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Mémoire vidéo

Numéro 8 – 2020 - 75 ans communication culture télévision par Daniel Simon

décembre 2020

Entre le théâtre et la télé­vi­sion, sou­vent, les accords ne sont pas par­faits. Le théâtre se plai­gnant de « l’indisponibilité » de la télé­vi­sion pour rendre compte de ses acti­vi­tés et la télé­vi­sion, de son côté, repro­chant au théâtre son dif­fi­cile pas­sage sur le petit écran. De plus, gens de théâtre et de télé­vi­sion ne pour­suivent pas les mêmes objec­tifs : les uns défendent à cor et à cri la spé­ci­fi­ci­té de la repré­sen­ta­tion, les autres insistent sur la néces­saire adap­ta­tion du spec­tacle vivant pour pas­ser le cap de l’émission. Les divers argu­ments se nour­rissent des carac­té­ris­tiques intrin­sèques de l’un ou l’autre média (on aurait envie de dire… art). Dans notre Com­mu­nau­té, les dif­fi­cul­tés de pas­sage du théâtre à la télé­vi­sion ne devraient pas empê­cher ce qui res­sor­tit tout natu­rel­le­ment du moins on ose encore le croire, à la mis­sion d’une télé­vi­sion de ser­vice public. Et pourtant…

Dossier

Et pour­tant, les émis­sions théâ­trales (et lit­té­raires) sont en passe d’être sup­pri­mées pro­chai­ne­ment sur notre petit écran RTBF. Ques­tions d’audimat et d’espace pour la régie publi­ci­taire… L’ancien « Théâtre Club » pro­duit par Lucien Binot a été pour­sui­vi, sous une autre forme, par le nou­veau pro­duc­teur Mike Rou­keyns. Mais récem­ment il a vu ses émis­sions sus­pen­dues le bud­get étant affec­té à d’autres usages… Sans entrer plus avant dans ce nou­vel épi­sode erté­béen, force est de consta­ter que le théâtre fait et toute la culture et les arts avec lui, encore les pre­miers frais des com­pres­sions bud­gé­taires dont va souf­frir pro­chai­ne­ment tout le sec­teur art et culture de la Com­mu­nau­té fran­çaise. L’enseignement réclame, à juste titre, de nou­veaux moyens et voi­là la culture qui se trouve à nou­veau sai­gnée ! On savait la Com­mu­nau­té fran­çaise en réelle dif­fi­cul­té bud­gé­taire, mais de là à encore dimi­nuer les faibles moyens consen­tis à la créa­tion, à la pro­duc­tion et à la dif­fu­sion cultu­relles et artis­tiques de notre Com­mu­nau­té, il y avait un pas à ne pas franchir…

Le voi­là donc à nou­veau fran­chi ce pas qui, dans le cas du théâtre à la télé­vi­sion, accu­se­ra la perte d’une des rares occa­sions pour un public de plu­sieurs dizaines de mil­liers de spec­ta­teurs de décou­vrir la richesse d’un théâtre de créa­tion ou de réper­toire que cha­cun consent à sou­li­gner ! Exit donc (pro­vi­soi­re­ment?) le théâtre du petit écran.

Le théâtre a cepen­dant de plus en plus besoin de la télé­vi­sion pour conser­ver ses traces et sa mémoire. Traces d’un art éphé­mère tou­jours voué à une cer­taine forme d’oubli : celui de l’acteur. Mais tout n’est pas défi­ni­ti­ve­ment pour­ri en ce royaume comme le prouve l’existence d’un ser­vice diri­gé par l’écrivain et dra­ma­turge Paul Emond à la Biblio­thèque Royale : les « Archives et musée de la lit­té­ra­ture » et sa sec­tion audio­vi­suelle. Paul Emond y joue le rôle de pro­duc­teur en affec­tant, après déci­sion en accord avec Marc Quaghe­beur (« Cel­lule fin de Siècle ») et admi­nis­tra­teur des « Archives et musée de la lit­té­ra­ture » cer­taines tranches de son bud­get (1.000.000 FB) aux cap­ta­tions de spec­tacles d’auteurs belges en cours. Daniel Van Mee­rhae­ghe des « Archives et musée de la lit­té­ra­ture » a, depuis bien­tôt trois ans, la charge de toute la cap­ta­tion audio et télé­vi­suelle des mani­fes­ta­tions lit­té­raires et théâ­trales des artistes de notre Com­mu­nau­té. Un ser­vice à décou­vrir et des vidéo­grammes à per­ce­voir dans ce qu’ils ont de plus ori­gi­nal : ils sont la tra­duc­tion de l’œil du spec­ta­teur et conser­vés sur des sup­ports pro­fes­sion­nels défiant l’usure du temps.

