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Olivier Maroy et les journalistes purs

Numéro 4/5 avril-mai 2014 par Simon Tourol

mai 2014

L‘annonce inat­ten­due, le 10 mars der­nier, du pas­sage en poli­tique d’Olivier Maroy, jour­na­liste à la RTBF télé­vi­sion, n’a pas seule­ment ravi­vé les ques­tion­ne­ments habi­tuels lors de ce genre de trans­fert. Il a aus­si divi­sé la com­mu­nau­té pro­fes­sion­nelle sur un point jamais sou­le­vé aus­si bruyam­ment aupa­ra­vant : l’interdiction éven­tuelle de reve­nir au jour­na­lisme après un man­dat élec­tif. Ce débat fut […]

L‘annonce inat­ten­due, le 10 mars der­nier, du pas­sage en poli­tique d’Olivier Maroy, jour­na­liste à la RTBF télé­vi­sion, n’a pas seule­ment ravi­vé les ques­tion­ne­ments habi­tuels lors de ce genre de trans­fert. Il a aus­si divi­sé la com­mu­nau­té pro­fes­sion­nelle sur un point jamais sou­le­vé aus­si bruyam­ment aupa­ra­vant : l’interdiction éven­tuelle de reve­nir au jour­na­lisme après un man­dat élec­tif. Ce débat fut moins anec­do­tique ou cor­po­ra­tif qu’il n’y paraît. Il tou­chait en réa­li­té à l’identité même de la pro­fes­sion telle qu’elle se construit — mythe com­pris — par ceux qui l’exercent, et à son étrange rap­port à la politique.

Il n’était pas sur­pre­nant que la can­di­da­ture d’Olivier Maroy pour un fau­teuil libé­ral de dépu­té wal­lon remette en lumière la ligne si mince qui sépare un jour­na­liste de télé­vi­sion du sérail poli­tique. Le pre­mier a côtoyé de si près les élus que l’envie lui vient un jour d’en faire par­tie. Confon­dant volon­tiers l’audimat et le scru­tin, il ne doute pas que sa noto­rié­té jour­na­lis­tique lui vau­dra le plé­bis­cite poli­tique. N’est-ce d’ailleurs pas le seul cal­cul du par­ti qui l’accueille ? La preuve à contra­rio : les jour­na­listes de la presse écrite, piètres attrape-voix, ne se ren­contrent qu’en rase cam­pagne pour les élec­tions communales…

Oli­vier Maroy a donc exer­cé son droit de citoyen à sol­li­ci­ter un man­dat, et cela ne lui fut repro­ché par per­sonne. Mais d’aucuns, au sein même du ser­vice public, a sug­gé­ré non sans per­fi­die que cela pour­rait jeter à pos­té­rio­ri la sus­pi­cion sur ses ani­ma­tions du débat domi­ni­cal. Le dis­cré­dit sur le pas­sé du jour­na­liste qui part et l’ombre jetée sou­dain sur sa neu­tra­li­té d’alors avait déjà ser­vi d’arguments lors de pré­cé­dents départs du bou­le­vard Reyers pour la poli­tique. Le pro­cès est aus­si injuste qu’inepte. On ferait ain­si sem­blant de décou­vrir qu’un jour­na­liste, en géné­ral, a des convic­tions, qu’il baigne dans un envi­ron­ne­ment idéo­lo­gique et qu’il vote ! Mais on limi­te­rait le scan­dale de ce constat aux seuls pro­fes­sion­nels qui rejoignent un par­ti. Les autres auraient réus­si, eux, à n’avoir pas d’opinions ou à les neu­tra­li­ser pen­dant la pra­tique du jour­na­lisme. Ain­si, pour les pro­cu­reurs de ce mau­vais pro­cès, les qua­li­tés d’indépendance du jour­na­liste ne seraient pas véri­fiables au moment où il les met en œuvre, mais seule­ment après relec­ture de son pas­sé à la lumière de ses nou­veaux choix per­son­nels. Pas de doute là-des­sus : il se trou­ve­ra tou­jours de fins ana­lystes pour décor­ti­quer les « Mises au point » ani­mées par Oli­vier Maroy et mon­trer que, en effet, le ton de voix, la for­mu­la­tion des ques­tions et le temps de parole accor­dé étaient outran­ciè­re­ment favo­rables à ses invi­tés du MR. De même, il sera posé comme évident, à pos­té­rio­ri, que Jean-Claude Defos­sé orien­ta ses repor­tages vers les thèses éco­lo­gistes et qu’Anne Del­vaux pri­vi­lé­gia les actua­li­tés sociales-chré­tiennes dans ses JT.

Ces relec­tures vicieuses éta­bli­raient comme prin­cipe qu’un jour­na­liste ne peut l’avoir été réel­le­ment qu’en res­tant défi­ni­ti­ve­ment à l’écart de l’affirmation idéo­lo­gique. Sa citoyen­ne­té ne peut qu’être cachée ou ne pas être s’il veut pré­ser­ver de tout risque de dis­qua­li­fi­ca­tion ses années de métier déjà accomplies.

