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Marketing royal

Numéro 4 – 2020 - communication familles royales image monarchie par Anne Morelli

juin 2020

La stratégie de communication du Palais a changé. Les mises en scène de la famille royale, tout en gardant les images stéréotypées de la famille unie et de la continuité des générations, évoluent vers l’image d’une famille « comme les autres », porteuse des valeurs mainstream actuelles. Le marketing nouveau du Palais attire régulièrement l’attention sur son produit par des « popups », évènements éphémères et surprenants.

Dossier

S’interroger sur la nature symbolique du pouvoir royal et la construction de son image équivaut bien sûr aujourd’hui à aborder les manipulations délibérées de la « com » des puissants. Mais c’est aussi, plus largement, aborder les liens qui maintiennent les classes subalternes assujetties aux groupes dominants. Elles se soumettent volontiers à un guide qu’on leur présente comme puissant, compréhensif et protecteur, dépassant les inégalités sociales. Dans cet article nous nous concentrerons sur les codes de représentation traditionnels du pouvoir encore partiellement en vigueur, et sur les nouvelles valeurs qui sous-tendent la mise en scène des familles royales actuelles.

Les codes traditionnels de représentation du pouvoir

Pour assoir leur autorité, leur légitimité et leur prestige, pour marquer leur pouvoir, de tout temps, les monarques se sont servis d’attributs reconnaissables. Jusqu’au XXe siècle, le roi ou l’empereur se démarque de ses sujets par une série de signes qui le présentent comme un être exceptionnel, supérieur et hors du commun. La couronne (qui ceint encore la tête de plusieurs reines actuelles dont la nôtre dans sa photo officielle la plus récente), le sceptre, le manteau d’hermine ou le globe terrestre surmonté d’une croix ne sont pas réservés au sacre de Napoléon. Albert Kalonji lorsqu’il se proclame empereur des Lubas et chef d’État du Sud-Kasaï en 1960 sous le nom d’Albert Ier, est couronné d’un couvrechef particulier. La reine Fabiola a porté la couronne que lui avait offerte le général Franco, comme le font plus de reines actuelles que de rois. Jean-Bedel Bokassa se proclame empereur de Centrafrique sous le nom de Bokassa Ier en 1977 et porte, outre une spectaculaire couronne, le manteau d’hermine et le sceptre. Son trône est orné d’un aigle en bronze doré, réminiscence de Napoléon. Le cadre traditionnel du pouvoir monarchique implique aussi des tenues vestimentaires d’un luxe exceptionnel et les souverains pontifes, coiffés jusqu’à Benoît XVI de leur tiare, ne font pas exception à la règle : leur pallium, par exemple, est tissé par les religieuses de Sainte-Agnès avec la seule laine blanche d’agneaux élevés au couvent des moines trappistes de Tre Fontane1.

Mais à côté de ces signes extérieurs du pouvoir, que l’on trouve souvent « normaux » s’agissant de la vieille Europe, mais ridicules lorsqu’ils sont affichés par des monarques africains, le roi (ou l’empereur) doit posséder des vertus, ou des pouvoirs, qui font de lui l’être exceptionnel qu’il se doit d’être. Fort, bien sûr, si possible d’une force surnaturelle — Godefroid de Bouillon n’est-il pas censé avoir lutté victorieusement contre un ours ? — puisqu’il est généralement le chef de l’armée de son pays, mais aussi bienveillant envers ses « sujets ». Marc Bloch a étudié le caractère surnaturel de la puissance attribuée aux rois de France qui, le jour de leur sacre, auraient eu le pouvoir de guérir par une imposition miraculeuse des mains royales sur les malades atteints d’écrouelles, une forme de tuberculose2. Ce pouvoir de guérison justifie le pouvoir temporel du souverain, en cela intermédiaire de Dieu. Dans la même ligne, la légende napoléonienne veut que, lors de la campagne d’Égypte, Bonaparte aurait visité et touché ses soldats atteints d’une épidémie de peste bubonique à Jaffa3. Napoléon III, lors des inondations de 1856, visite les sinistrés. Des tableaux nous le représentent en tout cas dans cette fonction à Angers4 comme à Lyon5 ou Tarascon6. L’empereur veut personnellement évaluer l’étendue des dégâts, réconforter les victimes par sa présence et son soutien financier, prévenir d’autres catastrophes semblables. Ce scénario de la compassion pour les affligés sera repris systématiquement dans la « com » construite soigneusement autour des souverains actuels et qui mélange tradition et modernité.

