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ONU 1947 : un dialogue de sourds

Numéro 05/6 Mai-Juin 1998 - Proche et Moyen-orient par Ilan Pappé

juillet 2008

Tant les inté­rêts des grandes puis­sances que la fai­blesse diplo­ma­tique arabe ont accou­ché du plan de par­ti­tion de 1947, un plan qui a fini par deve­nir le pro­to­type de toutes les ten­ta­tives d’im­pli­ca­tion de l’O.N.U. dans le conflit israé­lo-pales­ti­nien. Consé­quence de l’ef­fon­dre­ment de la repré­sen­ta­tion poli­tique des Pales­ti­niens et de la dis­pa­ri­tion de leur ter­ri­toire, pen­dant qua­rante ans, le conflit qui oppo­sait Juifs sio­nistes et Pales­ti­niens arabes a été per­çu et trai­té comme un conflit conven­tion­nel entre les États arabes et l’É­tat d’Israël.

Tra­duit de l’hé­breu par Pas­cal Fenaux.

En février 1947, le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique trans­fé­rait la ques­tion de la Pales­tine à l’Or­ga­ni­sa­tion des Nations unies. L’O.N.U. allait ensuite impo­ser un trai­te­ment du pro­blème par le Conseil de sécu­ri­té en des termes iden­tiques à ceux qui avaient gui­dé l’Ad­mi­nis­tra­tion bri­tan­nique durant toute la période du man­dat, c’est-à-dire en fai­sant de la mise sur pied de com­mis­sions d’en­quête le meilleur moyen de rele­ver le défi d’une solu­tion à la ques­tion de la Pales­tine. Onze États membres de l’Or­ga­ni­sa­tion furent appe­lés à nom­mer les délé­gués du Comi­té spé­cial des Nations unies sur la Pales­ti­ne/E­retz-Israël, l’U.N.S.C.O.P. Mal­gré une com­po­si­tion plu­ra­liste, les démarches du Comi­té furent en cou­lisses for­te­ment mar­quées du sceau de la délé­ga­tion amé­ri­caine et des moti­va­tions russes. Mal­gré le com­men­ce­ment de la guerre froide entre les deux blocs, il se fait que, sur la Pales­tine, les posi­tions des deux grandes puis­sances n’é­taient pas très antagoniques.

Les membres de l’U.N.S.C.O.P. étaient dépour­vus de toute expé­rience sur le Moyen-Orient en géné­ral et sur la Pales­tine en par­ti­cu­lier. Lors de leur pre­mière ses­sion de tra­vail, ils durent vite prendre la mesure de la situa­tion poli­tique com­plexe de la Terre sainte. Par­mi les diri­geants des deux camps en pré­sence, ce sont les « fau­cons » qu’ils convièrent à New York pour expo­ser leurs griefs et défendre leurs posi­tions. Abba Sil­ver Hil­lel repré­sen­tait les sio­nistes, tan­dis que Hen­ri Cat­tan et Dja­mal Al-Hus­sei­ni repré­sen­taient les Pales­ti­niens. Si Cat­tan s’ef­for­ça de convaincre les membres du Comi­té que leur rôle se bor­nait à appré­cier la léga­li­té, la vali­di­té et la mora­li­té de la décla­ra­tion Bal­four, Sil­ver évo­qua sur­tout l’ap­port du judaïsme à la civi­li­sa­tion et deman­da au Comi­té de doter les Juifs d’un État. Pour Sil­ver, l’U.N.S.C.O.P. devait accep­ter comme une évi­dence le fait que le peuple juif, comme tout autre peuple doté d’une iden­ti­té natio­nale propre, avait à tout le moins droit à un État. De son côté, Cat­tan exi­geait la créa­tion d’un État arabe sur toute la Pales­tine. Ce fos­sé que les Bri­tan­niques, en trente ans, n’é­taient jamais par­ve­nu à com­bler, le Comi­té enten­dait le combler.

Une U.N.S.C.O.P. acquise à la thèse sioniste

Avant de fou­ler le sol de cette terre déchi­rée, les membres de la délé­ga­tion ren­con­trèrent les délé­gués des deux super­puis­sances. Ces der­niers, ne cachant pas leur sou­tien à la posi­tion sio­niste, lais­sèrent entendre que la par­ti­tion du pays en deux enti­tés était la meilleure solu­tion au conflit. L’é­té 1947, les com­mis­saires arri­vèrent en Pales­tine et com­men­cèrent immé­dia­te­ment leurs entretiens.

