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Minerais, spéculation et concentration du capital bancaire. Pour une mise en perspective…

Numéro 4 – 2018 par Xavier Dupret

juillet 2018

Plus un jour sans que les médias et les poli­tiques n’évoquent la bru­lante actua­li­té de la spé­cu­la­tion. Même le Saint-Père a adop­té cette antienne à la mode en décri­vant, il y a peu, la spé­cu­la­tion comme « une mala­die de l’économie » au cours d’une visite pas­to­rale à Gênes au prin­temps dernier[efn_note]Osservatore Roma­no, 28 mai 2017.[/efn_note]. Ite mis­sa est ?

Dossier

Peut-être s’avère-t-il néces­saire, mal­gré tout, de com­prendre un phé­no­mène avant de poser un juge­ment moral à son sujet. C’est à cette très empi­rique (et ingrate) tâche de décryp­tage du réel que pro­cè­de­ra cet article.

Contrats à terme

Tous les grands édi­fices de stra­té­gies spé­cu­la­tives sur le seg­ment des matières pre­mières reposent sur la pierre angu­laire des contrats à terme (ou futures en anglais) qui visent à pré­ve­nir les pro­duc­teurs et les ache­teurs d’éventuelles fluc­tua­tions de cours. Une des pre­mières traces des contrats à terme remonte au XVIe siècle alors que les pêcheurs à la baleine hol­lan­dais concluaient des contrats de vente avant livrai­son pour finan­cer leurs loin­taines expé­di­tions. Cette forme par­ti­cu­lière de contrac­tua­li­sa­tion per­met­tait éga­le­ment à ces aven­tu­reux marins de tirer un meilleur prix pour leur car­gai­son au retour. De leur côté, les ache­teurs, en pas­sant contrat avant terme, évi­taient de prendre des risques de cours. À ce stade de leur déve­lop­pe­ment, les contrats à terme auraient été vrai­sem­bla­ble­ment bénis par le Saint-Père puisqu’ils per­met­taient de pro­té­ger à la fois le pro­duc­teur et l’acheteur en sta­bi­li­sant les cours des mar­chan­dises échan­gées, sous réserve de dis­po­si­tions suf­fi­sam­ment pré­cises bali­sant l’échange entre les par­ties au contrat.

Les contrats à terme n’en sont, pour autant, pas res­tés à ce modus ope­ran­di, somme toute, très rudi­men­taire. Au fur et à mesure que les échanges com­mer­ciaux se sont, au fil du temps, inten­si­fiés, les contrats à terme se sont géné­ra­li­sés. Cette évo­lu­tion va se carac­té­ri­ser, vu l’importance des échanges en jeu, par une forte déper­son­na­li­sa­tion des rela­tions entre ache­teurs et vendeurs.

La mul­ti­pli­ca­tion des échanges va poser les condi­tions de pos­si­bi­li­té qui ont per­mis de mettre sur pied des mar­chés fonc­tion­nant comme autant d’instances de ges­tion per­ma­nente du risque de cours. Outre la faible élas­ti­ci­té de l’offre, il convient éga­le­ment, pour que de tels mar­chés soient viables, que les pro­duits échan­gés soient très homo­gènes. C’est ain­si qu’il n’existe tou­jours pas en 2018 de mar­ché à terme du tabac, matière pré­sen­tant des varia­tions qua­li­ta­tives impor­tantes d’un type de culture à une autre.

