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Mobilité : sortir du ring
C’est peu dire que la mobilité est au cœur des préoccupations citoyennes et politiques. Il n’en fut pas toujours ainsi, mais il se fait qu’aujourd’hui, elle est au croisement de tant de préoccupations qu’elle en devient un enjeu majeur, voire un sujet d’affrontement. Elle fait l’objet de réformes d’ampleur (telles que le plan Good Move à Bruxelles ou la décision de faire de la Wallonie une « zone basses émissions »), d’investissements considérables (comme le RER autour de la capitale ou le tram à Liège), de débats enflammés, d’engagements politiques et citoyens (que ce soit pour défendre les intérêts des automobilistes ou pour réclamer une mutation radicale en faveur des mobilités douces et actives)… et bien entendu de réflexions scientifiques et intellectuelles. À ce dernier propos, il n’est pas étonnant de constater que la revue Politique a également jugé pertinent de consacrer un dossier à la question. Si elle s’est penchée sur les défis que pose la mobilité en termes d’égalité, nous nous attachons, quant à nous, à comprendre, d’une part, pourquoi et de quelle manière la mobilité s’est invitée au premier rang de l’agenda politique et a conquis une place de choix dans le débat démocratique et, d’autre part, selon quelles modalités il est possible de gérer cette montée en puissance afin d’offrir des perspectives d’avenir à nos sociétés.
C’est peu dire que la mobilité est au cœur des préoccupations citoyennes et politiques. Il n’en fut pas toujours ainsi, mais il se fait qu’aujourd’hui, elle est au croisement de tant de préoccupations qu’elle en devient un enjeu majeur, voire un sujet d’affrontement. Elle fait l’objet de réformes d’ampleur (telles que le plan Good Move à Bruxelles ou la décision de faire de la Wallonie une « zone basses émissions »), d’investissements considérables (comme le RER autour de la capitale ou le tram à Liège), de débats enflammés, d’engagements politiques et citoyens (que ce soit pour défendre les intérêts des automobilistes ou pour réclamer une mutation radicale en faveur des mobilités douces et actives)… et bien entendu de réflexions scientifiques et intellectuelles. À ce dernier propos, il n’est pas étonnant de constater que la revue Politique a également jugé pertinent de consacrer un dossier à la question.1 Si elle s’est penchée sur les défis que pose la mobilité en termes d’égalité, nous nous attachons, quant à nous, à comprendre, d’une part, pourquoi et de quelle manière la mobilité s’est invitée au premier rang de l’agenda politique et a conquis une place de choix dans le débat démocratique et, d’autre part, selon quelles modalités il est possible de gérer cette montée en puissance afin d’offrir des perspectives d’avenir à nos sociétés.
Le dossier s’ouvre sur un texte de Christophe Mincke, directeur du département criminologie de l’INCC et professeur à l’Université Saint-Louis, qui tente de démêler les raisons pour lesquelles le débat concernant les mobilités a pris des allures de foire d’empoigne. Notre société ayant fait de la mobilité un idéal, voire une obligation, elle s’est trouvée fort dépourvue lorsque ses modes de déplacement furent touchés par une crise profonde. Centralité symbolique et pratique de l’enjeu et radicalité des remises en question sont ainsi le terreau d’une spectaculaire montée en tension qui entrave trop souvent les indispensables réformes.
Ensuite, Ela Callorda Fossati, Solène Sureau et Tom Bauler – du Socio-Environmental Dynamics Research Group de l’ULB – approfondissent la question de l’ampleur des mutations à l’œuvre. S’appuyant sur le concept « d’exnovation », ils décrivent les enjeux actuels en termes de changement de système, plutôt que d’adaptation des pratiques et dispositifs existants. Repoussant l’idée d’innovation qui tend à maintenir des structures dépassées en les adaptant (partiellement) aux exigences du moment, ils soulignent la nécessité d’anticiper, provoquer et gérer une sortie de l’automobile – à tout le moins en ville – et d’en assumer les conséquences collectivement en charge. L’exnovation nous permet ainsi de penser les « sorties de » que nous imposent les défis actuels sans céder à la tentation du catastrophisme.
La troisième contribution est celle de Michel Hubert – professeur émérite invité à l’Université Saint-Louis et à l’ULB – qui, en s’appuyant sur l’exemple du projet bruxellois du « métro 3 », interroge l’avenir des grands projets liés à la mobilité. Il développe l’idée qu’en des temps d’incertitude, où les mutations à venir promettent d’être nombreuses et radicales, la mise en place de projets démesurés, extrêmement couteux et très difficilement adaptables aux nécessités futures, apparait inadéquate. Elle enferme les autorités publiques et la ville dans une trajectoire qui a toutes les chances de rapidement se révéler inappropriée, mais qui ne pourra être infléchie. Il plaide pour des politiques de mobilité privilégiant la résilience et la robustesse, davantage que la performance.
Le quatrième article, de la plume de Vincent Kaufmann – professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne –, interroge la mobilité en ce qu’elle fonde le projet européen. L’Union européenne a en effet largement été pensée autour de la figure de la libre circulation, initialement comme projet de rencontre et de cohabitation entre les peuples d’Europe. Mais l’accent fut mis de manière croissante sur des mobilités « récursives », consistant en l’accumulation de voyages rapides aux quatre coins du continent. Face au bilan environnemental de nos pratiques de mobilité, ce système est menacé. Vincent Kaufmann y voit l’occasion de repenser le projet européen autour d’une mobilité permettant la rencontre, l’expérience de l’altérité et l’enrichissement de nos vies : une mobilité résonante.
Notre dossier se clôt sur la contribution de Patrick Rérat – professeur à l’Université de Lausanne – qui propose une analyse des positionnements politiques relatifs aux aménagements cyclables. Au travers, d’une part, d’une enquête faisant suite à une votation suisse et, d’autre part, du destin des « coronapistes » après le confinement, il montre comment se structurent les soutiens et les oppositions, autour du classique clivage gauche-droite mais aussi des pratiques personnelles de mobilité des citoyens.
Au travers de ce parcours, nous espérons fournir au lecteur des clés pour comprendre à la fois la montée de l’enjeu politique de la mobilité, mais aussi les manières d’envisager les modalités de son intégration au débat démocratique et aux politiques publiques. Il ne fait aucun doute que la problématique restera cruciale au cours des décennies à venir, et il est également certain qu’elle pourrait durablement empoisonner nos sociétés si elle n’est pas abordée avec la nécessaire lucidité. Si le débat sur les questions de mobilité peut donc par moment s’apparenter à un match de boxe, il importe de tracer les perspectives qui nous permettront de sortir du ring et de prendre collectivement en charge les indispensables mutations en la matière.