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Notre système d’enseignement, une architecture baroque

Numéro 3 Mars 2013 - enseignement par Dominique Grootaers

mars 2013

La trans­for­ma­tion glo­bale du sys­tème actuel passe par la concré­ti­sa­tion des pro­jets péda­go­giques locaux. Les dif­fé­rents pou­voirs orga­ni­sa­teurs sub­si­diés, qu’ils soient confes­sion­nels ou non confes­sion­nels, sont sus­cep­tibles de deve­nir des por­teurs de pro­jets pro­gres­sistes (plu­sieurs d’entre eux ont déjà joué ce rôle dans le pas­sé). Encore faut-il qu’ils acceptent de se lais­ser inter­pe­ler par les orien­ta­tions contrai­gnantes d’une réforme glo­bale visant plus de jus­tice et d’égalité…

La loi dite du Pacte sco­laire du 29 mai 1959 orga­nise la répar­ti­tion des écoles en quatre réseaux et sti­pule les condi­tions de sub­ven­tion­ne­ment par l’État de trois d’entre eux. C’est en ver­tu de ces nou­velles dis­po­si­tions légales que l’enseignement secon­daire libre se voit sub­ven­tion­ner au même titre que l’était déjà l’enseignement primaire.

Trois des quatre réseaux sont orga­ni­sés par les pou­voirs publics et consti­tuent à ce titre l’enseignement offi­ciel. Mais, para­doxe du sys­tème sco­laire belge, l’État n’exerce un contrôle total et direct que sur un seul des quatre réseaux qui, ensemble, assurent le ser­vice public d’enseignement. His­to­ri­que­ment et encore aujourd’hui, au sein de l’enseignement offi­ciel, le réseau de l’État (de la Com­mu­nau­té) est mino­ri­taire non seule­ment glo­ba­le­ment, mais aus­si à cha­cun des niveaux d’enseignement, à la seule excep­tion de l’enseignement secon­daire géné­ral. En effet, la popu­la­tion sco­laire totale du fon­da­men­tal et du secon­daire se répar­tit de la façon sui­vante : la moi­tié dans le libre et l’autre moi­tié dans l’officiel. À l’intérieur de ce der­nier, les écoles de la Com­mu­nau­té ne concernent que trois élèves sur dix tan­dis que les pro­vinces et les com­munes en sco­la­risent sept sur dix1.

« Autonomie subsidiée » plutôt que « liberté subsidiée »

Selon nous, au regard de l’histoire poli­tique belge et des énon­cés pré­cis de la loi en ques­tion, le Pacte sco­laire donne forme non seule­ment à la « liber­té sub­si­diée », mais plus lar­ge­ment à l’«autonomie sub­si­diée ». Expliquons-nous.

Le pre­mier axe qui divise en deux les pou­voirs orga­ni­sa­teurs de l’enseignement est basé sur leur carac­tère « confes­sion­nel » ou « non confes­sion­nel ». C’est cette divi­sion qui est la prin­ci­pale jus­ti­fi­ca­tion de la liber­té de choix des parents. Le second axe qui dépar­tage de manière binaire les pou­voirs orga­ni­sa­teurs de l’enseignement cor­res­pond à leur carac­tère « offi­ciel » ou « libre2 ».

Faute de faire jouer ensemble ces deux axes de par­ti­tion qui donnent forme léga­le­ment à la liber­té orga­ni­sa­tion­nelle de l’enseignement en Bel­gique, le risque est d’assimiler ensei­gne­ment offi­ciel et carac­tère non confes­sion­nel, d’une part, et ensei­gne­ment libre et ensei­gne­ment confes­sion­nel, d’autre part. L’association des termes « liber­té sub­si­diée », telle qu’elle est com­prise par les acteurs poli­tiques des deux « guerres sco­laires » qui uti­lisent cette expres­sion en se réfé­rant au sub­ven­tion­ne­ment des écoles catho­liques, pousse à une autre sim­pli­fi­ca­tion réduc­trice : celle qui assi­mile ensei­gne­ment libre et ensei­gne­ment sub­ven­tion­né, d’une part, et ensei­gne­ment offi­ciel et ensei­gne­ment de l’État, d’autre part. D’entrée de jeu, nous avons mis en évi­dence une par­ti­cu­la­ri­té du sys­tème sco­laire belge qui se carac­té­rise par un ensei­gne­ment public orga­ni­sé d’abord et sur­tout par les pou­voirs locaux. Autre réa­li­té éton­nante, cet ensei­gne­ment public orga­ni­sé à l’échelon local est sub­ven­tion­né par l’État qua­si aux mêmes condi­tions que l’enseignement libre que les textes légaux anté­rieurs qua­li­fiaient d’«enseignement orga­ni­sé par des particuliers » !