À New York, Hen­ri Cat­tan avait déjà eu l’oc­ca­sion d’ex­pli­quer au Comi­té qu’il n’é­tait pas néces­saire de se rendre en Pales­tine, tant il était évident que l’U.N.S.C.O.P. avait déjà pris par­ti pour les Juifs. Aux yeux de Cat­tan, la visite du Comi­té signi­fiait que la posi­tion des sio­nistes sur l’a­ve­nir du pays était aus­si valide que celle des Pales­ti­niens. Cat­tan, à l’ins­tar des autres membres du Haut-Comi­té arabe1 et des États membres de la Ligue arabe, esti­mait que la légi­ti­mi­té des droits arabes sur la Pales­tine ne devait souf­frir aucune dis­cus­sion. En tant que repré­sen­tant des Pales­ti­niens, Cat­tan accep­ta seule­ment de recher­cher les moda­li­tés à même de faire coha­bi­ter ce droit avec la pré­sence juive en Pales­tine. Pour­tant, lorsque le Comi­té se ren­dit en Pales­tine, il fut boy­cot­té par les Pales­ti­niens. A pos­te­rio­ri, les his­to­riens pales­ti­niens affirment que les diri­geants pales­ti­niens d’a­lors ne savaient que trop bien quelle serait en défi­ni­tive la teneur des conclu­sions de l’U.N.S.C.O.P. Cette vision des choses n’est pas dépour­vue de logique. Consti­tuée de délé­gués amé­ri­cains et bri­tan­niques, une pré­cé­dente com­mis­sion d’en­quête sur la ques­tion pales­ti­no-eretz-israé­lienne avait déjà don­né un cer­tain aper­çu de la solu­tion qui serait pri­vi­lé­giée par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale. La com­mis­sion angloa­mé­ri­caine avait ain­si éta­bli un lien direct entre le sort des sur­vi­vants de la Shoah et celui du yishouv2 en Palestine.

Désor­mais, des acteurs qui, par le pas­sé, avaient témoi­gné de leur sym­pa­thie envers la thèse pales­ti­nienne, ne pou­vaient plus ne pas tenir compte de la Shoah, ni igno­rer la néces­si­té de trou­ver un refuge pour les sur­vi­vants. La com­mis­sion anglo-amé­ri­caine avait sug­gé­ré que la solu­tion la plus conve­nable au pro­blème des Juifs dépla­cés était de les implan­ter en Pales­tine. Cette com­mis­sion, à l’ins­tar de l’U.N.S.C.O.P., n’a­vait pas pris la peine d’é­va­luer sérieu­se­ment l’at­ta­che­ment des per­sonnes dépla­cées au sio­nisme. Ils étaient imper­méables au fait que la majo­ri­té des dépla­cés ne dési­rait pas s’ins­tal­ler en Pales­tine mais plu­tôt émi­grer aux États-Unis. Seule­ment, l’ef­fi­ca­ci­té de la pro­pa­gande sio­niste et la vague d’é­mo­tion sus­ci­tée par la Shoah eurent pour effet que la volon­té des per­sonnes dépla­cées ne fut abso­lu­ment pas prise en compte. Par ailleurs, une ques­tion qui ne fut jamais abor­dée, c’é­tait le lien éta­bli par les res­pon­sables sio­nistes entre le sort des Juifs de la dia­spo­ra et le sort du yishouv de Pales­tine. De même, la posi­tion des cou­rants juifs non sio­nistes n’eut jamais voix au chapitre.

Incohérence palestinienne et parrainage arabe

Avec le recul, on peut esti­mer que si les Pales­ti­niens s’y étaient asso­ciés, la démarche de l’O.N.U. aurait pu débou­cher sur d’autres résul­tats que ceux pré­sen­tés par l’U.N.S.C.O.P. et que les membres de la délé­ga­tion auraient pu se lais­ser convaincre de la jus­tesse des posi­tions pales­ti­niennes. Mais il semble que les diri­geants pales­ti­niens aient man­qué de ce prag­ma­tisme qui carac­té­ri­sait le mou­ve­ment sio­niste depuis 1882. Tou­te­fois, quand bien même se fussent-ils mon­trés prag­ma­tiques, ces diri­geants auraient dû néan­moins se mesu­rer au défi moral posé par la Shoah.

