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Manifeste du Forum pour d’autres indicateurs de richesse

Numéro 3 Mars 2009 par Collectif

mars 2009

Le col­lec­tif Forum pour d’autres indi­ca­teurs de richesse (FAIR) regroupe une soixan­taine de cher­cheurs et de mili­tants asso­cia­tifs qui par­tagent une réflexion cri­tique sur les indi­ca­teurs éco­no­miques et ceux de pro­grès des socié­tés. L’oc­ca­sion de son lan­ce­ment, au début de 2008 en France, fut la créa­tion de la Com­mis­sion Sti­glitz (Com­mis­sion sur la mesure de la per­for­mance éco­no­mique et du pro­grès social) sur pro­po­si­tion de Nico­las Sar­ko­zy. Depuis lors, FAIR dif­fuse son mani­feste, tra­duit en plu­sieurs langues, et mène diverses actions pour sus­ci­ter un vaste débat démo­cra­tique sur le pro­grès des socié­tés, sur sa mesure et sur l’é­la­bo­ra­tion d’in­di­ca­teurs alter­na­tifs au PIB.

Site : http://www.idies.org/index.php?category/FAIR.

État de crises, urgence de la transformation

Année après année, les dérè­gle­ments éco­lo­giques, sociaux et éco­no­miques se sont ancrés de façon sys­té­mique, et s’in­ten­si­fi ent. La crise fi nan­cière mise au devant de la scène mon­diale n’est, en effet, que la face la plus visible pour l’ins­tant de mul­tiples crises struc­tu­relles, qui sou­mettent depuis long­temps déjà cer­taines des popu­la­tions du monde à des situa­tions de pré­ca­ri­té extrême et à des drames humains, dans un contexte où les inéga­li­tés s’aggravent.

En quelques décen­nies, le déve­lop­pe­ment pro­duc­ti­viste exa­cer­bé de cer­tains pays du monde, la mon­tée en charge d’un capi­ta­lisme de la déme­sure, la dévo­tion faite à la libé­ra­li­sa­tion éco­no­mique et à l’in­di­vi­dua­lisme, nous ont conduits à un bilan sévère :

  • 20 % de la popu­la­tion mon­diale uti­lise 80 % des res­sources naturelles ;
  • la pau­vre­té extrême per­dure au coeur d’une socié­té d’a­bon­dance, comme en témoigne notam­ment la crise ali­men­taire mondiale ;
  • les com­por­te­ments pré­da­teurs et les logiques mili­ta­ristes d’une par­tie de l’hu­ma­ni­té ont détruit des biens com­muns de base, et ont mené l’en­semble des popu­la­tions et la pla­nète « dans le mur ».

Nous illus­trons dans les faits ce que disait Gand­hi : « Il y a assez de res­sources sur cette terre pour répondre aux besoins de tous, mais il n’y en aura jamais assez pour satis­faire les dési­rs de pos­ses­sion de quelques-uns. »

Ce que Gand­hi n’a­vait pas pré­vu, c’est que le déve­lop­pe­ment des acti­vi­tés humaines sous sa forme actuelle pro­vo­que­rait une telle atteinte aux biens com­muns en géné­ral, et aux res­sources natu­relles en par­ti­cu­lier ; que le deve­nir de la pla­nète, mais plus encore de l’hu­ma­ni­té, en serait lui-même hypothéqué.

Le seul exemple du chan­ge­ment cli­ma­tique et des migra­tions for­cées qui en découlent (plus 230 mil­lions de per­sonnes seront dépla­cées d’i­ci 2050, selon les pré­vi­sions des ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales) nous enseigne que les crises sont inti­me­ment liées. Que la solu­tion ne se situe plus seule­ment dans une meilleure répar­ti­tion des richesses dans un monde de crois­sance illi­mi­tée, mais dans l’in­ven­tion de nou­velles donnes sociales, éco­lo­giques, éco­no­miques et démo­cra­tiques pour que l’his­toire col­lec­tive perdure.

Aujourd’­hui, au moins dans cer­taines régions du monde, le véri­table risque (voire déjà la réa­li­té) n’est pas seule­ment de man­quer struc­tu­rel­le­ment de biens et ser­vices, mais celui d’être défi niti­ve­ment pri­vé de cer­taines res­sources com­munes de base (ex. sol sain, eau, air res­pi­rable…), pour­tant consi­dé­rées jusque-là comme intrin­sè­que­ment dues à cha­cun, et inaltérables.