Se faire connaitre et reconnaitre

Depuis l’Antiquité, le chef de l’État doit être présent, au moins symboliquement, par l’image (la monnaie notamment) auprès de ses sujets. La statue de Marc Aurèle au Capitole romain a fait des émules jusqu’au XXe siècle. Le roi « bâtisseur » Léopold II est représenté à cheval, sur le côté du Palais royal de Bruxelles. Le roi chevalier, Albert Ier, défenseur de la patrie contre l’envahisseur, se dresse sur son cheval au Mont des Arts (face à une minuscule statue de son épouse la reine Élisabeth). Actuellement cette représentation a fait place à d’autres formes de présence. Le portrait du roi est toujours présent dans les locaux officiels et via les timbres du courrier, et le roi préside encore en uniforme militaire les défilés (le roi défenseur de la patrie ou le « roi vainqueur » comme s’intitule un square de Bruxelles). Il inaugure et pose des premières pierres (le roi bâtisseur), il assiste à des cérémonies religieuses (le roi très pieux). En toutes circonstances il se tient droit, ce qui symbolise la pérennité du royaume et sa stabilité.

Mais aujourd’hui la communication du Palais se doit de diffuser régulièrement des faits et gestes, des images de la famille royale. Une émission telle que Place Royale, diffusée sur RTL pendant des années, appliquait systématiquement la stratégie de la présence continue. Actuellement il ne suffit plus d’une inauguration d’école ou d’une visite dans un home pour faire le « buzz ». Pour faire connaitre et reconnaitre le souverain et la famille royale, il faut des images ou des nouvelles étonnantes qui correspondent aux intérêts du public.

Pourquoi des images de la famille royale ?

Comme nous le montrent les boites de biscuits Delacre, il y a de nombreux amateurs de photos de la famille royale. Baudouin avait beaucoup nui à l’image de la famille royale qui exhalait pour nombre de citoyens le rance et l’intégrisme. Albert II a tenté de remplacer cette représentation par une image de bonhommie, mais l’image de la famille « unie » s’est rapidement fissurée. Comme à Monaco où le couple Grace/Rainier a été accusé par ses propres enfants de négligence7, le couple Albert/Paola n’a pas brillé par son rôle de parents attentifs.

Or la mise en scène simultanée des diverses générations de la dynastie est essentielle pour en présenter une image de continuité. La personne du roi peut mourir, mais pas la dynastie (« le roi est mort, vive le roi »). Actuellement la princesse Élisabeth est mise progressivement en avant pour donner une vision de l’avenir. Elle est apparue aux côtés de la reine Mathilde dans le cadre d’une mission de l’Unicef au Kenya8 et s’est adressée pour la première fois à la presse. La veille de la fête nationale de 2019, RTL la donnait à voir assistant à l’enregistrement du message télévisé de son père, se préparant donc à ses futures fonctions.

