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Mal total ou acte politique ? Entre le mal et le bien…

Numéro 10 Octobre 2001 par Félix Ciffer

février 2009

Les mots sont dan­ge­reux et le Poli­tique n’est pas affaire d’anges mais bien d’hommes et par­fois, à leur corps défen­dant peut-être, de dieux. La carte de géo­gra­phie des­si­nait ain­si des fron­tières tran­quilles et repo­santes. Le Monde allait s’élargissant et le Poli­tique allait se rédui­sant : une seule solu­tion, une seule forme pour des mil­lions de par­ti­cu­la­ri­tés et toutes sortes de petites his­toires parce que, désor­mais, l’Histoire est uni­ver­selle. Mais voi­là, brus­que­ment, les fron­tières se sont réveillées dans un cau­che­mar. Le rêve, si rêve il y avait, s’est inter­rom­pu. Nous devrons reprendre ces fron­tières, les exa­mi­ner atten­ti­ve­ment. Dans cer­tains cas, nous n’aurons pas le choix et devrons les défendre. Dans d’autres cas, nous aurons le choix : soit nous pour­rons les empor­ter et fra­cas­ser les petites his­toires, soit nous pour­rons construire des ponts, cir­cu­ler d’une cou­leur à l’autre sur la carte géo­gra­phique et nous inter­ro­ger mutuel­le­ment. C’est pro­ba­ble­ment la seule solu­tion car, à fra­cas­ser les petites-his­toires, nous pour­rions perdre notre humanité. 

Vers 15 heures, le mar­di 11 sep­tembre, les pre­mières images des pre­mières émis­sions spé­ciales ; l’air éga­ré des pré­sen­ta­teurs ; les phrases hys­té­riques par­lant d’une situa­tion de qua­si-guerre ; les hypo­thèses déme­su­rées et hors un enten­de­ment de temps de paix sur le nombre de vic­times poten­tielles ; la répé­ti­tion sans fin, presque sous tous les angles ima­gi­nables, d’un avion puis d’un autre avion s’écrasant dans les deux tours, les deux tours en feu, les deux tours s’effondrant, l’une à la suite de l’autre … Une forme de conscience intui­tive de ce que ces images peuvent repré­sen­ter comme consé­quences humaines, éco­no­miques, géo­po­li­tiques et sym­bo­liques ; le sen­ti­ment très net qu’un monde vient de s’achever par deux avions et deux tours effon­drées … Très vite, après ce que les actes com­mis sur le sol amé­ri­cain ce mar­di 11 sep­tembre 2001 ont pu sus­ci­ter comme émo­tions, comme peurs ou inquié­tudes et comme rages, les ana­lyses se sont atta­chées à rap­pe­ler les mondes ain­si per­dus, à iden­ti­fier quels pour­raient être les actes futurs du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain et de ses alliés his­to­riques ou futurs et de cir­cons­tance ain­si que leurs consé­quences pro­bables, pos­sibles ou potentielles.

De l’émotion à l’analyse, de l’avant à l’après sans s’arrêter à l’examen du moment ; sauf à consi­dé­rer cet exa­men comme suf­fi­sant par la répé­ti­tion sans fin d’un avion puis d’un autre avion s’écrasant dans les deux tours, les deux tours en feu, les deux tours s’effondrant, l’une après l’autre …
Mal­gré l’émotion, les émo­tions contra­dic­toires, ce qui domine c’est la stu­pé­fac­tion, une cer­ti­tude gla­cée. Nous venons d’assister — au sens le plus fort et le plus com­plet du terme — à un acte rare, un acte d’une nature telle qu’il nous est peu sou­vent don­né de pou­voir le consta­ter et l’analyser, d’en prendre l’exacte mesure et la totale por­tée : l’acte plei­ne­ment politique.

AURIONS-NOUS RÉTRÉCI LE POLITIQUE ? 

Une telle affir­ma­tion peut sur­prendre, voire cho­quer. Que les choses soient écrites sans aucune arn­bigüi­té : il ne s’agit en aucune manière de jus­ti­fier de tels actes. Ce que l’affirmation peut avoir de sur­pre­nant ou de cho­quant nous parait pour­tant devoir être envi­sa­gé et dis­cu­té pour ten­ter de com­prendre ce qui est mis en jeu par les actes du 11 sep­tembre et par les actes qui lui répon­dront. Telle est l’intention, et pour cela un détour par notre concep­tion du poli­tique peut s’avérer fécond : aurions-nous réduit le Poli­tique à la démo­cra­tie libé­rale et la démo­cra­tie libé­rale à une et une seule forme d’institutions ?

