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Nucléaire : c’est par où la sortie ?
L’encre était à peine sèche — la loi de sortie du nucléaire fut publiée au Moniteur belge le 31 janvier 2003 — qu’on discutait déjà de son bien-fondé. Mesure phare de la coalition arc-en-ciel regroupant écologistes, libéraux et socialistes, le texte fut ardemment discuté (le rapport final des débats fait 229 pages). Pour être tout à fait exact, il ne s’agissait […]
L’encre était à peine sèche — la loi de sortie du nucléaire fut publiée au Moniteur belge le 31 janvier 2003 — qu’on discutait déjà de son bien-fondé. Mesure phare de la coalition arc-en-ciel regroupant écologistes, libéraux et socialistes, le texte fut ardemment discuté (le rapport final des débats fait 229 pages). Pour être tout à fait exact, il ne s’agissait que de l’électricité qui représente un peu plus de 20% de l’énergie consommée en Belgique. La confusion était sciemment entretenue par les interlocuteurs partie prenante du dossier. Dès le gouvernement Violette (surnom de la coalition libérale-socialiste de 2003 à 2007), les velléités de remise en question se faisaient de plus en plus nombreuses. Les libéraux n’avaient jamais caché leur volonté de mettre fin à ce qu’ils appelaient une « hérésie ». En 2004, le ministre fédéral de l’Énergie de l’époque, Marc Verwilghen (VLD), annonçait une nouvelle étude sur les besoins en électricité en Belgique1.
Cependant, aucune modification de la loi de sortie du nucléaire ne sera votée sous cette législature.
La suite est tout aussi confuse. En octobre 2009, le ministre fédéral de l’Énergie — Paul Magnette (PS) — signa un protocole d’accord sur la prolongation des trois plus anciens réacteurs du pays (Doel 1 et 2, et Tihange 1)2. Le protocole deviendra caduc à la chute du gouvernement en 2010. Le même Paul Magnette déclara en mai 2011 : « Doel 1 et 2 peuvent fermer. » En juin 2011, interrogé sur la suggestion de la Commission (fédérale) de régulation de l’électricité et du gaz (Creg) de reporter la sortie du nucléaire en Belgique d’un ou deux ans, Paul Magnette a jugé qu’il s’agirait là de la « pire des solutions ». En juillet 2012, son successeur, Melchior Wathelet (CDH), porta un plan qui « ne se contente pas de sortir du nucléaire, mais comporte des perspectives d’avenir avec des investissements dans le gaz, ce qui doit assurer la flexibilité pour permettre le développement du renouvelable ».
On approchait alors de 2015, et le gouvernement décida de ne pas prolonger les jumeaux de Doel 1 et 2, réacteurs de plus petite capacité. On crut la sortie du nucléaire enfin engagée, mais, en novembre 2014, la nouvelle ministre fédérale de l’Énergie, Marie-Christine Marghem (MR), déclarait que « Celui qui prétend aujourd’hui que notre pays peut se passer de l’énergie nucléaire à moyen ou même à long terme, ment. Ou n’est pas réaliste ». Moins de deux semaines plus tard, elle précisait toutefois qu’il n’était « Pas question de remettre en cause la sortie du nucléaire en 2025 », position confirmée en juin 2015 : « Ce gouvernement se conforme à la sortie du nucléaire en 2025 ». Est-ce un scénario réaliste alors qu’une des premières décisions du gouvernement en la matière a été de prolonger pour dix ans les réacteurs de Doel 1 et 2 ?
La perversité du calendrier
À la lecture du calendrier de sortie du nucléaire (figure 1), il apparait évident que le scénario actuel ne permettra pas une fermeture sereine des réacteurs actuellement en service. Ceux-ci représentent près de 40% de nos capacités de production, mais, vu leur faible flexibilité, ils participent à la production de manière quasi ininterrompue — bien que la Commission européenne l’estime « aléatoire » — et satisfont plus de 50% de la consommation d’électricité.
L’examen du schéma proposé par le gouvernement fédéral actuel illustre bien la difficulté que la Belgique rencontrera en 2025 pour fermer cinq des sept réacteurs opérationnels aujourd’hui.
La faute à qui ?
Il a souvent été reproché aux écologistes d’avoir fait adopter une loi de sortie du nucléaire sans avoir prévu les capacités de remplacement3. Il est vrai qu’à la loi de 2003 ne correspondait pas un texte relatif au développement des énergies alternatives, pour plusieurs raisons qui ont trait à la fois à l’évolution des règlementations du secteur de la production d’électricité et à la répartition des compétences en matière d’énergie en Belgique.