Via les ondes de la radio offi­cielle, le Comi­té des Nations unies invi­ta les diri­geants locaux à venir lui sou­mettre leurs points de vue. Durant tout son séjour, aucun offi­ciel pales­ti­nien ne vint expo­ser ses griefs devant l’U.N.S.C.O.P. En déses­poir de cause, le Comi­té se tour­na, non sans hési­ta­tion, vers les diplo­mates arabes basés à Jéru­sa­lem. Des rap­ports de l’U.N.S.C.O.P., il res­sort que cer­taines dépo­si­tions pales­ti­niennes furent enre­gis­trées, don­nant l’im­pres­sion d’une enquête équi­li­brée. Mais, si les posi­tions pales­ti­niennes étaient connues d’une par­tie des délé­gués, peu d’entre eux trai­tèrent sérieu­se­ment les argu­ments juri­diques et poli­tiques avan­cés par les Palestiniens.

Tout autre fut l’at­ti­tude des diri­geants du yishouv. Leur atti­tude posi­tive contri­bua for­te­ment à faire pen­cher le Comi­té en faveur des thèses sio­nistes, une évo­lu­tion qui n’al­lait que prendre de l’am­pleur avec l’af­faire de l’Exo­dus et la visite des camps pour per­sonnes dépla­cées en Europe. Mais, comme on l’a dit, l’at­ti­tude néga­tive des Pales­ti­niens à l’é­gard du Comi­té pesa d’un poids tout aus­si déter­mi­nant. Les membres de l’U.N.S.C.O.P. eurent en fait l’im­pres­sion qu’il n’exis­tait pas de véri­table posi­tion pales­ti­nienne cohé­rente. À un tour­nant si déci­sif dans l’his­toire de leur mou­ve­ment natio­nal, les Pales­ti­niens eurent toutes les peines du monde à s’u­nir et à adop­ter une posi­tion homo­gène. En outre, les diri­geants pales­ti­niens pré­fé­rèrent lais­ser l’i­ni­tia­tive poli­tique à la Ligue arabe. Ce fait his­to­rique était sans pré­cé­dent. Dans les années trente, ces mêmes diri­geants arabes avaient contre car­ré le com­bat poli­tique des Pales­ti­niens3. À par­tir de 1945, ce fut le comi­té poli­tique de la Ligue arabe qui mena la démarche diplo­ma­tique arabe, le plus sou­vent sans se coor­don­ner avec le Haut-Comi­té arabe pales­ti­nien. L’U.N.S.C.O.P. en four­nit encore un exemple. En ne boy­cot­tant pas les tra­vaux du Comi­té, la Ligue arabe don­na aux repré­sen­tants de l’O.N.U. l’illu­sion qu’ils avaient réus­si à enre­gis­trer les posi­tions des deux par­ties du conflit.

Le leurre du conflit israélo-arabe

C’est pour­quoi, lors­qu’il écla­ta défi­ni­ti­ve­ment avec le départ des Bri­tan­niques de Pales­tine, ce conflit allait être inter­pré­té par l’O.N.U. et les grandes puis­sances comme une lutte mili­taire et diplo­ma­tique entre le monde arabe et l’en­ti­té juive, et non comme une confron­ta­tion entre sio­nistes et Pales­ti­niens. En juillet 1947, les repré­sen­tants ira­kiens, saou­diens, syriens, liba­nais, égyp­tiens et yémé­nites ren­con­trèrent les membres de l’U.N.S.C.O.P. à Bey­routh. Les diplo­mates arabes décou­vrirent aus­si­tôt que seul le com­mis­saire indien, sir Abdel Rah­man, défen­dait une posi­tion pro-arabe. Il ne pou­vait s’en­suivre qu’un dia­logue de sourds. Il appa­rait en outre que même Abdel Rah­man eut toutes les peines à sou­te­nir une posi­tion arabe qui refu­sait toute repré­sen­ta­tion poli­tique aux Juifs de Pales­tine, exi­geait l’ar­rêt immé­diat de l’im­mi­gra­tion juive et de l’a­chat de terres par l’A­gence juive et, enfin, reven­di­quait un État arabe sur toute l’E­retz- Israël man­da­taire. Il est dif­fi­cile d’ad­mettre que les repré­sen­tants arabes, essen­tiel­le­ment des ministres des Affaires étran­gères, ont accor­dé l’im­por­tance requise aux tra­vaux de l’U.N.S.C.O.P. Du jour­nal d’un des délé­gués arabes ayant par­ti­ci­pé à la ren­contre de Bey­routh, le futur ministre syrien des Affaires étran­gères, Adel Ars­lan, il res­sort que le seul sou­ci des délé­gués arabes était de devi­ner les pro­jets secrets de leurs adver­saires res­pec­tifs dans le monde arabe.