Les contrats à terme vont alors deve­nir des pro­duits stan­dar­di­sés négo­ciables tout au long de l’année. Pour l’anecdote, le pre­mier véri­table mar­ché de contrats à terme a été lan­cé à Chi­ca­go en 1864 par la Bourse de com­merce de Chi­ca­go (Chi­ca­go Board of Trade). Les mar­chan­dises sur les­quelles por­taient ces contrats étaient, pour l’essentiel, des céréales (seigle, orge, blé, avoine)1. Il s’agit là d’un pro­fond chan­ge­ment de nature affec­tant la rela­tion com­mer­ciale entre les par­ties aux contrats de vente puisqu’au face-à-face entre l’offreur et le ven­deur se sub­sti­tue, dès cette époque, un méca­nisme d’ajustement per­ma­nent et déper­son­na­li­sé. C’est ain­si que s’est effec­tué le pas­sage du contrat à terme au mar­ché à terme. Gageons que cette évo­lu­tion est de nature à faire tiquer l’évêque de Rome qui n’aurait, d’ailleurs, pas for­cé­ment tort. Ten­tons, à pré­sent, d’examiner pourquoi.

Fonctionnement des marchés à terme

Le fonc­tion­ne­ment d’un mar­ché à terme2 est carac­té­ri­sé par une mul­ti­tude d’opérations de ventes et d’achats. C’est, en effet, sur ce mar­ché qu’un navire ache­mi­nant, par exemple, des mine­rais de cuivre du Chi­li vers le port de Los Angeles aura été ven­du et ache­té une petite cen­taine de fois avant son arri­vée à des­ti­na­tion. L’aspect de pro­tec­tion directe d’un ache­teur et d’un pro­duc­teur face à une varia­tion des cours n’a, dans ces condi­tions, plus rien d’évident. Pour s’en convaincre, il convient d’examiner com­ment pro­cèdent concrè­te­ment les opé­ra­teurs sur les mar­chés à terme.

Les contrats à terme (ou futures en anglais) sont des pro­messes fermes, c’est-à-dire que l’acquéreur du contrat s’engage à ache­ter le bien visé (on parle d’actif sous-jacent) à un prix et une date pré­dé­ter­mi­nés. Le ven­deur lié par ce contrat doit, pour sa part, remettre l’actif sous-jacent au déten­teur du contrat à moins qu’il ne remette son équi­valent en espèces. Cette obli­ga­tion de livrai­son ne vaut que si la posi­tion n’est pas fer­mée à l’échéance du contrat. Une posi­tion est dite fer­mée lorsque le contrat a été revendu.

Lorsqu’ils anti­cipent une hausse pour un actif sous-jacent, les agents achètent un contrat à terme. On dit qu’ils adoptent une posi­tion longue. Cela les engage à se por­ter acqué­reurs de l’actif sous-jacent au prix conve­nu à l’avance. En revanche, si l’investisseur estime que l’actif sous-jacent va bais­ser, il adop­te­ra une posi­tion courte. Il s’engage donc à livrer l’actif sous-jacent ou son équi­valent en espèces, à moins que la posi­tion ne soit fer­mée avant échéance du contrat.

La ren­contre entre l’offre et la demande s’effectue de la manière sui­vante. Les spé­cu­la­teurs à la hausse (ceux qui anti­cipent le fait que le cours va mon­ter) achètent les contrats à terme tan­dis que les spé­cu­la­teurs à la baisse, qui estiment, pour leur part, que les cours vont bais­ser les vendent aux acteurs ayant pris une posi­tion longue. La boucle se boucle.

À côté des opé­ra­teurs à carac­tère stric­te­ment spé­cu­la­tif, on retrouve sur les mar­chés à terme les pro­duc­teurs et les ache­teurs finaux des mar­chan­dises phy­siques que l’on appelle, dans le jar­gon propre au milieu, des hed­gers. Un hed­ger à décou­vert est celui dont toutes les posi­tions sur le mar­ché du dis­po­nible ne se retrouvent pas sur le mar­ché à terme. S’il opère de la sorte, c’est qu’il anti­cipe une baisse des cours. Le cas du hed­ger à cou­vert se situe juste à l’opposé. Le hed­ger à cou­vert, en effet, s’engage for­mel­le­ment à livrer une quan­ti­té de matière pre­mière à une date ulté­rieure et à un prix conve­nu sans qu’il ne dis­pose du pro­duit au moment où il s’engage. Cet acteur anti­cipe donc une hausse des cours.

