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Michel Capron, chroniqueur économique et social

Numéro 07/8 Juillet-Août 2013 par Pierre Reman

juillet 2013

Michel Capron est décé­dé le 25 mai. L’équipe de La Revue nou­velle perd un de ses meilleurs col­la­bo­ra­teurs et beau­coup au sein de celle-ci un ami mer­veilleux. Pen­dant plu­sieurs décen­nies et avec une fidé­li­té jamais prise en défaut, Michel Capron a pro­po­sé à La Revue nou­velle de mul­tiples articles et chro­niques sur la vie indus­trielle de notre […]

Le Mois

arton2921.jpg Michel Capron est décé­dé le 25 mai. L’équipe de La Revue nou­velle perd un de ses meilleurs col­la­bo­ra­teurs et beau­coup au sein de celle-ci un ami merveilleux.

Pen­dant plu­sieurs décen­nies et avec une fidé­li­té jamais prise en défaut, Michel Capron a pro­po­sé à La Revue nou­velle de mul­tiples articles et chro­niques sur la vie indus­trielle de notre pays et de ses régions, son évo­lu­tion, ses trans­for­ma­tions et ses conflits1. Éco­no­miste de for­ma­tion, Michel Capron pre­nait la mesure des enjeux de cette nature se posant aux entre­prises et aux sec­teurs confron­tés aux muta­tions du capi­ta­lisme belge et inter­na­tio­nal. L’économie qui l’intéressait était l’économie réelle encas­trée dans des pay­sages, des ins­ti­tu­tions et de plus en plus dans des réseaux inter­na­tio­naux. Michel était un véri­table chro­ni­queur social. Chaque matin, chez lui ou dans son bureau de la Fopes à Lou­vain-la-Neuve, il enta­mait sa jour­née par un recueil sys­té­ma­tique de toutes les infor­ma­tions parues dans la presse tant fran­co­phone que fla­mande. À par­tir de là, il se consti­tuait des don­nées sur les thèmes qui lui tenaient à cœur : sidé­rur­gie, autres sec­teurs indus­triels, trans­port public, syn­di­ca­lisme, concer­ta­tion, conflits sociaux, etc. Les lec­teurs de La Revue nou­velle ont ain­si pu lire régu­liè­re­ment ses articles ou chro­niques men­suelles dans « le mois ». Ces der­niers temps, Michel sen­tait le besoin de ras­sem­bler ses écrits, de les retra­vailler, de prendre le recul que per­met l’histoire et d’affiner son pro­pos. C’est au Crisp qu’il a trou­vé une équipe et un lieu pro­pice à faire ce tra­vail de syn­thèse. Avant que la mala­die se déclare, Michel Capron avait été la che­ville ouvrière de l’ouvrage Dyna­miques de la concer­ta­tion sociale et, pour conju­rer le mal qui l’affaiblissait, il a conti­nué à pro­duire non seule­ment pour La Revue nou­velle, mais aus­si pour le Crisp, plu­sieurs articles et cour­riers heb­do­ma­daires. Paral­lè­le­ment, il a enta­mé la rédac­tion d’un livre d’histoire de la sidé­rur­gie qu’il nous laisse le soin de terminer.

Michel Capron avait le don d’expliquer des situa­tions com­plexes avec des mots simples. Les médias l’ont vite per­çu et le sol­li­ci­taient de plus en plus pour rece­voir une infor­ma­tion, obte­nir un com­men­taire et une ana­lyse. Ce sont les médias qui lui ont confé­ré le titre de pro­fes­seur d’université et per­sonne n’a contes­té cela — même au sein de l’UCL —, car ce n’était pas lui qui s’était arro­gé ce titre et on savait qu’il n’en tire­rait aucune gloire, ni pro­fit per­son­nel. Il était res­pec­té de tous, car on savait que ses écrits étaient fon­dés et son rai­son­ne­ment bâti sur une rigueur et une hon­nê­te­té intel­lec­tuelles jamais prises en défaut. Pour autant, Michel ne cachait pas ses sym­pa­thies. Elles allaient vers les tra­vailleurs qu’il pré­fé­rait défi­nir posi­ti­ve­ment par leurs luttes que néga­ti­ve­ment par leurs condi­tions d’exclus ou d’exploités. L’approche pri­vi­lé­giée par Michel Capron est une approche du social par les acteurs. Bien enten­du, les ins­ti­tu­tions comp­taient dans ses ana­lyses et, tous les deux ans, on atten­dait ses com­men­taires quand un accord inter­pro­fes­sion­nel était conclu ou avait échoué. Tou­jours la stra­té­gie et la posi­tion des acteurs étaient prises en compte.

Si Michel ne cachait pas son enga­ge­ment auprès des tra­vailleurs, il gar­dait son indé­pen­dance d’esprit lorsqu’il s’agissait de réflé­chir sur les orga­ni­sa­tions, les appa­reils, la concer­ta­tion et autres modes de décision.

Les sujets trai­tés par Michel Capron étaient sou­vent aus­tères et graves. La réa­li­té étant ce qu’elle est, ses chro­niques sociales por­taient sur­tout sur des trans­for­ma­tions sociales mar­quées par le déclin indus­triel, les restruc­tu­ra­tions dures, les recon­ver­sions incer­taines et la décom­po­si­tion de cer­taines formes d’action sociales et poli­tiques. L’homme pour­tant avait le soin de lais­ser dans ses textes des zones d’espoir et des pers­pec­tives de pro­grès. Chez lui, ce sont les acteurs qui ont le der­nier mot et qui font l’histoire. À sa manière, avec sérieux et modes­tie, il fut l’un deux.

  1. Son der­nier article, « Le “capi­ta­lisme sau­vage” d’ArcelorMittal », est paru dans le numé­ro de mars 2013 et à consul­ter sur www.revuenouvelle.be ; dans ce numé­ro-ci, on pour­ra relire un texte pré­mo­ni­toire, « Sidé­rur­gie. Les stra­té­gies en pré­sence », publié en jan­vier 1979.

Pierre Reman


Auteur

Pierre Reman est économiste et licencié en sciences du Travail. Il a été directeur de la faculté ouverte de politique économique et sociale et titulaire de la Chaire Max Bastin à l’UCL. Il a consacré son enseignement et ses travaux de recherche à la sécurité sociale, les politiques sociales et les politiques de l’emploi. Il est également administrateur au CRISP et membre du Groupe d’analyse des conflits sociaux (GRACOS). Parmi ces récentes publications, citons « La sécurité sociale inachevée », entretien avec Philippe Defeyt, Daniel Dumont et François Perl, Revue Politique, octobre 2020, « L’Avenir, un journal au futur suspendu », in Grèves et conflictualités sociale en 2018, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2024-2025, 1999 (en collaboration avec Gérard Lambert), « Le paysage syndical : un pluralisme dépilarisé », in Piliers, dépilarisation et clivage philosophique en Belgique, CRISP, 2019 (en collaboration avec Jean Faniel). « Entre construction et déconstruction de l’Etat social : la place de l’aide alimentaire », in Aide alimentaire : les protections sociales en jeu, Académia, 2017 (en collaboration avec Philippe Defeyt) et « Analyse scientifique et jugement de valeurs. Une expérience singulière de partenariat entre le monde universitaire et le monde ouvrier », in Former des adultes à l’université, Presse universitaires de Louvain, 2017 en collaboration avec Pierre de Saint-Georges et Georges Liénard).