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Obama : la méthode du discours

Numéro 07/8 Juillet-Août 2009 par Pascal Fenaux

juillet 2009

Le 4 juin 2009, devant l’université al-Azhar du Caire, le pré­sident des États-Unis, Barack Oba­ma, pro­non­çait un dis­cours rom­pant expli­ci­te­ment et radi­ca­le­ment avec les huit années de diplo­ma­tie agres­sive adop­tée par l’administration Bush au Moyen-Orient. L’allocution d’Obama entre­­ra-t-elle dans l’Histoire ou, au contraire, le cours de l’Histoire la ren­­ver­­ra-t-il aux oubliettes ? Après tout, voi­ci un peu […]

Le 4 juin 2009, devant l’université al-Azhar du Caire, le pré­sident des États-Unis, Barack Oba­ma, pro­non­çait un dis­cours rom­pant expli­ci­te­ment et radi­ca­le­ment avec les huit années de diplo­ma­tie agres­sive adop­tée par l’administration Bush au Moyen-Orient. L’allocution d’Obama entre­ra-t-elle dans l’Histoire ou, au contraire, le cours de l’Histoire la ren­ver­ra-t-il aux oubliettes ? Après tout, voi­ci un peu plus de dix ans, le pré­sident Bill Clin­ton avait déjà, lui aus­si, pro­non­cé le 14 décembre 1998 un dis­cours « his­to­rique » devant les dépu­tés du Conseil natio­nal pales­ti­nien (le par­le­ment de l’Organisation de libé­ra­tion de la Pales­tine, l’OLP)1 réuni à Gaza. Dix mois plus tard, le pro­ces­sus diplo­ma­tique israé­lo-pales­ti­nien inau­gu­ré à Oslo était empor­té dans un tor­rent de feu et de sang.

Certes, il est bien trop tôt pour éva­luer l’impact du dis­cours pro­non­cé au Caire sur les lignes futures de la diplo­ma­tie amé­ri­caine envers le monde ara­bo-musul­man, d’autant que la tour­nure dra­ma­tique du scru­tin pré­si­den­tiel ira­nien ne sera de toute évi­dence pas sans consé­quences au Moyen-Orient, tout par­ti­cu­liè­re­ment en Irak et au Liban (et donc sur le front israé­lo-pales­ti­nien). Il n’empêche. A New Begin­ning est un texte pro­met­teur, qui plus est, en rup­ture for­melle avec la pos­ture mes­sia­niste adop­tée par l’ancien loca­taire répu­bli­cain de la Mai­son Blanche.

L’allocution de Barack Oba­ma était arti­cu­lée autour de sept axes : les causes du 11 sep­tembre et ses consé­quences en Irak et en Afgha­nis­tan, le conflit israé­lo-pales­ti­nien, la pro­li­fé­ra­tion nucléaire en Iran, la démo­cra­tie, la liber­té reli­gieuse, le droit des femmes et, enfin, le déve­lop­pe­ment éco­no­mique. Assez pré­vi­si­ble­ment, ce sont les dos­siers ira­nien et israé­lo-pales­ti­nien qui ont rete­nu le plus l’attention. On ne sau­rait tou­te­fois sous-esti­mer l’intelligence et la sen­si­bi­li­té dont a fait preuve celui qui s’est pré­sen­té comme « an Afri­can-Ame­ri­can with the name Barack Hus­sein Oba­ma ». Tout le long pro­logue du dis­cours du Caire expri­mait osten­si­ble­ment la recon­nais­sance d’un monde musul­man auquel il était dans le même temps rap­pe­lé, avec un incroyable tact, d’assumer ses res­pon­sa­bi­li­tés devant l’Histoire.

