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Où il est question de marrons

Numéro 1 Janvier 2010 par Joëlle Kwaschin

mars 2015

Reve­nus par­tiel­le­ment à la vie sau­vage, ils inves­tissent nos pavés comme des mar­rons, esclaves en fuite, ani­maux domes­tiques échap­pés. Tous issus d’une popu­la­tion affai­tée, ils sont com­men­saux de l’homme civi­li­sé, vivent des miettes qui tombent de sa table, des restes qu’il leur consent. Des échanges se font d’ailleurs au sein des deux popu­la­tions : cer­tains indi­vi­dus peuvent […]

Billet d’humeur

Reve­nus par­tiel­le­ment à la vie sau­vage, ils inves­tissent nos pavés comme des mar­rons, esclaves en fuite, ani­maux domes­tiques échap­pés. Tous issus d’une popu­la­tion affai­tée, ils sont com­men­saux de l’homme civi­li­sé, vivent des miettes qui tombent de sa table, des restes qu’il leur consent. Des échanges se font d’ailleurs au sein des deux popu­la­tions : cer­tains indi­vi­dus peuvent deve­nir sau­vages, et l’inverse se véri­fie éga­le­ment. En dépit de leur appri­voi­se­ment, cer­tains plus que d’autres ont conser­vé leur apti­tude à la vie libre. Pour­tant, ils se sont plus ou moins bien adap­tés au stress des grandes villes, se sont habi­tués au vacarme des trans­ports en com­mun. Ils sont peu farouches, cer­tains sont fami­liers, effron­tés même : ils se fau­filent entre les pas­sants, qué­mandent, par­fois de manière insis­tante, en bor­dure des ter­rasses des bis­trots, leur pitance. On les a vus grap­piller un reste de sand­wich dans une pou­belle. Cer­tains les consi­dèrent comme des éboueurs urbains qui net­toient la ville de ses déchets, mais, à l’inverse, d’autres déplorent la pol­lu­tion qu’ils provoquent.

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Wiki­pe­dia parle ain­si de « nui­sances éco­lo­giques : les popu­la­tions issues du mar­ron­nage qui colo­nisent un milieu peuvent avoir un impact impor­tant sur l’écosystème, par pré­da­tion ou par concur­rence avec les espèces indi­gènes. Elles consti­tuent une part impor­tante des espèces inva­sives, et rejoignent donc cette pro­blé­ma­tique ». Dans le cli­mat de peur sus­ci­té par la grippe aviaire, les pré­oc­cu­pa­tions hygié­nistes sont davan­tage pré­sentes et on leur reproche de pro­pa­ger des mala­dies et d’attirer rats et ver­mine. Leurs déjec­tions dégradent la ville et dété­riorent la qua­li­té de la vie, sur­tout lorsqu’ils s’introduisent dans les entrées des immeubles et y piaulent. Le bruit — har­mo­nieux ou non, mais les gouts et les cou­leurs n’est-ce pas… — qu’ils pro­duisent, à l’instar d’annonces réité­rées sans cesse dans les trans­ports en com­mun, est consi­dé­ré comme dérangeant.

Natu­rel­le­ment, cette pol­lu­tion a un cout en termes d’entretien et de net­toyage, mais sur­tout elle contri­bue à la « baisse du moral des employés et à la dété­rio­ra­tion des rela­tions avec la clien­tèle », affirme un site de pro­fes­sion­nels. Heu­reu­se­ment, des solu­tions existent qui com­binent éco­lo­gie et éthique : divers dis­po­si­tifs, tels ceux qui les empêchent de se poser n’importe où, per­mettent de les « éloi­gner sans les bles­ser ». Un autre sys­tème, pré­co­ni­sé par la Socié­té des trans­ports inter­com­mu­naux bruxel­lois (Stib), comme nombre d’autorités publiques, consiste à ces­ser de les nour­rir, pour les contraindre à voler ailleurs. Comme tou­jours, il se trou­ve­ra des grin­cheux pour se plaindre que ce pro­blème, en par­ti­cu­lier la pré­sence des petits, ne soit pas pris en charge sans délai et de manière forte par les pou­voirs publics. Cepen­dant, cette invi­ta­tion qui res­pon­sa­bi­lise Mon­sieur et Madame Tou­le­monde pré­sente l’avantage de res­pec­ter la liber­té : ceux qui pestent contre le désa­gré­ment s’en trou­ve­ront confor­tés tan­dis que ceux qui sont sen­sibles au sur­croit d’humanité qu’apporte leur pré­sence dans les rues pour­ront pour­suivre leurs oboles qui, réunies, devraient per­mettre à cette mau­vaise graine de la casser.

La Stib a fait sien le pro­verbe : « Il ne faut pas lais­ser de semer par crainte des pigeons », la crainte d’un mal éven­tuel ne doit pas empê­cher de faire ce qui est utile. Pour autant, la Stib n’entend pas « décou­ra­ger la cha­ri­té », qui doit donc se dis­pen­ser ailleurs que dans le métro. Que ces ensau­va­gés res­tent donc chez eux ou dans ce qui leur en tient lieu.

Il faut ces­ser de don­ner à man­ger aux pigeons, il y va de la salu­bri­té de l’espace public ; on évi­te­ra ain­si qu’ils se repro­duisent à tort et à tra­vers. Les pigeons ? Qui parle de pigeons galeux ? Ce sont les men­diants qu’il faut évi­ter de nour­rir, « Nous vous rap­pe­lons que la men­di­ci­té est inter­dite dans l’enceinte du métro. Mer­ci de ne pas l’encourager », annonce la Stib toutes les demi-heures. Cette pre­mière étape doit être sui­vie d’une deuxième qui consiste à prier les men­diants de quit­ter les cou­loirs du métro. Et la troi­sième ? Tir aux pigeons ? Une fois encore, les humains contraints à men­dier seront marrons.

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie