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Mobilité : sortir du ring

Numéro 2 mars 2023 par Michel Hubert Christophe Mincke

mars 2023

C’est peu dire que la mobi­li­té est au cœur des pré­oc­cu­pa­tions citoyennes et poli­tiques. Il n’en fut pas tou­jours ain­si, mais il se fait qu’aujourd’hui, elle est au croi­se­ment de tant de pré­oc­cu­pa­tions qu’elle en devient un enjeu majeur, voire un sujet d’affrontement. Elle fait l’objet de réformes d’ampleur (telles que le plan Good Move à Bruxelles ou la déci­sion de faire de la Wal­lo­nie une « zone basses émis­sions »), d’investissements consi­dé­rables (comme le RER autour de la capi­tale ou le tram à Liège), de débats enflam­més, d’engagements poli­tiques et citoyens (que ce soit pour défendre les inté­rêts des auto­mo­bi­listes ou pour récla­mer une muta­tion radi­cale en faveur des mobi­li­tés douces et actives)… et bien enten­du de réflexions scien­ti­fiques et intel­lec­tuelles. À ce der­nier pro­pos, il n’est pas éton­nant de consta­ter que la revue Poli­tique a éga­le­ment jugé per­ti­nent de consa­crer un dos­sier à la ques­tion. Si elle s’est pen­chée sur les défis que pose la mobi­li­té en termes d’égalité, nous nous atta­chons, quant à nous, à com­prendre, d’une part, pour­quoi et de quelle manière la mobi­li­té s’est invi­tée au pre­mier rang de l’agenda poli­tique et a conquis une place de choix dans le débat démo­cra­tique et, d’autre part, selon quelles moda­li­tés il est pos­sible de gérer cette mon­tée en puis­sance afin d’offrir des pers­pec­tives d’avenir à nos sociétés.

Dossier

C’est peu dire que la mobi­li­té est au cœur des pré­oc­cu­pa­tions citoyennes et poli­tiques. Il n’en fut pas tou­jours ain­si, mais il se fait qu’aujourd’hui, elle est au croi­se­ment de tant de pré­oc­cu­pa­tions qu’elle en devient un enjeu majeur, voire un sujet d’affrontement. Elle fait l’objet de réformes d’ampleur (telles que le plan Good Move à Bruxelles ou la déci­sion de faire de la Wal­lo­nie une « zone basses émis­sions »), d’investissements consi­dé­rables (comme le RER autour de la capi­tale ou le tram à Liège), de débats enflam­més, d’engagements poli­tiques et citoyens (que ce soit pour défendre les inté­rêts des auto­mo­bi­listes ou pour récla­mer une muta­tion radi­cale en faveur des mobi­li­tés douces et actives)… et bien enten­du de réflexions scien­ti­fiques et intel­lec­tuelles. À ce der­nier pro­pos, il n’est pas éton­nant de consta­ter que la revue Poli­tique a éga­le­ment jugé per­ti­nent de consa­crer un dos­sier à la ques­tion.1 Si elle s’est pen­chée sur les défis que pose la mobi­li­té en termes d’égalité, nous nous atta­chons, quant à nous, à com­prendre, d’une part, pour­quoi et de quelle manière la mobi­li­té s’est invi­tée au pre­mier rang de l’agenda poli­tique et a conquis une place de choix dans le débat démo­cra­tique et, d’autre part, selon quelles moda­li­tés il est pos­sible de gérer cette mon­tée en puis­sance afin d’offrir des pers­pec­tives d’avenir à nos sociétés.

Le dos­sier s’ouvre sur un texte de Chris­tophe Mincke, direc­teur du dépar­te­ment cri­mi­no­lo­gie de l’INCC et pro­fes­seur à l’Université Saint-Louis, qui tente de démê­ler les rai­sons pour les­quelles le débat concer­nant les mobi­li­tés a pris des allures de foire d’empoigne. Notre socié­té ayant fait de la mobi­li­té un idéal, voire une obli­ga­tion, elle s’est trou­vée fort dépour­vue lorsque ses modes de dépla­ce­ment furent tou­chés par une crise pro­fonde. Cen­tra­li­té sym­bo­lique et pra­tique de l’enjeu et radi­ca­li­té des remises en ques­tion sont ain­si le ter­reau d’une spec­ta­cu­laire mon­tée en ten­sion qui entrave trop sou­vent les indis­pen­sables réformes.

