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Marcourt, paysagiste de l’enseignement supérieur

Numéro 3 Mars 2012 par Jean-Émile Charlier

février 2012

À la mi-juillet 2011, le pro­jet de réor­ga­ni­sa­tion de l’en­sei­gne­ment supé­rieur du cabi­net Mar­court a com­men­cé à cir­cu­ler. Il arri­vait sans conteste à point nom­mé, ce qui ne signi­fie ni qu’il fut par­tout bien reçu ni qu’il n’ap­pelle pas la cri­tique. Depuis la moi­tié des années nonante, le supé­rieur, en chan­tier per­ma­nent, n’en finit pas de se chercher. […]

À la mi-juillet 2011, le pro­jet de réor­ga­ni­sa­tion de l’en­sei­gne­ment supé­rieur du cabi­net Mar­court a com­men­cé à cir­cu­ler. Il arri­vait sans conteste à point nom­mé, ce qui ne signi­fie ni qu’il fut par­tout bien reçu ni qu’il n’ap­pelle pas la cri­tique. Depuis la moi­tié des années nonante, le supé­rieur, en chan­tier per­ma­nent, n’en finit pas de se cher­cher. Sans avoir eu le temps de se remettre du grand cham­bar­de­ment qu’a consti­tué la créa­tion des hautes écoles, il a connu quelques spasmes qui lui ont fait pro­duire des pôles, puis des aca­dé­mies. Dans la fou­lée des aca­dé­mies, il a connu des fusions, des pro­jets de fusion, des fusions avor­tées. Che­min fai­sant, il a pré­pa­ré la réforme dite de Bologne, puis il a com­men­cé vaille que vaille à la mettre en œuvre, mais le che­min est encore ter­ri­ble­ment long pour que toutes les bonnes idées que le remue-méninges bolo­gnais a ame­nées trouvent une concré­ti­sa­tion heu­reuse sur le ter­rain. Enfin ose­rais-je rap­pe­ler en ces temps de moro­si­té éco­no­mique que toutes les réformes qu’il a digé­rées ont été opé­rées avec un manque chro­nique de moyens, des coef­fi­cients réduc­teurs par ci, des enve­loppes fer­mées par là, de la bonne volon­té par­tout pour faire envers et contre tout tour­ner la machine de l’en­sei­gne­ment supé­rieur et lui pré­ser­ver sa fière allure ?

UN MINISTRE AUX AMBITIONS POLITIQUES AFFIRMÉES

« Le seul ministre qui a un pro­jet pour créer une seule “aca­dé­mie” de recherche et d’en­sei­gne­ment supé­rieur Bruxelles-Wal­lo­nie, c’est Jean-Claude Mar­court ! » a récem­ment décla­ré Jean-Claude Mar­court aux jour­na­listes qui l’in­ter­vie­waient1. Son affir­ma­tion est peu contes­table, mais, sans le moins du monde dimi­nuer le mérite de son auteur, recon­nais­sons que le fait d’être ministre de l’En­sei­gne­ment supé­rieur de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles pré­pare mieux que la grande majo­ri­té des autres posi­tions pro­fes­sion­nelles à énon­cer un pro­jet de ce genre.

Ces der­nières semaines, ce pro­jet d’a­ca­dé­mie de recherche et d’en­sei­gne­ment supé­rieur fut un peu estom­pé par d’autres décla­ra­tions de Mar­court sur la néces­saire régio­na­li­sa­tion de l’en­sei­gne­ment. En l’oc­cur­rence, il semble bien que son pro­pos ne concer­nait que l’en­sei­gne­ment obli­ga­toire. Le débat qu’il ravive n’a pas trou­vé sa conclu­sion dans la com­mu­nau­ta­ri­sa­tion de 1989, qui l’a seule­ment repous­sé au second plan. C’est pour­tant un débat impor­tant, dont il faut espé­rer qu’il pour­ra être relan­cé, au-delà des slo­gans qui l’ont sou­vent ren­du difficile.

En repo­sant la ques­tion de la régio­na­li­sa­tion de l’en­sei­gne­ment, le ministre Mar­court montre qu’il entend avoir une action poli­tique, ce qui contraste heu­reu­se­ment avec les argu­ments, aujourd’­hui trop com­muns, qui tentent de jus­ti­fier les déci­sions des res­pon­sables par des contraintes tech­niques indé­pas­sables. C’est réjouis­sant et ras­su­rant. C’est avec la volon­té d’i­den­ti­fier le pro­jet poli­tique qu’elle porte qu’a été exa­mi­née sa note sur le pay­sage de l’en­sei­gne­ment supérieur.

QUELQUES BALISES POUR ANALYSER LA NOTE MARCOURT

En quelques pages, la note est d’a­bord pré­sen­tée. Les ques­tions qui fâchent qu’elle com­porte sont mises en évi­dence, comme les argu­ments sur les­quels elle s’ap­puie pour trou­ver sa légi­ti­mi­té. Les amen­de­ments dont elle a fait l’ob­jet avant de connaitre une nou­velle vie, à par­tir de novembre, sont repé­rés et commentés.

