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Mondialisation et développement : les leçons latino-américaines
Les stratégies alternatives d’intégration au marché mondial — renforcement de l’intégration régionale et de la coopération Sud-Sud — couplées à des politiques sociales, mises en place surtout par les gouvernements de gauche, ont permis de réduire la pauvreté, même si la région reste l’une des plus inégalitaires du monde. Les économies latino-américaines restent très dépendantes des exportations de matières premières alors qu’elles importent l’essentiel des biens manufacturés, le tissu industriel restant encore trop faible.

Alors que les économies latino-américaines avaient été marquées par la crise de la dette et la « décennie perdue » des années 1980, puis par les crises financières des années 1990, ponctuées par la cessation de paiement de l’Argentine en décembre 2001, elles ont bénéficié d’un nouveau régime de croissance au cours des années 2000, sur fond de « virage à gauche » dans plusieurs pays, d’initiatives d’intégration régionale et de renforcement de la coopération Sud-Sud.
Les besoins de financements extérieurs dus au service de la dette extérieure et au déficit commercial avaient contraint nombre de pays latino-américains à attirer les capitaux privés internationaux par des taux d’intérêt élevés et des politiques de libéralisation commerciale et financière, provoquant de profondes crises économiques et financières. Toutefois, cette contrainte a progressivement diminué au cours des années 2000 : la hausse des cours des matières premières exportées a contribué à desserrer la contrainte externe et la réduction de la pauvreté et des inégalités a contribué à dynamiser le marché intérieur, tandis que la plupart des pays ont réussi à accumuler des réserves de change grâce à des excédents commerciaux (Argentine, Chili, Brésil, pays andins), à des entrées d’investissements directs étrangers (Brésil, Mexique, Chili) ou à des transferts de migrants (Mexique, pays d’Amérique centrale).
Ainsi, malgré des vulnérabilités et des problèmes persistants, les économies latino-américaines ont bénéficié d’une certaine embellie qui leur a permis de mieux se prémunir contre l’instabilité financière internationale et de mettre en œuvre des politiques sociales (Salama, 2012). Cet article a pour but d’analyser l’impact des stratégies alternatives d’intégration au marché mondial — par le biais du renforcement de l’intégration régionale et de la coopération Sud-Sud — et des politiques sociales sur les performances économiques et sociales en Amérique latine, afin d’identifier les forces et les faiblesses de ces stratégies et de définir leur degré d’efficacité en termes de développement.
L’intégration régionale, alternative à la zone de libre-échange des Amériques
La question de l’intégration régionale latino-américaine et de son articulation avec les États-Unis est aussi ancienne que les indépendances des pays d’Amérique latine au début du XIXe siècle. Ainsi, Bolivar proclama dès 1826 une « confédération perpétuelle », toutefois jamais concrétisée entre la Grande Colombie (Colombie, Venezuela, Équateur et Panama actuels), le Mexique, le Pérou, le Chili et l’Argentine. Il s’ensuivit des décennies de divisions et de guerres intestines, contribuant à l’hégémonie des États-Unis dans l’hémisphère occidental et débouchant en 1948 sur la création de l’Organisation des États américains (OEA), dont le siège fut installé à Washington.
Toutefois, les demandes latino-américaines pour un engagement des États-Unis en faveur d’une intégration économique restant lettres mortes, des accords d’intégration latino-américaine virent le jour dans les années 1950 et 1960, sous l’impulsion de la Cepal (la Commission des Nations unies pour l’Amérique latine). Notamment, le traité de Montevideo établit en 1961 l’Association latino-américaine de libre-échange (ALALC) entre l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Mexique, le Paraguay, le Pérou et l’Uruguay, rejoints plus tard par la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Paraguay et le Venezuela. L’originalité de cet accord était que les pays étaient divisés en trois catégories en fonction de leur poids économique, mais les tensions croissantes entre les logiques libre-échangiste et protectionniste, et entre les différents types de pays aboutirent en 1980 à un projet moins ambitieux (l’Association latino-américaine de développement industriel). Jusqu’à ce que le Groupe de Rio, fondé en 1986 en réaction à l’interventionnisme croissant des États-Unis en Amérique latine, ne débouche en 1991 sur la création du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), tandis que le Mexique créait en 1994 l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) avec les États-Unis et le Canada, et que le sommet de Miami s’accordait la même année pour établir à l’horizon 2005 une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) allant de l’Alaska à la Terre de Feu (Sberro, 2001).
