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Mémoire vidéo
Entre le théâtre et la télévision, souvent, les accords ne sont pas parfaits. Le théâtre se plaignant de « l’indisponibilité » de la télévision pour rendre compte de ses activités et la télévision, de son côté, reprochant au théâtre son difficile passage sur le petit écran. De plus, gens de théâtre et de télévision ne poursuivent pas les mêmes objectifs : les uns défendent à cor et à cri la spécificité de la représentation, les autres insistent sur la nécessaire adaptation du spectacle vivant pour passer le cap de l’émission. Les divers arguments se nourrissent des caractéristiques intrinsèques de l’un ou l’autre média (on aurait envie de dire… art). Dans notre Communauté, les difficultés de passage du théâtre à la télévision ne devraient pas empêcher ce qui ressortit tout naturellement du moins on ose encore le croire, à la mission d’une télévision de service public. Et pourtant…
Et pourtant, les émissions théâtrales (et littéraires) sont en passe d’être supprimées prochainement sur notre petit écran RTBF. Questions d’audimat et d’espace pour la régie publicitaire… L’ancien « Théâtre Club » produit par Lucien Binot a été poursuivi, sous une autre forme, par le nouveau producteur Mike Roukeyns. Mais récemment il a vu ses émissions suspendues le budget étant affecté à d’autres usages… Sans entrer plus avant dans ce nouvel épisode ertébéen, force est de constater que le théâtre fait et toute la culture et les arts avec lui, encore les premiers frais des compressions budgétaires dont va souffrir prochainement tout le secteur art et culture de la Communauté française. L’enseignement réclame, à juste titre, de nouveaux moyens et voilà la culture qui se trouve à nouveau saignée ! On savait la Communauté française en réelle difficulté budgétaire, mais de là à encore diminuer les faibles moyens consentis à la création, à la production et à la diffusion culturelles et artistiques de notre Communauté, il y avait un pas à ne pas franchir…
Le voilà donc à nouveau franchi ce pas qui, dans le cas du théâtre à la télévision, accusera la perte d’une des rares occasions pour un public de plusieurs dizaines de milliers de spectateurs de découvrir la richesse d’un théâtre de création ou de répertoire que chacun consent à souligner ! Exit donc (provisoirement?) le théâtre du petit écran.
Le théâtre a cependant de plus en plus besoin de la télévision pour conserver ses traces et sa mémoire. Traces d’un art éphémère toujours voué à une certaine forme d’oubli : celui de l’acteur. Mais tout n’est pas définitivement pourri en ce royaume comme le prouve l’existence d’un service dirigé par l’écrivain et dramaturge Paul Emond à la Bibliothèque Royale : les « Archives et musée de la littérature » et sa section audiovisuelle. Paul Emond y joue le rôle de producteur en affectant, après décision en accord avec Marc Quaghebeur (« Cellule fin de Siècle ») et administrateur des « Archives et musée de la littérature » certaines tranches de son budget (1.000.000 FB) aux captations de spectacles d’auteurs belges en cours. Daniel Van Meerhaeghe des « Archives et musée de la littérature » a, depuis bientôt trois ans, la charge de toute la captation audio et télévisuelle des manifestations littéraires et théâtrales des artistes de notre Communauté. Un service à découvrir et des vidéogrammes à percevoir dans ce qu’ils ont de plus original : ils sont la traduction de l’œil du spectateur et conservés sur des supports professionnels défiant l’usure du temps.