L’indépendance et son apparence

Si cette condam­na­tion du pas­sé est absurde, l’est-elle autant pour le futur de l’élu qui revien­drait au jour­na­lisme ? La réponse, cette fois, exige des nuances. Le retour à l’information poli­tique belge ne va pas de soi. Certes, on connait quelques exemples — inéga­le­ment réus­sis — de jour­na­listes pas­sés par des cabi­nets minis­té­riels et reve­nus ensuite dans un média pour trai­ter de l’actualité poli­tique. La RTBF n’a plus le mono­pole de ces situa­tions depuis quelques années. Fré­dé­rique Piron a cou­vert l’info poli­tique au quo­ti­dien Le Matin après avoir assu­ré la com­mu­ni­ca­tion du libé­ral Daniel Ducarme. Véro­nique Lam­quin, actuelle res­pon­sable du ser­vice poli­tique du Soir, fut char­gée de com­mu­ni­ca­tion du gou­ver­ne­ment régio­nal bruxel­lois de Jacques Simo­net voi­ci dix ans. Com­pa­rai­son n’est pas rai­son : ces jour­na­listes-là n’avaient pas bri­gué un man­dat, ce qui sup­pose une adhé­sion aux valeurs d’un par­ti, mais mis leurs com­pé­tences tech­niques au ser­vice d’un employeur hors média.

Si l’on s’en tient aux ex-élus, le retour au jour­na­lisme poli­tique se heurte à la cré­di­bi­li­té indis­pen­sable que le pro­fes­sion­nel doit pré­ser­ver pour lui-même et pour le média qui l’emploie. Il aurait beau être capable de la plus inébran­lable objec­ti­vi­té, son appa­rence d’indépendance serait ébran­lée, mal­gré lui. Le public serait cette fois en droit de mettre le tra­vail du jour­na­liste en lien avec son pas­sage en poli­tique. La simple pos­si­bi­li­té de voir le doute, à tort ou à rai­son, plom­ber le mes­sage média­tique suf­fit à jus­ti­fier d’éviter ces situa­tions. À ce pro­pos, le Conseil de déon­to­lo­gie jour­na­lis­tique recom­mande aux res­pon­sables des médias de prendre les mesures néces­saires pour pré­ve­nir « toute sus­pi­cion de conflit d’intérêts » à l’égard des jour­na­listes can­di­dats aux élec­tions. L’invitation, à for­tio­ri, vaut aus­si concer­nant les ex-mandataires.

Des compétences solubles ?

Encore faut-il que ceux-ci aient pu reve­nir au jour­na­lisme. Or, des édi­to­ria­listes sérieux — Béa­trice Del­vaux (Le Soir), Johanne Mon­tay (RTBF), Chris­tian Car­pen­tier (Sud presse) — ont esti­mé que cela n’était plus conce­vable à leurs yeux, que les ex-jour­na­listes devaient le res­ter à jamais, que leur indé­pen­dance était irré­mé­dia­ble­ment per­due, et que le poli­tique lais­se­rait sur eux une trace indélébile.

Cette posi­tion radi­cale, à pre­mière vue sédui­sante parce qu’elle relè­ve­rait d’une splen­dide rigueur morale et d’une haute exi­gence pour soi-même, cache pour­tant quelques mes­sages moins admirables.

Elle invente une ligne de par­tage, au sein des jour­na­listes, entre les impurs et les purs. Les pre­miers seraient tachés à vie par l’engagement poli­tique, les seconds se seraient pré­mu­nis de toute forme de conta­mi­na­tion. Leur indé­pen­dance à eux ne sau­rait être interrogée.

Elle feint d’ignorer que d’autres détours et/ou petits ser­vices de jour­na­listes — dans les sphères éco­no­miques, cultu­relles, spor­tives — exposent tout autant l’indépendance du pro­fes­sion­nel char­gé plus tard de trai­ter l’information éco­no­mique, cultu­relle ou sportive.

Ne dis­tin­guant pas le tra­vail mili­tant du tra­vail pro­fes­sion­nel, elle décrète que les com­pé­tences spé­ci­fi­que­ment jour­na­lis­tiques sont solubles dans le man­dat poli­tique. L’ex-mandataire serait deve­nu inca­pable de trai­ter une info inter­na­tio­nale, de deve­nir chro­ni­queur lit­té­raire, d’animer une rubrique ou de tra­vailler au secré­ta­riat de rédaction.

Une silhouette parfaite

Il y a de l’autocélébration dans ces mes­sages en creux. Ils des­sinent la sil­houette irréelle du jour­na­liste sans idéo­lo­gie assu­mée, hors d’atteinte de toute influence. Un jour­na­liste par­fait, fier et sans reproche, por­teur de l’objectivité et béné­fi­ciaire d’une cré­di­bi­li­té abso­lue. Cette construc­tion — qui exclut scan­da­leu­se­ment du champ jour­na­lis­tique la presse d’opinion — est peut-être une réponse incons­ciente (?) à la déva­lo­ri­sa­tion sociale du métier. Comme s’il fal­lait répa­rer l’image dégra­dée du jour­na­liste par de l’imagerie d’Épinal. On per­çoit aus­si une dif­fi­cul­té, pour les tenants du non-retour des élus au jour­na­lisme, à envi­sa­ger un rap­port serein à la poli­tique. Impos­sible, appa­rem­ment, de recon­naitre dans l’engagement une plus-value pour le jour­na­liste, un élar­gis­se­ment de ses com­pé­tences et connais­sances, un heu­reux temps de recul à l’égard de ses acti­vi­tés média­tiques, toutes choses qui, ensuite, pour­raient se révé­ler utiles au média et à son public.

La poli­tique n’est pas toxique pour le jour­na­liste qui la touche. Au pire, elle sera déce­vante ou irri­tante. Il fau­dra inter­ro­ger Oli­vier Maroy dans quelques mois…

Simon Tourol


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