À la grande joie de l’é­mir Abdal­lah, le sou­ve­rain de Trans­jor­da­nie, le Comi­té accep­ta de le consi­dé­rer comme une escale sépa­rée lors de son séjour dans la région. Abdal­lah avait refu­sé de se joindre à la ren­contre de Bey­routh, argüant de ce que son pays n’é­tait pas membre des Nations unies. En réa­li­té, Abdal­lah était en pleine négo­cia­tion sur la par­ti­tion de l’E­retz-Israël post-man­da­taire entre lui et les Juifs et ne res­sen­tait pas le besoin de se joindre à une ini­tia­tive arabe glo­bale4. Cette faille remar­quable au sein du camp arabe n’al­lait pas peu contri­buer à don­ner aux membres de l’U.N.S.C.O.P. une impres­sion néga­tive des Pales­ti­niens, à un moment où il était ame­né à tran­cher le sort de la Palestine.

Le partage et la tentation de l’expulsion

Après avoir visi­té les camps de per­sonnes dépla­cées en Europe, le Comi­té revint à Genève et déci­da de pré­sen­ter deux rap­ports à l’As­sem­blée géné­rale. Le rap­port de la majo­ri­té recom­man­dait la par­ti­tion de la Pales­tine, tan­dis que le rap­port de la mino­ri­té, cal­qué dans une cer­taine mesure sur la posi­tion arabe, recom­man­dait la créa­tion d’un État arabe en Pales­tine englo­bant une forte mino­ri­té natio­nale juive.

Le rap­port de la majo­ri­té décré­tait la par­ti­tion géo­gra­phique de la Pales­tine en deux États, arabe et juif, et appe­lait à l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion de Jéru­sa­lem. Cette carte trans­fé­rait aux sio­nistes 55 % du ter­ri­toire pales­ti­nien, 407 000 Pales­ti­niens5 deve­nant par là citoyens d’un État juif regrou­pant 498 000 Juifs. Nom­breux sont les his­to­riens, moi y com­pris, qui estiment que le carac­tère bina­tio­nal de l’É­tat juif pro­po­sé n’a pu que ren­for­cer les pré­dis­po­si­tions de l’A­gence juive à pro­fi­ter de la guerre pour pro­cé­der à une expul­sion mas­sive des Pales­ti­niens. En effet, les membres de l’U.N.S.C.O.P., conscients des pro­blèmes cau­sés par la struc­ture démo­gra­phique, expli­quèrent que leur recom­man­da­tion d’u­nion éco­no­mique entre les deux États apla­ni­rait les dif­fé­rends natio­naux ou rédui­rait les ten­sions entre les com­mu­nau­tés natio­nales. Le rap­port pré­voyait éga­le­ment que la poli­tique d’im­mi­gra­tion juive fut coor­don­née avec les auto­ri­tés de l’É­tat arabe de Palestine.