La com­plexi­té du pay­sage de l’offre d’enseignement prise en charge indi­rec­te­ment par l’État (puis la Com­mu­nau­té, requa­li­fiée tout récem­ment en Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles — FWB) est donc grande chez nous. Quant au ver­sant de l’enseignement orga­ni­sé direc­te­ment par l’État / la FWB, qui répond à d’autres carac­té­ris­tiques de fonc­tion­ne­ment, nous le lais­sons volon­tai­re­ment de côté dans ce bref article. Disons seule­ment que le pro­jet de délé­guer son orga­ni­sa­tion à une ins­tance (une sorte de pou­voir orga­ni­sa­teur cen­tral) indé­pen­dante du minis­tère de l’Enseignement abou­ti­rait, d’une cer­taine manière, à rendre son fonc­tion­ne­ment com­pa­rable à celui de cer­tains pou­voirs orga­ni­sa­teurs offi­ciels sub­ven­tion­nés tou­chant une popu­la­tion d’élèves importante.

Un bain de culture politique libérale

C’est en sui­vant ce rai­son­ne­ment que nous pro­po­sons de regrou­per tous les pou­voirs orga­ni­sa­teurs qui sont recon­nus et sub­ven­tion­nés par l’État (et ne coïn­cident donc pas avec un ensei­gne­ment public au sens habi­tuel, c’est-à-dire orga­ni­sé en droite ligne par le pou­voir public cen­tral) sous le label de l’«autonomie sub­si­diée » plu­tôt que sous celui de la « liber­té sub­si­diée ». Ce der­nier terme, his­to­ri­que­ment lié à l’enjeu poli­tique de l’octroi de sub­sides à l’enseignement catho­lique, entre­tient l’amalgame signa­lé plus haut.

La culture poli­tique libé­rale de la Bel­gique aux ori­gines du pays, en 1830, explique non seule­ment le droit consti­tu­tion­nel de la liber­té d’enseignement (et du libre choix des parents pour des motifs convic­tion­nels), mais aus­si la légi­ti­mi­té impor­tante accor­dée à l’autonomie des pou­voirs locaux et au sou­ci d’échapper à la tutelle d’un État cen­tra­li­sé. Cette méfiance à l’égard du pou­voir public cen­tral éclaire l’importance du sous-régio­na­lisme qui carac­té­rise le sud et, dans une moindre mesure sans doute, le nord du pays (une ten­dance contraire au cou­rant natio­na­liste). Elle trouve ses racines dans le ter­reau his­to­rique des occu­pa­tions suc­ces­sives du ter­ri­toire par des régimes met­tant en avant le modèle de l’État cen­tra­li­sa­teur, durant la période pré­cé­dant immé­dia­te­ment la créa­tion de la Belgique.

Les tra­duc­tions légis­la­tives suc­ces­sives, jusqu’à aujourd’hui, du prin­cipe consti­tu­tion­nel de la liber­té d’enseignement appa­raissent indis­so­ciables du bain de culture poli­tique que nous venons d’évoquer. Ain­si s’éclairent la grande diver­si­té des acteurs ins­ti­tu­tion­nels dans le pay­sage sco­laire belge et leur pro­pen­sion à défendre farou­che­ment leur marge d’indépendance vis-à-vis de l’instance poli­tique cen­trale, que celle-ci cor­res­ponde à l’État belge ou à la FWB. Cet enra­ci­ne­ment pro­fond est sans doute aus­si l’une des prin­ci­pales causes du carac­tère appa­rem­ment inébran­lable de l’architecture des réseaux dont découle en grande par­tie l’immobilisme du sys­tème sco­laire fran­co­phone3.

