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Mon trésor

Numéro 4 – 2022 - 7. Italique fiction par Aline Andrianne

juin 2022

Je me lan­guis de nous. Seul, cou­ché dans le noir, mon esprit ne cesse de s’envoler vers toi. Mon corps réclame la caresse de ton regard. Ton effeuillage minu­tieux. Il n’aspire qu’à retrou­ver le balayage de tes yeux per­çants. Sans ta lec­ture atten- tive, je me sens m’empoussiérer, me vider, me des­sé­cher. J’ai besoin de ton […]

Italique

Je me lan­guis de nous. Seul, cou­ché dans le noir, mon esprit ne cesse de s’envoler vers toi. Mon corps réclame la caresse de ton regard. Ton effeuillage minu­tieux. Il n’aspire qu’à retrou­ver le balayage de tes yeux per­çants. Sans ta lec­ture atten-
tive, je me sens m’empoussiérer, me vider, me des­sé­cher. J’ai besoin de ton cœur, de ton ima­gi­na­tion, de ta fan­tai­sie pour me déployer. Pour toi, je suis prêt à revê­tir toutes les formes du mys­tère, je veux bien me parer de méta­phores ou me tra­ves­tir en méto­ny­mies. Ma seule peur, au fond, est de ne plus être fécond et d’être jeté au rebut. Je m’effraie de vieillir avant l’heure de ton aban­don. Je redoute de deve­nir sec et de m’effriter. De m’éparpiller au vent de l’indifférence. Je crains d’oublier qui je suis à mesure que tu m’effaces de tes pré­oc­cu­pa­tions. J’espère ne pas deve­nir un vague sou­ve­nir d’un ins­tant de bon­heur. Je prie pour ne pas me réduire au pas­sage éphé­mère d’une étoile filante dans un ciel de minuit dont la faible lumière s’éteint sans bruit. Ne m’abandonne pas dans le cime­tière de ta mémoire.

Je ne sou­haite en effet que m’enliser dans l’osmose envou­tante de tes allers-retours en moi, retrou­ver l’enivrante sen­sa­tion de ta paume me par­cou­rant. Fré­mir à l’unisson de ton souffle, dans la dif­fuse har­mo­nie de nos corps qui se parlent. Laisse-moi pal­pi­ter au rythme de tes bat­te­ments de cils et de ton doig­té agile ! Je suis avide de l’effleurement de deux peaux qui se cherchent, qui se découvrent, qui se recon­naissent. J’ai hâte d’aller à la ren­contre de ton tou­cher, doux ou rugueux, moel­leux ou envieux. J’aspire à res­sen­tir de nou­veau le trans­per­ce­ment du plai­sir quand tu plonges en moi. Quand tes doigts de feu com­mu­niquent leur éner­gie à mes fibres et les font s’embraser. Quand ton esprit s’unit à mon cœur et à mes palabres pour des­si­ner un nou­veau monde. J’espère recréer cette bulle d’ivresse que nous for­geons par la ten­dresse de tes gestes. Réchauffe-moi à nou­veau de ta can­deur, de ta vora­ci­té, de ton ardeur ! Enve­loppe-nous de ton illu­sion flam­boyante, sans plus réflé­chir aux consé­quences de notre union.

Tu es par­ti parce que mon silence t’agaçait. Tu aurais vou­lu plus de répon­dant. Pour­tant j’ai tou­jours été ain­si. À l’écoute et te par­lant de tous mes signes. Mon mutisme n’est que d’apparence. Je foi­sonne de mots, je ne désire que te les livrer. Ils m’étouffent, ils m’encombrent, ils me façonnent. Mes mots me figurent alors même qu’ils t’appartiennent. Ils affleurent à la sur­face de mes pages, ils des­sinent des ara­besques sur mon cuir, ils me construisent dans une faran­dole de sym­boles. Ne les dédaigne pas… En ne sor­tant pas, ils me blessent, pour­tant je n’ai pas le choix. C’est mon prix à payer pour gran­dir dans l’ombre de ton esprit et nous for­ti­fier dans le jour de tes sen­ti­ments. Et c’est à toi de venir les cueillir. Alors ne laisse pas mon champ en friche, quand il a tant à t’offrir. Mes syl­labes conti­nuent de cher­cher ton oreille pour lui mur­mu­rer les plus mys­té­rieuses his­toires. Les plus envou­tants récits. Les plus mer­veilleuses véri­tés cachées. Viens donc, viens chercher
l’or de mes paroles pour reprendre
ton envol !

Je le sais, je ne suis pas par­fait. J’ai une appa­rence plu­tôt car­rée sans avoir la mus­cu­la­ture que tu sou­haites. Je n’ai pas choi­si d’avoir une cou­ver­ture gla­cée, un peu aus­tère, un peu aride. Mais dans ce désert des appa­rences, je veux être ton mirage, ton oasis. Ce sont les aléas de la vie qui m’ont fait comme je suis. En suis-je moins atta­chant, en suis-je moins aimable ? Rien ne vaut pour­tant la richesse de mes pages, la qua­li­té de mon papier, la cam­brure de mes let­trines. Alors je t’en prie, res­pire avec moi, res­pire pour moi à cha­cune de mes vir­gules. Ne refuse pas de tour­ner la page parce qu’une imper­fec­tion vient trou­bler ta vue. J’accepte bien ton regard qu’il soit bleu envie, vert jalou­sie, ou brun inas­sou­vi. Je me donne tout à toi, je ne retiens rien de ce que tu peux vou­loir de moi. Sois donc à la hau­teur de notre intrigue !

Je te l’ai déjà prou­vé : je sais gar­der tes secrets. Je peux prendre soin de toutes tes pas­sions, de tous tes élans. J’ai la place pour accueillir en mon sein tous tes des­seins. Le silence qui te pesait sera ici ma force. Aucun mot de trop, aucun mot de toi ne s’échappera de moi. Pour tout autre esprit, je serai oublieux de notre his­toire. Je me ferai camé­léon. Je ne révè­le­rai rien qu’ils ne savaient déjà de toi, je ne révè­le­rai que ce qu’ils ne savaient d’eux-mêmes. Laisse-moi donc incar­ner de tes noirs dési­rs à tes fiers plai­sirs. Je ne te déce­vrai pas. Je sau­rai me faire le reflet de ton âme, la cathar­sis de tes émo­tions. Per­mets-moi de me fondre en toi, de t’habiter, de te gui­der, de m’oublier.

Alors s’il te plait, serre-moi entre tes mains, contre ton torse, hors de toute pen­sée car­té­sienne. Reviens. Reviens ani­mer mes soi­rées et fleu­rir mes nuits. Reviens enflam­mer le ciel de nos rêves. Reviens me pos­sé­der entiè­re­ment, com­plè­te­ment, défi­ni­ti­ve­ment. J’espère notre réunion pour chas­ser la mélan­co­lie des moments lunaires. J’aspire à nos retrou­vailles plus qu’à tout autre chose, mon très cher lecteur.

Ton livre,

Qui t’attend passionnément.

Aline Andrianne


Auteur

Aline Andrianne est romaniste, professeure de français et français langue étrangère. École Européenne (EEB2).