La plu­part d’entre nous par­tagent les pré­sup­po­sés du modèle de démo­cra­tie libé­rale. Sim­ple­ment esquis­sé, celui-ci se résume à deux prin­cipes fon­da­men­taux. Ce modèle accepte et recon­nait l’expression d’une plu­ra­li­té d’opinions et refuse la loi du plus fort pour tran­cher, un moment don­né, les conflits entre cette plu­ra­li­té d’opinions. De plus, pas­sant de la fonc­tion à la forme, la plu­part d’entre nous par­tagent éga­le­ment l’idée que, pour fonc­tion­ner cor­rec­te­ment, ce modèle sup­pose l’existence de pro­cé­dures tra­duites dans un cor­pus de légis­la­tions répon­dant à des carac­té­ris­tiques pré­cises et un ensemble d’institutions cor­res­pon­dant à des formes tout aus­si pré­cises. Ce constat trop rapi­de­ment esquis­sé conduit à poser deux questions.

Au-delà de savoir si la forme « sup­porte » bien la fonc­tion, si elle tend à la faire fonc­tion­ner cor­rec­te­ment, non seule­ment dans la concep­tion abs­traite (par exemple, le Par­le­ment) mais aus­si dans la pra­tique quo­ti­dienne de la forme (par exemple, l’organisation de l’expression du « peuple » au sein du Par­le­ment), il nous reste à nous inter­ro­ger — pre­mière ques­tion — sur le fait de savoir si d’autres formes (par exemple, le Conseil tri­bal) ne pour­raient tout aus­si bien « sup­por­ter » la fonc­tion (ici, pour res­ter dans l’exemple, l’organisation de l’expression du « peuple »). Autre­ment dit, la ques­tion refor­mu­lée pour­rait être la sui­vante : le modèle de démo­cra­tie sup­pose-t-il une et une seule forme d’institution, celles qui forment la démo­cra­tie libérale ? 

L’exemple rete­nu — l’organisation de l’expression du « peuple » — l’est à des­sein et conduit à inter­ro­ger le concept de « démo­cra­tie libé­rale » comme nous le com­pre­nons aujourd’hui. De la tra­di­tion libé­rale, il emprunte l’affirmation de l’individu, de l’État de droit et des droits de l’homme dans leurs pré­ten­tions uni­ver­sa­listes. De la tra­di­tion démo­cra­tique, il pro­meut le citoyen, la sou­ve­rai­ne­té du peuple et l’identité entre gou­ver­nés et gou­ver­nants dans leur défi­ni­tion de la par­ti­cu­la­ri­té de la cité. Les ten­sions entre ces deux tra­di­tions semblent s’être pro­vi­soi­re­ment réso­lues au détri­ment de la tra­di­tion démo­cra­tique et au pro­fit de la tra­di­tion libé­rale et de son uni­ver­sa­lisme. Sans nier l’une pour l’autre, il nous res­te­ra — seconde ques­tion — à réflé­chir quelle tra­di­tion nous sou­hai­te­rons pri­vi­lé­gier à l’avenir.

Le confort de cette « pra­tique démo­cra­tique » qui per­met la sau­ve­garde de notre vie sans devoir subir la vio­lence et l’humiliation de l’oppression ou de l’esclavage ; les délices de ce sys­tème qui, somme toute, étant pris en charge par des ins­ti­tu­tions, semble nous appar­te­nir sans que nous ne devions appa­rem­ment nous en occu­per ni en assu­mer la res­pon­sa­bi­li­té, nous auraient-ils insen­si­ble­ment conduits à res­treindre l’ampleur de l’espace pos­sible du Poli­tique ? La ques­tion peut être for­mu­lée autre­ment : aurions-nous désor­mais accep­té que le modèle de démo­cra­tie libé­rale — forme poli­tique par­ti­cu­lière et solu­tion his­to­rique — soit ain­si deve­nu la seule forme pen­sable et jus­ti­fiable, donc légi­time, du fait poli­tique ? Dès lors, pour­sui­vant le ques­tion­ne­ment, tout acte se situant hors de cet espace parce que ne cor­res­pon­dant aucu­ne­ment aux pré­sup­po­sés de ce modèle ne serait plus à consi­dé­rer comme rele­vant de la caté­go­rie du Poli­tique ? C’est autour de ces ques­tions que se cris­tal­li­se­ront les juge­ments et prises de position.

