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On peut plus rien dire

Numéro 4 mai 2023 - homosexualité LGBTQIA+ minorités transidentités par Sophie Tortolano

mai 2023

Ce numé­ro de la Revue Nou­velle reprend la qua­si tota­li­té des inter­ven­tions tenues lors du col­loque « On peut plus rien dire. Quand les mino­ri­tés sexuelles et de genre inter­rogent le champ psy­cho­mé­di­co­so­cial » orga­ni­sé par la Ligue Bruxel­loise pour la San­té Men­tale les 28 et 29 novembre 2022. 

À l’initiative de la Coor­di­na­tion Pré­ca­ri­tés de la LBSM, régu­liè­re­ment inter­pel­lée par les enjeux spé­ci­fiques de san­té men­tale pour les per­sonnes LGBTQIA+, un comi­té de pilo­tage com­po­sé de Manu Gon­çal­vès, Myriam Mon­heim, Isa­belle Gos­se­lin, Roxanne Chi­ni­kar, Noé­mie Cas­tro, Yahyâ Hachem Samii et Sophie Tor­to­la­no s’est consti­tué pour construire deux jour­nées de ques­tion­ne­ments et de réflexions autour de l’accueil et de l’accompagnement de ces publics dans le large champ des soins psychomédicauxsociaux. 

Dossier

Ce numé­ro de la Revue Nou­velle reprend la qua­si tota­li­té des inter­ven­tions tenues lors du col­loque « On peut plus rien dire. Quand les mino­ri­tés sexuelles et de genre inter­rogent le champ psy­cho­mé­di­co­so­cial » orga­ni­sé par la Ligue Bruxel­loise pour la San­té Men­tale les 28 et 29 novembre 2022. 

À l’initiative de la Coor­di­na­tion Pré­ca­ri­tés de la LBSM, régu­liè­re­ment inter­pel­lée par les enjeux spé­ci­fiques de san­té men­tale pour les per­sonnes LGBTQIA+, un comi­té de pilo­tage com­po­sé de Manu Gon­çal­vès, Myriam Mon­heim, Isa­belle Gos­se­lin, Roxanne Chi­ni­kar, Noé­mie Cas­tro, Yahyâ Hachem Samii et Sophie Tor­to­la­no s’est consti­tué pour construire deux jour­nées de ques­tion­ne­ments et de réflexions autour de l’accueil et de l’accompagnement de ces publics dans le large champ des soins psychomédicauxsociaux. 

Les besoins et les fac­teurs de vul­né­ra­bi­li­té spé­ci­fiques des mino­ri­tés sexuelles et de genre ques­tionnent les pra­tiques d’aide et de soin.

Long­temps étu­diées sous le prisme de la patho­lo­gie par la méde­cine, la psy­chia­trie et la psy­cho­lo­gie, les mino­ri­tés sou­lèvent chez certain·es la crainte d’une perte des repères sexués, sous-ten­due par la cis-hété­ro­nor­ma­ti­vi­té qui seule fon­de­rait notre rap­port au monde et aux autres. 

Dans un tel contexte, chaque article de ce dos­sier per­met d’interroger les savoirs et pos­tures qui sous-tendent les soins en san­té men­tale, leur carac­tère situé et his­to­ri­ci­sé, source poten­tielle d’inclusion et de non-oppres­sion ou au contraire de stig­ma­ti­sa­tion et de discrimination.

Ce dos­sier, dans le pro­lon­ge­ment des deux jour­nées de col­loque, cherche à visi­bi­li­ser les par­cours et tra­jec­toires de soins spé­ci­fiques de groupes qui consti­tuent l’acronyme très diver­si­fié LGBTQIA+ en dis­tin­guant les vécus de certain·es d’entre elleux.

En tra­ver­sant des ques­tions com­plexes et émi­nem­ment sociales que nous ne pou­vons plus accep­ter d’ignorer ou de cari­ca­tu­rer, il s’agit bien de favo­ri­ser un meilleur accueil et une écoute plus atten­tive de per­sonnes, ain­si que de leurs familles et proches, qui ne veulent plus être enfer­mées ou dis­cri­mi­nées mais accom­pa­gnées et rencontrées.

