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Migrants : bienvenue dans une Belgique en crise
L’année 2011 restera comme un douloureux constat d’échec en matière de politique migratoire. La gestion catastrophique de l’accueil et le manque de volonté politique à mettre en place une politique claire et digne en la matière, aboutissent au renvoi à la rue de familles entières. Par ailleurs, l’espoir mis dans la régularisation par le travail montre, crise et délais de traitement aidant, ses cruelles limites.
Les dessous de la crise de l’accueil
Jean-Charles Stevens
Même affublé de son désormais inséparable adjectif « crise », l’accueil porte mal son nom. Ce terme, chargé positivement, masque par de tristes remous aux relents fatalistes une volonté plus sombre et plus profonde de ne pas résoudre cette situation. Ce dont il est question ici, c’est d’une véritable politique du rejet de l’étranger. Le contexte général de récession économique, amplifié par une crise politique d’une durée sans précédent, a fourni un terreau fertile à cette xénophobie d’État. Une xénophobie qui s’exprime « par les actes et discours d’autorités publiques qui désignent l’étranger comme un problème, un risque ou une menace et activent ainsi d’autres formes de xénophobie1 ».
L’augmentation certaine des demandes d’asile ces dernières années ne permet en aucun cas de justifier les refus d’accueil dont ont été victimes plus de 15.000 étrangers. La Belgique est obligée, sur la base des lois et traités qu’elle a signés, de garantir la dignité humaine de toutes ces personnes et est tenue d’y mettre les moyens nécessaires. Pour faire face à cette situation et offrir un hébergement à tous, l’État dispose d’un outil spécialement prévu à cet effet : le plan de répartition. Celui-ci permet en cas de saturation du réseau d’accueil de répartir les demandeurs d’asile dans les différents CPAS belges et d’alléger l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil). Faute de consensus politique, ce dernier n’a pas été mis en place. La priorité n’a donc pas été la résolution de cette crise, mais bien la poursuite de l’objectif qui est d’éviter à tout prix d’avoir recours aux CPAS et à l’aide financière. Le dogme de l’aide matérielle motivé par la peur de l’«appel d’air » est maintenu jusqu’à l’absurde.
Les seules solutions structurelles mises en place pour faire face à la crise sont arrivées trop tard et s’avèrent insuffisantes. La création de nouvelles places d’accueil, le raccourcissement des délais de procédure d’asile, mais aussi une sévérité accrue des critères permettant à des personnes d’obtenir droit à l’accueil, ne permettent pas de diminuer suffisamment l’engorgement du réseau d’accueil. Pour y faire face, Fedasil va recourir à un ensemble de pratiques illégales. Le refus d’accueil et l’exclusion des centres deviennent ainsi systématiques pour certaines catégories d’étrangers. Les demandeurs d’asile sont quant à eux abandonnés à leur propre sort dès lors qu’aucune place d’accueil ne leur est désignée. Les rejetés de l’accueil s’adressent alors aux CPAS qui refusent bien souvent de les aider. Ce sont finalement les juges qui vont reconnaitre leur droit et condamner l’administration à leur fournir un accueil. Malheureusement, l’autorité de la chose jugée n’impressionne pas Fedasil qui ne s’exécute que sous la menace des astreintes.
Cette inertie gouvernementale amplifiée par l’illégalité des pratiques administratives et l’indifférence organisée du CPAS de Bruxelles porte chaque jour atteinte à la dignité humaine d’un nombre croissant d’étrangers. Afin de dénoncer cette situation, la Ligue des droits de l’Homme a décidé de déposer des plaintes pénales pour coalition de fonctionnaires ainsi que pour traitement inhumain et dégradant auprès de l’auditeur du travail contre le CPAS de Bruxelles, Fedasil et les ministres responsables.
Ce drame prévisible et entretenu va également avoir des conséquences sur l’ensemble de la population. Par sa durée et sa visibilité, il distille dans l’opinion publique l’idée que la Belgique est envahie d’étrangers et qu’elle n’est plus en mesure de les accueillir. Tous ces demandeurs d’asile deviennent un danger pour les finances publiques. Les voir dormir dans les parcs et les gares augmente le sentiment d’insécurité et semble dire aux citoyens « si ce n’est pas moi, ce sera toi ». Dans ce contexte, les discours et solutions musclées visant à augmenter en toute légalité l’exclusion de l’Autre reçoivent un accueil chaleureux au sein d’un nombre de plus en plus important de citoyens.
Au nom d’une politique qui craint d’avoir à accueillir toute la misère du monde, un système d’exclusion, producteur de misère, s’est mis en place. L’indignité humaine est devenue un nouvel instrument de politique migratoire. Si l’accueil en aide matérielle ne semble pas suffisamment décourageant, peut-être que la mise à la rue le sera ? Le prix à payer en est un relativisme accepté des droits fondamentaux et une généralisation des discours et pratiques xénophobes. Phénomène qu’à une autre époque, certains qualifiaient de banalisation du mal.
Il faut cesser de traiter la question migratoire comme un problème dont la résolution passe exclusivement par un repli sur soi et par une remise en cause de facto des droits fondamentaux. Au contraire, il est temps d’envisager comment des politiques plus propices à la mobilité peuvent être un facteur de développement non seulement socioéconomique, mais également de droits humains.
