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Nouveaux visages du CDH bruxellois

Numéro 2 Février 2010 - Bruxelles (Région) / Brussel (Gewest) CDH Islam par Paul Wynants

février 2010

L’ag­glo­mé­ra­tion bruxel­loise est deve­nue mul­tieth­nique et mul­ti­cul­tu­relle. À mesure que les années passent, une part non négli­geable des popu­la­tions d’o­ri­gine étran­gère qui s’y sont fixées opte pour la natio­na­li­té belge. De la sorte, le corps élec­to­ral de la capi­tale s’é­lar­git et se diver­si­fie. Les par­tis s’a­daptent pro­gres­si­ve­ment à cette nou­velle donne. Sur leurs listes et dans leurs struc­tures, ils font place à des hommes et à des femmes venus d’autres hori­zons. On assiste, dès lors, à un renou­vè­le­ment par­tiel du per­son­nel poli­tique, phé­no­mène sain dans une démocratie. 

Le PSC, deve­nu CDH, a long­temps éprou­vé bien des dif­fi­cul­tés à suivre le mou­ve­ment. L’é­vo­lu­tion récente du par­ti orange n’en est que plus spec­ta­cu­laire : elle est le fruit d’une poli­tique volon­ta­riste impul­sée par la rue des Deux Églises. Dans une pre­mière contri­bu­tion, on ver­ra dans quelle mesure, sui­vant quelles filières et avec quels effets l’ou­ver­ture aux popu­la­tions d’o­ri­gine extra-euro­péenne a pro­gres­sé dans les rangs des démo­crates humanistes.

À y regar­der de plus près, ce ne sont pas seule­ment les par­tis qui cherchent et trouvent des relais issus des milieux de l’im­mi­gra­tion. Les com­mu­nau­tés d’as­cen­dance étran­gère tentent aus­si d’ac­cé­der aux centres de déci­sion, sur­tout aux plans local et régio­nal, en y pla­çant leurs pions. De ce fait, toutes les for­ma­tions poli­tiques sont, peu ou prou, tôt ou tard, confron­tées au risque d’un usage oppor­tu­niste des iden­ti­tés, avec les dérives qui peuvent en résul­ter. La direc­tion du CDH se défend de « jouer la carte eth­nique ». Elle affirme avec force avoir mis en œuvre un dis­po­si­tif interne qui pré­mu­nit ses struc­tures et sa repré­sen­ta­tion de telles pra­tiques. Dans une deuxième contri­bu­tion, on consta­te­ra que, sur le ter­rain, la réa­li­té est plus com­plexe et plus ambigüe : il existe, en effet, un écart indé­niable entre les dis­cours et les com­por­te­ments. Comme d’autres for­ma­tions démo­cra­tiques à Bruxelles, quel­que­fois plus qu’elles, le CDH n’est pas à l’a­bri du clien­té­lisme et de la mobi­li­sa­tion eth­nique à des fins électorales.

Enfin — et c’est là l’ob­jet de la troi­sième par­tie — les rela­tions para­doxales nouées entre reli­gion et poli­tique inter­pellent les ana­lystes de la vie publique bruxel­loise. En ce domaine, l’at­ti­tude du CDH peut paraitre éton­nante. D’une part, en effet, le par­ti de Joëlle Mil­quet a aban­don­né toute réfé­rence chré­tienne, assu­mant ain­si le « désen­chan­te­ment du monde » (Mar­cel Gau­chet) et la sécu­la­ri­sa­tion de la socié­té occi­den­tale. D’autre part, son ouver­ture à d’autres sys­tèmes de croyances et de valeurs donne lieu à une sorte de régres­sion. On assiste à un retour à des pra­tiques qua­li­fiées par la laï­ci­té mili­tante de « néo­clé­ri­cales » : ain­si, des cam­pagnes élec­to­rales menées dans des mos­quées et des paroisses pen­te­cô­tistes, ou encore la mise en évi­dence de posi­tions éthiques assez rétro­grades, qui relèvent — selon la ter­mi­no­lo­gie des poli­to­logues — du conser­va­tisme culturel.

Voi­là, assu­ré­ment, un uni­vers bigar­ré, curieux, mou­vant, par­fois un peu inquié­tant, mais lar­ge­ment mécon­nu, sur­tout en Wal­lo­nie. Nous invi­tons le lec­teur à le décou­vrir et à essayer de le com­prendre, sans aprio­ri, mais aus­si avec l’es­prit cri­tique qui sied aux intellectuels.

[*L’ouverture aux candidats allochtones*]

Alors que son homo­logue wal­lon stagne, le Centre démo­crate huma­niste de la Région de Bruxelles-Capi­tale se redresse par paliers, depuis quelques années. Par­mi les élé­ments de nature à expli­quer ce phé­no­mène, il en est un qui mérite d’être épin­glé : le renou­vè­le­ment du per­son­nel poli­tique per­mis par l’ouverture crois­sante des listes aux can­di­dats d’origine étran­gère, qui confère au CDH bruxel­lois un pro­fil plus mul­ti­cul­tu­rel et ren­force en ses rangs la sen­si­bi­li­té à des enjeux urbains, sou­vent liés aux migra­tions. Essen­tiel­le­ment des­crip­tive, cette pre­mière par­tie retrace les prin­ci­pales étapes de ce pro­ces­sus. Les ques­tions que sou­lève pareille évo­lu­tion font l’objet de deux articles dis­tincts fon­dés sur une ana­lyse plus critique.

Un parti retardataire

À la dif­fé­rence d’Écolo et du PS, le PSC des pré­si­dents Gérard Deprez (1981 – 1996) et Charles-Fer­di­nand Nothomb (1996 – 1998) est à la traine : il tarde à adap­ter la com­po­si­tion de ses listes élec­to­rales aux vagues de natu­ra­li­sa­tions, qui résultent des assou­plis­se­ments suc­ces­sifs du Code de la natio­na­li­té inter­ve­nus depuis 1984. Pour­tant, des per­son­na­li­tés sociales-chré­tiennes s’activent en vue de faire place aux « nou­veaux Belges » dans la repré­sen­ta­tion du par­ti : il s’agit notam­ment d’Édouard Poul­let, pre­mier pré­sident du Conseil de la Région de Bruxelles-Capi­tale, et de Michel Lemaire, membre de la même assem­blée, rejoints par d’autres, dont le dépu­té Denis Grim­berghs. Ces pré­cur­seurs ne recueillent, au début, que des résul­tats très mitigés.

Avec deux éco­lo­gistes et un socia­liste, Abde­li­lah Edial, d’origine maro­caine, est un des quatre pre­miers « nou­veaux Belges » à se pré­sen­ter, sur une liste fran­co­phone, aux élec­tions légis­la­tives du 24 novembre 1991. Neu­vième can­di­dat effec­tif du PSC à la Chambre dans l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, il obtient à peine 5 à 600 voix. Il décla­re­ra par la suite : « Je savais que je n’avais aucune chance d’être élu. Mais il fal­lait ouvrir une porte. Mon­trer que les hommes et les femmes issus de l’immigration étaient capables de s’engager en poli­tique » (Le Soir, 18 avril 2003).

Les élec­tions com­mu­nales du 9 octobre 1994 se carac­té­risent par l’arrivée des pre­miers élus d’origine magh­ré­bine — ils sont sur­tout socia­listes ou éco­lo­gistes — dans les assem­blées locales bruxel­loises. Le PSC fait mon­ter en ligne qua­torze can­di­dats d’ascendance « extra-com­mu­nau­taire » (hors Union euro­péenne), dont six issus du monde arabe. Tou­te­fois ceux-ci sol­li­citent les suf­frages des citoyens dans des com­munes où le PSC est fai­ble­ment implan­té ou ils se pré­sentent à Bruxelles-Ville, com­mune dans laquelle la concur­rence est achar­née. Il s’ensuit qu’à l’instar du PRL et du FN, le Par­ti social-chré­tien ne compte aucun élu alloch­tone. Pour leur part, le PS et Éco­lo en dénombrent cha­cun six, et le FDF deux.

Lors du scru­tin régio­nal bruxel­lois du 21 mai 1995, le PSC entend poser un geste fort : sur sa liste, il place en posi­tion éli­gible, celle de sep­tième can­di­dat effec­tif, un pro­fes­seur schaer­bee­kois de reli­gion isla­mique, d’origine maro­caine, par ailleurs vice-pré­sident de sa « com­mis­sion des natu­ra­li­sés » : El Mos­te­fa Maa­dour. Ce der­nier réa­lise le onzième score de la liste. Le siège qui lui sem­blait des­ti­né est cap­té aux voix de pré­fé­rence par Michel Dema­ret, bourg­mestre de Bruxelles. Fina­le­ment, le Conseil régio­nal compte cinq élus d’origine étran­gère : trois pour le PS et deux pour Éco­lo. À cet égard, le PSC enre­gistre un nou­vel échec.

Il en est de même le 13 juin 1999. Pour­tant, en mai de la même année, le COPA/PSC (Citoyens d’origine arabe du PSC) a été créé par trois mili­tants magh­ré­bins du par­ti, bien insé­rés dans le tis­su asso­cia­tif bruxel­lois : Ahmed Bak­ka­li, pré­sident du bureau de la sec­tion arabe de la CSC, Fati­ma Mous­saoui, direc­trice d’une mai­son d’enfants à Ander­lecht, et Abdes­lam Bakrim, vice-pré­sident de la sec­tion schaer­bee­koise du PSC, au sein de laquelle il anime les Jeunes PSC. Une conven­tion des­ti­née à assu­rer une meilleure repré­sen­ta­tion aux can­di­dats magh­ré­bins est conclue avec Phi­lippe Mays­tadt et Joëlle Mil­quet, res­pec­ti­ve­ment pré­sident et vice-pré­si­dente du par­ti. Sans résul­tat tan­gible : le Conseil de la Région de Bruxelles-Capi­tale compte huit par­le­men­taires d’origine extra-euro­péenne, soit quatre pour le PS, deux pour Éco­lo et deux pour le PRL-FDF, mais pas le moindre social-chré­tien. Bien qu’il ait été sou­te­nu par la sec­tion arabe de la CSC, le can­di­dat maro­cain le mieux pla­cé sur la liste du PSC, Saïd M’Rabet, dixième effec­tif, ne récolte que 825 voix. Il est devan­cé par plu­sieurs de ses colis­tiers alloch­tones, en par­ti­cu­lier par les Assy­riens Yakup Urun et Ibra­him Erkan.