Comme l’écrivait fort jus­te­ment le com­men­ta­teur poli­tique israé­lien Allouf Ben dans un article inti­tu­lé « Pax Ame­ri­ca­na2 », « Oba­ma a gagné son pari. Il n’a jamais paru affec­té, ni hypo­crite lorsqu’il a ren­du hom­mage à la culture isla­mique et à ses réus­sites. Il n’a pas davan­tage paru tom­ber dans l’excuse facile ou l’autojustification lorsqu’il a évo­qué la néces­si­té de tour­ner la page en met­tant les erreurs de son pré­dé­ces­seur, George W. Bush, sur le compte du trau­ma­tisme des atten­tats du 11 sep­tembre. En somme, Ben Laden a réus­si là où la diplo­ma­tie a échoué. Les atten­tats contre New York et Washing­ton et les guerres qui s’en sont sui­vies en Afgha­nis­tan et en Irak ont contraint l’Amérique à faire un réel tra­vail d’introspection quant à ses rela­tions avec l’islam. »

Sur le front israé­lo-pales­ti­nien, le pré­sident amé­ri­cain n’a pas renoué avec l’emphase contrainte dont avait fait preuve onze ans aupa­ra­vant à Gaza le pré­sident Bill Clin­ton, devant un Conseil natio­nal pales­ti­nien som­mé d’amender les articles de la Charte natio­nale pales­ti­nienne entrés en contra­dic­tion avec la recon­nais­sance mutuelle israé­lo-pales­ti­nienne du 9 sep­tembre 1993. Barack Oba­ma a fait bien mieux. Il a métho­di­que­ment et pré­ci­sé­ment cité les dimen­sions du conflit israélo-palestinien.

A New Begin­ning semble annon­cer ce que cer­tains appré­hendent déjà en Israël comme une « révo­lu­tion stra­té­gique ». En déniant toute légi­ti­mi­té à une colo­ni­sa­tion israé­lienne de peu­ple­ment qui viole les accords anté­rieurs, en évo­quant sans équi­voque l’occupation israé­lienne et l’aspiration des Pales­ti­niens à la digni­té, à l’égalité des chances et à un État indé­pen­dant, en com­pa­rant ni plus ni moins la lutte des Pales­ti­niens à celle des esclaves aux États-Unis et à celle des Noirs d’Afrique du Sud (au risque de prendre à rebrousse-poil l’opinion israé­lienne), tout en leur deman­dant de renon­cer à la vio­lence, Barack Oba­ma a eu recours au lexique de la gauche libé­rale américaine.

En évo­quant expli­ci­te­ment le sou­tien dont le Hamas jouit auprès d’une par­tie du peuple pales­ti­nien, le chef d’État amé­ri­cain s’est adres­sé direc­te­ment au mou­ve­ment isla­mo-natio­na­liste pour lui deman­der d’assumer ses res­pon­sa­bi­li­tés en recon­nais­sant le droit d’Israël à l’existence. Il n’a à aucun moment sacri­fié à l’exercice rhé­to­rique qui consiste à qua­li­fier le Hamas d’organisation ter­ro­riste. De même, après avoir appe­lé le monde arabe à recon­naître l’historicité des per­sé­cu­tions juives et du géno­cide juif, Barack Oba­ma a deman­dé aux socié­tés arabes de recon­naître que l’antisémitisme arabe ne fai­sait qu’alimenter la psy­chose israé­lienne de l’anéantissement, tout en recon­nais­sant que la poli­tique israé­lienne ne fai­sait qu’alimenter la psy­chose de l’exil chez les Palestiniens.

L’adresse d’Obama fut pro­non­cée à l’université al-Azhar du Caire, consi­dé­rée comme le foyer aca­dé­mique le plus pres­ti­gieux du monde ara­bo-musul­man. Pour son dis­cours de « riposte », le diri­geant natio­na­liste israé­lien Binya­min Neta­nya­hou, rede­ve­nu Pre­mier ministre le 31 mars 2009, se devait de soi­gner le déco­rum. Haut lieu du natio­na­lisme juif radi­cal (tant laïc que reli­gieux) et véri­table « école des cadres » d’où sont issus de nom­breux colons idéo­lo­giques de Cis­jor­da­nie, l’université Bar-Ilan de Ramat-Gan ne fut dès lors pas choi­sie au hasard. Devant un audi­toire extrê­me­ment curieux de voir com­ment Binya­min Neta­nya­hou allait résoudre la qua­dra­ture du cercle et conci­lier la ligne poli­tique d’une coa­li­tion ultra­na­tio­na­liste avec la nou­velle diplo­ma­tie amé­ri­caine, le Pre­mier ministre israé­lien a pro­non­cé une allo­cu­tion rou­blarde3. S’il a effec­ti­ve­ment pro­non­cé les mots magiques « État pales­ti­nien » (« Medi­na falas­ti­nit »), c’est pour aus­si­tôt les assor­tir de condi­tions que la majo­ri­té des ana­lystes poli­tiques israé­liens jugent eux-mêmes impro­bables. Ain­si, l’entreprise d’implantation de peu­ple­ment ne doit en rien être frei­née, les Pales­ti­niens doivent recon­naître Israël comme « État-nation du peuple juif » (« Medi­nat ha-le’om shel ha-’am ha-yehu­di ») et l’État pales­ti­nien doit être démilitarisé.

