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Migrants : bienvenue dans une Belgique en crise

Numéro 2 Février 2012 par Marie-Belle Hiernaux

février 2012

L’an­née 2011 res­te­ra comme un dou­lou­reux constat d’é­chec en matière de poli­tique migra­toire. La ges­tion catas­tro­phique de l’ac­cueil et le manque de volon­té poli­tique à mettre en place une poli­tique claire et digne en la matière, abou­tissent au ren­voi à la rue de familles entières. Par ailleurs, l’es­poir mis dans la régu­la­ri­sa­tion par le tra­vail montre, crise et délais de trai­te­ment aidant, ses cruelles limites.

Les dessous de la crise de l’accueil

Jean-Charles Ste­vens

Même affu­blé de son désor­mais insé­pa­rable adjec­tif « crise », l’accueil porte mal son nom. Ce terme, char­gé posi­ti­ve­ment, masque par de tristes remous aux relents fata­listes une volon­té plus sombre et plus pro­fonde de ne pas résoudre cette situa­tion. Ce dont il est ques­tion ici, c’est d’une véri­table poli­tique du rejet de l’étranger. Le contexte géné­ral de réces­sion éco­no­mique, ampli­fié par une crise poli­tique d’une durée sans pré­cé­dent, a four­ni un ter­reau fer­tile à cette xéno­pho­bie d’État. Une xéno­pho­bie qui s’exprime « par les actes et dis­cours d’autorités publiques qui dési­gnent l’étranger comme un pro­blème, un risque ou une menace et activent ain­si d’autres formes de xéno­pho­bie1 ».

L’augmentation cer­taine des demandes d’asile ces der­nières années ne per­met en aucun cas de jus­ti­fier les refus d’accueil dont ont été vic­times plus de 15.000 étran­gers. La Bel­gique est obli­gée, sur la base des lois et trai­tés qu’elle a signés, de garan­tir la digni­té humaine de toutes ces per­sonnes et est tenue d’y mettre les moyens néces­saires. Pour faire face à cette situa­tion et offrir un héber­ge­ment à tous, l’État dis­pose d’un outil spé­cia­le­ment pré­vu à cet effet : le plan de répar­ti­tion. Celui-ci per­met en cas de satu­ra­tion du réseau d’accueil de répar­tir les deman­deurs d’asile dans les dif­fé­rents CPAS belges et d’alléger l’Agence fédé­rale pour l’accueil des deman­deurs d’asile (Feda­sil). Faute de consen­sus poli­tique, ce der­nier n’a pas été mis en place. La prio­ri­té n’a donc pas été la réso­lu­tion de cette crise, mais bien la pour­suite de l’objectif qui est d’éviter à tout prix d’avoir recours aux CPAS et à l’aide finan­cière. Le dogme de l’aide maté­rielle moti­vé par la peur de l’«appel d’air » est main­te­nu jusqu’à l’absurde.

Les seules solu­tions struc­tu­relles mises en place pour faire face à la crise sont arri­vées trop tard et s’avèrent insuf­fi­santes. La créa­tion de nou­velles places d’accueil, le rac­cour­cis­se­ment des délais de pro­cé­dure d’asile, mais aus­si une sévé­ri­té accrue des cri­tères per­met­tant à des per­sonnes d’obtenir droit à l’accueil, ne per­mettent pas de dimi­nuer suf­fi­sam­ment l’engorgement du réseau d’accueil. Pour y faire face, Feda­sil va recou­rir à un ensemble de pra­tiques illé­gales. Le refus d’accueil et l’exclusion des centres deviennent ain­si sys­té­ma­tiques pour cer­taines caté­go­ries d’étrangers. Les deman­deurs d’asile sont quant à eux aban­don­nés à leur propre sort dès lors qu’aucune place d’accueil ne leur est dési­gnée. Les reje­tés de l’accueil s’adressent alors aux CPAS qui refusent bien sou­vent de les aider. Ce sont fina­le­ment les juges qui vont recon­naitre leur droit et condam­ner l’administration à leur four­nir un accueil. Mal­heu­reu­se­ment, l’autorité de la chose jugée n’impressionne pas Feda­sil qui ne s’exécute que sous la menace des astreintes.

Cette iner­tie gou­ver­ne­men­tale ampli­fiée par l’illégalité des pra­tiques admi­nis­tra­tives et l’indifférence orga­ni­sée du CPAS de Bruxelles porte chaque jour atteinte à la digni­té humaine d’un nombre crois­sant d’étrangers. Afin de dénon­cer cette situa­tion, la Ligue des droits de l’Homme a déci­dé de dépo­ser des plaintes pénales pour coa­li­tion de fonc­tion­naires ain­si que pour trai­te­ment inhu­main et dégra­dant auprès de l’auditeur du tra­vail contre le CPAS de Bruxelles, Feda­sil et les ministres responsables.

