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On retient son souffle

Numéro 10 Octobre 2011 par Lechat Benoît

octobre 2011

Inter­mi­nable attente. Inquié­tude dif­fuse. Le Belge s’habitue à cette impres­sion qu’il ne se passe presque rien. Et que c’est qua­si­ment nor­mal. Il sait sans doute bien que les choses peuvent bas­cu­ler d’un moment à l’autre. Mais il fait sem­blant de ne pas le savoir. Après un mois d’aout pour­ri par les pluies, la ren­trée est un peu […]

Inter­mi­nable attente. Inquié­tude dif­fuse. Le Belge s’habitue à cette impres­sion qu’il ne se passe presque rien. Et que c’est qua­si­ment nor­mal. Il sait sans doute bien que les choses peuvent bas­cu­ler d’un moment à l’autre. Mais il fait sem­blant de ne pas le savoir. Après un mois d’aout pour­ri par les pluies, la ren­trée est un peu mièvre. La ville retrouve le bruit de fond de ses cen­taines de mil­liers de voi­tures avan­çant au pas et les repor­tages gnan­gnan sur la ren­trée sco­laire. Les négo­cia­tions sur la note Di Rupo ne semblent pas déra­per. Huit par­tis, téta­ni­sés par la peur de l’échec, n’osent pas trop croire à un accord. Guy Spi­taels dit que tout est fou­tu. Il n’y a appa­rem­ment ni solu­tion ni alter­na­tive. Tout va bien ou presque… Bart De Wever est à 40% dans les sondages.

Manger ou se chauffer

À la gare du Nord, une cin­quan­taine de Roms sur­vit dans l’indigence la plus com­plète. Citoyens euro­péens, ils sont arri­vés à Bruxelles parce qu’ils savent que cet hiver, ils figu­re­ront par­mi les quelques mil­lions d’Européens qui devront choi­sir entre man­ger et se chauf­fer. Les com­munes tentent de parer à l’urgence, mais leur séjour tou­ris­tique ne leur donne en prin­cipe droit à aucune aide.

Platanes et Olivier

À quelques cen­taines de mètres de là, ave­nue du Port, près du canal, des habi­tants veulent s’enchainer aux pla­tanes pour empê­cher la ministre bruxel­loise Bri­gitte Grou­wels, qui a la « tron­çon­neuse de l’emploi », de pro­cé­der à leur abat­tage. La soli­da­ri­té des citoyens heurte la rigide CD&V. Image facile : les amis des pla­tanes menacent de déra­ci­ner l’Olivier bruxel­lois. Les 4,7 mil­lions d’euros pré­vus pour finan­cer la réno­va­tion de l’artère seront-ils per­dus si la Région renonce au pro­jet conçu en son temps pour sup­por­ter les camions d’un centre de logis­tique que les Éco­los sont par­ve­nus à empê­cher ? Mais que pèsent ces quelques petits mil­lions face aux cen­taines d’autres que Bruxelles doit trou­ver pour com­pen­ser le recul de ses recettes (elles ont fon­du de 7% cette année) et sur­tout pour faire face à l’énorme crois­sance de ses besoins, en bus, trams, écoles ou crèches. La crise com­mu­nau­taire croise sans cesse la crise bud­gé­taire et la crise sociale.