L’effet Milquet

Joëlle Mil­quet accède ex offi­cio à la pré­si­dence du PSC le 23 octobre 1999, à la suite de la démis­sion de Phi­lippe Mays­tadt. Elle tente de moder­ni­ser et de repo­si­tion­ner son par­ti, rebap­ti­sé Centre démo­crate huma­niste le 18 mai 2002. Selon Vincent de Coore­by­ter, direc­teur géné­ral du Crisp, la nou­velle pré­si­dente nour­rit une ambi­tion pour sa for­ma­tion dans l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vil­vorde : il s’agit de « prendre en compte des enjeux pro­pre­ment urbains, des ques­tions liées à de nou­velles couches popu­laires très impor­tantes, issues de dif­fé­rentes immi­gra­tions » (La Libre Bel­gique, 5 juin 2009). C’est dans ce ter­reau que le PSC, puis le CDH, doit trou­ver un « un nou­vel enracinement ».

Effec­ti­ve­ment, l’investissement du PSC dans les milieux d’origine maro­caine, congo­laise et assy­rienne se ren­force en vue des élec­tions com­mu­nales du 8 octobre 2000. Le bilan n’en demeure pas moins modeste : cinq élus alloch­tones, contre trente-huit au PS, trente-trois à Éco­lo, douze au PRL et au FDF1.

Bien plus, l’implantation dans le monde arabe est fra­gile et ambigüe. Le Schaer­bee­kois Moham­med Ram­da­ni, l’un des deux conseillers com­mu­naux issus de la com­mu­nau­té maro­caine, mène avant tout une cam­pagne per­son­nelle, avant de pas­ser au PS en 2002. Un autre élu de la même mou­vance, Ahmed Bak­ka­li, de Saint-Gilles, affiche un pro­fil assez com­mu­nau­ta­riste : dans ses tracts, ce mili­tant pan­arabe pro­clame son désir d’appuyer « les reven­di­ca­tions liées à l’identité reli­gieuse et cultu­relle de la com­mu­nau­té ara­bo-musul­mane ». Il quit­te­ra le CDH en 2006 et dis­pa­rai­tra ensuite de la vie politique.

Le suc­cès obte­nu en 2000 par Joëlle Mil­quet est plus mani­feste chez les Assy­riens et les Congo­lais. Clas­sé en deuxième posi­tion sur la liste sociale chré­tienne de Saint-Josse, le com­mer­çant Ibra­him Erkan est élu conseiller com­mu­nal. Il demeu­re­ra bien pré­sent dans l’agglomération lors des scru­tins ulté­rieurs. Ancien vice-pré­sident de la repré­sen­ta­tion du Par­ti démo­crate social chré­tien du Congo pour le Bene­lux, l’économiste Ber­tin Mam­pa­ka Man­kam­ba pour­suit son ascen­sion poli­tique, après avoir obte­nu un score hono­rable à la Chambre, en 1999 : il entre au conseil com­mu­nal de Bruxelles-Ville et au bureau d’arrondissement du PSC, avant de deve­nir secré­taire natio­nal du par­ti. À Saint-Josse, (Marie) Jeanne Nyan­ga Lum­ba­la, clas­sée au cin­quième rang, réa­lise le qua­trième score de la liste. Élue conseillère com­mu­nale, cette fon­da­trice de l’asbl Afri­ca-Sub-Saha­ra devient membre du comi­té d’arrondissement du PSC. À la Chambre, à la Région et dans sa com­mune, elle sera de toutes les joutes élec­to­rales à venir.

Les élec­tions légis­la­tives fédé­rales du 18 mai 2003 apportent une confir­ma­tion à la ten­dance obser­vable depuis 2000 : mani­fes­te­ment, la direc­tion du CDH intègre davan­tage « la pré­oc­cu­pa­tion de l’ouverture aux per­son­na­li­tés d’origine étran­gère » (Wynants, p. 49). Ain­si à la Chambre, dans l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, le par­ti aligne trois can­di­dats d’origine maro­caine : Ahmed Bak­ka­li (sep­tième effec­tif, 1.598 voix), Ham­za Fas­si-Fih­ri (dixième effec­tif, 1.398 voix), qui devien­dra secré­taire natio­nal de sa for­ma­tion pour la Région bruxel­loise, et Fati­ma Mous­saoui (dou­zième effec­tive, 1.807 voix), future secré­taire natio­nale du CDH en charge de l’intégration. Le can­di­dat d’origine assy­rienne Ibra­him Erkan, onzième effec­tif, recueille 2.373 suf­frages. D’ascendance turque, Sul­tan Izci, qua­tor­zième effec­tive, en obtient 577. Une nou­velle fois, ce sont les scores des Congo­lais qui retiennent l’attention : 3.338 voix de pré­fé­rence pour Ber­tin Mam­pa­ka, sixième can­di­dat effec­tif, 1.509 pour (Marie) Jeanne Nyan­ga Lum­ba­la, neu­vième sup­pléante. Tou­te­fois, à la dif­fé­rence du SP.A, du PS, du CD&V et du MR, le CDH demeure dépour­vu d’élus alloch­tones, tant à la Chambre qu’au Sénat.

Le tournant de 2004 – 2006

Lorsque les élec­tions régio­nales du 13 juin 2004 se pro­filent à l’horizon, le CDH bruxel­lois n’entend plus demeu­rer, avec l’extrême droite, le seul groupe poli­tique sans par­le­men­taire d’origine étran­gère. La pré­si­dente Mil­quet est d’autant plus réso­lue à aller de l’avant que la concur­rence est rude : le PS de Phi­lippe Mou­reaux a sus­ci­té de nom­breuses can­di­da­tures dans les milieux issus de l’immigration, en par­ti­cu­lier chez les Maro­cains et les Turcs.

C’est pour­quoi Fati­ma Mous­saoui est lit­té­ra­le­ment pro­pul­sée à la troi­sième place de la liste démo­crate huma­niste, ce qui devrait lui valoir un ticket d’entrée au Par­le­ment régio­nal. Bien que l’intéressée réa­lise une per­for­mance déce­vante (le dixième score du CDH, avec 2.662 voix), elle est élue grâce à l’effet dévo­lu­tif de la case de tête.

Clas­sé en hui­tième posi­tion, Ber­tin Mam­pa­ka réa­lise le qua­trième résul­tat de la liste (3.644 voix). Il accède éga­le­ment à l’assemblée bruxel­loise. Peu après, il suc­cède à Georges Dal­le­magne comme éche­vin de la Pro­pre­té publique, des Pro­prié­tés com­mu­nales et du Sport, à la Ville de Bruxelles. J. Mil­quet, qui pro­cède à cette dési­gna­tion, tient à en sou­li­gner la por­tée : « C’est un choix émi­nem­ment sym­bo­lique. Sym­bo­lique de la volon­té de repré­sen­ter tous les habi­tants de Bruxelles, dans leur diver­si­té et leur inter­cul­tu­ra­li­té » (Wynants, p. 63).

De son côté, Ham­za Fas­si-Fih­ri, issu d’une dynas­tie de notables maro­cains, est deve­nu pré­sident natio­nal des Jeunes CDH, le 8 novembre 2003. Aux yeux de la pré­si­dente du par­ti, cette élec­tion « consti­tue un signe fort d’ouverture à toutes les sen­si­bi­li­tés cultu­relles de la socié­té » (Wynants, p. 54). En 2004, for­te­ment sou­te­nu par la rue des Deux Églises, l’intéressé se pré­sente à la fois à la Région (qua­trième sup­pléant, 1.333 voix) et au Par­le­ment euro­péen (sixième effec­tif, 13.332 voix). Après avoir rem­pla­cé tem­po­rai­re­ment B. Mam­pa­ka comme éche­vin à Bruxelles, il fera son entrée au Par­le­ment de la Région, le 29 jan­vier 2007, via une sup­pléance. C’est éga­le­ment lui qui, la même année, repren­dra les fonc­tions sca­bi­nales de J. Mil­quet lorsque celle-ci devien­dra ministre fédé­rale, avec pour com­pé­tences l’État civil, la Culture, l’Emploi et la Formation.

En par­tie grâce à la visi­bi­li­té accrue de ses can­di­dats issus de l’immigration, le CDH se redresse à Bruxelles-Capi­tale : il y draine 12,1% des voix, contre 7,9% pour le PSC en 1999 ; il décroche dix sièges, contre six cinq ans plus tôt. Il n’en conserve pas moins un cer­tain retard par rap­port au PS : sur un total de vingt-six élus, ce der­nier en compte qua­torze d’origine extra-européenne.

Ce défi­cit est en grande par­tie com­blé à la faveur des élec­tions com­mu­nales du 8 octobre 2006, en pré­vi­sion des­quelles le CDH ouvre lar­ge­ment ses listes à des can­di­dats de la socié­té civile, dont une forte pro­por­tion est d’ascendance étran­gère : ain­si, à Bruxelles-Ville, il pré­sente, notam­ment, Kha­lid El Quan­di­li, ancien cham­pion du monde de kick-boxing, porte-parole du Cercle des citoyens res­pon­sables, et Fabrice Masu­ka, opé­ra­teur cultu­rel au fes­ti­val Cou­leur Café. Ce fai­sant, il récu­père la troi­sième place dans la hié­rar­chie des par­tis fran­co­phones, per­due en 2000 au pro­fit d’Écolo. Il est en nette pro­gres­sion à Ber­chem-Sainte-Agathe, Evere, Ixelles, Woluwe-Saint-Pierre, mais aus­si à Bruxelles, Jette, Saint-Gilles et Schaer­beek. Il enre­gistre une avan­cée plus modeste à Saint-Josse-ten-Noode. Les ana­lystes du Crisp consi­dèrent que « le CDH a tiré par­ti, par­mi d’autres motifs de redres­se­ment, de la modi­fi­ca­tion socio­lo­gique de l’électorat des com­munes popu­laires de la Région bruxel­loise ». Ils épinglent tout par­ti­cu­liè­re­ment la forte remon­tée enre­gis­trée à Bruxelles-Ville, « due au carac­tère net­te­ment mul­ti­cul­tu­rel de la liste : sur onze élus, six sont d’ascendance extra-euro­péenne » (de Coore­by­ter, p. 23 et 36).