À la fin, le total des posi­tions à décou­vert, d’une part, et à cou­vert, d’autre part, sur un mar­ché de contrats à terme doit être égal à zéro. Les posi­tions de ventes à décou­vert annulent celles à cou­vert. Cette pro­prié­té des mar­chés à terme est impli­quée par lur struc­tu­ra­tion sous la forme de chambres de compensation.

On désigne par chambre de com­pen­sa­tion l’organisation d’un mar­ché assor­tie d’une contre­par­tie cen­trale ce qui signi­fie qu’en cas de tran­sac­tion entre deux acteurs A (ven­deur) et B (ache­teur), la chambre de com­pen­sa­tion agit comme ache­teuse auprès de A et comme ven­deuse auprès de A. La chambre de com­pen­sa­tion est donc ache­teuse auprès de tous les ven­deurs et ven­deuse auprès de tous les ache­teurs. Cette mutua­li­sa­tion du risque per­met évi­dem­ment d’éviter qu’un opé­ra­teur accu­sant trop de pertes ne pose de pro­blèmes aux autres acteurs puisque pré­ci­sé­ment, la chambre de com­pen­sa­tion se sub­sti­tue­ra à l’agent défaillant.

Pour res­pon­sa­bi­li­ser les par­ti­ci­pants au mar­ché, la chambre de com­pen­sa­tion exige, d’une part, une forme de droit d’entrée, le dépôt de garan­tie sans lequel il n’est pas per­mis de prendre part aux échanges et, d’autre part, un appel de marge quo­ti­dien en cas de pertes. De sur­croit, les mar­chés à terme défi­nissent une ampli­tude maxi­male de fluc­tua­tion quo­ti­dienne des cours. Dès que l’activité se tra­duit par un dépas­se­ment de ces limites, les tran­sac­tions sont suspendues.

Reve­nons une der­nière fois aux pré­oc­cu­pa­tions du pape Fran­çois concer­nant les éven­tuelles patho­lo­gies de l’économie contem­po­raine liées à l’activité spé­cu­la­tive. Cer­tains faits invitent à prendre au sérieux la dénon­cia­tion de la spé­cu­la­tion for­mu­lée par le Vatican.

Une longue histoire

Il se trouve, en effet, que les mar­chés à terme pré­oc­cupent des ana­lystes de réfé­rence depuis plus long­temps que les théo­lo­giens. En 1991 déjà, Jer­ry Marck­ham, pro­fes­seur à la Flo­ri­da Inter­na­tio­nal Uni­ver­si­ty, posait un constat alar­mant. « Le mar­ché à terme des matières pre­mières a été sub­mer­gé par des mani­pu­la­tions sur une grande échelle depuis ses débuts.3 » Il est vrai que l’histoire de la cota­tion des matières pre­mières sur les mar­chés à terme a très vite démon­tré l’existence de stra­té­gies de mani­pu­la­tions de cours. On retrouve, d’une part, la dis­sé­mi­na­tion de fausses infor­ma­tions et d’autre part, des actions visant à créer des effets de rare­té fac­tice impli­quant une hausse injus­ti­fiée des cours. En finance, on parle de cor­ner. Sur les mar­chés à terme, le cor­ner vise à contrô­ler une par­tie du stock du pro­duit échan­gé pour entrai­ner une flam­bée des prix. Cet objec­tif passe par le contrôle d’un grand nombre de contrats à terme.