Si l’exigence de démi­li­ta­ri­sa­tion de l’État pales­ti­nien n’est pas neuve, celle qui consiste à deman­der aux Pales­ti­niens de recon­naître l’«ethnicité » ou la « natio­na­li­té » juive de l’État d’Israël est pour le moins sujette à cau­tion. D’une part, le 9 sep­tembre 1993, l’OLP a déjà recon­nu l’État d’Israël et son droit à vivre dans des fron­tières sûres et recon­nues. D’autre part, lorsqu’ils se recon­naissent mutuel­le­ment, deux États ne sont jamais tenus de recon­naître le carac­tère eth­nique ou confes­sion­nel de l’autre. Lors de la signa­ture des accords de Day­ton (accords de paix post-you­go­slaves), il n’a jamais été deman­dé à la Croa­tie de recon­naître le carac­tère serbe et chré­tien ortho­doxe de la Ser­bie et, inver­se­ment, il n’a jamais été deman­dé aux Serbes de recon­naître le carac­tère croate et catho­lique de la Croa­tie. Donc, d’un point de vue stric­te­ment juri­dique, cette demande est absurde et irre­ce­vable. Dans le droi­tier Maa­riv4, Sha­lom Yeru­shal­mi regrette ain­si « les condi­tions impos­sibles que Binya­min Neta­nya­hou pose aux Pales­ti­niens et qui reviennent à leur sug­gé­rer de se conver­tir au sio­nisme ». Dans Yediot Aha­ro­not, Yoram Kaniuk estime de même que, « si les Pales­ti­niens savent intui­ti­ve­ment qu’Israël est un État juif, il est dérai­son­nable d’exiger qu’ils nous recon­naissent comme “foyer his­to­rique du peuple juif”, dès lors qu’un mil­lion d’entre eux vivent dans cet État et en sont les autoch­tones5 ».

La nou­velle condi­tion posée par le gou­ver­ne­ment israé­lien est d’autant plus pro­blé­ma­tique qu’en Israël même, la ques­tion du carac­tère juif de l’État agite les intel­lec­tuels, qu’ils soient sio­nistes, post-sio­nistes ou a‑sionistes6. Qu’entend-on par un État-nation juif ? Un État des Juifs ? Un État juif ? Un État des Hébreux ? Un État hébreu ? Un État israé­lien com­po­sé d’une majo­ri­té natio­nale hébraïque et d’une mino­ri­té natio­nale arabe ? Un État israé­lien com­po­sé d’une majo­ri­té confes­sion­nelle juive et de mino­ri­tés confes­sion­nelles non juives ? L’enjeu, dans ces débats, ce n’est pas seule­ment l’irrédentisme pales­ti­nien, mais aus­si la dif­fi­cul­té des Juifs israé­liens à se défi­nir, à défi­nir leur ave­nir et donc à tra­cer les fron­tières humai­ne­ment tenables entre « eux » et les « autres ». Et, in fine, l’enjeu, ce n’est pas seule­ment le sta­tut de la majo­ri­té, mais aus­si celui de la mino­ri­té. Beau­coup craignent qu’un docu­ment diplo­ma­tique axé sur la recon­nais­sance du carac­tère juif de l’État d’Israël ne donne à terme des armes légales aux tenants d’une vision anti­dé­mo­cra­tique qui, soit impo­se­rait la Hala­kha (Loi ou Tra­di­tion judaïque) à toute la socié­té juive de culture hébraïque, soit impo­se­rait une supré­ma­tie eth­nique qui pri­ve­rait de leurs droits les citoyens israé­liens non juifs et/ou issus de la mino­ri­té arabe.

