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Lutte contre la fraude : l’éternelle asymétrie entre riches et pauvres

Numéro 4 - 2016 par Jonathan Dehoust

juillet 2016

Ce qui frappe sur­tout dans les Pana­ma Papers, révé­lés par l’International Consor­tium of inves­ti­ga­tive jour­na­lists, n’est pas la décou­verte de pra­tiques d’ingénierie fis­cale qui mouillent des per­son­na­li­tés célèbres comme le foot­bal­leur Lio­nel Mes­si, le met­teur en scène Fran­co Dra­gone ou le démis­sion­naire islan­dais Sig­mun­dur Gunn­laug­sson. Le phé­no­mène frau­du­leux d’échappatoire à l’impôt — et donc de contri­bu­tion à la col­lec­ti­vi­té — est […]

Le Mois

Ce qui frappe sur­tout dans les Pana­ma Papers, révé­lés par l’International Consor­tium of inves­ti­ga­tive jour­na­lists, n’est pas la décou­verte de pra­tiques d’ingénierie fis­cale qui mouillent des per­son­na­li­tés célèbres comme le foot­bal­leur Lio­nel Mes­si, le met­teur en scène Fran­co Dra­gone ou le démis­sion­naire islan­dais Sig­mun­dur Gunn­laug­sson. Le phé­no­mène frau­du­leux d’échappatoire à l’impôt — et donc de contri­bu­tion à la col­lec­ti­vi­té — est mal­heu­reu­se­ment entré dans les mœurs et y est ancré comme un che­wing-gum à la semelle d’une chaus­sure. Nous pou­vons en être surs : il y aura d’autres « leaks » dans l’histoire ; et chaque nou­velle divul­ga­tion lais­se­ra tou­jours un énième gout amer dans la bouche jusqu’à ce qu’on s’en accommode.

Non, ce qui frappe sur­tout est la fai­blesse des méca­nismes entre­pris par les auto­ri­tés publiques pour en évi­ter l’expansion en com­pa­rai­son de toutes les mesures prises ou pro­po­sées ces der­nières années pour sur­veiller et contrô­ler les chô­meurs et béné­fi­ciaires du reve­nu d’intégration sociale (RIS) auprès du CPAS : créa­tion d’un sys­tème de trans­mis­sion des don­nées de leur consom­ma­tion de gaz, d’eau et d’électricité ; retrait de leurs allo­ca­tions en cas d’alcoolisme ou de toxi­co­ma­nie ; tra­vaux d’intérêt géné­ral ; point de contact cen­tra­li­sé pour faci­li­ter la déla­tion ; et j’en passe tant l’inventivité liber­ti­cide de cer­tains poli­tiques à ce sujet n’a d’égale que la risi­bi­li­té de leur hié­rar­chie des pro­blé­ma­tiques sociales.

La véri­table vio­lence sym­bo­lique du dénoue­ment de cette enquête jour­na­lis­tique, celle qui est per­çue par tous et ne demande aucune grille de lec­ture com­plexe, réside dans cette éter­nelle asy­mé­trie : un œil grand ouvert sur les per­sonnes les plus défa­vo­ri­sées du corps social et l’autre bien fer­mé envers les plus grands for­tu­nés. Pour le dire gros­siè­re­ment, mieux vaut être un riche éva­dé fis­cal qu’un pauvre tra­vailleur au noir.

L’inquiétante cécité du gouvernement Michel

Et en Bel­gique, c’est que le gou­ver­ne­ment fédé­ral semble faire fi de cette injus­tice dans les moyens déployés. Voyez plu­tôt : l’ironie veut que le jour même des révé­la­tions Pana­ma Papers, Willy Bor­sus, le ministre fédé­ral de l’Intégration sociale, annonce fiè­re­ment l’adoption en pre­mière lec­ture par le conseil des ministres de son avant-pro­jet de loi concer­nant le PIIS (pro­jet indi­vi­dua­li­sé d’intégration sociale). Le PIIS est un contrat de « res­pon­sa­bi­li­sa­tion » et de « réac­ti­va­tion » des béné­fi­ciaires d’un RIS qui veut les pous­ser à effec­tuer des démarches plus convain­cantes dans la recherche d’un tra­vail, d’une for­ma­tion ou d’un stage. Des sanc­tions sont pré­vues pour les récal­ci­trants : une sus­pen­sion du RIS pen­dant un mois et de trois en cas de réci­dive. Le libé­ral sou­haite ain­si rap­pe­ler avec clar­té leurs droits, mais sur­tout leurs devoirs. Son argu­ment phare : « ren­for­cer l’intégration sociale ».