Cette capa­ci­té à recon­naitre les publics mino­ri­sés et à tra­vailler avec eux de façon éman­ci­pa­trice et soi­gnante œuvre cer­tai­ne­ment à « faire socié­té » et contri­bue à enri­chir toutes nos pra­tiques de soin et d’accompagnement, qu’elles soient indi­vi­duelle, col­lec­tive, grou­pale, fami­liale et/ou institutionnelle.

À cette fin, le dos­sier débu­te­ra par les mots de Marie Darah, sla­meu­reuse à la plume inci­sive, vibrante et per­cu­tante, qui nous fait l’honneur de par­ta­ger l’un de ses textes dont la puis­sance évo­ca­trice et l’intelligence plon­ge­ront les lecteur·ices dans une expé­rience émo­tion­nelle et réflexive qui condense et trans­cende, à bien des égards, les savoirs aca­dé­miques et cli­niques qui lui feront suite.

Valé­rie Piette est pro­fes­seure à l’Université Libre de Bruxelles et ses recherches portent sur l’histoire des femmes, du genre et de la sexua­li­té. Dans sa contri­bu­tion, elle déve­lop­pe­ra sans linéa­ri­té les momen­tums de l’histoire des per­sonnes LGBTQIA+, laquelle s’est construite au car­re­four des dis­cours médi­caux, psy­cho­lo­giques et juri­diques. Elle évo­que­ra éga­le­ment ces nar­ra­tions indi­vi­duelle et col­lec­tive qui éclairent les mou­ve­ments actuels, notam­ment ceux d’une affir­ma­tion fière mal­gré la honte, les dou­leurs et les tabous par les­quels les mino­ri­tés sexuelles et de genre ont été et sont traversées.

Au regard his­to­rique suc­cè­de­ra la lec­ture anthro­po­lo­gique de Char­lotte Peze­ril, codi­rec­trice de l’Observatoire du sida et des sexua­li­tés (ULB). Rap­pe­lant que les études de genre sont loin de repré­sen­ter un cor­pus mono­li­thique, elle pro­po­se­ra une arti­cu­la­tion féconde entre genre, sexe et sexua­li­té en pre­nant appui sur la créa­ti­vi­té de genre dont dif­fé­rentes socié­tés ont fait preuve. Elle insis­te­ra éga­le­ment sur l’importance, s’il en est, de poli­ti­ser, d’historiciser et d’anthropo-socialiser ces trois caté­go­ries, au regard notam­ment du risque d’essentialisation qui les guette, avec le recul cri­tique néces­saire, afin d’en gar­der la force dis­cur­sive, éman­ci­pa­trice et poten­tiel­le­ment sub­ver­sive pour pen­ser nos rap­ports sociaux.

Si nous pen­sions avoir com­pris quelque chose en la matière, Guil­hem Lau­trec, tra­vailleur social, anthro­po­logue et direc­teur d’Alias, bous­cu­le­ra nos croyances. Dans son texte, il démon­tre­ra que le concept de sexua­li­té pro­duit par nos socié­tés occi­den­tales n’est nul­le­ment exempt de dimen­sions colo­niales, racistes et impé­ria­listes. Il invi­te­ra, avec force, nos ins­ti­tu­tions du social et de la san­té à en prendre conscience avant toute inter­ven­tion auprès de per­sonnes non blanches, iden­ti­fiées comme étant issues de mino­ri­tés sexuelles, face au dan­ger si elles ne le font pas, de repro­duire des sys­tèmes de domi­na­tions et de trans­for­mer des sujets en objets de soin.

Après ces abords his­to­riques et socio-anthro­po­lo­giques, les quatre articles sui­vants s’attarderont sur des dimen­sions cli­niques et pra­tiques, consub­stan­tielles aux déve­lop­pe­ments précédents.

Les auteur·ices de ces articles sont psy­cho­logues clinicien·nes et ont déve­lop­pé une exper­tise auprès des publics LGBTQIA+.

Myriam Mon­heim, psy­cho­logue au PlanF, abor­de­ra les nom­breux coming out choi­sis ou for­cés aux­quels sont confron­tés ces publics et leurs effets sur la san­té men­tale, ain­si que leurs vul­né­ra­bi­li­tés et besoins spécifiques.