Ce drame pré­vi­sible et entre­te­nu va éga­le­ment avoir des consé­quences sur l’ensemble de la popu­la­tion. Par sa durée et sa visi­bi­li­té, il dis­tille dans l’opinion publique l’idée que la Bel­gique est enva­hie d’étrangers et qu’elle n’est plus en mesure de les accueillir. Tous ces deman­deurs d’asile deviennent un dan­ger pour les finances publiques. Les voir dor­mir dans les parcs et les gares aug­mente le sen­ti­ment d’insécurité et semble dire aux citoyens « si ce n’est pas moi, ce sera toi ». Dans ce contexte, les dis­cours et solu­tions mus­clées visant à aug­men­ter en toute léga­li­té l’exclusion de l’Autre reçoivent un accueil cha­leu­reux au sein d’un nombre de plus en plus impor­tant de citoyens.

Au nom d’une poli­tique qui craint d’avoir à accueillir toute la misère du monde, un sys­tème d’exclusion, pro­duc­teur de misère, s’est mis en place. L’indignité humaine est deve­nue un nou­vel ins­tru­ment de poli­tique migra­toire. Si l’accueil en aide maté­rielle ne semble pas suf­fi­sam­ment décou­ra­geant, peut-être que la mise à la rue le sera ? Le prix à payer en est un rela­ti­visme accep­té des droits fon­da­men­taux et une géné­ra­li­sa­tion des dis­cours et pra­tiques xéno­phobes. Phé­no­mène qu’à une autre époque, cer­tains qua­li­fiaient de bana­li­sa­tion du mal.

Il faut ces­ser de trai­ter la ques­tion migra­toire comme un pro­blème dont la réso­lu­tion passe exclu­si­ve­ment par un repli sur soi et par une remise en cause de fac­to des droits fon­da­men­taux. Au contraire, il est temps d’envisager com­ment des poli­tiques plus pro­pices à la mobi­li­té peuvent être un fac­teur de déve­lop­pe­ment non seule­ment socioé­co­no­mique, mais éga­le­ment de droits humains.

La régularisation par le travail : un bilan mitigé

Marie-Belle Hier­naux

En sep­tembre 2009, une vaste opé­ra­tion de régu­la­ri­sa­tion de per­sonnes en situa­tion de séjour irré­gu­lier ou pré­caire était enta­mée à la suite d’une ins­truc­tion du 19 juillet 2009. L’un des cri­tères tem­po­raires visait la régu­la­ri­sa­tion par le tra­vail. Les condi­tions en étaient les sui­vantes : pré­sen­ter un contrat de tra­vail de mini­mum un an conforme à la règle­men­ta­tion du tra­vail et per­met­tant l’obtention d’un per­mis de tra­vail B, prou­ver une rési­dence en Bel­gique depuis le 31 mars 2007 et jus­ti­fier d’un ancrage local durable.

Deux ans plus tard, le bilan est sans appel : la régu­la­ri­sa­tion par le tra­vail n’était qu’un « miroir aux alouettes2 ». À l’origine de ce constat d’échec, deux fac­teurs essen­tiels : la situa­tion de vul­né­ra­bi­li­té et de dépen­dance vis-à-vis de l’employeur, et le par­cours du com­bat­tant que repré­sente la pro­cé­dure mise en place.

Un contrat de tra­vail signé avant le 15 décembre 2009

On peut ima­gi­ner la dif­fi­cul­té pour une per­sonne sans papier de pro­duire à court terme un contrat en bonne et due forme. L’employeur, conscient de la lour­deur des démarches admi­nis­tra­tives pour l’obtention d’une auto­ri­sa­tion d’occupation du tra­vailleur étran­ger, ou dési­reux de dis­po­ser rapi­de­ment de main‑d’œuvre, est sou­vent réti­cent à signer un tel contrat. Le tra­vailleur, de son côté, risque d’accepter des condi­tions de tra­vail peu avan­ta­geuses auprès d’employeurs peu fiables. Ain­si, cer­tains contrats auraient été négo­ciés contre l’engagement du tra­vailleur à pres­ter plus d’heures ou contre rem­bour­se­ment à l’employeur des coti­sa­tions patro­nales. Par ailleurs, il semble que les employeurs de tra­vailleurs clan­des­tins soient peu enclins à régu­la­ri­ser leur situa­tion3. Ce ne sera donc qu’exceptionnellement qu’un contrat valable et effec­tif pour­ra être produit.