Le ridi­cule ne tue pas : cette phrase fait plu­tôt pâle figure quand les Unes du monde entier révèlent l’existence de per­son­na­li­tés qui évitent le fisc à rai­son de plu­sieurs mil­liards. On aime­rait autant d’entrain de la part de la coa­li­tion MR – N‑VA à « ren­for­cer l’intégration sociale » de ces éva­dés fis­caux qui veulent tout rece­voir sans rien don­ner en retour. Un peu de « res­pon­sa­bi­li­sa­tion » ne ferait pas de tort — au contraire.

Sans comp­ter la cita­tion de la banque Dexia dans les docu­ments sur les pra­tiques off­shore alors que cette der­nière a été reca­pi­ta­li­sée grâce à 3 mil­liards d’argent public (!) ou encore les récentes solu­tions trou­vées pour pal­lier le fameux déra­page bud­gé­taire de 2 mil­liards. Michel 1er a refu­sé net de récu­pé­rer les 700 mil­lions du régime fis­cal illé­gal dont il a fait pro­fi­ter les grosses entre­prises. Le Pre­mier a pré­fé­ré « annua­li­ser » le temps de tra­vail — enten­dez der­rière ce mon­tage séman­tique une régres­sion sociale qui per­met­tra aux employeurs de faire tra­vailler plus long­temps (jusqu’à 45 heures par semaine) leurs employés déjà pres­sés comme des citrons avec le saut d’index, la hausse de la TVA sur l’électricité ou encore le relè­ve­ment de l’âge pour la pen­sion. C’est à croire qu’ils trou­ve­ront tou­jours des faibles à affai­blir encore un peu plus et des branches de la sécu­ri­té sociale à cisailler encore çà et là. Le CD&V Kris Pee­ters, seul repré­sen­tant de la droite « modé­rée » dans cette équipe ten­dance That­cher, n’a d’ailleurs pas caché que le bud­get 2017 serait une autre paire de manches et que tout le monde — bien que l’universalisation de sa parole ne tienne pas une seconde — vivait au-des­sus de ses moyens en Bel­gique (sic).

La posture libérale-paternaliste à combattre

Néan­moins, rien de neuf sous le soleil néo­li­bé­ral : cette façon de faire de la poli­tique et de pen­ser le social s’inscrit dans une approche de l’État ins­ti­tuée par le gou­ver­ne­ment « arc-en-ciel » Verhof­stadt en 1999, com­po­sé pour rap­pel des libé­raux, des socia­listes… et des éco­lo­gistes. C’est une troi­sième voie pour faire face aux nou­veaux défis de la mon­dia­li­sa­tion : la tran­si­tion pro­gres­sive de l’État-providence vers l’État social « actif » qui implique une contre­par­tie à l’octroi de tout mini­ma social : une allo­ca­tion ou pres­ta­tion ver­sée l’est « sous condi­tions ». Il faut être « actif » et rien d’autre. Et « actif » selon les pré­ceptes néo­li­bé­raux : la mère d’une famille mono­pa­ren­tale ins­crite au chô­mage ne rentre pas dans cette « caté­go­rie » qui crée une dicho­to­mie fâcheuse, voire dis­cri­mi­na­toire au sein de la population.

Plus lar­ge­ment, la Sué­doise — pour­tant loin d’avoir l’image d’un para­dis scan­di­nave — s’inscrit dans une pos­ture libé­rale-pater­na­liste (comme l’a très bien écrit le socio­logue Loïc Wac­quant) concer­nant la lutte contre la fraude. L’État belge se veut « libé­ral » vers le haut, à pro­pos des méfaits des classes supé­rieures, soit un lais­ser-faire com­blé par quelques contrôles (très) épi­so­diques, voire absents ; et « pater­na­liste » à l’égard de ceux des classes moyennes et infé­rieures, soit un contrôle social abu­sif qui devrait scan­da­li­ser les véri­tables libé­raux de conviction.

C’est cette pos­ture, ter­reau fer­tile à la grogne sociale et fac­teur d’une injus­tice sans nom, qu’il faut com­battre pour arrê­ter de fouiller les poches des contri­buables aux fins de mois dif­fi­ciles et com­men­cer à cher­cher l’argent chez celles et ceux qui passent leur été au Panama.

Jonathan Dehoust


Auteur

politologue de formation et enseignant dans le secondaire supérieur