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Médecins et sagefemmes. De la lutte des pouvoirs à la synergie
L’obstétrique a subi une véritable révolution dans la deuxième moitié du XXe siècle, avec pour effet que des mères et des couples se sont sentis perdus au point que certaines sagefemmes ont prôné une démédicalisation. Une lutte de pouvoir stérile entre médecins et sagefemmes s’en est suivie. Il est temps que, dans l’intérêt des parents, se développent un dialogue constructif et une critique des pratiques des uns et des autres.
La sécurité des mamans dans les pays qui ont bénéficié des changements récents n’a jamais été aussi élevée. C’est l’œuvre de la science médicale et les médecins en ont conçu une juste fierté. Et cependant, beaucoup de mamans, de couples, se sont sentis perdus dans cette jungle technique. Ils ne comprennent pas, se perçoivent trop comme des objets d’étude et confondent prévention et suspicion de pathologie. Il s’est trouvé alors des sagefemmes qui ont pris le relai de cette perception d’abandon et se sont inscrites comme des champions de la « démédicalisation » de l’accouchement. Sans généraliser, ces options ont parfois été choisies au prix de prises de risques inacceptables. Les médecins ont réagi comme si leur « pouvoir » était menacé. Certaines sagefemmes en ont fait également une lutte de pouvoir, celui qu’il fallait arracher aux médecins usurpateurs de l’approche humaniste de l’obstétrique.
Cette confrontation est totalement stérile et il faut absolument que les uns et les autres s’orientent vers une synergie. Notre ministre actuelle de la Santé et, d’une manière générale, toute la politique de santé publique poussent d’ailleurs à une participation de plus en plus importante des sagefemmes dans le suivi des grossesses et des accouchements normaux. Les médecins doivent en prendre conscience. Mais cela ne peut se faire que dans la rigueur d’une formation scientifique et d’une intégration dans les équipes médicales existantes. Cette intégration est cependant difficile tant les axes de formation sont différents.
L’expérience des gynécologues
Les médecins sont formés à traquer la pathologie. Les nouveaux moyens d’observation sont d’ailleurs extraordinaires. L’échographie permet de « voir » le bébé et le placenta. Les principales malformations peuvent être décelées. Rien que le dépistage du placenta prævia préserve les mamans d’un risque parfois vital d’hémorragie lorsqu’il est ignoré.
Le monitoring obstétrical qui suit de façon continue le pouls fœtal pendant le travail tout en enregistrant les contractions révèle à temps des anomalies de fréquence dues à un défaut d’oxygénation du bébé. Cet instrument réduit considérablement le risque de souffrance du système nerveux de l’enfant, qui a des conséquences parfois redoutables.
Tout au long du suivi de la grossesse, on pratique aujourd’hui des tests de dépistage qui permettent de diagnostiquer à temps toute une série d’infections ou d’altérations du métabolisme, du diabète particulièrement.
Dans les années 1960, il s’est produit une révolution dans les mentalités : il n’était plus nécessaire que l’accouchement soit douloureux, terreur qu’entretenaient parfois des matrones d’un autre âge. S’inspirant alors de techniques de relaxation par la parole des écoles françaises, ou de réflexes conditionnés des écoles russes, on a créé la notion, si pas le mythe, de l’«accouchement sans douleur ». Ces méthodes ont introduit les kinésistes dans le circuit de la maïeutique et ont surtout invité les pères à participer à la préparation à la naissance et à l’accouchement où leur présence était souhaitée après des siècles d’exclusion.
La notion d’accouchement « sans douleur » s’est trouvée confortée ultérieurement par l’apparition de l’anesthésie péridurale. Voilà une technique sans grand risque dans des mains expertes qui permet de soulager la douleur des contractions et rend supportable la pénibilité des derniers moments de l’accouchement. De nombreuses mères ont bénéficié ainsi d’un confort indiscutable.
Enfin, l’apparition des prostaglandines comme inducteurs du travail a rencontré chez les médecins un réel enthousiasme et l’espoir de pouvoir gérer leur temps. Induire un travail sur rendez-vous, le jour plutôt que la nuit ou pendant le weekend : quel confort ! Les parents sont parfois demandeurs d’organiser un rendez-vous pour placer les autres enfants ou pour la gestion de la profession du père. Certains gestionnaires d’hôpitaux y ont vu la possibilité de gérer la présence du personnel au bloc obstétrical.
Le regard des sagefemmes sur l’obstétrique d’aujourd’hui
Toute la formation des sagefemmes est basée sur le respect de la physiologie qui est leur priorité absolue. Imprégnées de cette formation, elles ont jeté un regard très critique sur l’obstétrique pratiquée par les gynécologues.