La ques­tion de l’or­ga­ni­sa­tion des uni­ver­si­tés sur notre ter­ri­toire est posée depuis des décen­nies. La plu­part des ana­lystes partent du rap­port Bod­son-Ber­leur pour mon­trer com­ment ce texte impor­tant a dura­ble­ment ins­tal­lé les termes du débat et mar­qué les réflexions qui ont sui­vi. Un grand mérite de David Urban est de ne pas s’être arrê­té à ce rap­port et d’être allé lire des textes qui l’ont pré­cé­dé. Par­mi ceux-ci, il a décou­vert un article qu’An­dré Moli­tor a fait paraitre en 1958 dans La Revue nou­velle. Il nous en livre de larges extraits, en les com­men­tant pour en mon­trer toute la modernité.

La note Mar­court prend expli­ci­te­ment appui sur les conclu­sions de la table ronde de l’en­sei­gne­ment supé­rieur. Miguel Sou­to Lopez et Phi­lippe Vienne ont donc lu les conclu­sions de la table ronde et ont ten­té de com­prendre com­ment les tra­vaux y avaient été conduits, en étu­diant toutes les pièces qui ont été mises à la dis­po­si­tion du public. Sur des points majeurs, comme le nombre de pôles d’en­sei­gne­ment supé­rieur à pro­mou­voir en Bel­gique fran­co­phone, ils relèvent des dif­fé­rences signi­fi­ca­tives entre les conclu­sions de la table ronde et les pro­po­si­tions conte­nues dans la note Marcourt.

En pro­mou­vant la créa­tion d’une aca­dé­mie de recherche et d’en­sei­gne­ment supé­rieur, Mar­court touche autant la recherche que l’en­sei­gne­ment supé­rieur. Sarah Cro­ché et Cathe­rine Fal­lon replacent son ini­tia­tive dans une évo­lu­tion his­to­rique longue, elles retracent à grands traits les étapes essen­tielles de la poli­tique scien­ti­fique de notre pays. Elles montrent par ailleurs que la struc­ture de finan­ce­ment pré­co­ni­sée par la note Mar­court pour­rait avoir pour effet de décou­pler l’en­sei­gne­ment et la recherche, comme un cer­tain nombre de pres­crip­teurs le sug­gèrent aujourd’­hui pour des rai­sons d’efficacité.

Une der­nière contri­bu­tion ferme très pro­vi­soi­re­ment ce dos­sier. Jean-Émile Char­lier et Fré­dé­ric Moens s’in­ter­rogent sur les ins­ti­tu­tions qui tire­raient avan­tage de la réforme pro­po­sée par Mar­court et sur celles qu’elle péna­li­se­rait. Dès lors que la presque tota­li­té des effets néga­tifs de la réforme sont concen­trés sur une seule ins­ti­tu­tion, en l’oc­cur­rence l’U­CL, il devient dif­fi­cile d’i­ma­gi­ner que ce pour­rait n’être que le fait du hasard.

RENDEZ-VOUS AU PRINTEMPS ?

La note Mar­court mérite mieux que d’être enfer­mée dans une guerre de reli­gion. Elle pose en effet des ques­tions impor­tantes aux­quelles il fau­dra un jour appor­ter des réponses pra­tiques. Quelles sont les fonc­tions aca­dé­miques qui peuvent être le plus effi­ca­ce­ment trai­tées par les acteurs locaux ? Quelles sont celles qui gagnent à être concer­tées au-delà du local, au niveau de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, à celui du pays, à celui de l’Eu­rope ? Quels fac­teurs faci­litent les col­la­bo­ra­tions inter­ins­ti­tu­tion­nelles, quels fac­teurs aident à mettre en place des réseaux scien­ti­fiques à l’in­té­rieur des­quels les com­mu­ni­ca­tions sont fluides et les coopé­ra­tions aisées ?

La ver­sion de juillet 2011 pos­tu­lait que ces ques­tions avaient trou­vé des réponses qui fai­saient consen­sus ; celle de novembre 2011 a intro­duit quelques nuances, sans tou­cher au noyau doc­tri­nal qui fonde la note. C’est vrai­sem­bla­ble­ment seule­ment quand ce noyau sera atteint qu’un accord équi­li­bré pour­ra com­men­cer à s’imaginer.

  1. « Wal­lo­nie-Bruxelles. Le vice-Pre­mier et ministre wal­lon de l’É­co­no­mie ren­ché­rit : “Oui, il faut un pro­jet wal­lon!”», pro­pos recueillis par D. Cop­pi, B. Del­vaux & V. Lam­quin, Le Soir, 24 jan­vier 2012, p. 4.

Jean-Émile Charlier


Auteur

Jean-Émile Charlier est sociologue, professeur aux [facultés universitaires catholiques de Mons -> http://www.fucam.ac.be].