Enfin, dans le « dis­cours de Bar-Ilan », autant le mou­ve­ment d’émancipation natio­nale pales­ti­nien se voit stig­ma­ti­sé dans toutes ses expres­sions, autant le mou­ve­ment de la colo­ni­sa­tion se voit paré inver­se­ment de toutes les ver­tus. Extrê­me­ment dur envers le dis­cours de Bar-Ilan, le chro­ni­queur Aki­va Eldar consi­dère que « le dis­cours de Neta­nya­hou est de la meilleure veine néo­con­ser­va­trice, insen­sible, pater­na­liste et colo­nia­liste. On doute qu’il se trou­ve­ra un seul res­pon­sable pales­ti­nien digne de ce nom pour accep­ter la came­lote pro­po­sée par Neta­nya­hou7 ».

En fait, l’allocution du Pre­mier ministre israé­lien peut être consi­dé­rée comme une réus­site… amé­ri­caine. Dans Maa­riv8, Ofer She­lah iro­nise ain­si sur un Binya­min Neta­nya­hou qui, « les lèvres sèches et la dic­tion sac­ca­dée, sem­blait comme pos­sé­dé par un démon nom­mé Oba­ma et pro­non­çait un dis­cours qui n’était pas le sien. Ce dis­cours prouve une fois de plus que ce n’est que lorsque les Amé­ri­cains nous y contraignent que les choses bougent ici. » De fait, non­obs­tant une pre­mière réac­tion amé­ri­caine plu­tôt posi­tive, il semble que l’administration Oba­ma reste mal­gré tout sur sa faim sur le ter­rain de la colo­ni­sa­tion de peu­ple­ment, dos­sier sur lequel le gou­ver­ne­ment israé­lien conti­nue d’autant plus de ter­gi­ver­ser qu’il y va de sa propre survie.

Les semaines à venir indi­que­ront si le « Nou­veau com­men­ce­ment » pro­po­sé par Barack Oba­ma résis­te­ra à la nou­velle donne poli­tique ira­nienne ou si, entre-temps, comme le craint Allouf Ben9, le « dis­cours du Caire » se sera enfon­cé dans les sables mou­vants de la poli­tique moyen-orientale.

  1. Contrai­re­ment au Conseil légis­la­tif pales­ti­nien, organe légis­la­tif de l’Autorité pales­ti­nienne créée en Cis­jor­da­nie et à Gaza en 1994, le Conseil natio­nal repré­sente l’ensemble des Pales­ti­niens, dia­spo­ra incluse.
  2. Ha’Aretz, 5 juin 2009.
  3. Ver­sion hébraïque inté­grale . Tra­duc­tion anglaise inté­grale.
  4. Maa­riv, 15 juin 2009.
  5. Yediot Aha­ro­not, 15 juin 2009.
  6. Pour les Juifs anti­sio­nistes et pour les citoyens israé­liens de souche arabe pales­ti­nienne, la ques­tion est évi­dem­ment entendue.
  7. Ha’Aretz, 15 juin 2009.
  8. Maa­riv, 15 juin 2009.
  9. Ha’Aretz, 5 juin 2009.

Pascal Fenaux


Auteur

Pascal Fenaux est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1992. Sociologue, il a poursuivi des études en langues orientales (arabe et hébreu). Il est spécialiste de la question israélo-palestinienne, ainsi que de la question linguistique et communautaire en Belgique. Journaliste indépendant, il est également «vigie» (veille presse, sélection et traduction) à l’hebdomadaire Courrier international (Paris) depuis 2000. Il y traite et y traduit la presse «régionale» juive (hébréophone et anglophone) et arabe (anglophone), ainsi que la presse «hors-zone» (anglophone, yiddishophone, néerlandophone et afrikaansophone).