L’examen de la demande par l’Office des étrangers

Outre les autres condi­tions de régu­la­ri­sa­tion, l’Office des étran­gers contrôle la vali­di­té du contrat de tra­vail. Ain­si, les contrats à durée déter­mi­née de moins d’un an ou pré­voyant un salaire insuf­fi­sant seront écar­tés. Dans ce cas, la demande sera jugée irre­ce­vable, sans pos­si­bi­li­té de rec­ti­fier le contrat.

De plus, le trop long délai de trai­te­ment des demandes à l’office a fait que de nom­breux employeurs n’ont pu attendre pour pro­cé­der à l’engagement, de sorte que, lors de la noti­fi­ca­tion de la déci­sion posi­tive de l’office, l’emploi n’était plus dis­po­nible. Il faut alors dans l’urgence (endéans les trois mois), trou­ver un autre employeur prêt à engager.

L’examen de la demande par la Région compétente

Là aus­si, de nom­breuses demandes seront reje­tées. Si l’employeur n’est pas en règle de coti­sa­tions sociales, si le salaire pro­po­sé est en des­sous des barèmes légaux en vigueur dans ce sec­teur, si la san­té finan­cière de l’entreprise est incer­taine, etc., la Région refu­se­ra de déli­vrer le per­mis de travail.

En outre, la loi pré­voit que la demande de per­mis de tra­vail soit intro­duite par l’employeur. Le tra­vailleur n’a donc pas la mai­trise de sa pro­cé­dure. Or, cer­tains employeurs ont renon­cé à leur demande en cours sans en infor­mer le can­di­dat au travail.

Le renou­vè­le­ment

Le séjour octroyé dans le cadre de la régu­la­ri­sa­tion par le tra­vail est tem­po­raire. Son renou­vè­le­ment est condi­tion­né à celui du per­mis de séjour qui sera octroyé « en vue de la conti­nua­tion, chez un même employeur ou non, de l’emploi d’un même tra­vailleur dans la même pro­fes­sion4 ». En d’autres termes, si un tra­vailleur perd son emploi ou désire en chan­ger, il ne pour­ra béné­fi­cier du renou­vè­le­ment de son per­mis B que pour exer­cer la même pro­fes­sion. D’autre part, si les admi­nis­tra­tions régio­nales ont déci­dé de faire excep­tion à la condi­tion d’examen du mar­ché de l’emploi, dans le cadre de l’examen des demandes intro­duites en appli­ca­tion de l’instruction, cette pos­si­bi­li­té n’a pas été pré­vue pour le renou­vè­le­ment, ce qui conduit à une grande insé­cu­ri­té juridique.

Au vu de ce qui pré­cède, il nous semble que si ce cri­tère a per­mis de régu­la­ri­ser le séjour d’un cer­tain nombre de per­sonnes (425 per­mis déli­vrés par la Région de Bruxelles Capi­tale, 425 par la Région fla­mande, et 83 par la Région wal­lonne5), sa mise en œuvre ne s’est pas faite sans mal. De nom­breux pro­blèmes se sont posés et se posent encore aujourd’hui, notam­ment lors du renou­vè­le­ment du titre de séjour déli­vré. Trop d’incertitudes entourent cette pro­cé­dure « one shot ». Une meilleure concer­ta­tion avec les prin­ci­paux acteurs aurait sans doute déjà per­mis d’éviter un cer­tain nombre de pro­blèmes. Par ailleurs, la sécu­ri­té juri­dique implique d’inscrire des cri­tères de régu­la­ri­sa­tion per­ma­nents dans un texte de loi.

Une réflexion à plus long terme méri­te­rait d’être menée sur la ques­tion de la migra­tion par le travail.

  1. Val­luy J., Rejet des exi­lés, édi­tions du Cro­quant, 2009, p. 375.
  2. Cor­biau Fr., « Le par­cours du com­bat­tant de la régu­la­ri­sa­tion par le tra­vail » dans Migra­tions Maga­zine, n°5, automne 2011, p. 19 ; note d’évaluation, Forum Asile & Migra­tions, juillet 2011 consul­table sur www.cire.be.
  3. Cra­nen S., Depasse R. et Hubleau C., « Les trois portes de la “régul”», dans Migra­tions Maga­zine, n°1, hiver 2009 – 2010, p. 52 – 53.
  4. Arrê­té royal du 9 juin 1999 por­tant exé­cu­tion de la loi du 30 avril 1999 rela­tive à l’occupation des tra­vailleurs étran­gers, article 31.
  5. Chiffres tirés de la Note d’évaluation du Forum asile et migra­tions (fam), juillet 2011, consul­table sur www.cire.be.

Marie-Belle Hiernaux


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