évi­ter sur Twit­ter ? », blog de Chris­tophe Dovet­ta, 13 mars 2010, www.business-sur-internet.net/articles-marketing-internet/351-quelles-sont-les-erreurs-a-eviter-sur-twitter.html.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.