Des gens comme les autres

Curieusement, les mises en scènes actuelles nous présentent les souverains à la fois comme exceptionnels (exceptionnellement beaux, unis…) et simultanément comme pareils à tous leurs sujets. Les mots qui reviennent le plus souvent sont la simplicité et la proximité ; les souverains sont populaires et généreux. Jamais on n’évoquera d’arrivistes, d’arrogant∙e∙s, de névrosé∙e∙s ni d’intrigant∙e∙s dans l’entourage royal. Leur « simplicité » est exposée à travers des scènes devenues classiques : la famille royale pédale à bicyclette, passe les vacances d’automne en Ardenne (mais tout de même au château de Ciergnon et pas dans un camping!) et les souverains accompagnent leurs enfants à l’école, au moins lors de la rentrée des classes. À l’instar du tableau représentant déjà Henri IV jouant avec ses enfants lors de la réception de l’ambassadeur d’Espagne9, on feint de croire que c’est là le quotidien de la famille royale. Dans cette famille « comme les autres », les souverains s’occuperaient-ils en personne des devoirs des enfants, leur donneraient-ils le bain, les habilleraient-ils, les conduiraient-ils à leurs activités ? Ces parents modèles éplucheraient-ils les pommes de terre et débarrasseraient-ils la table ? En effet, les domestiques ne peuvent désormais plus apparaitre dans les images médiatiques. Les photos du baptême de Philippe le montraient encore dans les bras de sa nourrice, mais ni gouvernantes ni chauffeurs ni agents de sécurité, qui entourent inévitablement la famille royale, ne peuvent apparaitre aujourd’hui autour de cette famille que la mise en scène veut présenter comme « normale ». Plus le comportement est apparemment « démocratique », plus il plait. La reine Paola avait fait un buzz lors de la longue crise gouvernementale de 2010 – 2011 à laquelle son mari devait faire face, en venant le chercher au « bureau » en Fiat 500.

Dans d’autres monarchies actuelles, on salue simultanément la simplicité du prince héritier britannique William qui est allé lui-même chercher sa femme à la clinique à la naissance de leur troisième enfant et qui, au milieu de la nuée de journalistes et d’agents de sécurité, a porté lui-même le baby-relax jusqu’à sa voiture10 ou on s’émerveille que Meghan Markle ait eu la simplicité d’ouvrir elle-même la portière de sa voiture, prouvant par cela qu’elle est « une femme comme les autres »11.

Un des devoirs royaux étant l’empathie, les souverains doivent être à l’écoute des Belges, particulièrement des Belges d’extraction populaire, et participer pleinement à leurs peines. Ils se doivent donc d’entendre l’émotion publique. Bien suivis par les caméras et les journalistes, nos souverains doivent être présents et compatir à tous les types de misère et catastrophes : visites aux vieillards, aux enfants handicapés, aux blessés lors d’un attentat ou d’une collision, aux familles éplorées, aux pauvres d’ici et d’ailleurs, aux clochards… Leur présence compatissante doit réconforter automatiquement ces affligés. Les souverains se doivent d’écouter leurs malheurs puis de leur adresser quelques mots de sympathie. Ils doivent s’informer (ou feindre de le faire), poser quelques questions. N’a‑t-on pas ainsi entendu le roi, levé de bon matin pour rejoindre les éboueurs bruxellois dans leur cantine, leur demander pourquoi ils avaient « choisi » ce métier12 ? À l’occasion de la visite du roi au Foyer des orphelins, les enfants lui demandent « Vous avez plein d’argent ? ». À cette question directe, provenant d’enfants défavorisés et issus généralement de classes très pauvres, le souverain répondit étonnamment « Comme tout le monde », ce qui peut-être dans son esprit devait effacer le fossé social le séparant de ses petits interlocuteurs13.

Un couple parfait, des familles unies

Comme on vient de le voir, les parents modèles sont présentés comme à la tête de familles « comme les autres ». En Espagne, les sujets se plaignant de ne pas en savoir assez sur le quotidien de la famille royale, le Palais a diffusé des images du couple royal partant à deux en voiture (blindée?), lui conduisant, pour aller chercher leurs deux filles à l’école14 et d’autres mises en scène présentant un déjeuner familial à quatre. Pas de domestiques, pas de journalistes visibles bien entendu15. Les commentateurs estimèrent que la famille royale espagnole s’était présentée « un peu en pantoufles » et ont épilogué sur l’aspect de cette table familiale (« terne »), la provenance des assiettes et le type de soupe servie16.