Le cadre règlementaire de la production d’électricité en Belgique
Jusqu’à sa libéralisation en 2003, la production d’électricité — bien qu’essentiellement aux mains du secteur privé — était encadrée par le Comité de contrôle de l’électricité et du gaz (CCEG)4. Cela prenait la forme d’un plan d’équipement et d’approvisionnement5. La libéralisation modifiera les stratégies de producteurs qui, dans un premier temps, multiplieront les projets de nouvelles unités de production, à tout le moins jusqu’en 2009. Trois évènements influenceront fortement ce scénario par la suite. D’abord, la crise économique et la stabilisation puis la baisse des prix de gros de l’électricité. Ensuite, les premiers accords ou annonces d’accords concernant la prolongation du nucléaire de la part du gouvernement fédéral. Enfin, le développement des unités de production d’électricité d’origine renouvelable qui, via les politiques de soutien, entraineront une forte baisse des prix et des périodes de fonctionnement d’autres unités telles que les centrales fonctionnant au gaz.
La répartition des compétences
En matière d’énergie, les compétences sont réparties entre le niveau fédéral et les Régions, ce qui a pour effet qu’il ne suffit pas d’un plan ou d’une loi fédérale, mais qu’un consensus entre fédéral et Régions est nécessaire pour réformer la production électrique. Cela devrait prendre la forme juridique idéale d’un accord de coopération, mais aucun projet n’a jamais vu le jour.
La sortie en 2025 ?
Entre 2022 et 2023, le parc nucléaire belge — soit près de 6.000 mégawatts de puissance installée — devrait fermer. Est-ce un scénario réaliste ou même réalisable ?
Prolongation annoncée sous menace de blackout
Une fermeture aussi abrupte sera plus que probablement remise en cause avec les mêmes arguments que précédemment, c’est-à-dire la menace d’une rupture de l’approvisionnement en électricité, particulièrement en hiver. Les plus anciens réacteurs ayant reçu l’autorisation de fonctionner dix ans de plus (soit de 2015 à 2025), il est possible que la sortie du nucléaire soit en fait décalée, avec une prolongation généralisée de dix ans (soit une fermeture étalée entre 2025 et 2035 au lieu de 2015 – 2025).
Incertitudes quant au schéma actuel
Malgré le respect d’un agenda approuvé par l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, les travaux nécessaires à la prolongation du réacteur n° 1 de Tihange ne seront entièrement accomplis qu’en 2019. Les défauts dus aux « microfissures » repérées dans les cuves des réacteurs de Doel 3 et Tihange 2 ont longtemps mis à l’arrêt ces unités. Leur évolution sera attentivement surveillée. Pourrait-on décemment envisager une prolongation supplémentaire quand les pays voisins s’en inquiètent publiquement ? Enfin, les difficultés auxquelles seront confrontés les réacteurs de Doel 1 et 2 pour respecter les futures normes sismiques augurent peut-être d’une prolongation écourtée.
L’incertitude la plus grande réside dans les prix de vente sur le marché de gros de l’électricité. En effet, si les centrales sont amorties depuis longtemps, il n’en reste pas moins que l’exploitant devra investir pour poursuivre l’exploitation de l’outil. Par ailleurs, bien qu’elle soit fortement en baisse, une contribution sur la rente nucléaire reste d’actualité. Cependant, la principale menace réside dans le financement des provisions pour le démantèlement et la gestion des combustibles irradiés.
Le passif nucléaire au cœur de la prolongation
Dans l’équation du maintien et de la prolongation d’un réacteur nucléaire, il convient de ne pas oublier la marge nécessaire pour financer ces provisions. L’évolution récente de la situation en la matière est plutôt inquiétante. À la suite d’un nouvel inventaire des passifs nucléaires et de nouvelles estimations sur les couts de mise en dépôt et de démantèlement des déchets, l’Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies (Ondraf) a souhaité augmenter les provisions gérées par la SA Synatom6. Hélas, la Commission des provisions nucléaires7 n’a pas accédé à cette demande. Si la fermeture anticipée des centrales nucléaires de Doel 3 et Tihange 2 venait à être confirmée, il conviendrait de revoir rapidement non seulement le mode de financement des provisions destinées à la gestion de leurs déchets nucléaires, mais aussi le mode de financement des provisions destinées au démantèlement des installations confiées à Synatom. La loi du 11 avril 2003 créant Synatom ne couvre que le scénario d’exploitation prévu alors qu’elle devrait intégrer des scénarios de circonstances exceptionnelles, à savoir des scénarios d’arrêt anticipé de ces centrales.