Nous consta­tons désor­mais la limite, voire la perte défi nitive de cer­taines richesses natu­relles, ce qui signi­fi e que nous nous apprê­tons à remettre aux géné­ra­tions émer­gentes et futures un patri­moine de moindre valeur que celui que nous avons reçu. Le constat est iden­tique dans le domaine de la diver­si­té cultu­relle, pour­tant recon­nue comme le « pre­mier patri­moine de l’hu­ma­ni­té » — article 1 de l’A­gen­da 21 de la culture de Bar­ce­lone, 2004 — dont la des­truc­tion actuelle (ou annon­cée) atteint une ampleur jamais éga­lée, créant un ter­reau pro­pice à l’é­mer­gence de nou­velles logiques de guerre.

Dans ce contexte, nous consi­dé­rons qu’il est urgent de rap­pe­ler que l’ac­cès de tous à l’i­den­ti­té et aux échanges cultu­rels, à un niveau de vie décent et à la consom­ma­tion de base qu’il sous-tend, à un cadre de vie choi­si et aux fon­da­men­taux du bien-vivre sans les­quels le « bien-être » ne peut exis­ter, appar­tient aux droits essen­tiels énon­cés dans la Décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’homme de 1948. Et qu’il est de notre res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle et col­lec­tive de savoir le garantir.

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en digni­té et en droits. Ils sont doués de rai­son et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fra­ter­ni­té. » Décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’homme 1948, article 1 

« Toute per­sonne a droit à un niveau de vie suf­fi sant pour assu­rer sa san­té, son bien-être et ceux de sa famille, notam­ment pour l’a­li­men­ta­tion, l’ha­bille­ment, le loge­ment, les soins médi­caux ain­si que pour les ser­vices sociaux néces­saires ; elle a droit à la sécu­ri­té en cas de chô­mage, de mala­die, d’in­va­li­di­té, de veu­vage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de sub­sis­tance par suite de cir­cons­tances indé­pen­dantes de sa volon­té. » Décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’homme 1948, article 25

Les dés­équi­libres envi­ron­ne­men­taux, sociaux et éco­no­miques sont aujourd’­hui tels que consi­dé­rer le « bien-être de tous » comme axe cen­tral d’un nou­veau pro­jet socié­tal (et donc de la notion de pro­grès) ne relève plus tant d’un seul retour aux visions huma­nistes que d’une impé­rieuse néces­si­té au béné­fi ce de la sur­vie de tous. Nous pou­vons dire cyni­que­ment que, « grâce » aux impacts des­truc­teurs et désor­mais incon­tes­tables du chan­ge­ment cli­ma­tique, ou encore aux effets en chaîne de la crise fi nan­cière, les avis convergent peu à peu vers l’i­dée que chan­ger de sys­tème de réfé­rence n’est pas une alter­na­tive, mais la seule issue possible.

Le monde change, mais nos systèmes de référence perdurent

Pour résoudre un pro­blème, il faut chan­ger l’é­tat d’es­prit qui l’a créé, Albert Eistein.

Plus que jamais, ce pos­tu­lat prend sens, car il trace une hypo­thèse pour « sor­tir du mur » et pour ima­gi­ner les nou­velles voies dont la socié­té actuelle et les popu­la­tions à venir ont besoin.

Bien que l’é­tat de crises ne soit plus aujourd’­hui contes­té, les outils d’a­na­lyse uti­li­sés par les déci­deurs poli­tiques et éco­no­miques, ou encore le trai­te­ment sta­tis­tique et média­tique du « pro­grès » conti­nuent de se réfé­rer très direc­te­ment au sys­tème de pen­sée anté­rieur, dans lequel l’é­co­no­mique et le fi nan­cier pré­do­minent. Deux aspects illus­trent par­fai­te­ment cette déviance : d’une part, une nar­ra­tion uni­forme du monde réa­li­sée à tra­vers la seule vision de l’ul­tra­ca­pi­ta­lisme ; d’autre part, les outils offi ciels de la mesure de la « richesse ».

Le piège d’un monde racon­té à l’aune de l’ultracapitalisme

Au fil des der­nières décen­nies, et comme nous le démontre Ric­car­do Petrella1, nous avons col­lec­ti­ve­ment appris un monde dans lequel le sens même des mots a chan­gé. Ain­si, le réfé­ren­tiel com­mu­né­ment admis, c’est que crois­sance éco­no­mique signi­fi e pro­grès. La « per­for­mance des entre­prises » fait réfé­rence à leur capa­ci­té à géné­rer de la valeur pour l’ac­tion­naire et à pro­duire au coût éco­no­mique le plus bas. La « liber­té d’en­tre­prendre », en soi légi­time, s’est trans­for­mée en logique de non-droit (pas de sys­tème de veille, dis­pa­ri­tion de la régu­la­tion démocratique)…