Une fois que les cours aug­mentent sans cor­ré­la­tion effec­tive avec la pro­duc­tion de l’actif sous-jacent, l’agent spé­cu­la­teur peut revendre avec pro­fit les contrats à terme qu’il détient. En 1902, une mani­pu­la­tion de ce genre a, par exemple, fait grim­per le cours du blé à Chi­ca­go de 34% en quelques jours et a per­mis à son auteur, le spé­cu­la­teur de légende James A. Pat­ten, d’empocher un béné­fice de 2 mil­lions de dol­lars de l’époque (l’équivalent actuel de 56.500.000 de dol­lars)4. Par­fois, l’opération de mise sous pres­sion (on parle éga­le­ment de squee­zing) du mar­ché tourne mal. C’est ain­si qu’en 1869, deux magnats amé­ri­cains (Jay Gould et James Fisk) ont vu leur ten­ta­tive de cor­ner sur le mar­ché de l’or tour­ner au fias­co quand le Tré­sor a rui­né leurs plans en libé­rant des stocks d’or sur les marchés.

Les ten­ta­tives de régu­la­tion du mar­ché se sont révé­lées rela­ti­ve­ment peu effi­cientes au cours du XXe siècle. Nous avons, à ce pro­pos, repris l’exemple des États-Unis puisque c’est dans ce pays que l’on retrouve les mar­chés de futures les plus liquides de la pla­nète. En mars 2018, 70% des flux moné­taires dans le monde liés aux futures ont été enre­gis­trés sur les mar­chés nord-amé­ri­cains5. Ce chiffre devrait à lui seul suf­fire pour situer l’importance pour le monde de la légis­la­tion états-unienne dans le domaine.

La der­nière ini­tia­tive en date, c’est-à-dire la créa­tion en 1974 de la U.S. Com­mo­di­ty Futures Tra­ding Com­mis­sion (CFTC) char­gée de la régu­la­tion des mar­chés à terme aux États-Unis, s’est sol­dée par un échec. Bien peu d’affaires ont été por­tées devant cette agence et les sanc­tions pro­non­cées furent encore plus rares. La charge de la preuve en cas de pro­cé­dure rela­tive à une mani­pu­la­tion de cours revient à la CFTC et implique une série d’opérations longues, com­plexes et cou­teuses. « Elle [la CFTC] doit ana­ly­ser tous les flux moné­taires dis­po­nibles, les fon­da­men­taux du mar­ché, les mou­ve­ments de vente à décou­vert, l’attitude des autres acteurs sur le mar­ché ain­si que les rela­tions com­plexes de ces don­nées avec l’évolution en termes de prix des contrats à terme. […] Il revient alors au gou­ver­ne­ment de prou­ver […] que le prix était arti­fi­ciel […] plu­tôt que la résul­tante d’une situa­tion basée sur des forces natu­relles »6.

Signal-prix en panne

Quelques décen­nies après l’article de Mar­kham cité plus haut, William Har­ring­ton rele­vait, en 2012, que « la crois­sance spec­ta­cu­laire des contrats à terme de matières pre­mières a débou­ché sur une mul­ti­pli­ca­tion des pra­tiques de mani­pu­la­tion des mar­chés et des prix. […] Tou­te­fois, la rare­té de la juris­pru­dence est anor­male dans la mesure où l’un des buts fon­da­men­taux du Com­mo­di­ty Echange Act […] était la pré­ven­tion et la répres­sion des mani­pu­la­tions de mar­ché7. »

Cet état de choses de choses s’explique aisé­ment. Il appa­rait, en effet, clai­re­ment que la CFTC a clai­re­ment été sous-finan­cée dès sa créa­tion. La situa­tion s’est, de sur­croit, aggra­vée depuis la Grade Réces­sion. En effet, le gou­ver­ne­ment des États-Unis a confié une mis­sion sup­plé­men­taire, à savoir le contrôle du mar­ché des contrats de gré à gré conclus en dehors de chambres de com­pen­sa­tion, à la CFTC qui a reçu, pour mener à bien cette déli­cate mis­sion, une… réduc­tion de sub­sides de l’ordre de 72 mil­lions de dol­lars en moyenne annuelle entre 2011 à 20168.