La mémoire du théâtre

Le prin­cipe de ces cap­ta­tions est simple, mais effi­cace : avec une camé­ra vidéo pro­fes­sion­nelle et des micros ingé­nieu­se­ment dis­po­sés dans la salle, l’équipe consti­tuée de deux per­sonnes (Phi­lippe Galaz­ka pour l’image et Daniel Van Mee­rhae­ghe, ingé­nieur du son) enre­gistre la repré­sen­ta­tion après une pre­mière vision de repé­rage. Le pro­duit ain­si obte­nu est, en fin de course, confié à Jean-Claude Bou­lan­ger qui s’occupe de la super­vi­sion du mixage mul­ti­piste en stu­dio. Cette volon­té d’archivage a déjà per­mis l’enregistrement d’une dizaine de pièces par an une bonne ving­taine à ce jour. Bien enten­du, le cout réduit de l’opération (une cen­taine de mil­liers de francs par « uni­té de tour­nage ») ne per­met pas de pas­ser à ce qu’il est conve­nu d’appeler une « dra­ma­tique » (même si une excep­tion a été faite à la règle par Miche­line Har­dy réa­li­sant une dra­ma­tique de douze minutes, Traces de Res­pire, à par­tir du spec­tacle Res­pire de Nicole Cabès et Alain Popu­laire qu’elle avait mis en scène au Théâtre del’Ancre). Il s’agirait alors d’envisager des copro­duc­tions avec la RTBF (mais on connait sa posi­tion en la matière en ce moment en ce qui concerne les cap­ta­tions théâ­trales) et les télé­vi­sions com­mu­nau­taires (cela a déjà été le cas avec Télé-Bruxelles). L’archivage pose de mul­tiples ques­tions en matière de sup­port (il s’agit de gar­der en par­fait état les copies réa­li­sées et, à court terme, de les trans­fé­rer sur vidéo­disque), de consul­ta­tion (orga­ni­ser des séances de vision­ne­ment pour les pro­fes­sion­nels du spec­tacle ou les étu­diants ou cher­cheurs inté­res­sés) et de droits (la dif­fu­sion à l’extérieur du musée implique le paye­ment de droits aux ayants droit).

Comme on le voit, les com­pa­gnies théâ­trales mon­tant des auteurs belges ont aujourd’hui la pos­si­bi­li­té d’inscrire leur tra­vail dans une durée ce que ne per­mettent pas les repré­sen­ta­tions. Cela repré­sente certes un capi­tal ines­ti­mable pour l’avenir, mais l’exploitation de ces docu­ments dans le pré­sent n’a cer­tai­ne­ment pas encore atteint son maxi­mum de poten­tia­li­té. L’équipe de réa­li­sa­tion rêve d’une uti­li­sa­tion plus large (péda­go­gique, par exemple, dans les cours de fran­çais ou d’initiation artis­tique) des docu­ments qu’elle pro­duit. Mais l’option d’archivage, qui pour­rait être pro­chai­ne­ment com­plé­tée par une par­tie de « repor­tage » sur le spec­tacle se trouve confron­tée à un manque d’habitude des pro­fes­sion­nels ou des usa­gers de notre Com­mu­nau­té d’accorder une réelle place à la mémoire de l’art ou de la culture…

Création d’un répertoire

La sec­tion audio­vi­suelle des Archives et Musée de la Lit­té­ra­ture, outre les deux-mille docu­ments sonores archi­vés et les mil­liers de pho­tos d’auteurs ou de spec­tacles belges réa­li­sées par Nicole Hel­lyn, offre, à tra­vers ces nou­veaux vidéo­grammes, une véri­table matière d’analyse de l’évolution du théâtre belge de la Com­mu­nau­té fran­çaise. Le point de vue du spec­ta­teur qui a été pri­vi­lé­gié per­met, sans affè­te­ries, de recon­duire la repré­sen­ta­tion au-delà du temps du théâtre. Même si on sait que l’œil de la camé­ra n’est pas intel­li­gent et qu’il enre­gistre sans trier. C’est là la per­for­mance que doivent réa­li­ser les pre­neurs de son et d’image en une seule repré­sen­ta­tion. Une cap­ta­tion en deux fois pour­rait encore amé­lio­rer la qua­li­té déjà éton­nante des vidéo­grammes réa­li­sés. Les rap­ports entre image et temps de la repré­sen­ta­tion n’échappent pas à l’équipe de tour­nage et son ambi­tion n’est pas, aujourd’hui, de réa­li­ser des émis­sions des­ti­nées à un large public. Il fau­drait pour cela des moyens de pro­duc­tion et de réa­li­sa­tion plus impor­tants, mais l’état actuel des pro­duits per­met cepen­dant de conce­voir ce genre de programme.

En termes de média­tion du théâtre, la vidéo est de plus en plus lar­ge­ment uti­li­sée et il n’est pas rare que la dif­fu­sion d’un pro­gramme audio­vi­suel (cap­ta­tion d’une repré­sen­ta­tion) active ou pro­longe la durée des représenta­tions elles-mêmes. C’est en tout cas un outil péda­go­gique, cultu­rel et de pro­mo­tion qui sou­ligne la viva­ci­té du champ théâ­tral contem­po­rain. Les ques­tions de « réduc­tion » du théâtre par la camé­ra ont trop sou­vent été le pré­texte à une sorte de pié­ti­ne­ment de la recherche audio­vi­suelle en la matière. Les col­la­bo­ra­tions entre réa­li­sa­teurs et met­teurs en scène sont encore aujourd’hui trop fra­giles, esquis­sées, que pour pou­voir ren­voyer dos à dos ces formes d’expressions artis­tiques. Encore faut-il avoir la volon­té d’échapper à une télé­vi­sion stric­te­ment axée sur le court terme.

Publié dans le n° 6, juin 1992.

Daniel Simon


Auteur

dramaturge et metteur en scène, a publié dans {La Revue nouvelle} : « Les livres de la nuit » et « La toute-puissance de l’imaginaire. Entretien avec F. Lacassin » (n°ll/1991)