Le sys­tème pro­duc­ti­viste a ain­si tra­cé la ligne de conduite pour tous. Nous avons col­lec­ti­ve­ment oublié que « crois­sance » veut dire « gran­dir », et que nous pou­vons faire le choix de gran­dir avant tout « en huma­ni­té », « en rela­tions humaines », « en édu­ca­tion », « en pré­ser­va­tion de l’en­vi­ron­ne­ment », en « sécu­ri­té éco­no­mique et sociale », « en qua­li­té démocratique »…

À l’heure de la crise fi nan­cière et éco­no­mique, nombre de déci­deurs et de médias feignent de décou­vrir que la déme­sure de l’é­co­no­mie vir­tuelle a un impact sur l’é­co­no­mie réelle (comme si les délo­ca­li­sa­tions à outrance des der­nières décen­nies n’a­vaient pas été avant tout jus­ti­fi ées par des logiques fi nan­cières et bour­sières). Le néo­li­bé­ra­lisme semble offi ciel­le­ment mis sur le bûcher. Et pour­tant, l’argent que l’on annon­çait inexis­tant pour éra­di­quer la pau­vre­té et la faim dans le monde coule brus­que­ment à fl ots pour sau­ver les banques. Les ana­lystes éco­no­miques conti­nuent de faire du moral des places bour­sières le baro­mètre du mieux être du monde. Le modèle de déve­lop­pe­ment indus­triel fait incon­tes­ta­ble­ment nau­frage, mais tout est mis en oeuvre pour que l’ul­tra­ca­pi­ta­lisme puisse renaître dès que le cyclone sera pas­sé, ce qui est illu­soire selon nous.

Le leurre des outils offi ciels de mesure de la « richesse »

Depuis plu­sieurs décen­nies, ces outils nous inculquent que « hors de la crois­sance éco­no­mique, pas de salut » ; des indi­ca­teurs éco­no­miques et finan­ciers en berne nous menant, paraît-il, for­cé­ment dans une situa­tion d’im­passe et de dépres­sion col­lec­tive. Qu’im­porte le conte­nu des fl ux fi nan­ciers (même s’ils émanent de la vente d’armes, des coûts de la répa­ra­tion et des soins induits par les acci­dents de la route, ou encore des acti­vi­tés por­tant atteinte à l’en­vi­ron­ne­ment), pour­vu qu’ils augmentent !

Notre rap­port au déve­lop­pe­ment humain et au bien-être col­lec­tif doit ain­si, nous dit-on, être ana­ly­sé en fonc­tion de la façon dont nous dépen­sons (dans l’é­co­no­mie réelle ou vir­tuelle), et à l’aune de nos volumes de pro­duc­tion et d’a­chats (choi­sis ou contraints).

Or, nous savons aujourd’­hui que la crois­sance du pro­duit inté­rieur brut, qui est cen­sée nous don­ner des nou­velles de la san­té col­lec­tive des pays et des ter­ri­toires, ne refl ète ni la pro­gres­sion de la san­té sociale et des rela­tions humaines ni celle de la pré­ser­va­tion des res­sources naturelles.

Il ne s’in­té­resse pas, par exemple, à la manière dont les richesses éco­no­miques qu’il recense sont répar­ties entre les membres de la socié­té. Il ne peut donc pas don­ner de signaux sur d’é­ven­tuels fac­teurs de déco­hé­sion sociale. Il ne prend pas en compte les dégâts engen­drés à l’oc­ca­sion de la pro­duc­tion, ni les atteintes au patri­moine col­lec­tif dont est dotée une socié­té à un moment don­né. Il ignore, notam­ment, les dépré­da­tions opé­rées sur le patri­moine natu­rel par l’ac­ti­vi­té indus­trielle et com­mer­ciale. Il donne la pri­mau­té au cal­cul de la valeur moné­taire des biens et ser­vices pro­duits, et décon­si­dère beau­coup d’autres élé­ments pour­tant fon­da­men­ta­le­ment liés à l’ac­cès au bien-être des popu­la­tions et à la pré­ser­va­tion de la nature : la qua­li­té de l’air et de l’eau, l’ap­ti­tude des indi­vi­dus à la conscience et à l’ex­pres­sion, à l’au­to­no­mie et à la paix, le niveau d’é­du­ca­tion et de san­té, la capa­ci­té de la socié­té à main­te­nir ses membres dans une rela­tive éga­li­té des condi­tions, le béné­vo­lat, le tra­vail domestique…

De nom­breux tra­vaux ont déjà démon­tré, et depuis long­temps, que cette vision réduc­trice des échanges (au sens lit­té­ral « un don et un retour ») nous induit en erreur pour tra­cer les pers­pec­tives d’un déve­lop­pe­ment humain durable. Nul n’a besoin d’être éco­no­miste pour consta­ter que « les échanges Nord-Sud » ou « les échanges com­mer­ciaux », etc. n’ont rien à voir avec un aller-retour équi­li­bré ; et que limi­ter la notion de richesse au cal­cul moné­taire et fi nan­cier des trans­ferts de biens et de ser­vices est une usur­pa­tion du terme.

