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Manuel fort, président !

Numéro 1 - 2017 par Luc Delfosse

janvier 2017

Sans ater­moie­ments funestes, mais sans pré­ci­pi­ta­tion incon­si­dé­rée, comme aimait à le répé­ter Bau­douin aux heures les plus noires, j’ai fait mon choix : je vote­rai Manuel Valls. Non, je n’ai pas ma carte d’électeur hexa­go­nal, mais au diable les amu­settes bureau­cra­tiques : je suis citoyen de la Fran­co­pho­nie. Et qu’est-ce que la Fran­co­pho­nie si ce n’est le 102e […]

Billet d’humeur

Sans ater­moie­ments funestes, mais sans pré­ci­pi­ta­tion incon­si­dé­rée, comme aimait à le répé­ter Bau­douin aux heures les plus noires, j’ai fait mon choix : je vote­rai Manuel Valls. Non, je n’ai pas ma carte d’électeur hexa­go­nal, mais au diable les amu­settes bureau­cra­tiques : je suis citoyen de la Fran­co­pho­nie. Et qu’est-ce que la Fran­co­pho­nie si ce n’est le 102e dépar­te­ment ? Rideau.

Manuel pré­sident ? Je n’ai pas tou­jours été de cet avis. Avec ses yeux de loup et ses mimiques de tueur dans un nanar nord-coréen, le Valls ne me plai­sait pas d’entrée de jeu. On sen­tait bien qu’il sur­chauf­fait à Mati­gnon. Tous crocs dehors aux côtés du pré­sident des sans-dents en quelque sorte. Mais enfin : je vou­drais bien vous y voir s’il vous reve­nait de tra­quer de jour comme de nuit des dam­nés de la guerre se récla­mant d’une idole rha­billée des ori­peaux de la déesse Kali.

Oh ! On ne m’enlèvera pas de la tête qu’ils ont bien com­bi­né leur petite affaire le pré­sident et son Pre­mier ; lui, le lam­piste des son­dages et l’autre, le sta­kha­no­viste du 49.3 (« contre son gré », dit aujourd’hui mon bien aimé). Un jeu de rôles hui­lé. Mais je crois qu’ils ont sim­ple­ment épou­sé les prin­cipes de mon autre phare poli­tique, Bart de Wever : Cus­to­di in pedi­bus. En résu­mé : « gar­dez-en tou­jours sous le pied, ça peut ser­vir et, à la fin, les autres sont prêts à vendre leur mère ». Vous remar­que­rez sim­ple­ment, en pas­sant, qu’il n’a pas fal­lu attendre per­pète après le « Moi, plus pré­sident » pour que Valls se lève.

Hélas, du mau­vais pied. Non, mais quel consti­pé ! Allez revoir la pho­to de l’évènement, début décembre : du grand gui­gnol ! Et ce slo­gan, ma mère : « Faire gagner tout ce qui ras­semble ». Pour­quoi pas « Embrasse-moi idiot » de Bill Bax­ter à fond les bal­lons ? Bref, voi­là mon Valls qui entre en piste comme une cloche. Marine qui fait cam­pagne « Au nom du peuple » comme s’il n’y en avait qu’un, Macron au nom de la « Révo­lu­tion » en Audi A8 et Fillon au nom de Saint Pie X se gon­dolent. Quant aux 849 can­di­dats puta­tifs des Gauches, c’est bien simple : ils ricanent comme des hyènes avinées.

Sur­vient alors ce qu’il faut bien qua­li­fier de miracle de Noël. Ou plu­tôt : de pro­dige répu­bli­cain. Nous sommes le mar­di 3 jan­vier 2017. Il est 11 heures. Der­rière le can­di­dat Valls qui va dérou­ler son pro­gramme, on lit désor­mais ceci en lettres bleues je veux : « Une Répu­blique forte. Une France juste ». Et là, d’un coup, mon ciel s’est déchiré.