L’impact de l’autonomie sub­si­diée du sys­tème d’enseignement se voit en outre ren­for­cé par des causes ins­crites dans l’actualité. Le sys­tème de qua­si-mar­ché dans lequel les moyens accor­dés par l’État / la FWB aux écoles sub­si­diées sont liés au nombre d’élèves ins­crits octroie, dans les faits, une place déci­sive aux parents-consom­ma­teurs d’école, confor­mé­ment à un modèle libé­ral de ren­contre entre des offres péda­go­giques dif­fé­ren­ciées selon les éta­blis­se­ments et des demandes indi­vi­duelles de parents cen­sés être les plus habi­li­tés à défi­nir le bien de leur pro­gé­ni­ture, offres et demandes aujourd’hui en grande par­tie déta­chées de toute réfé­rence à la dimen­sion (non) confes­sion­nelle des réseaux.

La luci­di­té nous fait dou­ter de la pos­si­bi­li­té, à brève échéance, de redes­si­ner com­plè­te­ment l’architecture des réseaux du sys­tème sco­laire, condi­tion selon nous pour mener une réforme glo­bale dans une optique de plus grande équi­té. Elle nous conduit dès lors à envi­sa­ger l’impulsion d’un chan­ge­ment en pro­fon­deur qui parte des ini­tia­tives « auto­nomes » d’enseignement. À la fin de l’article, nous ver­rons com­ment nous élar­gis­sons le sens don­né à l’expression « auto­no­mie sub­si­diée » une fois que nous l’inscrivons dans une vision prospective.

Dynamisme et indépendance des pouvoirs organisateurs publics locaux

Au-delà de la struc­ture for­melle des réseaux, cette culture de l’autonomie, appuyée sur le cri­tère confes­sion­nel-non confes­sion­nel tout autant que sur le cri­tère local-cen­tral, nous aide à iden­ti­fier une série d’acteurs concrets qui, non seule­ment sont des pou­voirs orga­ni­sa­teurs en pra­tique et dans le court terme, mais appa­raissent aus­si comme des por­teurs de pro­jets à une échelle his­to­rique plus longue.

Ain­si, dès la fin du XIXe siècle, cer­tains pou­voirs offi­ciels pro­vin­ciaux (Liège, Hai­naut, Anvers) se révèlent comme par­ti­cu­liè­re­ment actifs et pion­niers dans le domaine de l’enseignement tech­nique et pro­fes­sion­nel. Les deux pro­vinces des régions wal­lonnes indus­trielles ont consti­tué des sortes d’État dans l’État, ne se conten­tant pas d’inventer, d’organiser et de finan­cer leur propre modèle d’enseignement tech­nique, mais sou­te­nant en outre par leurs sub­sides les ini­tia­tives des com­munes sur leur ter­ri­toire. La Ville de Bruxelles, a joué un rôle de por­teur de pro­jets ori­gi­naux, par exemple en déve­lop­pant un ensei­gne­ment moyen supé­rieur fémi­nin avant les autres (1864). La com­mune de Saint-Gilles, de son côté, fut la pre­mière à mettre sur pied une école pri­maire supé­rieure au tout début du XXe siècle.

Jusqu’à la Seconde Guerre et donc, jusqu’à la période qui a sus­ci­té le Pacte sco­laire, cer­tains pou­voirs orga­ni­sa­teurs com­mu­naux et pro­vin­ciaux ont ain­si joué un rôle de pion­nier et d’aiguillon de l’État, en anti­ci­pant plu­sieurs réformes et légis­la­tions déci­dées par le gou­ver­ne­ment natio­nal : la loi van Hum­beeck de 1879 réfor­mant l’instruction pri­maire, la loi de l’instruction obli­ga­toire de 1914, les cir­cu­laires minis­té­rielles orga­ni­sant l’enseignement tech­nique de 1933, le « Plan d’études » pour les écoles pri­maires offi­cielles de 1936,etc.