En termes de man­dats locaux, l’ouverture du CDH bruxel­lois aux milieux issus de l’immigration est patente : on dénombre désor­mais seize conseillers com­mu­naux ori­gi­naires du Magh­reb2, six du Congo3, trois de Tur­quie et deux Assy­riens4. Quatre de ces vingt-sept élus sont appe­lés à exer­cer des fonc­tions sca­bi­nales : Fati­ha El Ikdi­mi à Ander­lecht, Ham­za Fas­si-Fih­ri et Ber­tin Mam­pa­ka à Bruxelles-Ville, Ahmed El Khan­nouss à Molen­beek-Saint-Jean. Les com­munes où le par­ti orange obtient le plus de conseillers alloch­tones sont Bruxelles (six), Saint-Josse (cinq5), Schaer­beek et Saint-Gilles (trois).

Les moissons de 2007 et de 2009

Lors des élec­tions légis­la­tives fédé­rales du 10 juin 2007, le CDH bruxel­lois mobi­lise ses élus locaux d’ascendance étran­gère. À la Chambre, dans l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, plus du tiers des can­di­dats démo­crates huma­nistes sont d’origine extra-euro­péenne. Ces can­di­dats grap­pillent un nombre de voix non négli­geable : 7.952 pour Ahmed El Khan­nouss, troi­sième effec­tif, 7.201 pour Ber­tin Mam­pa­ka, cin­quième effec­tif, 3.016 pour Halis Kök­ten, sep­tième effec­tif, 5.379 pour Fati­ma Mous­saoui, hui­tième effec­tive, 4.018 pour Fati­ha El Ikdi­mi, dixième effec­tive. Il faut y ajou­ter les suf­frages qui se portent sur d’autres can­di­dats moins bien clas­sés : 3.135 pour Yakup Urun, 3.532 pour Saïd El Ham­mou­di, 3.382 pour Maryam Seb­ba­hi, 3.231 pour (Marie) Jeanne Nyan­ga Lum­ba­la, 3.010 pour Bra­him El Aya­di… Au Sénat, Ham­za Fas­si-Fih­ri, qua­trième effec­tif, obtient 22.013 voix de pré­fé­rence. Il pré­cède Lydia Mutye­bele Ngoi, brillante juriste, fille d’un évêque pen­te­cô­tiste congo­lais et ani­ma­trice d’une cho­rale de gos­pel (sep­tième effec­tive, 16.123 voix), et Bah­ti­sen Yarol, une comp­table d’origine turque (neu­vième effec­tive, 9.189 voix). Grâce à cette mobi­li­sa­tion, le CDH gagne 3,1% des voix et un siège dans la cir­cons­crip­tion. Aucun des quatre dépu­tés et séna­teurs d’ascendance extra-euro­péenne qui siègent au Palais de la Nation n’appartient, cepen­dant, aux rangs des démo­crates humanistes.

Le scru­tin régio­nal bruxel­lois du 7 juin 2009 doit per­mettre d’élire 72 par­le­men­taires fran­co­phones. Le CDH y aligne une tren­taine de can­di­dats d’ascendance étran­gère, soit autant que le PS et bien plus qu’Écolo ou le MR. Le fait ne passe pas inaper­çu aux yeux des obser­va­teurs. Ces der­niers sou­lignent « la très large place faite à des can­di­dats de diverses com­mu­nau­tés extra-euro­péennes, y com­pris en posi­tion éli­gible ». Ils relèvent, en par­ti­cu­lier, les posi­tions avan­ta­geuses dévo­lues à Ham­za Fas­si-Fih­ri (troi­sième effec­tif), Ber­tin Mam­pa­ka (sep­tième effec­tif), Fati­ma Mous­saoui (hui­tième effec­tive) et Ahmed El Khan­nouss (dixième effec­tif), tous clas­sés en ordre utile, tan­dis que l’ancien jour­na­liste spor­tif de RTL-TVI Pierre Migi­sha (onzième effec­tif et qua­trième can­di­dat sur la liste pour le Par­le­ment euro­péen) occupe la place de com­bat. Ils n’anticipent guère le poten­tiel élec­to­ral d’une jeune can­di­date schaer­bee­koise d’origine turque, Mahi­nur Özde­mir, clas­sée au vingt-et-unième rang, qui, comme en 2006, arbore le fou­lard sur ses affiches (Blaise et al., p. 51).

À nou­veau, le CDH bruxel­lois gagne un siège, pas­sant de dix à onze élus. Cinq de ceux-ci sont d’origine étran­gère, ce qui consti­tue un résul­tat sans pré­cé­dent dans l’histoire du par­ti. Ber­tin Mam­pa­ka (6.100 voix) et Ham­za Fas­si-Fih­ri (3.390 voix) regagnent donc l’assemblée régio­nale. Ils y sont rejoints par Ahmed El Khan­nouss (3.610 voix), Pierre Migi­sha (3.402 voix) et Mahi­nur Özde­mir (2.851 voix). Par contre, la contro­ver­sée Fati­ma Mous­saoui6 (2.739 voix) n’est pas réélue. On note la per­for­mance pro­met­teuse de Lydia Mutye­bele Ngoi (2.624 voix de pré­fé­rence) qui, figu­rant au tren­tième rang des can­di­dats, réa­lise le qua­tor­zième score.

En une décen­nie, la com­po­si­tion des listes élec­to­rales bruxel­loises du PSC-CDH a évo­lué sen­si­ble­ment. Dans le cadre d’une poli­tique volon­ta­riste menée par la pré­si­dente Mil­quet, elle a été peu à peu adap­tée à l’évolution socio­lo­gique que connait l’agglomération. C’est la volon­té de faire place aux dif­fé­rentes com­mu­nau­tés qui coexistent à Bruxelles, afin de cap­ter les voix des « nou­veaux élec­teurs », qui explique la mue du CDH dans la Région-Capitale.

La trans­for­ma­tion ain­si réa­li­sée a des effets posi­tifs indé­niables. Tout d’abord, elle contri­bue, fût-ce à tra­vers une mobi­li­sa­tion tem­po­raire des iden­ti­tés d’origine, à l’intégration des alloch­tones dans la vie publique belge. Ensuite, elle per­met une repré­sen­ta­tion plus équi­li­brée des dif­fé­rentes couches de la popu­la­tion bruxel­loise et, par ce biais, la prise en compte par les déci­deurs de pro­blèmes aigus, vécus dans des quar­tiers par­ti­cu­liè­re­ment défa­vo­ri­sés. Enfin, elle débouche sur un renou­vè­le­ment du per­son­nel poli­tique, en tout cas aux plans com­mu­nal et régional.

Il faut, néan­moins, se gar­der de tout angé­lisme. C’est pour­quoi nous pro­cè­de­rons, dans deux articles dis­tincts, à une lec­ture cri­tique des faits, cen­trée sur des pra­tiques plus dis­cu­tables du CDH de Bruxelles-Hal-Vil­vorde. En effet, la médaille a son revers…


[*Les pièges d’une mobilisation des identités*]

L’existence de « com­mu­nau­tés civiles cultu­relles mino­ri­taires » (sic) — les Magh­ré­bins, les Turcs, les Juifs et les Afri­cains sub­sa­ha­riens — est recon­nue de fait le 27 mai 2003, lors des consul­ta­tions menées par l’informateur fédé­ral. C’est alors, en effet, qu’Elio Di Rupo ren­contre offi­ciel­le­ment des repré­sen­tants de ces quatre com­mu­nau­tés, comme il l’a fait avec les porte-paroles des cultes recon­nus et de la laï­ci­té organisée.

La mobi­li­sa­tion des iden­ti­tés d’origine, par­mi les popu­la­tions immi­grées, est bien anté­rieure à cet épi­sode : elle s’amplifie à Bruxelles dès le début des années nonante, avec Phi­lippe Mou­reaux pour ini­tia­teur. Dans le chef de dif­fé­rents par­tis, elle consiste à pro­po­ser une offre élec­to­rale ciblée, appro­priée à des com­mu­nau­tés eth­niques ou reli­gieuses. Lors des scru­tins, elle revient à pré­sen­ter des can­di­dats iden­ti­fiés par leur appar­te­nance à telle ou telle de ces com­mu­nau­tés, qui mani­festent la volon­té d’en assu­rer la repré­sen­ta­tion et d’en pro­mou­voir les inté­rêts (Thi­baut de Mai­sières, p. 11 – 16). Aucune des for­ma­tions démo­cra­tiques fran­co­phones n’y échappe com­plè­te­ment. Les deux spé­cia­listes de la ques­tion — le cher­cheur Pierre-Yves Lam­bert et le jour­na­liste indé­pen­dant Meh­met Kok­sal — estiment cepen­dant que, depuis un cer­tain nombre d’années, le PS et le CDH bruxel­lois y sont les plus exposés.

La pré­si­dente Mil­quet récuse caté­go­ri­que­ment pareil diag­nos­tic. Elle affirme n’avoir « jamais sur­fé sur le com­mu­nau­ta­risme, ni joué la carte eth­nique » (Le Soir, 13 octobre 2006). Dans les colonnes du même quo­ti­dien, le même jour, un par­le­men­taire bruxel­lois du CDH recon­nait cepen­dant que sa for­ma­tion « fait comme les autres, ni plus ni moins ». Avant d’amorcer une courbe ren­trante, le dépu­té-bourg­mestre de Jette, Her­vé Doyen, se montre plus caté­go­rique encore : dans une lettre aux par­le­men­taires bruxel­lois de son groupe, il dénonce une « ten­dance à la tri­ba­li­sa­tion des listes » (sic), de nature à pro­vo­quer « cer­taines ran­cœurs et craintes pour l’avenir » (Le Soir, 27 juin 2007). Sans géné­ra­li­ser de manière abu­sive, ni nier les aspects posi­tifs de l’ouverture des listes démo­crates huma­nistes aux can­di­dats alloch­tones, on doit effec­ti­ve­ment rele­ver l’existence de déra­pages qui posent question.