Évolution du commerce Sud-Sud intra-régional par région (1970 – 2007)
[/Source : Cnuced (2007)/]
Alors que deux projets d’intégration régionale se faisaient concurrence — l’un dominé par le Brésil à l’échelle sous-régionale, l’autre par les États-Unis à l’échelle continentale —, le Brésil joua sous la présidence de Lula un rôle de premier plan en vue de développer un espace régional le plus large possible à l’échelle latino-américaine, fondé sur une approche intergouvernementale directement animée par les chefs d’État. La création, en mai 2008, de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), incluant les pays du Mercosur et de la Communauté andine des nations (CAN), ainsi que plusieurs autres pays comme le Chili, le Suriname et la Guyane, représenta ainsi l’aboutissement d’une stratégie entamée dès les années 1990 par la diplomatie brésilienne, en vue de contrecarrer le projet de zone de libre-échange des Amériques qui aurait minorisé le rôle du Brésil vis-à-vis des États-Unis. À contrario, l’Unasur, qui vise non seulement l’intégration économique, mais aussi institutionnelle, monétaire, énergétique et sécuritaire, permet aux pays latino-américains de disposer d’un cadre régional où ils peuvent accroitre leurs marges de manœuvre pour mettre en œuvre des stratégies de développement plus autonomes dans le contexte de la globalisation.
Toutefois, le processus d’intégration régionale latino-américaine a continué de subir des tensions entre ses pôles idéologiquement opposés : l’Alliance bolivarienne pour les peuples d’Amérique (Alba), créée en 2005 par le Venezuela et Cuba qui ont été ensuite rejoints par une demi-douzaine d’autres pays, et l’Alliance du Pacifique, créée en 2011 par le Pérou, la Colombie, le Mexique et le Chili. Ainsi, bien que le Brésil ait réussi à minoriser le rôle des États-Unis et à créer une alternative au projet de Zone de libre-échange des Amériques, l’intégration latino-américaine reste un processus fragile et traversé par des tensions contradictoires.
Il en résulte que, malgré un effet positif des processus d’intégration régionale sur la part des échanges commerciaux régionaux dans le commerce total des pays d’Amérique latine, cet effet est resté modéré : en dépit d’une augmentation constante depuis la fin des années 1980, le commerce entre pays latino-américains représente toujours moins de 30 % du commerce total de la région. C’est certes nettement mieux que l’Afrique, dont plus de 90 % des échanges commerciaux s’opèrent avec le reste du monde, mais nettement moins bien que l’Asie de l’Est et du Sud-Est, dont près de la moitié des échanges commerciaux s’opèrent entre les pays de la région (UNCTAD, 2007). Ainsi, plus de 70 % des échanges commerciaux de l’Amérique latine s’opèrent avec le reste du monde, ce qui témoigne d’un degré d’intégration régional limité, qui s’explique notamment par le fait que les exportations latino-américaines concernent majoritairement des exportations de matières premières vers les pays industrialisés et, de plus en plus, vers la Chine et les pays émergents d’Asie.
La coopération Sud-Sud : de nouvelles marges de manœuvre et de nouvelles contraintes
Le Brésil n’a pas seulement été actif en matière d’intégration régionale ; il l’a aussi été en matière de coopération Sud-Sud. Dès 2003, il a créé la « Trilatérale Ibsa1 » avec l’Inde et l’Afrique du Sud, avant de participer en juin 2009 au premier sommet des « Bric » avec la Russie, l’Inde et la Chine — qui se sont élargis en 2011 à l’Afrique du Sud pour former le groupe des « Brics » (« S » pour South Africa). Plus largement, l’Amérique latine a fortement augmenté ses échanges avec les autres pays en développement, et plus particulièrement avec l’Asie émergente et surtout la Chine : entre 2000 et 2012, le commerce entre la Chine et l’Amérique latine a été multiplié par vingt-deux.
Si les échanges Sud-Sud ont permis à l’Amérique latine de s’octroyer de nouvelles marges de manœuvre, ils ont aussi impliqué de nouvelles contraintes. D’une part, les pays latino-américains ont accru les exportations de matières premières vers l’Asie émergente et ont de ce fait amélioré sensiblement le solde de leur balance commerciale grâce à la hausse des prix des produits agricoles, miniers et pétroliers. Les échanges Sud-Sud entre l’Amérique latine et l’Asie ont donc permis de lever la contrainte externe qui pesait sur les modèles de développement latino-américains et ont accru leur marge d’action pour mettre en œuvre des stratégies de développement dans un contexte de prix élevés des matières premières (Salama, 2012).