Bas du front

La cote des pro­fes­sion­nels du dif­fé­rend com­mu­nau­taire atteint des som­mets au moment même où la zone euro chan­cèle. En 2008, les cou­pables, c’étaient les ménages amé­ri­cains. Aujourd’hui ce sont les sou­ve­rains. L’histoire de l’économie arrive au bout d’un cha­pitre. Pas d’intermède vacan­cier pour les ban­quiers cen­traux… L’action Dexia — comme celles de la plu­part des banques — ne cesse de plon­ger. Trop de cré­dits aux PIGS ? Les États-Unis ont per­du leur triple A. Le rêve d’Obama s’endort dans le ron­ron­ne­ment de la planche à billets. La voie paraît s’ouvrir devant les fous furieux. Ceux que, en 2008, la gauche avait crus empor­tés par la chute de Leh­man-Bro­thers sont de retour. Bas du front. Assu­mant sans pudeur la vio­lence de l’inégalité. Sabrant dans les dépenses sociales, cultu­relles, scien­ti­fiques. Au Royaume-Uni comme aux Pays-Bas. Sans guère de pro­jet. Pour­tant, la « Big socie­ty » de Came­ron nous fai­sait presque pen­ser à la sphère auto­nome chère à André Gorz et à Phi­lippe Van Pari­js. Mais il ne reste plus que la mau­vaise langue de bois, la cru­di­té très dix-neu­vième de la répres­sion s’abattant sur des émeu­tiers dont la seule ambi­tion poli­tique était d’arracher un lam­beau de socié­té de consommation.

Indignés à tâtons

De Londres à Tel-Aviv, en pas­sant par Madrid, l’indignation est sou­vent confor­miste. Le désir de gar­der le droit de repro­duire un mode de vie s’exprime sous des formes diverses, tan­tôt vio­lentes, tan­tôt réflé­chies, tan­tôt défen­sives, tan­tôt sou­cieuses de trou­ver une nou­velle voie. On s’indigne et on tâtonne : entre le désir de pou­voir vivre comme ses parents et une envie de tout autre chose, d’un au-delà de la socié­té de consom­ma­tion et de crois­sance, et d’une vraie démo­cra­tie qui ne serait plus domi­née par des poli­ti­ciens au ser­vice des rapaces sans visages. La nos­tal­gie du com­pro­mis for­diste a encore un bel ave­nir. Mais ses bases morales et sociales sont mena­cées. En Bel­gique, l’État-providence tourne encore. Mais l’idée que le par­tage de la crois­sance béné­fi­cie à tous les Belges, le patron fla­mand comme le tra­vailleur wal­lon, ne fait qua­si­ment plus par­tie de ce monde. Quand un des der­niers mohi­cans du capi­ta­lisme belge pro­pose que les riches payent plus d’impôts, des nou­veaux riches fla­mands répliquent qu’il y a bien trop de fonc­tion­naires dans un pays dont ils ne donnent pas le nom.

Qu’est-ce qu’il y a après la fin du monde ?

À Ber­lin, l’idée du fédé­ra­lisme est aus­si à l’épreuve. La majo­ri­té d’une chan­ce­lière qui a connu le com­mu­nisme, mais pas la guerre, est mena­cée. Son par­te­naire libé­ral qui n’a pas encore fait com­plè­te­ment le choix de la voix popu­liste pour­rait ten­ter un der­nier baroud sur le sou­tien de l’Allemagne au sau­ve­tage de la Grèce. Une péti­tion cir­cule à l’intérieur d’un FDP par­ti en vrille. Elle demande un réfé­ren­dum interne qui pour­rait faire voler la majo­ri­té de Mer­kel en éclats. Real­de­mo­cra­cy now ? En Alle­magne per­sonne ne croit un par­ti qui pro­met de bais­ser les impôts. Par contre, quelqu’un qui parle de la fin de l’euro com­mence à deve­nir crédible.

Tours qui tombent et dessous de tables

Les camé­ras cachées sur les des­sous-de-table dans les hôpi­taux grecs font plus de mal que n’importe quel dis­cours de Mme Le Pen. Et puis tout peut fina­le­ment bas­cu­ler pour de bon, la Grèce être décla­rée en faillite, les banques natio­na­li­sées pour de bon (ciel!). Serait-ce vrai­ment si grave ? Per­sonne ne sait trop ce que ça veut dire, com­ment ce sera concrè­te­ment, quelles impli­ca­tions cela aura sur la vie quo­ti­dienne. On nous parle de la fin du monde sans jamais évo­quer ce qui vient après. À force de rete­nir son souffle, pen­dant que la télé­vi­sion passe en boucle les images des tours qui tombent, on fini­rait bien par s’étouffer.

12 sep­tembre 2011

Lechat Benoît


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