La régularisation par le travail : un bilan mitigé
Marie-Belle Hiernaux
En septembre 2009, une vaste opération de régularisation de personnes en situation de séjour irrégulier ou précaire était entamée à la suite d’une instruction du 19 juillet 2009. L’un des critères temporaires visait la régularisation par le travail. Les conditions en étaient les suivantes : présenter un contrat de travail de minimum un an conforme à la règlementation du travail et permettant l’obtention d’un permis de travail B, prouver une résidence en Belgique depuis le 31 mars 2007 et justifier d’un ancrage local durable.
Deux ans plus tard, le bilan est sans appel : la régularisation par le travail n’était qu’un « miroir aux alouettes2 ». À l’origine de ce constat d’échec, deux facteurs essentiels : la situation de vulnérabilité et de dépendance vis-à-vis de l’employeur, et le parcours du combattant que représente la procédure mise en place.
Un contrat de travail signé avant le 15 décembre 2009
On peut imaginer la difficulté pour une personne sans papier de produire à court terme un contrat en bonne et due forme. L’employeur, conscient de la lourdeur des démarches administratives pour l’obtention d’une autorisation d’occupation du travailleur étranger, ou désireux de disposer rapidement de main‑d’œuvre, est souvent réticent à signer un tel contrat. Le travailleur, de son côté, risque d’accepter des conditions de travail peu avantageuses auprès d’employeurs peu fiables. Ainsi, certains contrats auraient été négociés contre l’engagement du travailleur à prester plus d’heures ou contre remboursement à l’employeur des cotisations patronales. Par ailleurs, il semble que les employeurs de travailleurs clandestins soient peu enclins à régulariser leur situation3. Ce ne sera donc qu’exceptionnellement qu’un contrat valable et effectif pourra être produit.
L’examen de la demande par l’Office des étrangers
Outre les autres conditions de régularisation, l’Office des étrangers contrôle la validité du contrat de travail. Ainsi, les contrats à durée déterminée de moins d’un an ou prévoyant un salaire insuffisant seront écartés. Dans ce cas, la demande sera jugée irrecevable, sans possibilité de rectifier le contrat.
De plus, le trop long délai de traitement des demandes à l’office a fait que de nombreux employeurs n’ont pu attendre pour procéder à l’engagement, de sorte que, lors de la notification de la décision positive de l’office, l’emploi n’était plus disponible. Il faut alors dans l’urgence (endéans les trois mois), trouver un autre employeur prêt à engager.
L’examen de la demande par la Région compétente
Là aussi, de nombreuses demandes seront rejetées. Si l’employeur n’est pas en règle de cotisations sociales, si le salaire proposé est en dessous des barèmes légaux en vigueur dans ce secteur, si la santé financière de l’entreprise est incertaine, etc., la Région refusera de délivrer le permis de travail.
En outre, la loi prévoit que la demande de permis de travail soit introduite par l’employeur. Le travailleur n’a donc pas la maitrise de sa procédure. Or, certains employeurs ont renoncé à leur demande en cours sans en informer le candidat au travail.
Le renouvèlement
Le séjour octroyé dans le cadre de la régularisation par le travail est temporaire. Son renouvèlement est conditionné à celui du permis de séjour qui sera octroyé « en vue de la continuation, chez un même employeur ou non, de l’emploi d’un même travailleur dans la même profession4 ». En d’autres termes, si un travailleur perd son emploi ou désire en changer, il ne pourra bénéficier du renouvèlement de son permis B que pour exercer la même profession. D’autre part, si les administrations régionales ont décidé de faire exception à la condition d’examen du marché de l’emploi, dans le cadre de l’examen des demandes introduites en application de l’instruction, cette possibilité n’a pas été prévue pour le renouvèlement, ce qui conduit à une grande insécurité juridique.
Au vu de ce qui précède, il nous semble que si ce critère a permis de régulariser le séjour d’un certain nombre de personnes (425 permis délivrés par la Région de Bruxelles Capitale, 425 par la Région flamande, et 83 par la Région wallonne5), sa mise en œuvre ne s’est pas faite sans mal. De nombreux problèmes se sont posés et se posent encore aujourd’hui, notamment lors du renouvèlement du titre de séjour délivré. Trop d’incertitudes entourent cette procédure « one shot ». Une meilleure concertation avec les principaux acteurs aurait sans doute déjà permis d’éviter un certain nombre de problèmes. Par ailleurs, la sécurité juridique implique d’inscrire des critères de régularisation permanents dans un texte de loi.
Une réflexion à plus long terme mériterait d’être menée sur la question de la migration par le travail.
- Valluy J., Rejet des exilés, éditions du Croquant, 2009, p. 375.
- Corbiau Fr., « Le parcours du combattant de la régularisation par le travail » dans Migrations Magazine, n°5, automne 2011, p. 19 ; note d’évaluation, Forum Asile & Migrations, juillet 2011 consultable sur www.cire.be.
- Cranen S., Depasse R. et Hubleau C., « Les trois portes de la “régul”», dans Migrations Magazine, n°1, hiver 2009 – 2010, p. 52 – 53.
- Arrêté royal du 9 juin 1999 portant exécution de la loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers, article 31.
- Chiffres tirés de la Note d’évaluation du Forum asile et migrations (fam), juillet 2011, consultable sur www.cire.be.