Les rap­ports entre les ini­tia­tives pri­vées laïques, les auto­ri­tés publiques locales et l’État cen­tral sont his­to­ri­que­ment com­plexes. De 1870 à 1878, le mou­ve­ment libé­ral radi­cal prô­nant à la fois la laï­ci­té et la réforme péda­go­gique, ras­sem­blé autour du pro­jet de « L’instruction du peuple » et de La Ligue de l’enseignement, fut à l’origine de la créa­tion, en 1872, de l’École modèle (un ensei­gne­ment pri­maire « orga­ni­sé par des par­ti­cu­liers » et finan­cé par le denier des écoles et par les parents). Ce mou­ve­ment a ensuite été relayé par plu­sieurs pou­voirs com­mu­naux bruxel­lois, avant d’inspirer direc­te­ment l’action du pre­mier minis­tère de l’Instruction publique et les lois Van Hum­beeck de 1879. D’après l’historien Jacques Lory, lors du retour des catho­liques au gou­ver­ne­ment, de 1884 à 1914, ce sont encore des pou­voirs com­mu­naux libé­raux qui, en conti­nuant à appli­quer les méthodes et les pro­grammes nou­veaux, contri­bue­ront à les sau­ver et à pas­ser le relai jusqu’à ce que les réformes de l’enseignement pri­maire de l’entre-deux-guerres les conso­lident défi­ni­ti­ve­ment. Selon Jacques Lory, « nous en vivons tou­jours4 ».

Une dyna­mique ana­logue d’autonomie per­sé­vé­rante s’observe dans le pro­jet d’enseignement tech­nique pro­mu par les pro­vinces des régions indus­trielles, jusqu’à abou­tir, fina­le­ment, aux mesures légis­la­tives prises pen­dant l’entre-deux-guerres en vue de don­ner une pre­mière cohé­rence d’ensemble à ce type ori­gi­nal d’enseignement secon­daire et supérieur.

Plus près de nous, au moment où les poli­tiques sco­laires natio­nales mettent en place la réforme de l’enseignement secon­daire réno­vé (1971), l’enseignement com­mu­nal de la Ville de Bruxelles, tout comme les ensei­gne­ments tech­niques pro­vin­ciaux de Liège et de Hai­naut, ont cher­ché à se démar­quer des déci­sions du minis­tère, pour­tant aux mains d’un ministre laïque. La résis­tance au réno­vé ne se situait donc pas seule­ment dans le camp de l’enseignement libre. En défen­dant leur pro­jet propre, ces pou­voirs publics locaux se sont cette fois ins­crits en réac­tion et en oppo­si­tion à une grande réforme pro­gres­siste enta­mée par l’État.

Dans l’actualité bru­lante, un phé­no­mène sem­blable semble s’observer aujourd’hui, pour l’enseignement supé­rieur. Les pro­jets de réforme du ministre Mar­court se heurtent à l’opposition expri­mée, non seule­ment par des acteurs de l’enseignement catho­lique, mais aus­si par des repré­sen­tants du Mou­ve­ment réfor­ma­teur qui, dans la plus pure tra­di­tion libé­rale, reven­diquent la « liber­té d’association » et s’insurgent contre « le “diri­gisme” du gou­ver­ne­ment5 ».

Dynamisme et indépendance des pouvoirs organisateurs de l’enseignement catholique

Face à la diver­si­té du réseau de l’enseignement offi­ciel sub­ven­tion­né dont les acteurs ins­ti­tu­tion­nels mettent en œuvre des pro­jets péda­go­giques en par­tie auto­nomes, l’enseignement catho­lique n’est pas en reste : lui non plus ne consti­tue pas un réseau mono­bloc, même si la Fédé­ra­tion de l’enseignement catho­lique a cher­ché, de longue date, à créer un pou­voir cen­tra­li­sé s’érigeant face au pou­voir de l’État (dès 1911, pour l’enseignement mater­nel et primaire).