Erreurs de casting

Qu’il y ait eu, à l’initiative d’états-majors de par­tis, course aux can­di­dats d’ascendance extra-euro­péenne, voire chasse aux suf­frages des popu­la­tions immi­grées, c’est l’évidence même. S’il n’a nul­le­ment le mono­pole de tels com­por­te­ments, le CDH bruxel­lois n’en demeure pas indemne : non sans risques ni dés­illu­sions, il a par­fois eu recours à des « can­di­dats-gad­gets » ou à des « attrape-voix », afin de don­ner un « carac­tère arti­fi­ciel­le­ment mul­ti­cul­tu­rel à ses listes »7.

Dans cer­tains cas, il s’agit mani­fes­te­ment de can­di­dats contac­tés à la hâte, peu au fait des ques­tions poli­tiques, mais pro­je­tés dans l’arène à l’approche d’un scru­tin, afin de don­ner quelque consis­tance numé­rique à une repré­sen­ta­tion com­mu­nau­taire don­née. On voit alors tel ou tel se reven­di­quer du « Par­ti socia­liste chré­tien » ou du « Centre droit huma­niste » (sic), ce qui en dit long sur l’insertion des inté­res­sés dans le par­ti dont ils arborent les cou­leurs (Le Vif‑L’Express, 20 octobre 2006).

D’autres can­di­dats sont dépour­vus de tout pas­sé mili­tant, voire d’expérience signi­fi­ca­tive dans le milieu asso­cia­tif. Ils sont pré­sen­tés à la direc­tion du CDH par rela­tions per­son­nelles, à la suite de contacts avec une ambas­sade, quel­que­fois même décou­verts grâce à une sorte de démar­chage8. Il en est qui n’ont d’autre atout à faire valoir que leur patro­nyme. C’est ain­si qu’en 2003, un « can­di­dat juif », iden­ti­fié comme tel, est pro­pul­sé à la cin­quième place effec­tive, pour la Chambre, à Bruxelles-Hal-Vil­vorde, et au bureau poli­tique du CDH. Incon­nu dans le sérail poli­tique dans lequel il pénètre pour la pre­mière fois, l’intéressé est le fils d’un diri­geant sio­niste qui, lui, jouit d’une indé­niable noto­rié­té9. Récol­tant 1179 voix, il fait pâle figure face aux porte-dra­peaux paten­tés de la com­mu­nau­té juive, telle la MR Viviane Tei­tel­baum (Thi­baut de Mai­sières, p. 80 – 82). Il a d’ailleurs renon­cé à l’action poli­tique depuis lors.

D’autres can­di­dats encore ne donnent pas tous les apai­se­ments, en matière de res­pect de la démo­cra­tie ou de sta­bi­li­té idéo­lo­gique, en rai­son de leur par­cours anté­rieur. On pense, par exemple, à ce conseiller com­mu­nal CDH d’Evere, mili­tant du Par­ti de la jus­tice et du déve­lop­pe­ment au Maroc, dont on découvre après coup les liens avec le Mou­ve­ment de la jeu­nesse isla­mique, une orga­ni­sa­tion à la doc­trine et aux méthodes à tout le moins radi­cales (Le Soir, 13 octobre 2006). On songe éga­le­ment à cer­tains trans­fuges qui, sans état d’âme, changent de camp de scru­tin en scru­tin, selon que leurs ambi­tions per­son­nelles sont satis­faites ou déçues. L’un d’eux, qui quitte d’ailleurs le CDH en 2009, explique sa ver­sa­ti­li­té avec un aplomb stu­pé­fiant : « J’ai gou­té à toutes les sauces avant de voir celle qui me gou­tait le mieux » (La Der­nière Heure, 30 jan­vier 2006).

S’ils ne consti­tuent pas la règle, ces cas révèlent, dans le chef des diri­geants du CDH, une pré­ci­pi­ta­tion qui, ici et là, confine à l’imprudence. Il semble ain­si qu’au début 2003, J. Mil­quet ait pro­mis, un peu vite et à un inter­lo­cu­teur peu repré­sen­ta­tif, un sta­tut de groupe spé­ci­fique au sein de son par­ti pour les Turcs, à l’instar de celui recon­nu aux Arabes, avec repré­sen­ta­tion garan­tie dans les ins­tances en cas d’«adhésion struc­tu­rée » de membres de cette com­mu­nau­té au CDH10. Un par­le­men­taire bruxel­lois de la for­ma­tion orange recon­nait sans détour : « Nous n’avons pas été tou­jours très regar­dants sur le par­cours des can­di­dats issus de l’immigration, les convic­tions et la manière de les inté­grer dans le par­ti » (Le Soir, 13 octobre 2006). C’est là faire preuve de luci­di­té, rétros­pec­tive il est vrai.

Clientélisme et stemblok

L’instrumentalisation des hommes et des struc­tures n’est pas le seul fait des par­tis : elle joue aus­si en sens inverse, sous la forme d’une uti­li­sa­tion des for­ma­tions poli­tiques par des aspi­rants-man­da­taires en quête de trem­plin pour assu­rer leur car­rière, qui n’hésitent pas à s’en ser­vir pour se consti­tuer une clien­tèle. J. Mil­quet se défend de toute com­plai­sance à l’égard de tels com­por­te­ments : « J’en ai marre qu’on nous traite de clien­té­listes ! Je n’ai jamais pro­mis un man­dat à qui­conque » (Le Soir, 13 octobre 2006). Il n’empêche que de telles dérives existent au CDH bruxel­lois, tout comme au PS, sans conteste pion­nier en la matière.

L’un ou l’autre can­di­dat démo­crate huma­niste annonce clai­re­ment la cou­leur. Ain­si, un ancien conseiller com­mu­nal FDF de Saint-Josse, pas­sé au CDH de Schaer­beek, très actif dans les milieux tur­co­phones, se dit prêt à « jouer le jeu n’importe où », dans quelque for­ma­tion que ce soit, pour autant qu’il arrive à « faire avan­cer la situa­tion des siens »11. Un futur par­le­men­taire bruxel­lois du CDH, for­te­ment sou­te­nu par les milieux afri­cains, déclare en 2004 : « Ce sont eux, les élec­teurs, qui vont orga­ni­ser la dia­spo­ra congo­laise en nous confiant des man­dats à tra­vers le vote. On va alors aller cher­cher des sub­sides pour les aider dans leurs asso­cia­tions ou dans leurs activités.»[M. Kok­sal, « La dia­spo­ra congo­laise en cam­pagne », 18 avril 2004. ]

En réa­li­té, les diri­geants du CDH ne sont pas dupes des risques qu’ils encourent. C’est pour­quoi, en 2006, ils prennent la pré­cau­tion de faire signer, à tous les can­di­dats aux élec­tions com­mu­nales, une charte de l’honnêteté et de l’éthique, qui met l’accent sur la loyau­té et sur la pro­bi­té. En juillet de la même année, le chef de file schaer­bee­kois Denis Grim­berghs envoie à ses colis­tiers une note confi­den­tielle de mise en garde, inti­tu­lée Les limites du vote com­mu­nau­taire. Après le scru­tin com­mu­nal d’octobre 2006, Grim­berghs leur répète : « Soyez les élus de tous. Ne vous lais­sez pas enva­hir par les thèses du quar­tier X ou de la com­mu­nau­té Y » (Le Soir, 13 octobre 2006).

On peut néan­moins s’interroger sur l’effectivité de ces enga­ge­ments et de ces consignes lorsque l’on lit les décla­ra­tions d’une can­di­date bruxel­loise CDH au Sénat, en 2007, sur un forum des­ti­né aux Congo­lais : « Je sou­haite être le porte-parole de ma com­mu­nau­té et une oreille à ses pro­blèmes. Ceux de ma com­mu­nau­té qui ont des pré­oc­cu­pa­tions sau­ront qu’il y a quelqu’un pour les écou­ter et les défendre […]. Je pense qu’un Afri­cain, un immi­gré, se sen­ti­ra plus proche de moi que d’un élu bel­go-belge, d’une per­sonne qui a la peau blanche »12. Bref, les déra­pages per­sistent et, appa­rem­ment, ils ne sont pas tou­jours sanctionnés.

Cha­cun sait pour­tant que les « retours d’ascenseur » entre élec­teurs et élus, et inver­se­ment, ont la vie dure. D’une part, « les élus d’origine étran­gère sentent une forte pres­sion de la part des élec­teurs de leur com­mu­nau­té, qui voient en eux des sau­veurs », déclare Altay Man­ço, direc­teur de l’Institut de recherche, de for­ma­tion et d’action sur les migra­tions à un pério­dique de la Démo­cra­tie chré­tienne bruxel­loise (Huma­nisme et Soli­da­ri­té, décembre 2006). D’autre part, affirme M. Kok­sal, « comme la majo­ri­té de l’électorat com­mu­nau­taire n’est pas poli­ti­sée, c’est un élec­to­rat que cer­tains par­tis — sur­tout le PS et le CDH — ramènent vers eux par un clien­té­lisme très exa­cer­bé […]. PS et CDH jouent avec des élec­teurs qui ne voient la poli­tique que comme un moyen d’obtenir un ser­vice ou un passe-droit » (La Libre Bel­gique, 4 – 5 juillet 2009).

Bien plus, afin d’obtenir les appuis aux­quels ils aspirent, des can­di­dats issus de mino­ri­tés immi­grées pré­co­nisent la stra­té­gie du stem­blok. Celle-ci consiste à recom­man­der le vote en faveur de tous les can­di­dats d’une même liste et d’une com­mu­nau­té déter­mi­née, afin de maxi­mi­ser le nombre d’élus sur les­quels celle-ci pour­ra comp­ter en vue de défendre ses inté­rêts. S’il n’en a pas l’exclusivité, loin s’en faut, le CDH bruxel­lois est confron­té à cette pra­tique. En 2004, un élu régio­nal bruxel­lois de ce par­ti, dési­reux de mettre sur pied un « lob­by congo­lais » dans la capi­tale, pré­co­nise publi­que­ment le recours au stem­blok, mais à demi-mot : « La visi­bi­li­té des Afri­cains en Europe dépend des Afri­cains eux-mêmes. Il faut qu’ils sou­tiennent et qu’ils boostent leurs candidats»[M. Kok­sal, « La dia­spo­ra congo­laise en cam­pagne », 18 avril 2004.]. En 2006, un conseiller com­mu­nal démo­crate huma­niste relève : « Le stem­blok a été omni­pré­sent chez nous aus­si. Par­fois de façon ser­rée entre les com­mu­nau­tés » (Le Soir, 13 octobre 2006). Voi­là qui nous amène à évo­quer d’autres pièges des mobi­li­sa­tions identitaires.