AFFRONTEMENT ET AFFRONTEMENTS 

À consi­dé­rer que l’acte qua­li­fiable de « poli­tique » se réduit à ce qui peut se conce­voir dans l’espace du modèle de démo­cra­tie libé­rale, il sera pos­sible (et jus­ti­fié) de par­ler d’actes bar­bares, attei­gnant « l’humanité » et le « monde civi­li­sé », De tels actes ne sont pas poli­tiques et ne trouvent en la Poli­tique — au sens abs­trait du terme — aucune pos­si­bi­li­té d’interprétations ou de jus­ti­fi­ca­tions. Ils relèvent néces­sai­re­ment d’un autre champ d’explication — par exemple, la reli­gion ou la psy­chia­trie — qui nous per­met­tra de fer­mer défi­ni­ti­ve­ment la fron­tière et de pré­ser­ver notre concep­tion du Poli­tique. Le Grand Satan n’a en effet aucune place dans ce Royaume, quels que soient le Grand Satan et le Royaume.

Cepen­dant, en ne limi­tant pas l’ampleur du Poli­tique à ce qui se conçoit et s’accepte dans le cadre du modèle de démo­cra­tie libé­rale, la pers­pec­tive se modi­fie pro­fon­dé­ment et peut indi­quer un point de rup­ture majeure. À sim­pli­fier le Poli­tique comme l’élaboration d’un cadre des­ti­né à orga­ni­ser le « vivre ensemble » et à don­ner corps à « l’être col­lec­tif » qui en résulte accom­pa­gnée de la volon­té de mettre en œuvre ce cadre d’une part et, d’autre part, à consi­dé­rer le modèle de démo­cra­tie libé­rale comme un cadre poli­tique par­mi d’autres, il devient moins aisé de dis­qua­li­fier ces actes et de leur dénier une nature poli­tique. Dans cette seconde pers­pec­tive, deux ou plu­sieurs cadres poli­tiques trou­ve­raient à se confronter.

Il nous faut alors pous­ser le rai­son­ne­ment à son terme et iden­ti­fier ce point de rup­ture majeure. À sup­po­ser qu’il n’existe aucun « ter­ri­toire de repli », ces deux ou plu­sieurs cadres poli­tiques ne pour­ront trou­ver qu’à s’affronter de manière concur­rente et mor­telle parce qu’exclusifs pour l’organisation de ce « vivre ensemble », Dès lors que notre jus­ti­fi­ca­tion au choix d’un cadre poli­tique serait refu­sée par l’autre par­tie au débat et que nous-même refu­se­rions sa jus­ti­fi­ca­tion, la seule issue envi­sa­geable en l’absence d’un « ter­ri­toire de repli » réside dans la capa­ci­té d’une des deux par­ties à impo­ser sa jus­ti­fi­ca­tion — quels que soient les moyens uti­li­sés — à l’autre par­tie et, à celle-ci, de se sou­mettre à ce cadre et de le subir.

Cette confi­gu­ra­tion n’est en rien com­pa­rable à la dyna­mique majo­ri­tai­re­mi­no­ri­taire du modèle de démo­cra­tie libé­rale en ce que cette dyna­mique est consti­tu­tive du fonc­tion­ne­ment de ce modèle et n’appelle pas à mettre en cause les valeurs fon­da­men­tales rela­tives à la nature du cadre poli­tique. Par contre, dans cette confi­gu­ra­tion, ce qui est en jeu, c’est clai­re­ment la nature du cadre poli­tique et, à se limi­ter à l’espace des jus­ti­fi­ca­tions, l’issue du débat relè­ve­ra essen­tiel­le­ment de ce que nous sommes conve­nus d’appeler vio­lence, sous quelque forme que ce soit et quelle qu’en soit la qua­li­fi­ca­tion don­née par l’une ou l’autre des par­ties. Seule la force brute, la vio­lence à l’état pur, per­met­tra d’imposer et de concré­ti­ser ce cadre poli­tique pour lequel nous mobi­li­sons notre éner­gie. L’emploi de cette vio­lence sera alors l’une des formes de l’acte plei­ne­ment poli­tique, celui qui vise à défi­nir le cadre d’organisation du « vivre ensemble ». 