Il n’est jamais question dans la communication royale de mariages arrangés, mais d’histoire d’amour « follement romantique » et de couples qui s’aiment. Les familles royales, de Monaco à la Grande-Bretagne, se doivent d’être soudées17 et la nôtre n’échappe pas à ce schéma. Il a toujours été convenu en Belgique de ne pas exposer les infidélités conjugales de nos souverain∙e∙s. Elles étaient connues dans le public par la presse étrangère ou les indiscrétions de proches, mais les portraits officiels restaient classiques. Aujourd’hui la communication du Palais veut davantage. L’harmonie doit régner aussi entre frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs. On évite de s’attarder sur certaines absences pour se focaliser sur la famille « rayonnante » et unie.

Lors du départ d’Élisabeth pour son collège au pays de Galles en 2018, le service de communication du Palais diffuse une photo tendre où l’on voit les quatre enfants du couple royal très unis […] et la complicité qui règne au sein de la fratrie est évidente18. Il est hors de question pour la communication du Palais de dévoiler des conflits internes comme ceux dont on a l’écho pour la dynastie marocaine (la disparition totale et mystérieuse de Lalla Salma, l’épouse du roi, de la scène officielle19), chez les Hanovre (où le fils ainé conteste les dettes contractées par son père Ernst August20), ou chez les prétendants au trône de Roumanie où le roi Michel a exclu de l’ordre de succession son petit-fils Nicholas21. Chez nous l’image du couple et de la famille royale doit être, envers et contre tout, celle d’un modèle de fidélité et d’entente, d’élégance et de courtoisie.

La « beauté » des femmes de la famille royale

La beauté est un concept très relatif. Rubens et le sculpteur Giacometti ne partageaient pas le même attrait pour la cellulite… Mais les canons de beauté d’une même époque, même région et même classe sociale sont assez uniformes. Aujourd’hui les infiltrations de botox ou les opérations esthétiques sont généralisées (même la reine Fabiola s’y est soumise) et les coachs, coiffeurs, relookeurs et maquilleurs aboutissent à une image très lissée des femmes proches du pouvoir. Cependant, à leur entrée dans la famille royale ou pendant leur adolescence, les princesses ne sont pas encore passées par ces mains expertes et correspondent rarement à cette image. L’une a des dents de cheval, l’autre est obèse, la troisième presque chauve. La bouche démesurée, un groin porcin, des genoux cagneux, des cheveux filasses et oxygénés, le physique ingrat d’adolescente, sont aussi fréquents que dans le reste de la société. Ces pauvres filles n’ont évidemment pas choisi leur physique disgracieux selon les normes actuelles, mais la presse ayant pour fonction de flatter les monarchies présentera ces « moches » selon les critères d’aujourd’hui avec des éloges dithyrambiques, le plus commun étant « très en beauté ». C’est que l’image des femmes royales rebondit sur l’image de leur mari. La reine, par exemple, ne peut pas être manipulatrice ou ayant une emprise exagérée sur son époux. Elle se doit d’être une parfaite hôtesse, une coéquipière. Elle doit être belle car décorative. C’est sur sa tenue que la bienveillance ou malveillance médiatique s’appesantira. En outre, aujourd’hui, elle n’est plus seulement l’ange gardien et la figure maternelle, mais elle doit aussi être « engagée » dans des causes caritatives, consensuelles et politiquement correctes.

Les valeurs « mainstream »