Rivalités intra- et intercommunautaires

Après la pénu­rie de can­di­dats issus de l’immigration vient l’abondance, qui impose au CDH bruxel­lois de pro­cé­der à des arbi­trages. Ceux-ci ne s’opèrent pas sans heurts, que ce soit au sein d’une même mou­vance ou entre communautés.

Ain­si, à la veille des élec­tions régio­nales bruxel­loises de juin 2009, une ten­sion très vive s’installe entre deux Assy­riens, déjà ali­gnés lors de scru­tins anté­rieurs : ceux-ci s’affrontent pour la place de sei­zième can­di­dat effec­tif, dévo­lue à leur com­mu­nau­té. Deux ans plus tôt, les pro­ta­go­nistes ont adop­té des posi­tions oppo­sées dans une contro­verse qui a divi­sé les milieux assy­riens, à la suite de décla­ra­tions du métro­po­lite Mor Seve­rios Hazail Sou­mi, de l’Église syriaque ortho­doxe : ce der­nier a nié que le Sey­fo, le mas­sacre des Assy­riens par le régime des Jeunes Turcs, puisse être qua­li­fié de géno­cide13. Les deux can­di­dats se pré­valent l’un et l’autre d’engagements pris à leur égard par Benoît Cerexhe et Joëlle Mil­quet. Le pre­mier reproche au second d’avoir tenu des réunions avec des prêtres et des res­pon­sables d’associations assy­ro-chal­déennes afin de l’évincer. Très mal géré par les ins­tances démo­crates huma­nistes, le conflit débouche sur un retrait d’un des com­pé­ti­teurs, qui refuse d’indiquer s’il demeu­re­ra actif au CDH14.

La « lutte des places » entre repré­sen­tants de plu­sieurs com­mu­nau­tés peut être aus­si achar­née. En 2003, un can­di­dat congo­lais déclare fiè­re­ment, lors d’un forum tenu à Maton­gé en pré­sence de plu­sieurs diri­geants démo­crates huma­nistes : « Je suis le pre­mier étran­ger sur la liste du CDH. Vous vous ren­dez compte ! Mal­gré l’importance des Magh­ré­bins à Bruxelles, le CDH a choi­si de me mettre à la sixième place, devant eux15. » Voi­là qui n’est pas de nature à plaire à ses colis­tiers maro­cains… Le 26 mars 2009, un bouillant conseiller com­mu­nal tur­co­phone de Schaer­beek, pré­sident de l’Association des com­mer­çants de la Petite Ana­to­lie, s’emporte : le par­ti orange lui pro­pose la dou­zième posi­tion sur sa liste pour le Par­le­ment régio­nal, alors qu’il reven­dique la dixième. Il s’indigne de voir figu­rer devant lui « trois Maro­cains et un Noir par­mi les dix pre­miers » : « C’est une gifle à la com­mu­nau­té bel­go-turque que de l’avoir relé­gué à une place si loin­taine16. » Aus­si­tôt deux mili­tants schaer­bee­kois du CDH, connus pour leur enga­ge­ment anti­ra­ciste, déposent plainte contre le fâcheux devant le comi­té de déon­to­lo­gie du par­ti, pour « pro­pos stig­ma­ti­sants et bles­sants, qui violent la charte de l’humanisme démo­cra­tique »17. Ils sont vive­ment pris à par­tie sur un blog, qui les accuse de « chasse aux sor­cières (turques?)» et de « cam­pagne de désta­bi­li­sa­tion », menée par des indi­vi­dus qui « maro­ca­nisent » (sic) un pro­blème de per­sonnes18. Loin de les apai­ser, la mobi­li­sa­tion des iden­ti­tés d’origine exa­cerbe les riva­li­tés entre les pré­ten­dants à des man­dats et entre les seg­ments de la popu­la­tion dont ils émanent.

Des élus fran­chissent la ligne rouge, sans être publi­que­ment rap­pe­lés à l’ordre par les ins­tances du par­ti. Le CDH a recon­nu la réa­li­té du géno­cide armé­nien. Sa pré­si­dente a même par­ti­ci­pé à la com­mé­mo­ra­tion du nonan­tième anni­ver­saire de ce drame natio­nal, affir­mant à cette occa­sion : « Nous n’avons jamais eu de per­sonnes néga­tion­nistes sur nos listes »19. On peut, dès lors, s’étonner des com­por­te­ments de cer­tains élus turcs du CDH, mais aus­si d’autres par­tis démo­cra­tiques. N’évoquent-ils pas pério­di­que­ment, dans leurs décla­ra­tions, le « pré­ten­du géno­cide armé­nien » ? Ne par­ti­cipent-ils pas à des mani­fes­ta­tions et à des confé­rences au cours des­quelles des slo­gans néga­tion­nistes sont lan­cés, voire des demandes de déman­tè­le­ment du mémo­rial armé­nien d’Ixelles ? Le lais­ser-faire pra­ti­qué en la matière par les direc­tions de for­ma­tions démo­cra­tiques — le CDH, mais éga­le­ment le PS et le MR — leur vaut une accu­sa­tion d’hypocrisie, dans une décla­ra­tion com­mune des orga­ni­sa­tions armé­nienne, assy­rienne, kurde et turque issues de l’émigration poli­tique en pro­ve­nance de Tur­quie (27 octobre 2006). Il contri­bue à rendre plus étanches encore les fron­tières eth­no­cul­tu­relles entre migrants ori­gi­naires d’un même pays, alors que pareil cloi­son­ne­ment est déjà très mar­qué à Bruxelles (Kaya et Ken­tel, p. 39).

Nuances

On a pu le consta­ter à la lec­ture des pages qui pré­cèdent : il existe, à tout le moins, une marge entre les décla­ra­tions péremp­toires de la direc­tion du CDH, le dis­po­si­tif plus ou moins effi­cace mis en place pour limi­ter les effets per­vers du « vote eth­nique » et les pra­tiques de ter­rain. Ce déca­lage inter­pelle. Encore faut-il se gar­der des géné­ra­li­sa­tions abu­sives et conser­ver le sens des réa­li­tés, en évi­tant tout « purisme » intellectuel.

En para­phra­sant Lénine20, on pour­rait sou­te­nir, en effet, que, sur cer­tains plans en tout cas, la mobi­li­sa­tion des iden­ti­tés d’origine est la mala­die infan­tile d’une démo­cra­tie en tran­si­tion vers un mul­ti­cul­tu­ra­lisme assu­mé. Des popu­la­tions issues de l’immigration, en quête de repères, défa­vo­ri­sées, dis­cri­mi­nées dans un pays d’accueil dont elles découvrent le sys­tème poli­tique, accordent une pré­fé­rence à des can­di­dats par­ta­geant leurs réfé­rences cultu­relles ou cultuelles : quoi de plus nor­mal ? Des citoyens d’ascendance extra-euro­péenne, dési­reux de s’engager en poli­tique, font d’abord appel à leur arrière-ban et lui rendent des ser­vices que les pou­voirs publics tardent à pres­ter effi­ca­ce­ment : quoi de scan­da­leux ? Des asso­cia­tions actives dans les sec­teurs de l’alphabétisation, de l’intégration ou de l’aide sociale à des­ti­na­tion des migrants cherchent des relais pour se pro­cu­rer des appuis ou des sub­sides : qui y trouve à redire ? Enfin, des par­tis lan­cés dans la com­pé­ti­tion élec­to­rale ouvrent leurs listes à des nou­veaux venus, fût-ce de manière impru­dente ou impro­vi­sée, afin de cap­ter les suf­frages des nou­veaux élec­teurs : qui s’en étonne ?

Les véri­tables dérives mises en lumière dans la pré­sente étude de cas ne sont pas de cette nature. Elles doivent ali­men­ter d’autres inter­ro­ga­tions. Ain­si, est-il sain que cer­tains nou­veaux venus en poli­tique, appe­lés à y faire entendre la voix des exclus, repro­duisent les pra­tiques clien­té­listes les plus dis­cu­tables des appa­rat­chiks bel­go-belges, dont le PS a don­né maints exemples cala­mi­teux en Wal­lo­nie ? Est-il accep­table que tel ou tel de ces man­da­taires contri­bue, par action ou par omis­sion, à la vita­li­té ou à la visi­bi­li­té de cou­rants reli­gieux inté­gristes, d’organisations ultra-natio­na­listes, au dis­cours néga­tion­niste ? Com­ment jus­ti­fier, au nom de l’humanisme démo­cra­tique ou de tout autre idéal noble, la pas­si­vi­té des diri­geants de for­ma­tions poli­tiques confron­tées à de telles pra­tiques ? Faut-il en déduire que les inté­res­sés pri­vi­lé­gient la per­for­mance élec­to­rale à court terme, en repous­sant au second plan leurs devoirs d’éducation civique et de for­ma­tion des élus ? Telles sont les inter­pel­la­tions qui devraient ali­men­ter le débat, voire une auto­cri­tique. De ce point de vue, le CDH bruxel­lois doit encore balayer devant sa porte.


[*Religions et politique : le paradoxe*]

Un citoyen l’a fait obser­ver récem­ment, dans le cour­rier des lec­teurs d’un quo­ti­dien de la capi­tale : en matière de rela­tions entre les reli­gions et la poli­tique, au CDH bruxel­lois, « ce qui se chasse par la porte revient par la fenêtre » (La Libre Bel­gique, 18 sep­tembre 2009). Tel est le para­doxe qui sera au cœur de cette der­nière partie.