POLITIQUE ET VIOLENCE 

La ques­tion du lien entre Poli­tique et vio­lence doit donc, elle aus­si, dis­tin­guer ces deux niveaux : l’affrontement entre pro­jets à l’intérieur d’un cadre poli­tique don­né en res­pec­tant la nature de ce cadre et la confron­ta­tion entre cadres poli­tiques. Dans ce der­nier cas, il n’est pas cer­tain que Poli­tique et vio­lence puissent être dis­tin­guées l’une de l’autre. Et cela, il nous faut accep­ter de l’envisager : c’est l’horizon sombre et occul­té du Politique.

Sur le che­min d’une glo­ba­li­sa­tion, nous pour­rons alors inci­dem­ment sou­li­gner le para­doxe du pro­jet de démo­cra­tie libé­rale : accep­ter, à l’intérieur de son cadre poli­tique, l’expression d’une plu­ra­li­té d’opinions et refu­ser le recours à la force pour tran­cher le conflit entre ces opi­nions mais refu­ser la pos­si­bi­li­té d’une plu­ra­li­té de cadres poli­tiques et accep­ter le recours à la force pour tran­cher en sa faveur le conflit entre ces cadres.

Mon­dia­li­sa­teurs soli­daires ou non, « vic­times » du pen­chant uni­ver­sa­liste conte­nu dans notre tra­di­tion libé­rale, en ten­tant de trans­po­ser nos valeurs, notre sys­tème et les termes de nos débats à l’échelle de la pla­nète ; nous réflé­chis­sions poli­tique, éco­no­mique, social et envi­ron­ne­men­tal dans nos caté­go­ries. Fai­sant fi de notre tra­di­tion démo­cra­tique en ce qu’elle nous incli­nait à res­pec­ter la par­ti­cu­la­ri­té des peuples, la supé­rio­ri­té de ces valeurs et de ces termes nous parais­sait aller d’évidence et, en quelque sorte, « natu­rels » alors qu’ils étaient his­to­ri­que­ment datés et n’étaient « que » cultu­rels. De cela, nous n’avons rien vu. Le libé­ra­lisme l’a donc empor­té sur la démo­cra­tie et sans savoir de quels biens ni de quels mondes il s’agissait, le « bien » du « monde » a jus­ti­fié la volon­té d’imposer nos uni­ver­sa­li­tés et les formes par les­quelles nous les met­tons en œuvre. Sans en prendre la totale mesure, nous avons ain­si créé une dyna­mique explo­sive et pro­fon­dé­ment désta­bi­li­sa­trice des autres cultures : cette ten­ta­tive mon­dia­li­sa­trice et mon­dia­liste reve­nait à saper les fon­de­ments de cadres poli­tiques exis­tants, à empê­cher l’adaptation de cadres poli­tiques nés de la par­ti­cu­la­ri­té des peuples, voire à empê­cher l’élaboration de cadres poli­tiques nou­veaux. Ce fai­sant, indé­pen­dam­ment du fait de savoir si telle était notre inten­tion, nous avons exer­cé une extrême vio­lence sym­bo­lique, cultu­relle et politique.

Nous serions ten­tés d’affirmer que, d’une cer­taine façon, la « mon­dia­li­sa­tion » man­quait de son « fait poli­tique total et glo­bal », Le voi­là adve­nu, devant nos yeux et répé­té à l’infini. Après les actes du 11 sep­tembre 2001 nous ne pour­rons plus élu­der la ques­tion du cadre poli­tique orga­ni­sa­teur du « vivre ensemble » ou, for­mu­la­tion cer­tai­ne­ment plus adé­quate, la ques­tion de l’articulation des cadres poli­tiques orga­ni­sa­teurs du « vivre ensemble ». C’est en cela que ce qui s’est pro­duit cette mati­née-là, remet­tant pro­fon­dé­ment et vio­lem­ment en cause un modèle poli­tique occi­den­tal domi­nant et à voca­tion (tota­li­tai­re­ment ?) hégé­mo­nique, consti­tue un acte politique.

QU’EN FAIRE ?

Face à toutes ces vio­lences amon­ce­lées dans le champ du Poli­tique, la vio­lence des actes du 11 sep­tembre et la vio­lence des actes qui leur répondent, les vio­lences exer­cées par les uns et les vio­lences exer­cées par les autres qu’elles qu’en soient leurs formes, il reste à déter­mi­ner ce qui nous est possible.