Dans ce contexte, une refonte du PIB, par exten­sion des « impu­ta­tions moné­taires », peut-elle suf­fi re à éva­luer le « bien-être » de la socié­té et de tous, sur une pla­nète pré­ser­vée ? Nous ne refu­sons pas par prin­cipe toute ten­ta­tive en ce sens. Mais elle ne sau­rait, en tout état de cause, être autre chose qu’une pos­ture de tran­si­tion, une contri­bu­tion à la contes­ta­tion de la vision qui nous est impo­sée depuis plu­sieurs décen­nies et qui assi­mile la crois­sance éco­no­mique au pro­grès. La refonte du pro­duit inté­rieur brut est inopé­rante si l’en­jeu visé est bien celui du déve­lop­pe­ment humain durable dans toutes ses dimensions.

Un nombre encore limi­té d’in­di­ca­teurs non moné­taires comme l’in­dice de déve­lop­pe­ment humain du Pro­gramme des Nations unies pour le déve­lop­pe­ment (en cours de redé­fi nition), des indi­ca­teurs divers de « san­té sociale » ou encore l’« empreinte éco­lo­gique » per­mettent de por­ter de nou­veaux regards sur l’é­vo­lu­tion des socié­tés et sur celle des res­sources natu­relles. C’est un début. Nous devons pour­suivre les tra­vaux, afin de défi­nir des ins­tru­ments de mesure au ser­vice d’une vision mul­ti­di­men­sion­nelle du pro­grès (« le bien-être pour tous, sur une pla­nète pré­ser­vée ») et fai­sant l’ob­jet d’un débat démo­cra­tique conti­nu (pour leur éla­bo­ra­tion et leur sui­vi). Mais com­ment nous y prendre ?

Renouveler ensemble nos valeurs et nos outils de pilotage

Sor­tir de la spi­rale des des­truc­tions envi­ron­ne­men­tales et sociales, de la folie maté­ria­liste et de l’a­to­nie démo­cra­tique passe par une remise à plat des réfé­ren­tiels d’ac­tion qui régissent le monde. Ce qui sup­pose, notam­ment, l’é­la­bo­ra­tion col­lec­tive des repères que nous sou­hai­tons désor­mais adopter

Il est, dans ce cadre, par exemple urgent de prendre conscience de la confu­sion entre les notions de « niveau de vie » et de « qua­li­té de vie ». Il est tout aus­si urgent de redon­ner à la « qua­li­té de vie » un sens col­lec­tif, qui ne se réduise pas une simple agré­ga­tion des pré­fé­rences indi­vi­duelles mais qui intègre la prise en compte d’un rap­port éclai­ré aux autres, à la nature et à soi-même, à « l’har­mo­nie entre les humains, et l’har­mo­nie entre les humains et la nature ».

Ain­si, ce que nous devons apprendre pour pro­mou­voir le « bien-être » humain et pla­né­taire, et pour pou­voir le mesu­rer, c’est notre capa­ci­té à mettre en oeuvre les prin­cipes de :

  • res­pon­sa­bi­li­té, et notam­ment le choix de la « sim­pli­ci­té volon­taire » (être mesu­rés dans la demande en « avoirs » pour être « justes » dans la répar­ti­tion et l’u­sage des ressources) ;
  • soli­da­ri­té (au sens lit­té­ral « nous sommes par­tie d’un tout ») ;
  • alté­ri­té, qui per­met la recon­nais­sance de cha­cun dans ses dif­fé­rences, et la recherche des inter­ac­tions entre tous pour consti­tuer de nou­velles formes de capi­tal social — cf. Amar­tya Sen ;
  • éga­li­té d’ac­cès pour tous à la digni­té, aux droits, aux « biens com­muns » maté­riels (ex. eau, ali­men­ta­tion, habi­tat…) et imma­té­riels (exemples, édu­ca­tion, culture…), au bien-être et à la dou­ceur de vivre.