Le CDH et les religions

Non sans mal, l’ancien PSC, deve­nu CDH le 18 mai 2002, s’est débar­ras­sé de son éti­quette confes­sion­nelle. Selon les termes de Joëlle Mil­quet, il n’a plus vou­lu être « un par­ti de chré­tiens, par les chré­tiens, pour les chrétiens ».

En se posi­tion­nant de la sorte, le Centre démo­crate huma­niste a choi­si de s’adapter à trois évo­lu­tions en cours dans nos socié­tés occi­den­tales, dont il a mesu­ré la por­tée. La pre­mière de ces muta­tions a été qua­li­fiée par Mar­cel Gau­chet de « désen­chan­te­ment du monde » : ins­crite dans la longue durée, elle ren­voie à la sor­tie d’un uni­vers dans lequel une véri­té reli­gieuse, unique et incon­tes­table, s’impose aux humains au point de fon­der tout l’ordre socio­po­li­tique. Plus récente, la deuxième trans­for­ma­tion a été dési­gnée par Laurent de Briey sous le vocable de « sécu­la­ri­sa­tion des reli­gions » : ces der­nières sont pro­gres­si­ve­ment ame­nées, dans les démo­cra­ties libé­rales contem­po­raines, à recon­naitre la dis­tinc­tion entre le tem­po­rel et le spi­ri­tuel, à assu­mer la neu­tra­li­té de l’État, à accep­ter le plu­ra­lisme. Renon­çant à la pré­ten­tion d’énoncer les prin­cipes d’organisation de la vie en com­mun, les Églises se can­tonnent, en fin de compte, dans un rôle assez limi­té : elles four­nissent des repères exis­ten­tiels à des indi­vi­dus en quête de sens. La troi­sième évo­lu­tion est la sécu­la­ri­sa­tion, mani­feste et latente, des indi­vi­dus et de la socié­té, magis­tra­le­ment ana­ly­sée par Karel Dob­be­laere. Au plan macro­so­cial, en Bel­gique fran­co­phone, l’identité catho­lique n’est plus assi­mi­lable à une pra­tique, à une croyance, ni à une adhé­sion à une ins­ti­tu­tion. Ain­si que l’a mon­tré Fré­dé­ric Moens, elle demeure une appar­te­nance choi­sie à des orga­ni­sa­tions « pila­ri­sées », comme l’école ou le syn­di­cat, inté­rio­ri­sée par les individus.

Com­ment expli­quer, en pareil contexte, le « retour du reli­gieux » auquel on assiste à pré­sent ? D’une part, dans le chef de cer­taines franges de la popu­la­tion issues de l’immigration, il existe une adhé­sion mani­feste à des cou­rants isla­miques qui refusent ou com­battent le « désen­chan­te­ment du monde », la sécu­la­ri­sa­tion des reli­gions et de la socié­té. Ce rejet s’accompagne quel­que­fois d’une cri­tique de la démo­cra­tie libé­rale, qui condui­rait à l’indifférentisme et à l’amoralisme. D’autre part, dans cer­tains milieux catho­liques et sur­tout pro­tes­tants — ceux qui se reven­diquent du « Réveil » — on voit se déve­lop­per des ten­dances « res­tau­ra­trices » à relents fon­da­men­ta­listes. Les groupes dont il s’agit se carac­té­risent par une réaf­fir­ma­tion forte de leurs croyances et de leurs valeurs, avec remise en ques­tion, expli­cite ou impli­cite, des légis­la­tions adop­tées en matière de libé­ra­li­sa­tion des mœurs. C’est pour­quoi, selon Serge Govaert, on peut obser­ver une réac­ti­va­tion du cli­vage phi­lo­so­phique, en perte de vitesse jusqu’il y a peu, sous l’influence de pro­ta­go­nistes très dif­fé­rents des acteurs qui l’ont fait émer­ger, il y a deux siècles. Désor­mais, le débat se foca­lise sur des enjeux nou­veaux, comme les rap­ports du culte isla­mique avec les auto­ri­tés publiques, le port du fou­lard, l’adjonction de mina­rets à des mos­quées, ou encore le droit des homo­sexuels au mariage et à l’adoption.

Les cou­rants reven­di­ca­tifs sur de tels sujets sont clas­sés par les poli­to­logues dans le camp du « conser­va­tisme cultu­rel ». Ils se sin­gu­la­risent, en effet, par un atta­che­ment pro­fond à un mode de vie tra­di­tion­nel, notam­ment dans le couple et la famille. Or de tels cou­rants ne sont plus mar­gi­naux dans la Bel­gique d’aujourd’hui. Ils ont, au contraire, le vent en poupe, ain­si que l’indiquent dif­fé­rentes enquêtes d’opinion. C’est pour­quoi, grâce à l’apport de com­mu­nau­tés « évan­gé­liques » soli­de­ment implan­tées dans les milieux afri­cains, le pro­tes­tan­tisme ral­lie à pré­sent près de 4% de la popu­la­tion, résul­tat qu’il n’a jamais atteint, chez nous, au cours de son his­toire récente.

Voi­ci plu­sieurs années, l’anthropologue Oli­vier Ser­vais a clai­re­ment iden­ti­fié le phé­no­mène évo­qué dans ces colonnes (La Libre Bel­gique, 14 décembre 2005): « Le pro­tes­tan­tisme et l’islam sont en crois­sance. Le pre­mier est plus axé sur l’individu : c’est l’avancée des évan­gé­liques, des pen­te­cô­tistes, des nou­veaux pro­tes­tan­tismes cha­ris­ma­tiques […], avec prise en charge impor­tante par les laïcs, peu de hié­rar­chie, appa­reillage ins­ti­tu­tion­nel réduit au mini­mum. Ils valo­risent très fort l’individu par le cha­risme. Ils se reven­diquent de la théo­lo­gie de la pros­pé­ri­té, c’est-à-dire que par Dieu, on peut réus­sir socia­le­ment […]. Dans le cas de l’islam, l’aspect com­mu­nau­taire est fort impor­tant, avec une dimen­sion qua­si eth­nique, même chez les nou­veaux convertis. »

On peut, dès lors, s’interroger. En s’ouvrant à d’autres sys­tèmes de croyances et de valeurs, par­ti­cu­liè­re­ment à Bruxelles, le CDH cherche sans doute à cap­ter les voix de seg­ments du corps élec­to­ral en expan­sion, alors que son socle tra­di­tion­nel — les catho­liques pra­ti­quants — fond comme neige au soleil. Mais ce fai­sant, n’est-il pas ame­né à ins­tru­men­ta­li­ser le champ confes­sion­nel ? N’offre-t-il pas aus­si par­fois un espace à des cou­rants reli­gieux assez radi­caux, qui peuvent s’affirmer en conqué­rant une influence poli­tique ? Ces ques­tions méritent d’être posées, si l’on en juge par cer­tains com­por­te­ments obser­vés dans l’agglomération bruxelloise.

Appel du pied aux musulmans

Deux poli­to­logues ont récem­ment mis en évi­dence une carac­té­ris­tique des votants qui adhèrent à l’islam : « Le posi­tion­ne­ment des élec­teurs belges de confes­sion musul­mane sur les valeurs mesu­rant le degré de libé­ra­lisme cultu­rel — valeurs direc­te­ment liées à des prin­cipes reli­gieux et éthiques — se situe en moyenne davan­tage sur le pôle conser­va­teur, en par­ti­cu­lier dans le cas des musul­mans pra­ti­quants. » Les mêmes auteurs relèvent que, dans ces milieux, « le CDH obtient une par­tie des votes for­mu­lés sur la base d’attitudes conser­va­trices liées à l’identité reli­gieuse » (San­dri et De Decker, p. 52).

On ne doit donc pas s’étonner que des can­di­dats démo­crates huma­nistes, d’origine turque ou magh­ré­bine, fassent jouer ce res­sort. D’aucuns pro­cèdent avec mesure, en sou­li­gnant, par exemple, la confor­mi­té du pro­gramme fami­lial du CDH à la concep­tion turque du foyer ou encore l’adéquation des valeurs de leur for­ma­tion aux grands prin­cipes de l’éthique musul­mane. D’autres reven­diquent ouver­te­ment une pos­ture conser­va­trice : « Je suis atta­ché aux valeurs morales qui furent celles de mes parents, à savoir le res­pect de la famille et du couple […]. Je suis aux anti­podes de ceux qui veulent construire une socié­té où tout est per­mis contre l’opinion géné­rale, la reli­gion ou les valeurs » (Ter­ra­cot­ta CDH, édi­tion de Forest, sep­tembre 2006). D’autres encore uti­lisent des argu­ments plus dis­cu­tables : « La pré­sence d’une can­di­date voi­lée sur la liste de Schaer­beek me confirme la rare ouver­ture d’esprit de ce par­ti, pre­nant vrai­ment en compte la mixi­té cultu­relle, reli­gieuse et eth­nique.21 »

Fort média­ti­sée au prin­temps 2009, l’«affaire du fou­lard isla­mique » de la can­di­date CDH Mahi­nur Özde­mir révèle com­bien cer­taines posi­tions sont ambigües. D’une part, l’intéressée se contre­dit à quelques années d’intervalle : en 2006, elle accepte de se por­ter can­di­date aux élec­tions com­mu­nales de Schaer­beek à la condi­tion que son fou­lard « ne soit pas uti­li­sé à des fins élec­to­rales par le par­ti »22 ; en 2009, elle se pré­sente pour­tant comme « la seule man­da­taire belge qui porte le fou­lard »23. D’autre part, l’apparition, puis la dis­pa­ri­tion du fameux voile, sur les affiches et dans les toutes-boites, posent éga­le­ment ques­tion, encore que le CDH ait invo­qué une « erreur com­mise par un info­gra­phiste » pour expli­quer un reca­drage du visage de la jeune femme. À tort ou à rai­son, la direc­tion du par­ti a été accu­sée de dupli­ci­té : elle aurait pla­cé M. Özde­mir en évi­dence sur ses listes pour cap­ter les votes de cer­tains milieux musul­mans, tout en occul­tant par­fois son fou­lard afin de ne pas heur­ter d’autres caté­go­ries d’électeurs.