Pre­mière confi­gu­ra­tion, les cadres poli­tiques en pré­sence sont radi­ca­le­ment dif­fé­rents de manière telle qu’aucun prin­cipe com­mun ne puisse être trou­vé. Ces cadres main­tiennent leurs pré­ten­tions uni­ver­sa­listes et tota­li­santes donc, par consé­quent, leurs visées hégé­mo­niques. Le phé­no­mène de glo­ba­li­sa­tion ne lais­sant aucun « ter­ri­toire de repli » au sens phy­sique ou géo­gra­phique du terme, l’affrontement est iné­luc­table et la seule issue rési­de­ra dans la domi­na­tion de l’un par l’autre et le cor­tège de vio­lences qui l’accompagnera. En pre­nant en consi­dé­ra­tion ses consé­quences, c’est le pire des cas de figure qui puissent être imaginés.

Deuxième confi­gu­ra­tion, quand bien même les cadres poli­tiques en pré­sence res­te­raient radi­ca­le­ment dif­fé­rents mais accep­te­raient de se dépouiller de leurs ori­peaux uni­ver­sa­listes et tota­li­sants, dans cette hypo­thèse, l’affrontement ne serait plus néces­sai­re­ment la seule solu­tion. L’autre forme de l’acte poli­tique ini­tial, l’acte qui vise à défi­nir le cadre d’organisation du « vivre ensemble », peut alors adve­nir ; à savoir, sur pied d’égalité, l’invention par­ta­gée de procédures.

UN MONDE NON UNIVERSEL, UN MONDE PARTICULIER, POUR TOUT LE MONDE 

C’est, sans doute aucun, la piste de cette autre forme de l’acte poli­tique ini­tial que l’ensemble des par­ties au conflit devront réso­lu­ment emprun­ter. Dans cette pers­pec­tive, pour ce qui nous concerne, nous ne pour­rons faire l’économie d’une réflexion cri­tique sur nos deux tra­di­tions poli­tiques et sur leur poids res­pec­tif. De la même manière, nous ne pour­rons élu­der une réflexion sur la pos­sible dis­so­cia­tion des formes et fonc­tions au sein de cha­cune de nos deux tra­di­tions. Ce n’est qu’à ce prix que nous pour­rons entendre, dans les sym­pho­nies cultu­relles et sym­bo­liques, ce qui nous unit et ce qui nous dif­fé­ren­cie sans pour autant nous dis­so­cier, voire, peut-être, ce qui nous dis­so­cie radi­ca­le­ment sans pour autant rendre néces­saire un affron­te­ment mortel.

Dans cette pers­pec­tive, sur le plan des ins­ti­tu­tions poli­tiques, il ne s’agirait plus de reven­di­quer, d’exiger voire d’imposer la mise en place d’institutions for­melles et stan­dard, éven­tuel­le­ment vides de toute par­ti­ci­pa­tion démo­cra­tique réelle, mais cor­res­pon­dant à notre for­ma­li­sa­tion de notre modèle de démo­cra­tie libé­rale. Cela n’est por­teur d’aucun sens ni d’aucune huma­ni­té ni pour nous ni pour l’autre. Une piste à explo­rer consis­te­rait d’une part à per­mettre la res­tau­ra­tion d’institutions tra­di­tion­nelles et/ou cultu­rel­le­ment diver­si­fiées assu­mant les fonc­tions démo­cra­tiques et, d’autre part, à conce­voir en com­mun des moda­li­tés d’articulation res­pec­tueuses de cette diver­si­té entre l’ensemble des ins­ti­tu­tions assu­mant la même fonc­tion démo­cra­tique. En pas­sant, cela nous condui­rait aus­si à inter­ro­ger l’état actuel des formes et des fonc­tions de notre modèle de démo­cra­tie libé­rale et, le cas échéant, d’en inven­ter de nou­velles per­met­tant de renou­ve­ler la tra­di­tion démocratique.

Tel pour­rait être le pro­jet d’une gou­ver­nance des hommes par les hommes pour les hommes dans le res­pect de leurs diver­si­tés et tenant compte de leurs dieux. De cette manière, ce qui s’est pro­duit le 11 sep­tembre 2001 — sans en aucune manière le jus­ti­fier — acquér­rait sa plé­ni­tude d’acte poli­tique ini­tial : une « bonne » appré­hen­sion du « mal total » pour­rait ain­si faire adve­nir le bien de la Cité.

Félix Ciffer


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