Le corolaire de cette évolution a toutefois été le fait que les économies latino-américaines se sont « reprimarisées » : 75 % des exportations latino-américaines de marchandises représentaient des matières premières en 2010 (UNCTAD, 2012). L’Amérique latine concentre ainsi près du tiers des exportations mondiales de céréales, plus de la moitié des exportations mondiales de soja, plus de 40 % des exportations mondiales de viande bovine et de volailles. La seule différence notable avec l’ancienne spécialisation concerne le fait que les exportations agricoles, minières et pétrolières latino-américaines se sont effectuées avec des technologies de plus en plus sophistiquées. Il en résulte que le commerce Sud-Sud entre l’Amérique latine et l’Asie émergente a produit de nouvelles contraintes en faisant de la dépendance des exportations latino-américaines vis-à-vis de la Chine et des autres pays émergents d’Asie « un facteur de fragilité de leur balance commerciale » (Salama, 2012).
C’est notamment le cas du Brésil (dont les exportations vers la Chine sont passées de 2,2 % à 13,2 % du PIB entre 2000 et 2009), du Chili (de 5 % à 23,2 %) et de l’Argentine (de 3 % à 6,6 %) qui ont exporté de plus en plus de matières premières vers la Chine (Salama, 2012). Le cas du Mexique est différent, du fait de son mode d’intégration spécifique au sein de l’Alena qui implique une spécialisation dans l’assemblage des biens industriels des États-Unis — notamment avec les maquiladoras2 — qui entre directement en concurrence avec le statut d’« atelier du monde » acquis par la Chine : les exportations mexicaines vers la Chine ne représentaient ainsi que 1 % de son PIB en 2009, mais les importations chinoises en représentaient par contre 13,9 %, illustrant le rôle central joué par la Chine dans le cadre des chaines internationales d’assemblage industriel. Plus globalement, si on prend en compte la part des exportations latino-américaines de produits primaires vers la Chine, elle est passée selon la Banque mondiale de 0,8 % à 10 % du total entre 1990 et 2008.
Exportations vers la Chine en % du PIB des pays exportateurs | Importations de Chine en % du PIB des pays importateurs | |||||
2000 | 2005 | 2009 | 2000 | 2005 | 2009 | |
Argentine | 3,0 | 7,9 | 6,6 | 4,6 | 5,4 | 13,4 |
Brésil | 2,2 | 5,8 | 13,2 | 2,2 | 7,3 | 12,5 |
Chili | 5,0 | 11,6 | 23,2 | 5,7 | 7,4 | 11,8 |
Mexique | 0,2 | 0,5 | 1,0 | 1,6 | 8,0 | 13,9 |
[/Source : Cepal (2010) cite par Salama (2012)/]
Malgré les opportunités qu’ils ont créées, les échanges Sud-Sud ont dès lors eu tendance à produire de nouvelles dépendances en renforçant la spécialisation des économies latino-américaines envers les exportations de matières premières, tandis que les pays émergents d’Asie ont, au contraire, exporté de plus en plus de produits manufacturés intensifs en technologies. Ainsi, selon la Cepal, en 2011 les pays émergents d’Asie ont exporté 3,3 fois plus de produits à intensité technologique que les pays d’Amérique latine (América Economía, 2013). Selon Gallagher et Porzecanski (2013), en gagnant des parts de marché mondial par rapport aux industriels latino-américains, la Chine menace les capacités de développement économique à long terme de l’Amérique latine. Si on se focalise sur les cas des deux puissances régionales, le Brésil et la Chine, alors que près de 60 % des exportations brésiliennes représentent des matières premières, plus de 90 % des exportations chinoises représentent des produits industriels.