Pour conso­li­der son implan­ta­tion dans les milieux musul­mans, le CDH orga­nise des repas de rup­ture du jeûne, à la fin du Rama­dan. C’est le cas le 22 sep­tembre 2008 à Molen­beek-Saint-Jean. L’invitation est lan­cée non seule­ment par la pré­si­dente Mil­quet et le ministre régio­nal Cerexhe, mais aus­si par deux par­le­men­taires bruxel­lois, trois éche­vins et seize conseillers com­mu­naux, presque tous d’origine maro­caine ou turque. Une invi­ta­tion simi­laire est publiée sur le site du par­ti, en sep­tembre 2009. Elle émane cette fois de « Fati­ma Mous­saoui, secré­taire à l’intégration, et de toute l’équipe du CDH », pour « un repas en pré­sence de Joëlle Mil­quet, avec la par­ti­ci­pa­tion des sec­tions locales de la Ville de Bruxelles, d’Anderlecht, de Molen­beek, de Schaer­beek et du CDH de Bruxelles-Hal-Vil­vorde ». Cet appel du pied sus­cite des cri­tiques. Ain­si, le col­lec­tif Vigi­lance musul­mane se fait caus­tique : « Si cer­tains par­tis consi­dèrent que l’organisation d’un Iftar (repas de rup­ture du jeûne) est com­pa­tible avec le prin­cipe de la sépa­ra­tion du reli­gieux et du poli­tique, ils sont invi­tés à réser­ver leurs mou­tons pour la fête musul­mane du sacri­fice et à orga­ni­ser des mis­sions d’accompagnement des pèle­rins à La Mecque » (La Libre Bel­gique, 15 sep­tembre 2009). Trois jours plus tard, dans un cour­rier des lec­teurs (La Libre Bel­gique, 18 sep­tembre 2009), un catho­lique iro­nise : « Qu’il me soit per­mis d’avancer une sug­ges­tion sous forme d’invitation : j’invite Madame Mil­quet à venir fêter dans ma famille la fin du Carême. Tout en espé­rant sa réponse posi­tive, j’émets des doutes pour deux rai­sons. La pre­mière est que mon invi­ta­tion rele­vant de la sphère pri­vée, son impact poli­ti­co-média­tique sera nul, sauf confé­rence de presse… La deuxième est que je crains que Madame Mil­quet soit phy­si­que­ment trop faible pour venir à la mai­son après qua­rante jours de jeûne. »

La poli­ti­sa­tion du champ reli­gieux prend par­fois des formes plus directes. Ain­si, Halis Kök­ten, can­di­dat CDH lors de divers scru­tins, recon­nait avoir mené cam­pagne sur invi­ta­tion dans plu­sieurs mos­quées de Schaer­beek, Saint-Josse et Ander­lecht (Kok­sal, 2007, p. 16). Appa­rem­ment, la trans­for­ma­tion de lieux de culte en tri­bunes élec­to­rales lui paraît naturelle.

De telles pra­tiques peuvent cho­quer ou irri­ter, mais elles n’ont rien de scan­da­leux. On ne peut en dire autant de pro­pos et de tracts homo­phobes répan­dus dans la com­mu­nau­té maro­caine de Bruxelles, au sein de laquelle « la liber­té sexuelle et l’homosexualité sont lar­ge­ment stig­ma­ti­sées » (Saaf, Sidi Hida et Agh­bal, p. 15 et 120). Indi­gné, un mili­tant du CDH confie à la presse : « Sur les ques­tions de mœurs, il y a eu des dis­cours into­lé­rables : “le PS, par­ti d’homos”, “nous, on n’a pas voté l’adoption par des couples gays”… En cou­lisses, on a tout enten­du pour séduire les conser­va­teurs musul­mans » (Le Soir, 13 octobre 2006).

Dans les cou­lisses, certes, mais aus­si urbi et orbi. Avec les agis­se­ments de la par­le­men­taire régio­nale Fati­ma Mous­saoui, la limite du tolé­rable est fran­chie. L’intéressée n’a pas caché à la presse natio­nale et inter­na­tio­nale qu’aimant « pro­cla­mer sa foi reli­gieuse haut et clair », elle défend des posi­tions conser­va­trices au plan éthique, en s’opposant réso­lu­ment à l’avortement, à l’euthanasie et à l’adoption d’enfants par des couples homo­sexuels (Time, 5 mai 2003). C’est son droit. Gra­duel­le­ment, cepen­dant, elle com­met des déra­pages. Ain­si, vou­lant prou­ver qu’elle reste « fidèle à ses valeurs et à ses convic­tions », elle est, en juin 2006, l’unique membre du Par­le­ment bruxel­lois à s’opposer à une réso­lu­tion ten­dant à ins­tau­rer une jour­née contre l’homophobie : même l’extrême droite ne fait pas preuve d’une telle intran­si­geance. Bien plus, quelques mois plus tard, en vue des élec­tions com­mu­nales de Bruxelles-Ville, F. Mous­saoui dif­fuse un tract dans lequel elle rap­pelle lour­de­ment que « le CDH est contre l’adoption par des couples homo­sexuels »24. Aus­si­tôt, J. Mil­quet exige le retrait de ce tract et sa des­truc­tion (Le Soir, 13 octobre 2006). Tom­bée en dis­grâce, la par­le­men­taire est rétro­gra­dée sur la liste du CDH, pour l’élection au Par­le­ment bruxel­lois de 2009. Elle n’est pas réélue, mais elle conti­nue à figu­rer dans le staff natio­nal du parti.

Liens ambigus avec les pentecôtistes

Les rela­tions du CDH avec l’Église pen­te­cô­tiste La Nou­velle Jéru­sa­lem de l’évêque (bischop) Mar­tin Lukan­da Mutye­bele méritent que l’on s’y inté­resse. Une récente étude scien­ti­fique, éma­nant de l’ULB, fait état d’un « jeu de la récu­pé­ra­tion réci­proque » (Mas­kens et Noret, p. 128) auquel par­ti­ci­pe­raient aus­si, mais à une échelle moindre, le PS et le MR. D’une part, La Nou­velle Jéru­sa­lem, en pleine expan­sion, sur­tout dans les milieux congo­lais, est en quête de légi­ti­mi­té et de recon­nais­sance. C’est pour­quoi elle invite diverses per­son­na­li­tés poli­tiques de haut vol à des évè­ne­ments qu’elle orga­nise, en vue de s’assurer leur bien­veillance et de tirer par­ti, en termes de pres­tige, de ces visites ample­ment média­ti­sées. D’autre part, les figures de proue de cer­tains par­tis « trouvent là une occa­sion pri­vi­lé­giée pour exhi­ber leur soli­da­ri­té avec un grand nombre d’électeurs poten­tiels ». J. Mil­quet ne semble pas s’en pri­ver. En 2003, elle se trouve par­mi les invi­tés de marque à la dou­zième conven­tion de cette Église pro­tes­tante (Le Soir, 4 jan­vier 2007). Le 16 février de la même année, avec deux de ses enfants, elle par­ti­cipe à un culte, adres­sant quelques mots à l’assemblée à la fin de l’office25.

On pour­rait objec­ter : qu’importent de tels liens, s’ils prennent la forme d’un échange de bons pro­cé­dés ? En fait, les orien­ta­tions de La Nou­velle Jéru­sa­lem sont, aux plans reli­gieux et éthique, très conser­va­trices (Mas­kens, p. 49 – 68). Évo­quant notam­ment le cas de cette congré­ga­tion, le pré­sident du Synode de l’Église pro­tes­tante unie de Bel­gique, Guy Liagre, a lan­cé une mise en garde on ne peut plus nette : « Ces Églises eth­niques importent des concep­tions théo­lo­giques et morales contre les­quelles, selon les concep­tions socié­tales actuelles, on serait ten­té de for­mer, comme en poli­tique, un cor­don sani­taire […]. Les prises de posi­tion morales de ces gens, qu’il s’agisse de la famille, la place de la femme, l’avortement, l’homosexualité, sont plu­tôt conser­va­trices, voire d’extrême droite. Pour des rai­sons élec­to­ra­listes, cer­tains par­tis se tournent vers ces groupes et ava­lisent une pen­sée qui va com­plè­te­ment à contre­cou­rant des valeurs qu’ils défendent […]. La Nou­velle Jéru­sa­lem est cau­tion­née par cer­tains res­pon­sables poli­tiques dans le but, peu avouable selon moi, d’attirer les élec­teurs. Les concep­tions de ces com­mu­nau­tés-là ne sont pas celles qu’à mes yeux, un pro­gres­siste ou un huma­niste est prêt à défendre »26.

Sans doute le CDH n’est-il pas le seul inter­lo­cu­teur poli­tique de La Nou­velle Jéru­sa­lem. Il n’en consti­tue pas moins son prin­ci­pal vec­teur d’investissement dans la sphère du pou­voir. Au soir des élec­tions com­mu­nales du 8 octobre 2006, sur son site Web, l’Église pen­te­cô­tiste affiche fiè­re­ment les résul­tats de « ses » membres élus : quatre CDH, une MR et deux figu­rant sur des listes de car­tel, dont une socia­liste (Le Soir, 13 octobre 2006). Peu après, sur le même site, on voit deux élus du CDH — Ber­tin Mam­pa­ka et Lydia Mutye­bele, fille d’évêque — par­ti­ci­per à un office « spé­cial élec­tions », au cours duquel ils remer­cient leurs sup­por­teurs, page qui est promp­te­ment reti­rée par la suite27. Les deux pro­ta­go­nistes réci­divent, cette fois en pré­sence du ministre Cerexhe, après les élec­tions légis­la­tives de juin 2007 : la séquence est tou­jours visible, à l’heure où nous écri­vons ces lignes28. C’est pour­quoi il y a lieu de demeu­rer scep­tique lorsque cette Église se déclare « apo­li­tique », affirme « s’abstenir de lan­cer des consignes de vote » et « n’avoir jamais eu l’intention d’accorder une pré­fé­rence à un can­di­dat ou à un par­ti»[« L’Église La Nou­velle Jéru­sa­lem (Bel­gique) réagit aux cita­tions de Mme Braek­man », 7 octobre 2006.]].