La crois­sance des échanges sur le mar­ché à terme a été par­ti­cu­liè­re­ment vigou­reuse. En 1980, le volume des futures aux États-Unis se mon­tait à 5.000 mil­liards de dol­lars. Aujourd’hui, le seg­ment des futures équi­vaut à un mon­tant de 34.000 mil­liards de dol­lars. Or, on note qu’«un pro­fond mou­ve­ment de dérè­gle­men­ta­tion a débu­té vers la fin des années 1970 aux États-Unis et au Royaume-Uni avant de se dif­fu­ser pro­gres­si­ve­ment dans le reste du monde. S’il n’a pas tou­ché que la sphère finan­cière, mais de nom­breux autres sec­teurs comme l’énergie, les trans­ports…, c’est sans doute dans le domaine de la finance qu’il a été le plus loin »9. Ce mou­ve­ment s’est dou­blé d’un phé­no­mène de concen­tra­tion accrue du capi­tal ban­caire10. Ce der­nier a été par­ti­cu­liè­re­ment impres­sion­nant au fil du temps.

Comme l’a rele­vé le pro­fes­seur Geof­fron de l’université de Reims, « en 1992, on recen­sait [aux États-Unis] encore envi­ron 9.000 enti­tés ban­caires, à 80% dotées d’actifs infé­rieurs à 100 mil­lions de dol­lars. Tou­te­fois, la décen­nie 1980 a été mar­quée par une conso­li­da­tion sen­sible puisque le nombre d’entités était encore supé­rieur à 12.000 en 198011 ». « La concen­tra­tion s’est pour­sui­vie au cours des années 1990. En 1990, les dix pre­mières ins­ti­tu­tions finan­cières amé­ri­caines pos­sé­daient 10% des actifs finan­ciers de la nation. En 2008, elles en contrô­laient plus de la moi­tié.12 » La crise de 2007 – 2008 n’a pas spé­cia­le­ment affai­bli cette ten­dance. En 2016, on dénom­brait aux États-Unis 5.927 banques enre­gis­trées auprès de la Fede­ral Depo­sit Insu­rance Cor­po­ra­tion (FDIC), l’agence qui garan­tit les dépôts ban­caires aux États-Unis. Ces éta­blis­se­ments tota­li­saient des dépôts pour un mon­tant supé­rieur à 11.000 mil­liards de dol­lars. Les quatre plus grosses banques concen­traient 44,6 % de ces dépôts. Il s’agit, par ordre décrois­sant, de JPMor­gan Chase Bank, Bank of Ame­ri­ca, Wells Far­go Bank et Citi­bank13.

Des acteurs de moins en moins nom­breux dis­po­sant de bilans de plus en plus impor­tants sont natu­rel­le­ment davan­tage sus­cep­tibles de fomen­ter des squee­zings à des fins de mani­pu­la­tion des cours. Cette hypo­thèse prend d’autant plus de consis­tance que le trai­te­ment de la crise ban­caire s’est carac­té­ri­sé par l’existence d’une assu­rance « too big to fail » garan­tis­sant aux plus gros éta­blis­se­ments d’être tou­jours tirés d’affaire en cas de crise ban­caire. Cette assu­rance, com­bi­née à un manque de concur­rence, consti­tue un inci­tant objec­tif à la prise de risques. Ce fai­sant, la fia­bi­li­té des cours des matières pre­mières doit être mise en cause. Le « signal prix » sur les mar­chés ne ren­seigne, en effet, plus très clai­re­ment sur la dis­po­ni­bi­li­té phy­sique réelle d’un bien. C’est ain­si que la vola­ti­li­té des cours s’est accrue avec le temps.