En réa­li­té, la culture de l’autonomie est pré­sente à l’intérieur même de l’enseignement catho­lique. Ain­si, à côté des pou­voirs orga­ni­sa­teurs dio­cé­sains cha­peau­tés direc­te­ment par l’autorité hié­rar­chique de l’Église, de mul­tiples congré­ga­tions ont déve­lop­pé leur propre réseau d’écoles, avec des spé­ci­fi­ci­tés péda­go­giques affir­mées et reven­di­quées. Ain­si en est-il des jésuites qui ont mis en place leur propre sys­tème d’inspection pour leur réseau de col­lèges. Les frères des écoles chré­tiennes ont pro­mu un nou­veau modèle d’humanités modernes basées sur l’enseignement du fran­çais (qui se sub­sti­tue au latin pour la for­ma­tion géné­rale), un modèle qui ne cor­res­pond pas à celui de l’État (pri­vi­lé­giant les cours com­mer­ciaux). Ils ont aus­si créé le réseau des écoles d’art et d’architecture Saint-Luc. Les aumô­niers du tra­vail ont inven­té l’enseignement indus­triel de jour. Du côté des filles, les sœurs de Saint-Vincent de Paul ont joué un rôle pion­nier dans le déve­lop­pe­ment de l’enseignement pro­fes­sion­nel fémi­nin s’adressant à la « jeune fille dis­tin­guée », etc.

L’analyse de la loi, sa tra­duc­tion concrète dans le pay­sage orga­ni­sa­tion­nel belge et la série d’exemples choi­sis nous per­mettent de sou­li­gner le carac­tère auto­nome (et sub­si­dié) de la majo­ri­té des pou­voirs orga­ni­sa­teurs de notre sys­tème d’enseignement, dont cer­tains se reven­diquent d’une tra­di­tion d’autonomie poli­tique locale tan­dis que d’autres se jus­ti­fient par l’affirmation d’une spé­ci­fi­ci­té de type confes­sion­nelle, le tout pre­nant des cou­leurs et des formes variées.

Réformer un système aussi baroque ?

Si nous nous pré­oc­cu­pons de l’avenir de l’enseignement, comme le pro­pose Mathias El Berhou­mi dans son article, la ques­tion devient alors : com­ment mener une poli­tique com­mu­nau­taire visant plus de jus­tice et moins d’inégalité et com­ment trans­for­mer en pro­fon­deur un sys­tème d’enseignement aus­si baroque que le nôtre, qui valo­rise l’autonomie, sub­ven­tionne celle-ci et lui octroie en quelque sorte un sta­tut de ser­vice public.

Nous sous­cri­vons aux pro­pos de M. El Berhou­mi lorsqu’il sug­gère de prendre comme point de départ du pro­jet de réforme l’affirmation de prin­cipes posi­tifs, com­muns à tous les types d’enseignement, qui consti­tue­raient les fon­de­ments de la phi­lo­so­phie poli­tique orien­tant l’ensemble du sys­tème conçu comme un ser­vice public.

Nous refor­mu­lons à notre façon ces prin­cipes en trois pro­po­si­tions. La pre­mière, le droit à l’instruction que nous pré­ci­sons sous la forme de l’obligation de moyens à mettre en œuvre par le sys­tème d’enseignement pour atteindre les objec­tifs défi­nis par la loi (les compétences).

Ensuite, le prin­cipe de neu­tra­li­té qui se tra­duit en l’application de l’esprit cri­tique et de la rai­son comme règles intel­lec­tuelles de base de tout l’enseignement. Et enfin, le prin­cipe de plu­ra­lisme qui est conçu à la fois comme un plu­ra­lisme de convic­tions et comme un plu­ra­lisme social et qui implique donc que se côtoient, sur les mêmes bancs, des jeunes d’origines cultu­relles et socioé­co­no­miques hétérogènes.