Nos rois, et surtout nos reines, se doivent traditionnellement d’être charitables. Toutes nos reines ont eu un secrétariat recevant des demandes d’aide, elles ont été secouristes, infirmières, ont visité des pauvres et des malades. La reine Élisabeth en particulier est restée auréolée d’une réputation d’ange des blessés de la Première Guerre mondiale en plus de protectrice des arts. Mais aujourd’hui le mot « charité » n’entre plus dans le vocabulaire de la communication du Palais. Nos souverains sont « engagés ». Rappelons que le terme implique en principe une prise de position audacieuse pouvant entrainer un risque. Or, dans les valeurs prônées dans les familles royales, on ne trouve que les valeurs « mainstream » de notre époque. Les têtes couronnées sont systématiquement « engagées » dans la défense des animaux, des handicapés, des artistes, des femmes battues, des victimes de cataclysmes. Elles sont favorables à l’économie équitable, au développement durable, à la protection de l’environnement, au « bio » et bien sûr sont féministes. Harry et Meghan se préoccupent de la condition des femmes au Maroc et de l’accès à l’éducation des filles22. Meghan patronne une association d’accueil et de soins pour les animaux, mais déclare aussi vouloir pour son fils une éducation sans stéréotypes ni genrée23. Comme sa belle-mère Diana, princesse du peuple24, elle résisterait au protocole25. La reine Rania de Jordanie est, elle aussi, « engagée » sur le front du droit des femmes, tandis que la grande-duchesse Maria-Teresa de Luxembourg aurait fait de la lutte contre l’emploi des violences sexuelles comme arme de guerre son combat prioritaire26. La princesse Camilla, épouse de Charles de Bourbon, déclare au Soir Mag s’être beaucoup occupée d’orphelinats, d’enfants vivant dans des conditions précaires, mais surtout de femmes maltraitées. C’est devenu mon cheval de bataille. La violence contre les femmes est inacceptable ! Je suis très engagée auprès de plusieurs associations. J’ai également créé ma Fondation. J’adore ce que je fais, je m’engage avec bonheur27. Et la princesse de s’occuper aussi de l’Ordre constantinien de Saint Georges dont son mari est grand maitre. Peut-on sérieusement distinguer ces « engagements » de la princesse des œuvres caritatives d’autrefois ?

Paris Match décrivant la princesse Esmeralda de Belgique résume tous les comportements bien vus généralement aujourd’hui, puisqu’elle serait une princesse activiste, engagée pour le climat, féministe et environnementaliste28. La reine Mathilde n’échappe évidemment pas à ce schéma. Elle est à l’ONU, dans son rôle de défenseur des objectifs de développement durable et en profite pour visiter à New York une école destinée au public défavorisé29. Protectrice des arts, elle se dit aussi féministe. Mais ne s’agit-il pas d’un feminism washing comme du green washing ? Le marketing « féministe » et le marketing « écologiste » touchent effectivement la communication royale comme bien d’autres. Feminism washing comme green washing consistent à revendiquer des valeurs féministes ou écologistes dans un discours très à la mode alors que les actes des personnes dont on construit ainsi l’image n’y correspondent pas. Cette contradiction est évidente en ce qui concerne les dépenses royales.

Des rois et reines économes ou des dépenses obscènes ?

Il n’était pas habituel de connaitre le prix d’une tenue royale. Les reines étaient forcément belles et bien habillées par des couturiers célèbres. Récemment, les services de communication de différentes monarchies ont, au contraire, voulu montrer combien les reines ou membres de la famille royale, étaient des femmes « comme les autres », s’habillant démocratiquement dans des magasins à bon marché. On a ainsi appris que la princesse Kate portait une robe de chez Zara30, que Meghan avait une robe de grossesse à 35 euros provenant de chez H&M et utilisait un eye-liner à 10 euros31 tandis que la robe en cuir de la reine Letizia d’Espagne coutait entre 80 et 150 euros32 et qu’elle reportait, lors de la visite du président péruvien en 2019, la robe qu’elle avait mise huit ans plus tôt au mariage de William et Kate, ce qui prouve qu’elle est économe (et n’a pas grossi!)33. Elle ressort aussi un manteau rouge de confection Zara34. Mais, simultanément, on apprend que, pour inaugurer une exposition à Londres avec le prince Charles, la même reine Letizia d’Espagne porte une magnifique robe signée Carolina Herrera. Cette fois le prix n’en est pas mentionné !35 On découvre aussi que la petite robe toute simple de chez H&M portée par Meghan l’est sous un manteau Armani, lui aussi de prix inconnu36. Les couteuses « virées » de Meghan (jet privé, suite de 900 m2) peuvent apparaitre obscènes pour une princesse prétendant aider les défavorisés37 et ses services de communication éprouvent bien des difficultés à les effacer par des annonces d’achats économiques comme cette petite robe noire de 70 euros de Marks and Spencer38.