Noah Got­tlob, cofon­da­teur de Trans­kids ain­si que coor­di­na­teur et cofon­da­teur d’Epicentre, pour­sui­vra une réflexion sur l’accompagnement des mineurs trans­genres, créatif·ves dans le genre, et de leur famille dans une pos­ture inclu­sive. Aurore Dufrasne, psy­cho­thé­ra­peute, sexo­logue et for­ma­trice à Genres Plu­riels ain­si que coor­di­na­trice du Réseau Psy­cho­mé­di­co­so­cial Trans et Inter belge, opé­re­ra la même démarche rela­ti­ve­ment aux trans­genres adultes.

Enfin Isa­belle Gos­se­lin, psy­cho­thé­ra­peute et cher­cheuse à l’Observatoire du sida et des sexua­li­tés, pro­po­se­ra de quee­ri­ser la psy­cha­na­lyse en s’appuyant sur une psy­cho­thé­ra­pie dite inclu­sive. Elle démon­te­ra que sa pra­tique d’écoute des marges a trans­for­mé son écoute au béné­fice de l’ensemble de ses patient·es, minorisé·es ou non.

L’article conclu­sif revien­dra, quant à lui, à San­drine Detandt, pro­fes­seure à la Facul­té de Psy­cho­lo­gie (ULB) et codi­rec­trice de l’Observatoire du sida et des sexua­li­tés qui, à par­tir d’une lec­ture cri­tique des apports de la psy­cha­na­lyse – qui rap­pe­lons-le ne repré­sente pas à elle seule la san­té men­tale ou la psy­cho­lo­gie cli­nique mais y occupe, his­to­ri­que­ment, une place influente – ain­si que des études de genre ten­te­ra une média­tion réflexive et épis­té­mique afin de sou­te­nir une écoute qui soit à l’avantage du sujet fut-il poli­tique ou de l’inconscient ; sujet dont on peut plus NE rien dire.

Pour accom­pa­gner votre lec­ture que nous sou­hai­tons aus­si sti­mu­lante que pos­sible, nous vou­drions vous par­ta­ger quelques mots de la poé­tesse amé­ri­caine, Audre Lorde1 : « Par­ler d’une dif­fé­rence tout en élu­dant les autres, revient à défor­mer nos points com­muns comme nos dif­fé­rences […] Le rejet de la dif­fé­rence est d’une néces­si­té abso­lue dans une éco­no­mie de pro­fit qui a besoin d’outsiders comme sur­plus. Insé­rées dans une telle éco­no­mie, nous avons été dres­sés dans la peur et le dégout de la dif­fé­rence. Et nous avons appris trois sortes de com­por­te­ments pour y faire face : l’ignorer, et quand cela est impos­sible, la repro­duire si elle est l’apanage des dominant.es, ou la détruire si elle porte les stig­mates des dominé.es. Mais nous ne dis­po­sons d’aucun modèle pour construire des rela­tions humaines éga­li­taires. Résul­tat, on nous a men­ti au sujet de la dif­fé­rence et on s’en est ser­vi pour nous divi­ser et semer le désordre. Pour cha­cun de nous, s’affranchir de nos pré­ju­gés qui empoi­sonnent nos vies, et dans le même temps admettre, mettre en valeur, et dis­tin­guer les dif­fé­rences sur les­quelles reposent ces pré­ju­gés ; c’est le tra­vail de toute une vie. […] Ce ne sont pas nos dif­fé­rences qui nous divisent. C’est notre inca­pa­ci­té à recon­naitre, accep­ter et célé­brer ces différences. »

  1. Lorde A., Sis­ter Out­si­der : Essays and Speeches (1984). Tra­duc­tion : Sis­ter Out­si­der. Essais et pro­pos sur la poé­sie, l’érotisme, le racisme, le sexisme…, Genève, édi­tions Mama­mé­lis, 2003.

Sophie Tortolano


Auteur

est psychologue aux Services de santé mentale de Saint-Gilles et de Louvain-la-Neuve, membre du Centre de Formation et de Supervision en Institution de Chapelle-aux-Champs.