Lorsque le rap­port prin­ci­pal fut publié, en sep­tembre 1947, le monde arabe ne fut pas par­ti­cu­liè­re­ment sur­pris, tant ses conclu­sions étaient pré­vi­sibles. Il appa­rait pour­tant que la par­tie pales­ti­nienne en tira une leçon : le boy­cot­tage des tra­vaux de l’U.N.S.C.O.P. se révé­lait avoir été une grave erreur. C’est ain­si que, au début de sep­tembre, le Haut- Comi­té arabe envoya un délé­gué à l’O.N.U., la fin de ce même mois témoi­gnant d’une désor­mais plus grande impli­ca­tion des Pales­ti­niens dans les tra­vaux de l’U.N.S.C.O.P. Cepen­dant, le gouffre entre les inten­tions de l’O.N.U. et les idéaux pales­ti­niens n’a­vait jamais été aus­si pro­fond. La délé­ga­tion pales­ti­nienne reje­ta les deux rap­ports, qua­li­fiant même de par­tage dégui­sé le plan pré­sen­té par la mino­ri­té. Les diplo­mates arabes étaient moins hos­tiles et étaient de toute façon très divi­sés sur la ques­tion pales­ti­nienne. Ils virent dans le plan de la mino­ri­té un moindre mal et défen­dirent son adop­tion par l’As­sem­blée géné­rale. Paral­lè­le­ment, la Ligue arabe ten­ta de for­mu­ler une ligne diplo­ma­tique plus cohé­rente et de pro­po­ser une alter­na­tive poli­tique. En octobre 1947, les Ira­kiens ten­tèrent d’as­so­cier les Saou­diens à une ini­tia­tive com­mune à l’a­dresse des États-Unis, afin de post­po­ser les débats de l’As­sem­blée géné­rale. Il semble que les Ira­kiens crai­gnaient déjà qu’il ne fût plus pos­sible d’in­flé­chir des débats qui pen­chaient déjà en faveur d’une par­ti­tion de la Terre promise.

A pos­te­rio­ri, il appa­rait que la déci­sion arabe de se battre uni­que­ment en faveur du plan de la mino­ri­té cachait de pro­fondes diver­gences. S’ils ne s’é­taient pas asso­ciés à l’é­la­bo­ra­tion de la carte de la par­ti­tion, cer­tains d’entre eux n’y étaient pour autant pas tota­le­ment défa­vo­rables. Il n’en reste pas moins que la réso­lu­tion 181 fut pré­pa­rée sans aucune impli­ca­tion arabe. En outre, quatre jours avant le vote déci­sif de l’As­sem­blée géné­rale du 29 novembre 1947, une lutte s’en­ga­gea autour de l’a­dop­tion d’une réso­lu­tion alter­na­tive recom­man­dant l’a­dop­tion d’un délai sup­plé­men­taire cen­sé per­mettre aux Nations unies de sta­tuer de la vali­di­té de l’i­dée du par­tage. Mais, dès lors qu’ils n’a­vaient pas par­ti­ci­pé aux pré­pa­ra­tifs du plan de par­ti­tion, les diplo­mates arabes n’a­vaient aucune conscience du rap­port de forces entre par­ti­sans et adver­saires de la par­ti­tion. Ce n’est que la veille du vote que le camp arabe com­prit qu’ils devrait se battre pour évi­ter son adop­tion. Le repré­sen­tant ira­kien, Fadl El-Dje­ma­li, deman­da la consti­tu­tion d’un comi­té sup­plé­men­taire pour sta­tuer de la ques­tion pales­ti­nienne. À un moment où les Pales­ti­niens avaient besoin de sou­tiens plus déci­sifs, El-Dje­ma­li se conten­ta de par­ler en leur nom. Zoul­fi­kar Khan, repré­sen­tant du Pakis­tan et juriste de répu­ta­tion mon­diale, renon­ça à prendre la parole à cause du conflit interne entre délé­ga­tions arabes, les­quelles ne par­ve­naient pas à s’en­tendre sur le nom de celui qui pren­drait la parole à la tri­bune. L’A­gence juive prit connais­sance de ces diver­gences de la bouche d’un infor­ma­teur qui avait par­ti­ci­pé aux réunions des délé­ga­tions arabes. Dans ces condi­tions, l’A­gence juive eut les cou­dées d’au­tant plus franches pour convaincre les autres délé­ga­tions de ne pas retar­der les débats pré­pa­ra­toires au vote.