Il est vrai que toute la prévention développée par la médecine moderne est anxiogène si l’on ne prend pas la peine d’expliquer le pourquoi et le comment aux parents. Faire une prise de sang pour dépister une affection ne veut pas dire que l’on suspecte cette affection. Certains tests révèlent des risques statistiques. Cette notion mathématique est totalement étrangère aux parents : leur enfant est normal ou pas, il n’y a pas de nuances. Des explications à la portée de leur compréhension sont capitales : cela prend du temps et il faut reconnaitre que ce n’est pas la priorité pour beaucoup de médecins.
Dès lors certains groupes de sagefemmes ont reproché au corps médical de créer des pathologies liées à l’anxiété parentale à force de faire de la prévention. Certaines critiques sont plus dures, et les médecins doivent reconnaitre qu’elles reposent sur une certaine réalité. Les témoignages des élèves sagefemmes qui font leurs stages dans les services du pays sont affligeants : il y a trop d’inductions d’accouchements sans réelle indication et sans maturité rationnellement évaluée. Les conséquences sont un nombre excessif d’instrumentations, de médicaments stimulant les contractions, voire de césariennes qui auraient pu être évitées au prix d’un peu de patience. De même l’habitude de rompre rapidement les membranes amniotiques s’écarte de la physiologie et aboutit facilement à ce que l’on appelle à tort le « spasme du col ». Cela ne traduit en fait qu’une désynchronisation entre l’intensité des contractions, souvent artificiellement stimulées, et l’assouplissement du col qui correspond à une réaction biochimique de son tissu, ce qui prend du temps et sur lequel nous n’avons aucune prise.
Enfin elles ont reproché à une certaine généralisation de l’anesthésie péridurale de négliger par la facilité ainsi apportée l’accompagnement de la maman pendant le travail.
Vers quoi évoluons-nous ?
Il est évident que les sagefemmes vont progressivement assumer la surveillance des grossesses normales et la gestion des accouchements dits eutociques. L’enthousiasme des étudiantes et de leurs enseignantes attire d’ailleurs la sympathie de nombreux parents et crée une demande.
Le corolaire de cette évolution, c’est qu’elles ont la très lourde responsabilité du diagnostic de la pathologie qu’elles doivent reconnaitre pour passer la main au médecin. Leur enseignement, centré sur la physiologie, n’a pas toujours pris la mesure de cette responsabilité et plus de rigueur serait nécessaire.
La législation les autorise à accepter de gérer des accouchements au domicile de la parturiente ou dans des maisons de naissance isolées d’un centre médical. Il faut pour cela estimer à l’avance que la naissance va se dérouler sans complication. Des critères d’évaluation anticipée des risques existent et limitent sans doute celui de complications non prévues. Cependant, ceux qui ont une longue pratique de l’obstétrique savent qu’un accouchement ne peut être estimé normal que lorsqu’il est terminé, et les pires complications sont celles qui sont totalement imprévisibles. Cela rend inacceptable, si l’on veut rester rationnel, ces accouchements isolés d’un centre médical. Certains leadeurs de groupe de sagefemmes ont du mal à reconnaitre cette évidence et se braquent sur des statistiques que le professeur Englert qualifiait de « myopie des petites séries ». Certains transferts tardifs ont mis des médecins dans une juste colère qu’il faut comprendre : ils refusent le rôle de « pompier de service ».
Le professeur Nisand a créé des maisons de naissance au sein des hôpitaux de Strasbourg. Les sagefemmes y exercent en toute indépendance. Elles restent au contact de la pathologie par le voisinage du service des grossesses à risques et ont toute facilité pour demander avis ou secours à leurs voisins obstétriciens. Cela parait une excellente alternative : une expérience identique est en cours à l’hôpital Érasme à Bruxelles sous l’impulsion du professeur Englert.
D’un autre côté les médecins devraient avoir la sagesse de reconnaitre certaines dérives et s’ouvrir davantage à la vision physiologique des sagefemmes. Ils devraient aussi assumer l’encadrement de leur pratique et leur enseignement.
Il devient urgent que les représentants de ces deux professions arrêtent de se jeter à la tête leurs dérives respectives. Dans le cadre d’une évolution inévitable, dans l’intérêt des mamans, dans la poursuite de la qualité de notre obstétrique, il faut mettre fin à la lutte des pouvoirs et évoluer vers une synergie tellement plus constructive que seul un dialogue constant entre ces professionnels peut permettre.
Il est d’autre part impératif que les sagefemmes développent un esprit critique dans leur pratique quotidienne, acceptent la discussion et sachent reconnaitre à temps la pathologie qui exige de passer la main. Trop souvent encore elles font confiance à des médecines alternatives, ce qui les discrédite aux yeux des médecins.
Il faut enfin arrêter d’écarteler les parents entre une médecine dite « douce » et une autre qui ne le serait pas.