Ne nous reste-t-il plus qu’à bru­ler un cierge et prier ? Ce serait oublier que l’analyse éco­no­mique a déjà pro­duit un dis­cours cri­tique concer­nant les mar­chés à terme de matières pre­mières. Ain­si Robert Solow (prix Nobel d’économie en 1987 et ancien conseiller de John Fitz­ge­rald Ken­ne­dy) a, il y a déjà long­temps, remis en cause l’hypothèse d’efficience des mar­chés à terme en prô­nant le recours à un méca­nisme ins­ti­tu­tion­nel exo­gène char­gé de dif­fu­ser auprès des opé­ra­teurs des infor­ma­tions objec­tives concer­nant les dis­po­ni­bi­li­tés réelles des matières pre­mières ain­si que l’action des socié­tés humaines sur ces der­nières. En clair, une sorte de Giec des matières pre­mières et des mine­rais. Solow s’exprimait de la façon sui­vante à ce sujet : « Le mar­ché des matières épui­sables [est] peut-être l’un des domaines de l’économie où une sorte de pla­ni­fi­ca­tion orga­ni­sée sur un mode indi­ca­tif serait à même de jouer un rôle construc­tif. Plu­tôt que d’un sys­tème de prise de déci­sion cen­tra­li­sée qui peut se carac­té­ri­ser par des exter­na­li­tés spé­ci­fiques, il serait sans doute suf­fi­sant que les auto­ri­tés mettent en œuvre un pro­gramme conti­nu de col­lecte et de dif­fu­sion d’informations cou­vrant les ten­dances tech­no­lo­giques, l’état des réserves et de la demande.14 » Cette cita­tion est extraite d’un article qui date de 1974. Ce fait semble en dire long sur l’importance qu’accordent réel­le­ment les gou­ver­ne­ments occi­den­taux à une régu­la­tion en pro­fon­deur des mar­chés à terme de matières premières.

De tout ceci, on dédui­ra plus sérieu­se­ment que le Saint-Siège dis­pose d’une vision plus péné­trante des mar­chés à terme de matières pre­mières que bien des ser­vices d’études pri­vés. Errare huma­num est, perseverare…

  1. Fer­ris W. G, The Grain Tra­ders : The Sto­ry of the Chi­ca­go Board of Trade, Michi­gan State Uni­ver­si­ty Press, East Lan­sing (US-MI), 1988, p. 15 et pas­sim.
  2. Pour plus de pré­ci­sions, lire Ber­nard Y. et Col­li C., Dic­tion­naire éco­no­mique et finan­cier (6e édi­tion), Seuil, Paris, 1996, p. 150 et pas­sim.
  3. Mar­kham J. W., « Mani­pu­la­tion of Com­mo­di­ty Futures Prices-The Unpro­se­cu­table Crime », Yale Jour­nal on Regu­la­tion, vol. 8, 1991, p. 281.
  4. Mar­kham J. W., op. cit., p. 286. Cal­culs propres.
  5. Banque des règle­ments inter­na­tio­naux (BRI), mai 2018.
  6. Mar­kham J. W., op.cit., p. 357.
  7. Har­ring­ton W. D., « The Mani­pu­la­tion of Com­mo­di­ty Futures Prices », St. John’s Law Review, vol. 55, n° 2, 2012, p. 240 – 241.
  8. Bloom­berg Busi­ness Week, édi­tion mise en ligne le 21 février 2017.
  9. Jef­fers E., Pol­lin J.-P., « Dérè­gle­men­ta­tion ban­caire des années 1980 et crise finan­cière », Revue d’économie finan­cière, 2012/1, n° 105, p. 103.
  10. Jef­fers E., Pol­lin J.-P., op.cit, p. 110.
  11. Geof­fron P., « Le pro­ces­sus de concen­tra­tion de l’industrie ban­caire amé­ri­caine : formes et effets », Revue d’économie indus­trielle, vol. 70, 4e tri­mestre 1994, p. 120.
  12. Inter­view d’H. Kauf­man, L’Écho, 29 décembre 2009.
  13. FDIC, juin 2018.
  14. Solow R., « The Eco­no­mics of Resources or the Resources of Eco­no­mics », The Ame­ri­can Eco­no­mic Review, vol. 64, n° 2, 1974, p. 12.

Xavier Dupret


Auteur

chercheur auprès de l’association culturelle Joseph Jacquemotte et doctorant en économie à l’université de Nancy (France)