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Meilleurs vieux ?
La nostalgie du bon vieux temps est directement proportionnelle au désarroi dans lequel on se trouve aujourd’hui. On loue l’époque pas si lointaine où les négociateurs politiques se connaissaient comme cul et chemise, pouvaient se disputer (le plus souvent en français) sans cesser de s’apprécier et de trouver toujours, en fin de compte, ce fameux […]
La nostalgie du bon vieux temps est directement proportionnelle au désarroi dans lequel on se trouve aujourd’hui. On loue l’époque pas si lointaine où les négociateurs politiques se connaissaient comme cul et chemise, pouvaient se disputer (le plus souvent en français) sans cesser de s’apprécier et de trouver toujours, en fin de compte, ce fameux compromis à la belge que le monde a désormais cessé de nous envier. La célébration était touchante ce premier dimanche de l’année où l’émission Controverse de RTL réunissait quelques-uns de ces glorieux anciens. Leur joyeuse connivence était soulignée par la « spécialiste en com » de service, ce nouvel arbitre des débats télévisés, devant des comparses tout confus de fierté à peine contenue.
Aussi pénible que soit le présent, il serait injuste, cependant, de le juger à l’aune d’un passé pour le moins retouché. L’un des séniors, Melchior Wathelet père en l’occurrence, a eu une intervention remarquée sous l’acquiescement d’Antoinette Spaak, Philippe Busquin et José Daras, les autres francophones présents. En substance : « En 1988, quand Jean-Luc Dehaene venait avec ses ordinateurs, les négociateurs francophones étaient encore avec le crayon et le papier. On l’a payé cher et on a retenu la leçon. Aujourd’hui les francophones sont bien préparés en termes de chiffres, de techniques. Ils sont au point. » Plus que n’importe quelle autre négociation, celle en cours, aussi longue et difficile soit-elle, a été marquée par un progrès considérable : la fin probablement définitive de l’amateurisme dans la maitrise des dossiers. Au moment où la Flandre exige de faire ses comptes avec la Wallonie et avec Bruxelles, dans un contexte de détérioration des ressources publiques, de mise en péril du niveau de protection sociale et de pressions internationales, il n’est plus permis de prendre les données à la légère et de se faire doubler sur ce plan. On peut penser ce que l’on veut des ministres « gestionnaires » voire « technocrates », mais au moins ils savent mieux compter que la plupart de leurs prédécesseurs et s’entourer d’escouades d’experts de mieux en mieux armés et de plus en plus rigoureux, recrutés tant dans l’administration que dans les bureaux d’études des partis.
Exemplaires les anciens ? Ils ont fait prospérer un système clientéliste dont le cout fut triple : un haut niveau d’incompétence arrogante à de nombreux postes de la fonction publique (au détriment de la réputation de tous les fonctionnaires intègres et compétents), la dépendance d’une masse de citoyens à l’égard de politiques paternalistes et néoféodaux dont le bien (auto)nommé « papa » est la caricature, et une situation désastreuse des finances publiques, temporairement redressée par le même Dehaene, mais à quel prix collectif. Si ce système s’est quelque peu affaibli, c’est parce que ses dérives les plus scandaleuses sont désormais dénoncées et que la justice s’en est mêlée, comme à Charleroi, mais aussi parce qu’un certain nombre de responsables politiques de la nouvelle génération vivent dans un univers idéologique et éthique différent, certains ayant même fait de l’éthique en politique et de la dépolitisation de la fonction publique un cheval de bataille. Quelles que soient les motivations des uns et des autres, deux faits sont là, objectifs : primo, l’éthique est devenue un enjeu politique et électoral ; secundo, la politique — en particulier au niveau local — est de moins en moins un espace de non-droit. C’est un double progrès.
Exemplaires les anciens ? Ils ont perpétué un système consociatif et néocorporatiste où les débats dans l’espace public et parlementaire comptaient beaucoup moins que les négociations informelles, et ignorées des citoyens, entre les poids lourds des piliers qui n’avaient, pour la plupart, aucun mandat électif. De plus en plus en porte-à-faux avec les évolutions de la société (notamment le multiculturalisme, le nationalisme radical, l’écologie politique, la globalisation…) et du rapport des citoyens aux grandes institutions et organisations traditionnelles, ce système, dont les fondements culturels et idéologiques sont anachroniques, n’en fonctionne pas moins toujours efficacement dès qu’il s’agit d’enjeux concrets, de sous et de postes notamment. Si des Charles Michel, Benoît Lutgen et Paul Magnette, présidents de partis potentiels, ont encore, par la force des choses, les pieds dans ce système, leur tête devrait être déjà dans un univers idéologique et culturel fort éloigné des clivages classiques. Les nouvelles élites politiques ont affaire à une société plus fragmentée que jamais, plus éloignée d’eux que jamais et qui les considère davantage comme des acteurs médiatiques que comme des leadeurs à qui ils peuvent confier leur destin.
Exemplaires les anciens ? Certes, ils ont su sauvegarder l’essentiel d’un système de protection sociale sans lequel la pauvreté serait insoutenable ainsi qu’un système de santé qui reste l’un des meilleurs du monde. Certes, l’État a su conserver de beaux restes, comme l’a démontré la manière dont a été assurée la récente présidence belge de l’Union européenne. Mais ils n’ont jamais été capables de corriger les vieilles tares du système politique belge. Tant en matière socioéconomique qu’institutionnelle, ils n’ont agi que sous la pression, de manière défensive, sans anticiper suffisamment l’avenir et imaginer un projet politique à la hauteur des enjeux et défis actuels.
Exemplaires les anciens ? Sans les discréditer injustement et tomber dans l’excès inverse, la population n’a pas de raison de les regretter autant, les médias de les honorer autant et les négociateurs actuels de cultiver à leur égard le moindre complexe. Ne plombons donc pas ceux-ci avec l’idée que leurs prédécesseurs auraient fait mieux. Si c’était le cas, on n’en serait pas là.