Ensuite, Ela Cal­lor­da Fos­sa­ti, Solène Sureau et Tom Bau­ler – du Socio-Envi­ron­men­tal Dyna­mics Research Group de l’ULB – appro­fon­dissent la ques­tion de l’ampleur des muta­tions à l’œuvre. S’appuyant sur le concept « d’exnovation », ils décrivent les enjeux actuels en termes de chan­ge­ment de sys­tème, plu­tôt que d’adaptation des pra­tiques et dis­po­si­tifs exis­tants. Repous­sant l’idée d’innovation qui tend à main­te­nir des struc­tures dépas­sées en les adap­tant (par­tiel­le­ment) aux exi­gences du moment, ils sou­lignent la néces­si­té d’anticiper, pro­vo­quer et gérer une sor­tie de l’automobile – à tout le moins en ville – et d’en assu­mer les consé­quences col­lec­ti­ve­ment en charge. L’exnovation nous per­met ain­si de pen­ser les « sor­ties de » que nous imposent les défis actuels sans céder à la ten­ta­tion du catastrophisme. 

La troi­sième contri­bu­tion est celle de Michel Hubert – pro­fes­seur émé­rite invi­té à l’Université Saint-Louis et à l’ULB – qui, en s’appuyant sur l’exemple du pro­jet bruxel­lois du « métro 3 », inter­roge l’avenir des grands pro­jets liés à la mobi­li­té. Il déve­loppe l’idée qu’en des temps d’incertitude, où les muta­tions à venir pro­mettent d’être nom­breuses et radi­cales, la mise en place de pro­jets déme­su­rés, extrê­me­ment cou­teux et très dif­fi­ci­le­ment adap­tables aux néces­si­tés futures, appa­rait inadé­quate. Elle enferme les auto­ri­tés publiques et la ville dans une tra­jec­toire qui a toutes les chances de rapi­de­ment se révé­ler inap­pro­priée, mais qui ne pour­ra être inflé­chie. Il plaide pour des poli­tiques de mobi­li­té pri­vi­lé­giant la rési­lience et la robus­tesse, davan­tage que la performance.

Le qua­trième article, de la plume de Vincent Kauf­mann – pro­fes­seur à l’École poly­tech­nique fédé­rale de Lau­sanne –, inter­roge la mobi­li­té en ce qu’elle fonde le pro­jet euro­péen. L’Union euro­péenne a en effet lar­ge­ment été pen­sée autour de la figure de la libre cir­cu­la­tion, ini­tia­le­ment comme pro­jet de ren­contre et de coha­bi­ta­tion entre les peuples d’Europe. Mais l’accent fut mis de manière crois­sante sur des mobi­li­tés « récur­sives », consis­tant en l’accumulation de voyages rapides aux quatre coins du conti­nent. Face au bilan envi­ron­ne­men­tal de nos pra­tiques de mobi­li­té, ce sys­tème est mena­cé. Vincent Kauf­mann y voit l’occasion de repen­ser le pro­jet euro­péen autour d’une mobi­li­té per­met­tant la ren­contre, l’expérience de l’altérité et l’enrichissement de nos vies : une mobi­li­té résonante.

Notre dos­sier se clôt sur la contri­bu­tion de Patrick Rérat – pro­fes­seur à l’Université de Lau­sanne – qui pro­pose une ana­lyse des posi­tion­ne­ments poli­tiques rela­tifs aux amé­na­ge­ments cyclables. Au tra­vers, d’une part, d’une enquête fai­sant suite à une vota­tion suisse et, d’autre part, du des­tin des « coro­na­pistes » après le confi­ne­ment, il montre com­ment se struc­turent les sou­tiens et les oppo­si­tions, autour du clas­sique cli­vage gauche-droite mais aus­si des pra­tiques per­son­nelles de mobi­li­té des citoyens.

Au tra­vers de ce par­cours, nous espé­rons four­nir au lec­teur des clés pour com­prendre à la fois la mon­tée de l’enjeu poli­tique de la mobi­li­té, mais aus­si les manières d’envisager les moda­li­tés de son inté­gra­tion au débat démo­cra­tique et aux poli­tiques publiques. Il ne fait aucun doute que la pro­blé­ma­tique res­te­ra cru­ciale au cours des décen­nies à venir, et il est éga­le­ment cer­tain qu’elle pour­rait dura­ble­ment empoi­son­ner nos socié­tés si elle n’est pas abor­dée avec la néces­saire luci­di­té. Si le débat sur les ques­tions de mobi­li­té peut donc par moment s’apparenter à un match de boxe, il importe de tra­cer les pers­pec­tives qui nous per­met­tront de sor­tir du ring et de prendre col­lec­ti­ve­ment en charge les indis­pen­sables muta­tions en la matière.

  1. | Voyez à ce pro­pos le numé­ro 121 de Poli­tique, paru à la fin de l’année 2022.

Michel Hubert


Auteur

est professeur émérite invité à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Il est directeur-fondateur de la revue Brussels Studies et membre du Comité directeur du Centre Interuniversitaire d’Etude de la Mobilité (CIEM).

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.