La mémoire du théâtre
Le principe de ces captations est simple, mais efficace : avec une caméra vidéo professionnelle et des micros ingénieusement disposés dans la salle, l’équipe constituée de deux personnes (Philippe Galazka pour l’image et Daniel Van Meerhaeghe, ingénieur du son) enregistre la représentation après une première vision de repérage. Le produit ainsi obtenu est, en fin de course, confié à Jean-Claude Boulanger qui s’occupe de la supervision du mixage multipiste en studio. Cette volonté d’archivage a déjà permis l’enregistrement d’une dizaine de pièces par an une bonne vingtaine à ce jour. Bien entendu, le cout réduit de l’opération (une centaine de milliers de francs par « unité de tournage ») ne permet pas de passer à ce qu’il est convenu d’appeler une « dramatique » (même si une exception a été faite à la règle par Micheline Hardy réalisant une dramatique de douze minutes, Traces de Respire, à partir du spectacle Respire de Nicole Cabès et Alain Populaire qu’elle avait mis en scène au Théâtre del’Ancre). Il s’agirait alors d’envisager des coproductions avec la RTBF (mais on connait sa position en la matière en ce moment en ce qui concerne les captations théâtrales) et les télévisions communautaires (cela a déjà été le cas avec Télé-Bruxelles). L’archivage pose de multiples questions en matière de support (il s’agit de garder en parfait état les copies réalisées et, à court terme, de les transférer sur vidéodisque), de consultation (organiser des séances de visionnement pour les professionnels du spectacle ou les étudiants ou chercheurs intéressés) et de droits (la diffusion à l’extérieur du musée implique le payement de droits aux ayants droit).
Comme on le voit, les compagnies théâtrales montant des auteurs belges ont aujourd’hui la possibilité d’inscrire leur travail dans une durée ce que ne permettent pas les représentations. Cela représente certes un capital inestimable pour l’avenir, mais l’exploitation de ces documents dans le présent n’a certainement pas encore atteint son maximum de potentialité. L’équipe de réalisation rêve d’une utilisation plus large (pédagogique, par exemple, dans les cours de français ou d’initiation artistique) des documents qu’elle produit. Mais l’option d’archivage, qui pourrait être prochainement complétée par une partie de « reportage » sur le spectacle se trouve confrontée à un manque d’habitude des professionnels ou des usagers de notre Communauté d’accorder une réelle place à la mémoire de l’art ou de la culture…
Création d’un répertoire
La section audiovisuelle des Archives et Musée de la Littérature, outre les deux-mille documents sonores archivés et les milliers de photos d’auteurs ou de spectacles belges réalisées par Nicole Hellyn, offre, à travers ces nouveaux vidéogrammes, une véritable matière d’analyse de l’évolution du théâtre belge de la Communauté française. Le point de vue du spectateur qui a été privilégié permet, sans affèteries, de reconduire la représentation au-delà du temps du théâtre. Même si on sait que l’œil de la caméra n’est pas intelligent et qu’il enregistre sans trier. C’est là la performance que doivent réaliser les preneurs de son et d’image en une seule représentation. Une captation en deux fois pourrait encore améliorer la qualité déjà étonnante des vidéogrammes réalisés. Les rapports entre image et temps de la représentation n’échappent pas à l’équipe de tournage et son ambition n’est pas, aujourd’hui, de réaliser des émissions destinées à un large public. Il faudrait pour cela des moyens de production et de réalisation plus importants, mais l’état actuel des produits permet cependant de concevoir ce genre de programme.
En termes de médiation du théâtre, la vidéo est de plus en plus largement utilisée et il n’est pas rare que la diffusion d’un programme audiovisuel (captation d’une représentation) active ou prolonge la durée des représentations elles-mêmes. C’est en tout cas un outil pédagogique, culturel et de promotion qui souligne la vivacité du champ théâtral contemporain. Les questions de « réduction » du théâtre par la caméra ont trop souvent été le prétexte à une sorte de piétinement de la recherche audiovisuelle en la matière. Les collaborations entre réalisateurs et metteurs en scène sont encore aujourd’hui trop fragiles, esquissées, que pour pouvoir renvoyer dos à dos ces formes d’expressions artistiques. Encore faut-il avoir la volonté d’échapper à une télévision strictement axée sur le court terme.
Publié dans le n° 6, juin 1992.