Par ailleurs, si dans ses prochains inventaires, l’Ondraf réévalue fortement à la hausse les couts de gestion du passif nucléaire des centrales, une situation inédite risque de se produire, en cas de maintien de prix bas de l’électricité. Est-ce que l’exploitant voudra encore exploiter ses unités si leur rentabilité n’est plus assurée ? Si pas, qui financera les provisions nucléaires ?
Les déclarations récentes des responsables d’Engie-Electrabel laissent augurer d’un transfert de responsabilité : « Notre intention de faire entrer des actionnaires locaux dans Electrabel est claire » (Isabelle Kocher, L’Écho, 10 mai 2016). En cas d’insuffisance des provisions nucléaires, le risque est très élevé que les autres actionnaires locaux (publics?) soient mis à contribution.
En guise de conclusion provisoire
Toutes ces valses-hésitations auront eu au moins un bénéficiaire : Engie-Electrabel. L’entreprise a obtenu la prolongation de ses outils les plus rentables, la révision à la baisse des prélèvements de la rente nucléaire et une grande force de négociation à l’approche de la période 2022 – 2025 lorsque le calendrier de sortie du nucléaire fera à nouveau la une de l’actualité.
Du moins si de nouveaux éléments ne viennent pas encore perturber le schéma actuel de sortie… pour lequel aucun plan digne de ce nom n’existe. Certes, il est question d’un pacte énergétique en préparation depuis plus d’an. Vu les précédents, il serait opportun qu’il soit adopté sans trop tarder, sous peine d’être taxé des mêmes défauts qu’une certaine loi de 2003.
- Ce sera l’étude Commission Énergie 2030, finalement publiée en 2007 et fortement contestée par la société civile.
- La Belgique compte deux centrales nucléaires (Doel et Tihange) qui possèdent respectivement 4 et 3 réacteurs.
- Ces derniers ont publié par après plusieurs scénarios de sortie du nucléaire.
- Le Comité de contrôle était le fruit d’un accord entre les organisations sociales interprofessionnelles, la Fédération des entreprises de Belgique ainsi que les entreprises et organismes du secteur. Des représentants des gouvernements fédéral et régionaux étaient habilités à assister à ses réunions. Le Comité de contrôle élaborait des recommandations : pour être valables, elles devaient recevoir l’approbation de toutes les parties signataires. Il comportait dès lors une certaine forme d’autorégulation. Parmi les recommandations importantes, citons celles relatives aux délais d’amortissement. (Il s’agit des recommandations CC(e) 719 du 19 janvier 1969 ; CC(e) 1410 du 11 avril 1984 ; CC(e) 89/20 du 31 mai 1989 ; CC(e) 93/10 du 7 avril 1993 ; CC(e) 93/11 du 7 avril 1993 ; CC 97/17 du 29 janvier 1997 et CC(e) 2002/27 du 6 novembre 2002.) Les règles comptables en vigueur au sein de la CCEG prévoyaient notamment un délai d’amortissement de vingt ans pour les centrales nucléaires et les centrales à charbon. Source : Creg (2009), Étude relative à « l’échec de la formation des prix sur le marché belge libéralisé de l’électricité et les éléments à son origine », Étude 811, 26 janvier 2009.
- Pour en savoir plus : Philippe Devuyst (2011), « L’organisation du secteur du gaz et de l’électricité et la place de la concertation sociale : parcours historique et perspectives », Points de repères n° 39, Équipes populaires.
- Les provisions nucléaires ont été mises dans une filiale d’Electrabel, Synatom, dans laquelle l’État belge dispose d’une « Golden Share », lui donnant certains droits spécifiques. Synatom a le droit de prêter des fonds représentatifs de la contrevaleur d’une partie de ces provisions entre autres à Electrabel, dans les limites et selon les modalités de contrôle prévues dans la loi. La condition la plus importante est qu’Electrabel dispose d’un « rating » élevé, puisqu’il lui garantit de disposer d’une bonne santé économique et financière.
- La Commission des provisions nucléaires surveille l’affectation des provisions par la société de provisionnement nucléaire. [Elle dispose d’une compétence d’avis et de contrôle en ce qui concerne la constitution et la gestion des provisions pour le démantèlement des centrales nucléaires et pour la gestion des matières fissiles irradiées.