Pour autant, le sou­tien de l’As­sem­blée géné­rale au plan de la majo­ri­té ne fut pas si facile à obte­nir. De nom­breux États membres se mon­trèrent hési­tants et, lorsque la contre-pro­po­si­tion fut sou­mise au vote, elle obtint un nombre iden­tique de voix. Une majo­ri­té ne se des­si­na qu’à la suite d’é­normes pres­sions amé­ri­caines sur les hési­tants, ain­si que d’in­tenses pres­sions juives amé­ri­caines sur quelques États récal­ci­trants dis­po­sés à voter le plan de la mino­ri­té de l’U.N.S.C.O.P. Ces pres­sions furent exer­cées par le biais du Congrès juif mon­dial, Léon Blum étant embau­ché pour chan­ger la posi­tion de neu­tra­li­té affi­chée par la France, et Har­vey Fires­tone, un homme d’af­faires juif amé­ri­cain pro­prié­taire d’une usine de pneus, étant char­gé de convaincre le gou­ver­ne­ment libé­rien, son prin­ci­pal four­nis­seur de matière pre­mière. De son côté, le Congrès amé­ri­cain per­sua­da douze des vingt États suda­mé­ri­cains membres des Nations unies.

La guerre, l’O.N.U. et le partage entre sionistes et hachémites

Après l’a­dop­tion du plan de par­ti­tion, c’en fut fini des ini­tia­tives de paix des Nations unies à ce stade du conflit. La Ligue arabe pro­cla­ma son inten­tion d’empêcher par la force la par­ti­tion, tan­dis que, dans le laps de temps qui s’é­cou­la entre le vote du par­tage et la fin du man­dat bri­tan­nique, les Nations unies se lais­sèrent convaincre de la jus­tesse de cer­taines reven­di­ca­tions arabes. Non pas que l’O.N.U. recon­nais­sait leur vali­di­té morale et poli­tique, mais l’é­cla­te­ment d’une guerre civile en Pales­tine démon­trait sim­ple­ment que le plan de par­tage avait créé une situa­tion de guerre qu’il était pré­ci­sé­ment cen­sé évi­ter. Pour­tant, le Haut-Comi­té arabe, à nou­veau invi­té à faire entendre sa posi­tion, renoua avec la diplo­ma­tie du boy­cot­tage. Peut-être cer­tains de ses diri­geants espé­raient-ils que le monde arabe aurait les moyens d’empêcher l’ap­pli­ca­tion de la par­ti­tion. Seul Abdal­lah pour­sui­vit ses efforts pour trou­ver une issue poli­tique au conflit et par­vint, me semble- t‑il, à s’en­tendre avec la par­tie juive sur un par­tage de la Pales­tine. Cette entente déter­mi­na lar­ge­ment l’is­sue de la guerre et ser­vit de cadre aux posi­tions du sou­ve­rain jor­da­nien lors des négo­cia­tions de paix après la guerre. D’une façon ou d’une autre, mal­gré des hési­ta­tions amé­ri­caines qui connurent leur apo­gée avec l’i­dée d’une tutelle inter­na­tio­nale comme solu­tion pré­fé­rable à la par­ti­tion, l’O.N.U. s’en tint fina­le­ment à la réso­lu­tion du conflit par la par­ti­tion grâce à l’aide du pré­sident Tru­man. L’Or­ga­ni­sa­tion ne voyait pas pour autant cette solu­tion comme un point final et se mon­trait prête à pour­suivre ses efforts pour résoudre le conflit, mais d’une façon qui allait pour­tant ame­ner les États arabes à entrer en guerre.

Un des faits les plus frap­pants de la guerre de 1948 est la dis­po­si­tion des Nations unies à lan­cer une ini­tia­tive de paix dès le déclen­che­ment des hos­ti­li­tés6. Les évè­ne­ments pos­té­rieurs à ce retour des Nations unies sortent du cadre de cet article, mais on sou­li­gne­ra seule­ment que l’i­ni­tia­tive de l’O.N.U., qui allait se pour­suivre jus­qu’à la fin de 1949, ne fut basée sur rien d’autre que l’i­dée de la par­ti­tion. La par­ti­tion géo­gra­phique chan­gea de forme. Alors que la réso­lu­tion 181 don­nait la majo­ri­té du Néguev à l’É­tat juif et la majeure par­tie de la Gali­lée à l’É­tat arabe7, les Amé­ri­cains pro­po­sèrent d’é­chan­ger ces zones. Il faut voir dans cette pro­po­si­tion l’in­fluence des Bri­tan­niques, les­quels accor­daient la plus haute impor­tance à une conti­nui­té ter­ri­to­riale entre l’É­gypte et la Jor­da­nie. Il y eut une autre évo­lu­tion : la fer­me­té de l’en­ga­ge­ment des Nations unies en faveur de l’i­dée d’É­tat pales­ti­nien dimi­nua, tan­dis que se ren­for­çait sa dis­po­si­tion à recon­naitre l’an­nexion par la Jor­da­nie de sec­teurs de la Pales­tine, soit une autre moda­li­té d’ap­pli­ca­tion de la par­ti­tion. Par ailleurs, si la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale demeu­ra long­temps fidèle au prin­cipe de l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion de Jéru­sa­lem, la par­ti­tion de fac­to de la ville entre la Jor­da­nie et Israël encou­ra­gea une recon­nais­sance de cette nou­velle situation.