De même les tenues « populaires » de Kate doivent faire oublier que ses enfants sont scolarisés dans la très chic école Thomas’s Battersea où, selon le Daily Mail, le minerval est de 21.000 euros par an… et par enfant39. Chez nous, on dévoile peu les dépenses royales. Combien a couté la robe Armani à la traine spectaculaire qu’arbore la reine Mathilde sur le nouveau portrait officiel du couple ? Combien les tenues Armani, Natan ou Pierre Gautier que porte la reine lors de la visite d’État en Corée du Sud ?40 On peut se réjouir que ces couturiers européens aient une clientèle et procurent ainsi du travail à des tailleuses, mais les artifices pour nous faire croire à des reines ménagères économes sont peu crédibles.

Cette mise en scène est-elle nécessaire et efficace ?

S’agissant en Europe de monarchies constitutionnelles et parlementaires où les reines ou les rois n’ont plus de pouvoir réel, on peut s’interroger sur l’utilité de ces mises en scène. Est-ce une façon d’être présents dans l’actualité et donc de justifier leur fonction et accessoirement ce salaire, appelé « liste civile », qui n’est pas forcément plus élevé que celui des chefs d’État élus ? Une manière de compenser une perte de légitimité des souverains dans les États démocratiques ?

Les conseillers en relations publiques maitrisent chaque sortie, chaque tenue, chaque déclaration voire chaque geste. Mais Pascale Mertens, experte en royauté à la VRT/NWS, relève le changement de stratégie médiatique à la Cour belge. Il devient de plus en plus difficile d’attirer l’attention de la presse sur les activités classiques de la Cour. Même RTL a supprimé Place Royale qui suivait chaque semaine les déplacements des souverains. Seuls les magazines people que nous avons suivis ici (Paris Match, Le Soir-Mag, Quid, Femmes d’Aujourd’hui…) relatent encore les sorties orchestrées auxquelles la presse généraliste ne fait plus guère écho et les déplacements des souverains « attirent » surtout les enfants des écoles, spectateurs forcés. L’image des souverains a cependant été modifiée en fonction des changements de société. Le public populaire que vise leur communication les voudrait « simples ». Mais la stratégie de les présenter comme des gens comme les autres n’est pas forcément une réussite. Le grand public les met sur un piédestal car il ne veut pas qu’ils ressemblent trop à leur quotidien. Il veut des gens différents (ne serait-ce que parce que les femmes portent d’étranges chapeaux) qui projettent une image de perfection. Cette admiration implique par ailleurs l’acceptation de la domination.

La communication du Palais est aujourd’hui copiée sur celle des footballeurs et des actrices dont on dévoile régulièrement la vie privée. Francis Sobry, qui fut directeur des médias et de la communication du Palais, explique qu’il faut avancer par de bons coups médiatiques comme l’invitation à Laeken du comique flamand Philippe Geubels ou le départ du Tour de France 2019, prétexte à mettre en vue le roi, Eddy Merckx et la reine Mathilde pédalant avec un de ses enfants. Pour balayer l’image poussiéreuse de la famille royale belge et la remplacer par celle d’une famille résolument moderne et de son temps il faut un « popup marketing ». C’est-à-dire qu’il faut attirer régulièrement l’attention sur le produit, créer des évènements éphémères, captivant l’attention parce que surprenants. Les dix-huit ans de la princesse Elisabeth, célébrés en grande pompe et avec une couverture médiatique inédite en octobre 2019, ou les vingt ans de mariage du couple royal ont évidemment été des « popups » impossibles à ignorer. Mais l’ancien directeur de la « com » du Palais excluait cependant comme impensable de la publicité payée pour relancer régulièrement la promotion de son « produit»…41