Pas­sons très vite sur « La France juste ». Ce n’est rien qu’une for­mule, une amu­sette. Qu’est-ce qui est « juste », qu’est-ce qui ne l’est pas ? Inson­dable mys­tère. C’est four­re­tout, « juste ». C’est car­ré­ment vaseux et si peu vaso-dila­ta­teur. Le vieil Eschyle l’avait bien com­pris, qui assé­nait déjà : « Quel mor­tel reste juste s’il ne redoute rien ? ». Et Dieu sait s’il a à redou­ter, Valls !

Mais « Une Répu­blique forte ! », là, par­don : on s’incline. C’est Moïse qui redes­cend de la mon­tagne, la ligne Magi­not, Aus­ter­litz au soleil cou­chant, le 18 juin ! La tronche à Marine, le ric­tus à Macron, les sour­cils du Fillon ! Genoux en terre, téta­ni­sés, les can­di­dats des Gauches. Si ce n’est le Mélan­chon. Mais lui, n’est-ce pas, est un insou­mis pro­fes­sion­nel, le genre de type pour lequel il convien­drait de rou­vrir Cayenne. Ou de décré­ter, si ce n’était déjà fait, la déchéance de nationalité.

Une Répu­blique forte ! Ah mon Manuel ! Nous étions des dizaines de mil­lions à attendre dans le secret de nos cœurs cette pro­fes­sion de foi virile ! À preuve : ce son­dage, enfin cette enquête, bref ce cathé­té­risme révé­lant que près de deux tiers — deux tiers ! — des Belges sou­haitent désor­mais « un pou­voir fort pour remettre de l’ordre ». De l’ordre ou de l’Orde ? Allons ! L’espoir était tel­le­ment clair, la réponse si évi­dente que les son­deurs, enfin les socio­logues, bref les com­man­di­taires de cette intu­ba­tion à sec n’ont pas per­du idio­te­ment leur temps à deman­der aux son­dés ce qu’ils enten­daient par « pou­voir fort » : un Bart van Mus­so­li­ni, un Raoul Enver Hede­bouw ou un rat­ta­che­ment à la Hongrie.

Mon Manuel l’avait bien anti­ci­pé, lui, cet appel impé­rieux à une reprise en mains de nos démo­cra­ties gan­gré­nées par l’impéritie, la concus­sion, la coop­ta­tion des élites, la gabe­gie de ces salauds de l’establishment ! Au diable la mafia des copains, les nau­fra­geurs de la démo­cra­tie médu­sée, les fos­soyeurs du genre humain : c’est un Pou­voir Fort qu’il nous faut.

Comme toutes les idées de génie, le concept est à la fois réso­lu­ment nova­teur et le mâle héri­tier des grands pré­dé­ces­seurs. Sou­ve­nez-vous : « La France forte » de Sar­ko, « Une force pour la France » de Le Pen vieux, « La France forte » (déjà!) de Gis­card, « Pour que ça change fort » de Royal, « Mon but : vous don­ner plus de force » de Hue, « La France de toutes nos forces » de Bay­rou ou la ségué­la­sienne « Force tran­quille » de Mit­ter­rand et j’en passe.

Mais que seraient toutes ces pro­messes d’airain sans leur réfé­rent ultime, leur aimable ancêtre, l’homme qui a fait don de sa per­sonne à la France : Phi­lippe Pétain. C’est lui l’immortel vain­queur de Ver­dun, qui avait bel et bien mon­tré le che­min en fai­sant pla­car­der sur les murs de l’«État fran­çais » : « Pour une France plus forte ! ». Quelques cafards s’amuseront à rap­pe­ler que l’écriteau, illus­tré de deux ploucs pei­gnant une croix gam­mée sur une bom­bi­nette plus haute que la Tour Eif­fel, disait aus­si « Fran­çais, tra­vaillez en Alle­magne ». C’est bien le moment de venir nous emmer­der avec ce détail de l’Histoire alors que, par­tout en Europe, au-delà des cli­chés idéo­lo­giques obso­lètes, se lèvent avec force des hommes nou­veaux de la trempe de Manuel.

Luc Delfosse


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