À vrai dire, le CDH semble y trou­ver son compte. Coau­teur d’une enquête sur les inten­tions de vote des jeunes Bruxel­lois issus de l’immigration, Dirk Jacobs, cher­cheur à l’Institut de socio­lo­gie de l’ULB, émet ce constat : « Le CDH est par­ti­cu­liè­re­ment fort au sein de la popu­la­tion d’origine congo­laise. C’est pro­ba­ble­ment en rap­port avec le rôle du par­ti au sein des réseaux pen­te­cô­tistes à Bruxelles »29. Des liens existent aus­si avec d’autres Églises, afri­caines ou non. Une séquence de l’enquête « Le jour de gloire est-il arri­vé ? », réa­li­sée en 2009 par Fré­dé­ric Debor­su pour l’émission Ques­tions à la une, est révé­la­trice à cet égard. On y voit Pierre Migi­sha, can­di­dat CDH aux élec­tions régio­nales et euro­péennes, se rendre au culte dans une paroisse. Durant l’office, il se pré­sente à l’assemblée, remer­ciant « le Frère Gaby et la Sœur Marie » de leur accueil, avant qu’une chan­teuse afri­caine entonne un gos­pel. Lorsque l’on inter­roge l’intéressé sur les retom­bées poten­tielles de cette appa­ri­tion dans un lieu de culte, il répond : « Trente à qua­rante voix, peut-être ? », alors que cent cin­quante per­sonnes consti­tuent l’assistance. Cer­tains sanc­tuaires se mue­raient-ils en tri­bunes élec­to­rales, à un degré qui n’a jamais été atteint, même au XIXe siècle ? Le par­le­men­taire MR Didier Gosuin s’en émeut à juste titre (La Libre Bel­gique, 13 – 14 juin 2009, Le Soir, 20 – 21 juin 2009), mais de manière sélec­tive. Faut-il lui rap­pe­ler que par­mi les invi­tés de marque des assem­blées de La Nou­velle Jéru­sa­lem, on trou­vait, il y a quelques années, Louis Michel, ministre des Affaires étran­gères, Daniel Ducarme, pré­sident du PRL, et Fran­çois-Xavier de Don­néa, ministre-pré­sident de la Région de Bruxelles-Capi­tale ? Rari nantes in gur­gite vas­to… (« De rares nau­fra­gés nageant sur le vaste abime »).

Le retour des cathos ?

À la veille des der­nières élec­tions régio­nales et euro­péennes, un organe de presse très lu dans les milieux catho­liques (La Libre Bel­gique, 31 mai‑1er juin 2009) rap­pelle qu’«il y a des chré­tiens enga­gés au CDH ». Les can­di­dats Céline Fré­mault, André du Bus, Chan­tal Noël et Cathe­rine Roba, sou­te­nus par la dépu­tée fédé­rale Clo­thilde Nys­sens et appuyés dans leur démarche par Ham­za Fas­si-Fih­ri, entendent « redire leurs ins­pi­ra­tions et leurs convic­tions, qui puisent dans le per­son­na­lisme d’Emmanuel Mou­nier ». Dans ce but, ils orga­nisent un débat public au Centre Lumen Vitae, ani­mé par le Père Charles Del­hez, rédac­teur en chef de l’hebdomadaire catho­lique Dimanche. Il ne faut pas voir dans leur ini­tia­tive, disent-ils, « un retour en arrière nos­tal­gique », ni « une remise en cause de la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État ».

Ce débat pas­se­rait inaper­çu s’il n’y avait là qu’un sou­ci — légi­time — « de contri­buer au sein du CDH à arti­cu­ler son his­toire avec l’avenir et d’imaginer les réponses les plus adé­quates à de nom­breuses ques­tions de socié­té », comme les dos­siers de bioé­thique, d’immigration, de loge­ment, de san­té et d’enseignement. Il retient l’attention parce que, selon les orga­ni­sa­teurs eux-mêmes, il s’inscrit dans un double contexte : d’une part, il suit de peu le débat sur la « réso­lu­tion anti-papale », qui dénonce les posi­tions de Benoît XVI sur le pré­ser­va­tif, ini­tiée par le MR et cosi­gnée par le PS ; d’autre part, il est consé­cu­tif à « cer­taines prises de posi­tion du CDH qui ont cho­qué et attris­té de nom­breuses per­sonnes qui par­tagent nos valeurs chré­tiennes ». En termes mesu­rés, la ligne adop­tée par la direc­tion du par­ti est, semble-t-il, mise en question.

Les ini­tia­teurs de l’entreprise se défendent de vou­loir « refaire un par­ti social-chré­tien » et de reven­di­quer « un droit de ten­dance dans la famille huma­niste ». Il n’empêche qu’ils se croient tenus de sor­tir du bois et de reven­di­quer leur appar­te­nance confes­sion­nelle, au sein d’une for­ma­tion au sein de laquelle joue, désor­mais, une cer­taine forme de concur­rence idéo­lo­gique. Peut-on en infé­rer l’existence d’un malaise des « cathos » ? L’hypothèse n’est pas à exclure.

Il n’empêche que la ques­tion rebon­dit : en jetant — vite et vigou­reu­se­ment — ses filets dans d’autres mou­vances confes­sion­nelles, le CDH n’a‑t-il pas ouvert une boite de Pan­dore ? Com­ment conci­lier, en effet, le libé­ra­lisme cultu­rel des uns et le conser­va­tisme cultu­rel des autres, selon la ter­mi­no­lo­gie des poli­to­logues ? En d’autres termes, sur cer­taines ques­tions de socié­té, le par­ti, à force de vou­loir recru­ter tous azi­muts, n’est-il pas en train de faire le grand écart, comme il le fai­sait jadis sur le débat entre la gauche et la droite ? Dans l’agglomération bruxel­loise, en tout cas, le débat ne pour­ra être élu­dé. Sur des matières comme le droit des femmes et des homo­sexuels, peut-on marier l’eau et le feu ?

  1. Les chiffres fluc­tuent en cours de man­da­ture, compte tenu notam­ment du pas­sage de trans­fuges d’un par­ti à un autre. Selon cer­tains auteurs, ils seraient les sui­vants : 38 pour le PS, 32 pour Éco­lo, 13 pour le PRL et le FDF, 4 pour le PSC.
  2. Dont deux ne siègent pas.
  3. Dont un fait dissidence.
  4. Dont un démis­sion­naire en cours de man­dat, en 2008.
  5. Dont un ne siège pas.
  6. On lui reproche une domi­ci­lia­tion fic­tive à Bruxelles-Ville, lors des élec­tions com­mu­nales de 2006, une acti­vi­té par­le­men­taire insuf­fi­sante, ain­si que des prises de posi­tion très homophobes.
  7. P.-Y. Lam­bert, « Les can­di­dats-gad­gets du CDH mul­ti­cul­tu­rel », 9 juillet 2003.
  8. Pour des exemples signi­fi­ca­tifs, voir M. Kok­sal, « Le shop­ping eth­nique du CDH », 24 mai 2003.
  9. Il est le cofon­da­teur du Cercle Ben Gou­rion et de Radio Judaï­ca, ain­si que le rédac­teur en chef du men­suel Contact J.
  10. P.-Y. Lam­bert, « Les can­di­dats-gad­gets…», doc. cit.
  11. Ibid.
  12. N. Lembe, « Inter­view de Lydia Mutye­bele », 28 mai 2007.
  13. « Bishop Hazail Sou­mi : Sei­fo is not a geno­cide, other­wise we would not be alive. Yes, he is wrong », 24 avril 2007.
  14. M. Kok­sal, « Yakup Urun (CDH): “J’ai deman­dé qu’on me retire de la liste”», 11 mai 2009.
  15. M. Kok­sal, « CDH Oyé ! Mam­pa­ka Oyé ! », 4 mai 2003.
  16. M. Kok­sal, « Halis Kök­ten (CDH): “Je démis­sionne si je n’ai pas en plus la 4e sup­pléance”», 27 mars 2009.
  17. M. Kok­sal, « Halis Kök­ten (CDH): “Je n’ai jamais qua­li­fié les can­di­dats maro­cains de cafards”», 8 avril 2009.
  18. Kha­lil Zeguen­di, « Que cache la cabale contre Kök­ten ? », 9 avril 2009.
  19. M. Kok­sal, « 90e anni­ver­saire du géno­cide armé­nien », 25 avril 2005.
  20. V. Lénine, La mala­die infan­tile du com­mu­nisme (le « gau­chisme »), Mos­cou, 1920.
  21. « Evere – CDH : “le plus proche de l’éthique musul­mane”», 16 novembre 2007. 
  22. M. Kok­sal, « Mahi­nur Özde­mir (CDH): “J’enlève mon fou­lard dans la sphère pri­vée”», 22 avril 2009.
  23. M. Kok­sal, « Triple reca­drage anti­fou­lard au CDH », 22 mai 2009.
  24. Ce tract, qui contient des erreurs fac­tuelles, a été repro­duit par P.-Y. Lam­bert, « Bruxelles-Ville — Liste CDH — Fati­ma Mous­saoui », 30 aout 2006.
  25. Voir l’article (avec pho­to) publié dans La Nou­velle Jéru­sa­lem. Maga­zine chré­tien d’information, 3 avril 2003.
  26. P. Dar­te­velle et N. Not­tet, « Rai­son et foi… Une inter­view de Guy Liagre, pré­sident du Synode de l’Église pro­tes­tante unie de Bel­gique », dans Espace de Liber­tés, n° 348, décembre 2006, p. 5 – 6.
  27. F. Gros­filley, « Vote com­mu­nau­taire, bis », 20 octobre 2006.
  28. « Mes­sage de remer­cie­ments de Lydia Mutye­bele après les élec­tions en Bel­gique en juin 2007 », sur le site du « foui­neur de la Répu­blique démo­cra­tique du Congo ».
  29. M. Kok­sal, « Popu­la­ri­té des par­tis chez les jeunes Bruxel­lois », 30 mars 2009.

Paul Wynants


Auteur

Paul Wynants est docteur en histoire, professeur ordinaire à l’Université de Namur et administrateur du Crisp – paul.wynants@unamur.be