Une fois ces prin­cipes adop­tés, com­ment pro­cé­der alors face à un sys­tème mar­qué par l’autonomie d’organisation et la liber­té de choix des parents, face à un sys­tème qui est sus­cep­tible certes de créer du dyna­misme, mais aus­si d’être un fac­teur d’inégalités sociales et une source d’inertie, voire de résis­tance ins­ti­tu­tion­nelle à toute trans­for­ma­tion d’ensemble du sys­tème ? Com­ment pro­cé­der pour que les poli­tiques vou­lues par l’État / la FWB dans la pour­suite des prin­cipes énon­cés plus haut puissent prendre appui sur la diver­si­té et la com­plexi­té du sys­tème baroque héri­té du passé ?

Des pistes à poursuivre

Il nous semble que l’opération devrait com­prendre plu­sieurs étapes. Une pre­mière étape indis­pen­sable serait de faire un tra­vail de phi­lo­so­phie poli­tique plus pous­sé qui tra­dui­rait en cri­tères et moda­li­tés concrètes d’application les trois prin­cipes de base ins­pi­rant le pro­jet de réforme glo­bal por­té par la FWB. Cette opé­ra­tion ne peut se faire en chambre ou sur le papier. Elle néces­site de mener des débats avec tous les acteurs concer­nés, qui se situent aux dif­fé­rents niveaux de la socié­té’’ Le livre de Fr. Til­man et D. Groo­taers, La muta­tion de l’enseignement secon­daire. Ques­tions de sens. Pro­po­si­tions d’action, Cou­leur Livres, 2011, pro­pose des maté­riaux pour nour­rir de tels débats.]]. Qu’on nous com­prenne bien cepen­dant : selon nous, il n’est pas oppor­tun que les acteurs de la socié­té civile (y com­pris les parents) se mêlent de l’organisation sco­laire concrète !

Paral­lè­le­ment, on pour­rait repé­rer les pro­jets actuels por­tés par cer­tains pou­voirs orga­ni­sa­teurs dyna­miques, prin­ci­paux moteurs des poli­tiques sco­laires sur le plan local. Il serait éclai­rant de relier leurs pro­jets à leur tra­di­tion péda­go­gique, qui consti­tue leur « culture » de pou­voir organisateur.

Pour que la FWB puisse déci­der alors de sou­te­nir ces pro­jets (et les poli­tiques sco­laires locales qui en découlent), il est néces­saire de les confron­ter aux cri­tères et aux moda­li­tés d’application des trois prin­cipes de la réforme. La déci­sion de ce sou­tien est sans doute le prin­ci­pal levier du pou­voir cen­tral pour réa­li­ser son pro­jet de réforme. En retour, un effet d’entrainement pour­rait se créer entre les dyna­miques sco­laires décen­tra­li­sées s’inscrivant dans le cou­rant de la réforme.

Il reste encore une autre piste à inves­ti­guer, hors des sen­tiers bat­tus. Des acteurs de la socié­té civile pour­raient éla­bo­rer des pro­jets péda­go­giques en phase avec les prin­cipes et les cri­tères de la réforme glo­bale, pro­jets qu’ils pro­po­se­raient ensuite à cer­tains pou­voirs orga­ni­sa­teurs, en fai­sant réfé­rence à la tra­di­tion péda­go­gique ori­gi­nale de ces der­niers. Dans cette ligne, citons l’initiative d’un col­lec­tif créé sous l’impulsion du délé­gué aux Droits de l’enfant et de la Ligue des droits de l’enfant. Le col­lec­tif tra­vaille à l’élaboration du pro­jet opé­ra­tion­nel d’une « École pour tous », ins­pi­ré du cou­rant de l’Éducation nou­velle et ins­crit dans une visée sociale. Le col­lec­tif asso­cie à cette réflexion des per­sonnes appar­te­nant à diverses orga­ni­sa­tions pro­gres­sistes comme le mou­ve­ment Frei­net, la CGÉ, le Grain, des ensei­gnants des Hautes Écoles péda­go­giques, ain­si que des pra­ti­ciens appli­quant déjà une péda­go­gie active dans leur classe, à dif­fé­rents niveaux du sys­tème sco­laire. Le pro­jet pour­rait inté­res­ser des pou­voirs orga­ni­sa­teurs com­mu­naux bruxel­lois. Ceux-ci, confron­tés à la pres­sion démo­gra­phique, seraient sus­cep­tibles de le mettre en œuvre dans les nou­velles écoles à créer.