Les politiques sociales, facteur de réduction de la pauvreté et des inégalités
Le taux de pauvreté a diminué en Amérique latine depuis le début des années 2000. Selon la Cepal, la part de la population vivant dans la pauvreté et l’indigence est passée de 43,9 % à 30,4 % entre 2002 et 2010, soit une diminution de 225 à 174 millions de personnes (Cepal, 2011). Plus spécifiquement, le taux de pauvreté a diminué au cours de cette période de 48,6 % à 27,8 % au Venezuela, de 45,4 % à 8,6 % en Argentine, de 20,2 % à 11,5 % au Chili, de 49 % à 37,1 % en Équateur, de 39,4 % à 36,3 % au Mexique, de 37,5 % à 27,9 % au Brésil, de 54,7 % à 31,3 % au Pérou ou encore de 54,2 % à 44,3 % en Colombie.
Évolution de la pauvreté et de l’indigence en Amérique latine entre 1980 et 2011 (en % et en millions de personnes)
[/Source : Cepal (2011)/]
Dans le même temps, les inégalités ont également baissé dans plusieurs pays latino-américains, comme au Brésil, en Argentine et au Mexique, alors qu’elles ont augmenté dans la plupart des pays ailleurs dans le monde (Milanovic, 2011). Cette évolution ne doit évidemment pas masquer le fait que l’Amérique latine représente avec l’Afrique subsaharienne la région la plus inégalitaire du monde : dix des quinze pays les plus inégalitaires du monde se trouvent ainsi en Amérique latine (Pnud, 2011). Les inégalités sociales continuent dès lors de représenter un frein au développement en Amérique latine. Il n’en reste pas moins que la tendance a été à la baisse dans plusieurs pays, démontrant que la réduction des inégalités est possible dans le contexte de la mondialisation.
Évolution de l’indice de GINI3 dans 18 pays latino-américains entre 1990 et 2010
[/Source : Cepal (2011)/]
Les facteurs expliquant cette tendance concernent d’abord l’impact du régime de croissance adopté au cours des années 2000, qui a permis une hausse de l’emploi et des revenus par habitant. Plusieurs pays ont ainsi enregistré une croissance rapide de l’emploi et une diminution importante du chômage urbain, qui a baissé entre 2000 et 2008 de 31 % au Brésil, de presque 40 % en Argentine et en Uruguay et de plus de 50 % au Venezuela — mais qui n’a baissé que de 7,5 % au Mexique et de 10,6 % au Pérou au cours de la même période (Bossio Rotondo, 2010). Dans le même temps, les salaires minimaux réels ont augmenté de 152,5 % en Argentine, de 60,8 % au Brésil et de 76,9 % en Uruguay, mais de seulement 19,9 % au Venezuela et de 0,7 % au Mexique. Les performances ont ainsi généralement été meilleures dans les pays ayant opéré un « virage à gauche » que dans les pays dont les gouvernements ont conservé une orientation néolibérale.
Un autre facteur important expliquant cette tendance a été la mise en œuvre de politiques sociales à destination des populations les plus pauvres. Ces politiques sociales ont concerné, d’une part, des programmes de transferts sociaux, et d’autre part, les dépenses d’éducation, de santé et d’aide au logement.
En ce qui concerne les programmes de transferts sociaux, ils ont eu un impact positif sur la profondeur de la pauvreté et les inégalités parmi les plus pauvres. Ce fut par exemple le cas des plans « Jefes y jefas », puis du programme « AUH » (Assignation universelle par enfant) à partir de 2009 en Argentine, du plan « Bolsa familia » au Brésil, étendu de 6 millions à plus de 13 millions de foyers entre 2004 et 2011, ainsi que du plan « Oportunidades » mis en place en 2002 dans les villes au Mexique. Le cout de ces programmes est relativement limité : 0,58 % du PIB en Argentine, entre 0,4 % et 0,5 % au Brésil et 0,5 % au Mexique en 2010 (Salama, 2012). Pourtant, ils se sont révélés assez efficaces, même si les transferts monétaires ont été plus efficaces en zone rurale qu’en zone urbaine au Brésil et au Mexique. Toutefois, l’impact de ces programmes sur la réduction de la pauvreté à long terme dépend de leur pérennité, alors que leur financement dépend généralement de la redistribution d’une part des revenus tirés de la hausse des exportations et des prix des matières premières, plutôt que de recettes fiscales provenant de systèmes de taxation progressifs.