Redé­fi­nir le tableau de bord de notre richesse natio­nale implique, au préa­lable, une inter­ro­ga­tion et une mise au débat de ce qui fait « valeurs » (au sens lit­té­ral : « forces de vie »), de ce qui compte vrai­ment, de ce qui fait sens dans les échanges, de la place octroyée à la dimen­sion démo­cra­tique du « bien vivre ensemble ».

Il paraît dif­fi­cile de pen­ser que cette démarche puisse se réa­li­ser dans la neu­tra­li­té idéo­lo­gique, car elle néces­site de faire des choix. De nom­breuses ques­tions sont ain­si posées : qu’est-ce que qu’une socié­té « riche » ? Sou­hai­tons-nous res­ter dans la pos­ture schi­zo­phré­nique du moment, qui est mar­quée par l’an­ti­no­mie entre l’ap­pel qua­si consen­suel à l’a­dop­tion de nou­velles pra­tiques de consom­ma­tion (au nom de la lutte contre le « trop » effet de serre, et plus glo­ba­le­ment du déve­lop­pe­ment durable), et la per­pé­tua­tion de réfé­rences éco­no­miques tota­le­ment contra­dic­toires avec les enjeux sociaux et envi­ron­ne­men­taux ? Sommes-nous prêts à admettre que le fait même « d’être en socié­té » nous importe, et que la cohé­sion de cette socié­té et l’é­qui­libre des échanges en son sein consti­tuent un bien com­mun qui a une valeur ?

Il paraît ain­si grand temps d’en­ga­ger une réflexion sur les objec­tifs de notre socié­té, dans la droite ligne de la réfl exion de Kant : « Le pro­blème essen­tiel, pour l’es­pèce humaine […], c’est la réa­li­sa­tion d’une socié­té civile admi­nis­trant le droit d’une façon universelle. »

Ici, aucun expert (éco­no­miste ou autre), aus­si com­pé­tent soit-il, ne détient seul les clefs pour défi nir les cadres du « bie­nêtre », de la valeur des échanges et de leur ana­lyse. La légi­ti­mi­té de la défi nition du pro­jet socié­tal et de ses indi­ca­teurs d’é­va­lua­tion relève d’une négo­cia­tion col­lec­tive, et revient à l’en­semble des par­ties pre­nantes en présence.

C’est ensemble que nous devons déci­der d’op­ter pour une pos­ture d’a­dap­ta­tion, qui revient à confor­ter aus­si long­temps que pos­sible un monde sur le déclin (à l’i­mage du récent sau­ve­tage finan­cier des banques via les fonds publics) ou de choi­sir un autre modèle, avec d’autres repères.

C’est en redon­nant sens aux échanges non éco­no­miques et à « ce qui compte le plus » pour nous que nous serons en capa­ci­té de redé­fi nir la notion de richesse, de refon­der les règles du par­tage, les sup­ports d’é­changes comme la mon­naie, mais aus­si les moda­li­tés de compte, ou encore les sys­tèmes de redis­tri­bu­tion appro­priés. Que nous serons en mesure de redon­ner sa juste place — et non pas toute la place — à l’économie.

Le chan­tier est trop vaste, et l’en­jeu démo­cra­tique trop fort, pour que qui que ce soit puisse ima­gi­ner qu’un type d’ac­teurs, une Com­mis­sion ou un réseau soit en mesure de les embras­ser de façon exclu­sive. Dans ce cadre, de nom­breux inter­ve­nants portent la res­pon­sa­bi­li­té de lan­cer sans attendre, au niveau natio­nal et dans les ter­ri­toires, des débats publics ouverts, plu­ra­listes et éclai­rés par la diver­si­té des formes d’ex­per­tise, autour de la ques­tion de la richesse et des logiques d’é­changes. Et par­mi ces per­sonnes : les cher­cheurs, les ensei­gnants et autres acteurs de l’é­du­ca­tion, les par­le­men­taires (dans leur double rôle d’in­ter­ve­nants natio­naux et de réfé­rents locaux), les élus ter­ri­to­riaux, les syn­di­ca­listes, les ani­ma­teurs des par­tis poli­tiques, les coor­don­na­teurs de réseaux pro­fes­sion­nels ou citoyens…

La rédac­tion de ce texte a été coor­don­née par Hélène Combe, et elle a béné­fi cié de contri­bu­tions et sug­ges­tions de plu­sieurs membres de FAIR, notam­ment Flo­rence Jany-Catrice, Domi­nique Méda, Patrick Vive­ret, Jean Fabre, Jean-Marie Har­ri­bey, Isa­belle Cas­siers et Jean Gadrey.

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