Reste aus­si à défi­nir plus rigou­reu­se­ment cha­cune des deux faces de l’«autonomie sub­si­diée » confor­mé­ment à cette nou­velle pers­pec­tive. Il s’agit de des­si­ner un modèle qui puisse com­bi­ner le rôle déci­sif du pou­voir public cen­tral dans la défi­ni­tion de fina­li­tés sociales et de buts péda­go­giques de l’enseignement obli­ga­toire et dans le pilo­tage du sys­tème par rap­port à ces buts (ce que nous pro­po­sons d’appeler la face de « l’autonomie ins­ti­tuée ») avec le poten­tiel de créa­ti­vi­té concré­ti­sé dans des pro­jets inno­vants por­tés par des pou­voirs orga­ni­sa­teurs sub­si­diés (ce que nous pour­rions appe­ler la face de « l’autonomie ins­ti­tuante »)6. L’espoir est que ces deux auto­no­mies, en ten­sion, se nour­ri­raient l’une de l’autre et favo­ri­se­raient la dyna­mique de réforme…

  1. Voir Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, Les indi­ca­teurs de l’enseignement 2012, p.77. Dans l’enseignement supé­rieur non uni­ver­si­taire, on retrouve la répar­ti­tion des élèves en deux parts qua­si égales entre l’enseignement libre et l’enseignement offi­ciel au sein duquel envi­ron 42% fré­quentent un éta­blis­se­ment de la Com­mu­nau­té et 58% un éta­blis­se­ment pro­vin­cial ou com­mu­nal (selon Etnic, Sta­tis­tiques rapides : plein exer­cice, 2007 – 2008).
  2. Selon la loi issue du Pacte sco­laire, l’enseignement offi­ciel est orga­ni­sé par l’État, les pro­vinces et les com­munes et « toute per­sonne de droit public ». La défi­ni­tion des écoles libres dans ce même texte est « les écoles qui ne sont pas officielles ».
  3. Cet immo­bi­lisme semble se véri­fier aus­si du côté néer­lan­do­phone. Pro­mo­teur d’un pro­jet de réforme d’envergure de l’enseignement secon­daire, le ministre de l’Enseignement P. Smet (SP.A) s’est vu désa­voué dans en novembre der­nier par son par­te­naire du gou­ver­ne­ment fla­mand K. Pee­ters (CD&V), avant même d’avoir pu sou­mettre son pro­jet au débat par­le­men­taire, http://vlaanderen.mediargus.be/.
  4. J. Lory, Libé­ra­lisme et ins­truc­tion pri­maire. 1842 – 1879. Intro­duc­tion à l’étude de la lutte sco­laire en Bel­gique, 1979, p.573 – 576 et p.806 – 807.
  5. Inter­view de Fran­çoise Ber­tieaux (MR), chef de file de l’opposition au Par­le­ment de la Com­mu­nau­té, La Libre Bel­gique des 15 et 16 décembre 2012, p.6.
  6. La dis­tinc­tion entre « ins­ti­tué » et « ins­ti­tuant » issue de l’analyse ins­ti­tu­tion­nelle peut être rap­pro­chée de celle entre « sys­tème de pro­duc­tion » et « ins­ti­tu­tion » pro­po­sée par Chr. Maroy dans son article « L’école comme sys­tème de pro­duc­tion. Impasses et voie de dépas­se­ment », La Revue nou­velle, mai-juin 2010, p. 62 – 64.

Dominique Grootaers


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