Dépenses publiques en % du PIB | Dépenses sociales en % du PIB | Part des dépenses sociales dans les dépenses publiques | |
Argentine | 36,8% | 27,1% | 70,3% |
Brésil | 43,2% | 27,8% | 65% |
Mexique | 20,7% | 11,2% | 50% |
[/Source : Cepal (2011)/]
En ce qui concerne les dépenses sociales, on a assisté à un retour de l’État en Amérique latine, avec une augmentation sensible des dépenses publiques dans de nombreux pays et des interventions concentrées dans les secteurs sociaux plutôt que dans les investissements publics, à la différence des politiques publiques menées entre les années 1950 et 1970. Les dépenses publiques ont toutefois été plus importantes dans les pays ayant opéré un « virage à gauche » (comme au Brésil et en Argentine où elles atteignaient respectivement 43,2 % et 36,8 % du PIB en 2009) que dans les pays ayant un gouvernement d’orientation néolibérale (comme au Mexique où elles atteignaient 20,7 % en 2009). Dans le même esprit, les dépenses sociales ont été plus élevées au Brésil et en Argentine (un peu plus de 27 % du PIB dans les deux cas) qu’au Mexique (11,2 %). Toutefois, en termes absolus, les dépenses sociales ont été nettement plus élevées en Argentine (2 002 dollars par habitant en 2006 – 2007) qu’au Brésil (1 019 dollars), et bien sûr encore davantage qu’au Mexique (782 dollars).
En définitive, comme le souligne notamment Nora Lustig (2009), les gouvernements latino-américains de gauche ont généralement réussi à réduire les inégalités et la pauvreté plus rapidement que les autres gouvernements. Toutefois, ces performances doivent être replacées dans un contexte de départ marqué par des niveaux d’inégalités et de pauvreté très élevés, impliquant que les questions sociales continuent de représenter un obstacle à l’efficacité des stratégies de développement latino-américaines. En outre, contrairement aux pays d’Asie orientale, la réduction de la pauvreté en Amérique latine a reposé sur des programmes sociaux majoritairement financés grâce à l’amélioration de la conjoncture internationale dont la stabilité est par définition hypothétique, plutôt que grâce à l’augmentation de recettes fiscales durablement alimentées par le développement des emplois industriels.
des évolutions positives, mais des problèmes persistants
Depuis les années 2000, les pays d’Amérique latine ont opéré un mode d’intégration alternatif à l’économie mondiale, caractérisé par un approfondissement de l’intégration régionale et l’augmentation de la coopération Sud-Sud et des échanges avec l’Asie émergente. Il en a résulté une diminution de la contrainte externe grâce à la hausse des exportations de matières premières, de plus en plus destinées aux pays d’Asie émergente et à la Chine. Dans le même temps, plusieurs gouvernements ont sensiblement augmenté les dépenses publiques, majoritairement allouées à des dépenses et des programmes sociaux. Le « virage à gauche » opéré dans plusieurs pays au cours des années 2000 s’est donc accompagné d’un retour de l’État, après deux décennies de retrait à la suite des programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale. Il en a découlé une baisse de la pauvreté et des inégalités, généralement plus prononcée dans les pays ayant opéré un « virage à gauche ».
Malgré ces évolutions positives, le modèle de développement latino-américain a continué de faire face à des problèmes persistants : la part du commerce régional a certes augmenté, mais de manière limitée, rendant les économies latino-américaines de plus en plus dépendantes des exportations de matières premières vers la Chine et les pays émergents d’Asie. La spécialisation internationale de l’Amérique latine a donc peu évolué, en restant concentrée sur les exportations de matières premières et les importations de produits manufacturés. En outre, malgré la baisse de la pauvreté et des inégalités, permettant la dynamisation du marché intérieur et de la consommation interne, la région reste parmi les plus inégalitaires du monde et continue de faire face à des problèmes sociaux persistants. La base industrielle des économies latino-américaines reste ainsi faiblement développée et ne permet pas d’augmenter de manière suffisante le nombre d’emplois formels et décents, tandis que les systèmes fiscaux restent fortement régressifs. Le principal talon d’Achille des économies latino-américaines concerne ainsi la faiblesse des infrastructures économiques et du tissu industriel, dont la modernisation constitue une des clés du développement économique latino-américain à long terme.
- www.ibsa-trilateral.org.
- Zones de traitement pour l’exportation.
- Indicateur qui calcule les inégalités sociales par un coefficient allant de 0 à 1 : 0 signifie l’égalité parfaite et 1 l’inégalité totale — http://fr.wikipedia.org/wiki/Coefficient_de_Gini