  1. Sur le décorum pontifical, voir Morelli A., « La mise en scène du pouvoir du “Souverain pontife” (XIXe-XXe siècles). Des fastes baroques à l’humilité ostentatoire », dans A. Dierkens et J. Marx (éd.), La sacralisation du pouvoir — Images et mises en scène, éd. de l’université de Bruxelles, 2003, p. 255 – 265.
  2. Bloch M., Les rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre, 1re édition, 1924. La dernière fois que ce rite est pratiqué c’est lors du sacre de Charles X en 1824.
  3. La réalité historique de l’épisode est contestée. Au contraire Bonaparte après avoir fait massacrer trois-mille prisonniers aurait eu l’intention de faire achever ses soldats malades.
  4. Hippolyte Beauvais.
  5. Hippolyte Lazerges.
  6. William Bouguereau.
  7. de Monaco C., Albert II de Monaco, l’homme et le prince, Fayard, 2018. Elle décrit leur enfance comme liée essentiellement à la nourrice anglaise (Nana, personnage principal de nos vies).
  8. Le 25 juin 2019. « La princesse Elisabeth, en voyage au Kenya, s’exprime pour la première fois dans les médias (vidéo)», Le Soir, 27 juin 2019.
  9. Tableau de J.A.D. Ingres (1780 – 1863). Il n’est évidemment pas contemporain de la scène qu’il entend représenter.
  10. Avril 2010.
  11. Weber P., « Le mystère Meghan », Femmes d’Aujourd’hui, n° 28, 2019, p. 62. En réalité Meghan a confié sa communication à l’agence américaine de relations publiques Sunshine Sachs qui s’était chargée de Michael Jackson et de la réhabilitation de Harvey Weinstein.
  12. Émission Place Royale, RTL. La visite a lieu le 13 décembre 2013.
  13. Place Royale, 20 janvier 2018.
  14. El País, 27 janvier 2018.
  15. Ibidem, p. 19. Quand Paris-Match (14 – 20 juin 2018) annonce que Kate va voir avec ses deux ainés un match de polo auquel participe William et précise que « Louis, âgé d’un mois et demi, dort à la maison », on pourrait s’inquiéter de ce bébé laissé seul !
  16. Izaguirre B., El País, 3 février 2018.
  17. Voir, par exemple, Quid, supplément de La Libre Belgique, « Un trio de Monaco soudé. Une famille royale réunie pour Charles », 9 – 15 mars 2019, p. 16.
  18. Femmes d’Aujourd’hui, n° 38, 2018.
  19. Femmes d’Aujourd’hui, n° 10, 2019.
  20. Ibidem.
  21. Femmes d’Aujourd’hui, n° 49, 2017.
  22. Quid — La Libre Belgique, 2 – 8 mars 2019, p. 16.
  23. Femmes d’Aujourd’hui, n° 12, 2019.
  24. Femme d’Aujourd’hui, 26 juillet 2018.
  25. Paris-Match, 23 mai 2018.
  26. Weber P., Femmes d’Aujourd’hui, 25 octobre 2018, n° 43.
  27. Soir Mag, 3 novembre 2018.
  28. Paris Match, 10 décembre 2018.
  29. Femmes d’Aujourd’hui, 11 octobre 2018.
  30. Paris Match, 14 – 20juin 2018.
  31. Femmes d’Aujourd’hui, n° 5, 2019.
  32. Quid-La Libre Belgique, 9 – 15 mars 2019.
  33. Weber P., Femmes d’Aujourd’hui, n° 12, 2019.
  34. Femmes d’Aujourd’hui, 3 mai 2018.
  35. Hola, 27 mars 2019.
  36. Femmes d’Aujourd’hui, n° 5, 2019.
  37. Weber P., Femmes d’Aujourd’hui, n° 11, 2019.
  38. Weber P., Femmes d’Aujourd’hui, n° 49, 2018.
  39. Femmes d’Aujourd’hui, n° 24, 2019.
  40. Idem, n° 15, 2019.
  41. Ibidem.

Anne Morelli


Auteur

La Revue Nouvelle
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