Évi­dem­ment, un nou­vel élé­ment devait tou­te­fois être pris en compte dans toute ini­tia­tive de paix, à savoir l’exi­gence de l’O.N.U. d’un retour incon­di­tion­nel des réfu­giés pales­ti­niens. À l’ex­cep­tion de l’I­rak, les États arabes qui avaient com­bat­tu Israël acce­ptèrent ces nou­veaux prin­cipes comme base de négo­cia­tion, de même que les diverses ins­tances de repré­sen­ta­tion des Pales­ti­niens. Au sein du gou­ver­ne­ment israé­lien, seul le ministre des Affaires étran­gères Moshé Sha­rett se mon­tra prêt à répondre aux requêtes des Nations unies. David Ben Gou­rion refu­sa obs­ti­né­ment de négo­cier avec les États arabes ou avec les Pales­ti­niens une quel­conque réso­lu­tion du conflit. Il char­gea ses hommes de conti­nuer à appli­quer sur le ter­rain la par­ti­tion du pays entre les Haché­mites et les Juifs, un pro­ces­sus avec lequel il n’é­tait pour­tant pas en accord com­plet, atta­ché qu’il res­tait à l’i­dée d’an­nexer à Israël de nou­veaux sec­teurs de la Cisjordanie.

  1. Ins­tance exé­cu­tive des Pales­ti­niens créée en 1936 et domi­née par le Par­ti arabe pales­ti­nien de la famille Hus­sei­ni. Dis­per­sé suite à la révolte de 1936 – 1939 et la guerre de 1948, il connai­tra une éphé­mère résur­rec­tion à Gaza, dans les années cin­quante, sous le nom de Gou­ver­ne­ment de toute la Palestine.
  2. Lit­té­ra­le­ment « assise », « peu­ple­ment ». Terme défi­nis­sant la popu­la­tion juive de Pales­tine. Avec l’a­vè­ne­ment du mou­ve­ment sio­niste et les débuts de l’im­mi­gra­tion, ce terme désigne la com­mu­nau­té sio­niste des colons.
  3. De 1936 à 1939, les Pales­ti­niens se sou­le­vèrent contre les Bri­tan­niques et les colons juifs. Le sou­lè­ve­ment ne fut inter­rom­pu qu’a­près une lourde répres­sion bri­tan­nique et une pres­sion des États arabes sur le Haut- Comi­té arabe palestinien.
  4. En 1922, les Bri­tan­niques détachent la rive est du Jour­dain du reste de la Pales­tine man­da­taire et y créent l’é­mi­rat de Trans­jor­da­nie pour les besoins de la monar­chie haché­mite, chas­sée du Hed­jaz par les Saoudiens.
  5. Aux­quels il faut ajou­ter quelque 83 000 bédouins semi-nomades.
  6. En mai 1948, les Nations unies nomment Folke Ber­na­dotte comme média­teur. Ses ini­tia­tives font l’ob­jet des articles de Pas­cal Fenaux et Paul Delmotte.
  7. Voir l’ar­ticle suivant.

Ilan Pappé


Auteur

Ilan Pappé est politologue (Université de Haïfa et Institut de recherche pour la paix de Guivat Haviva). Auteur de {The Making of the Arab-Israeli Conflict, 1947-1951}, New York, Tauris, 1992, et de {Britain and the Arab-Israeli Conflict}, 1948-1951, New York, MacMillan, 1988.