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Lutte contre la fraude : l’éternelle asymétrie entre riches et pauvres
Ce qui frappe surtout dans les Panama Papers, révélés par l’International Consortium of investigative journalists, n’est pas la découverte de pratiques d’ingénierie fiscale qui mouillent des personnalités célèbres comme le footballeur Lionel Messi, le metteur en scène Franco Dragone ou le démissionnaire islandais Sigmundur Gunnlaugsson. Le phénomène frauduleux d’échappatoire à l’impôt — et donc de contribution à la collectivité — est […]
Ce qui frappe surtout dans les Panama Papers, révélés par l’International Consortium of investigative journalists, n’est pas la découverte de pratiques d’ingénierie fiscale qui mouillent des personnalités célèbres comme le footballeur Lionel Messi, le metteur en scène Franco Dragone ou le démissionnaire islandais Sigmundur Gunnlaugsson. Le phénomène frauduleux d’échappatoire à l’impôt — et donc de contribution à la collectivité — est malheureusement entré dans les mœurs et y est ancré comme un chewing-gum à la semelle d’une chaussure. Nous pouvons en être surs : il y aura d’autres « leaks » dans l’histoire ; et chaque nouvelle divulgation laissera toujours un énième gout amer dans la bouche jusqu’à ce qu’on s’en accommode.
Non, ce qui frappe surtout est la faiblesse des mécanismes entrepris par les autorités publiques pour en éviter l’expansion en comparaison de toutes les mesures prises ou proposées ces dernières années pour surveiller et contrôler les chômeurs et bénéficiaires du revenu d’intégration sociale (RIS) auprès du CPAS : création d’un système de transmission des données de leur consommation de gaz, d’eau et d’électricité ; retrait de leurs allocations en cas d’alcoolisme ou de toxicomanie ; travaux d’intérêt général ; point de contact centralisé pour faciliter la délation ; et j’en passe tant l’inventivité liberticide de certains politiques à ce sujet n’a d’égale que la risibilité de leur hiérarchie des problématiques sociales.
La véritable violence symbolique du dénouement de cette enquête journalistique, celle qui est perçue par tous et ne demande aucune grille de lecture complexe, réside dans cette éternelle asymétrie : un œil grand ouvert sur les personnes les plus défavorisées du corps social et l’autre bien fermé envers les plus grands fortunés. Pour le dire grossièrement, mieux vaut être un riche évadé fiscal qu’un pauvre travailleur au noir.
L’inquiétante cécité du gouvernement Michel
Et en Belgique, c’est que le gouvernement fédéral semble faire fi de cette injustice dans les moyens déployés. Voyez plutôt : l’ironie veut que le jour même des révélations Panama Papers, Willy Borsus, le ministre fédéral de l’Intégration sociale, annonce fièrement l’adoption en première lecture par le conseil des ministres de son avant-projet de loi concernant le PIIS (projet individualisé d’intégration sociale). Le PIIS est un contrat de « responsabilisation » et de « réactivation » des bénéficiaires d’un RIS qui veut les pousser à effectuer des démarches plus convaincantes dans la recherche d’un travail, d’une formation ou d’un stage. Des sanctions sont prévues pour les récalcitrants : une suspension du RIS pendant un mois et de trois en cas de récidive. Le libéral souhaite ainsi rappeler avec clarté leurs droits, mais surtout leurs devoirs. Son argument phare : « renforcer l’intégration sociale ».
Le ridicule ne tue pas : cette phrase fait plutôt pâle figure quand les Unes du monde entier révèlent l’existence de personnalités qui évitent le fisc à raison de plusieurs milliards. On aimerait autant d’entrain de la part de la coalition MR – N‑VA à « renforcer l’intégration sociale » de ces évadés fiscaux qui veulent tout recevoir sans rien donner en retour. Un peu de « responsabilisation » ne ferait pas de tort — au contraire.
Sans compter la citation de la banque Dexia dans les documents sur les pratiques offshore alors que cette dernière a été recapitalisée grâce à 3 milliards d’argent public (!) ou encore les récentes solutions trouvées pour pallier le fameux dérapage budgétaire de 2 milliards. Michel 1er a refusé net de récupérer les 700 millions du régime fiscal illégal dont il a fait profiter les grosses entreprises. Le Premier a préféré « annualiser » le temps de travail — entendez derrière ce montage sémantique une régression sociale qui permettra aux employeurs de faire travailler plus longtemps (jusqu’à 45 heures par semaine) leurs employés déjà pressés comme des citrons avec le saut d’index, la hausse de la TVA sur l’électricité ou encore le relèvement de l’âge pour la pension. C’est à croire qu’ils trouveront toujours des faibles à affaiblir encore un peu plus et des branches de la sécurité sociale à cisailler encore çà et là. Le CD&V Kris Peeters, seul représentant de la droite « modérée » dans cette équipe tendance Thatcher, n’a d’ailleurs pas caché que le budget 2017 serait une autre paire de manches et que tout le monde — bien que l’universalisation de sa parole ne tienne pas une seconde — vivait au-dessus de ses moyens en Belgique (sic).
La posture libérale-paternaliste à combattre
Néanmoins, rien de neuf sous le soleil néolibéral : cette façon de faire de la politique et de penser le social s’inscrit dans une approche de l’État instituée par le gouvernement « arc-en-ciel » Verhofstadt en 1999, composé pour rappel des libéraux, des socialistes… et des écologistes. C’est une troisième voie pour faire face aux nouveaux défis de la mondialisation : la transition progressive de l’État-providence vers l’État social « actif » qui implique une contrepartie à l’octroi de tout minima social : une allocation ou prestation versée l’est « sous conditions ». Il faut être « actif » et rien d’autre. Et « actif » selon les préceptes néolibéraux : la mère d’une famille monoparentale inscrite au chômage ne rentre pas dans cette « catégorie » qui crée une dichotomie fâcheuse, voire discriminatoire au sein de la population.
Plus largement, la Suédoise — pourtant loin d’avoir l’image d’un paradis scandinave — s’inscrit dans une posture libérale-paternaliste (comme l’a très bien écrit le sociologue Loïc Wacquant) concernant la lutte contre la fraude. L’État belge se veut « libéral » vers le haut, à propos des méfaits des classes supérieures, soit un laisser-faire comblé par quelques contrôles (très) épisodiques, voire absents ; et « paternaliste » à l’égard de ceux des classes moyennes et inférieures, soit un contrôle social abusif qui devrait scandaliser les véritables libéraux de conviction.
C’est cette posture, terreau fertile à la grogne sociale et facteur d’une injustice sans nom, qu’il faut combattre pour arrêter de fouiller les poches des contribuables aux fins de mois difficiles et commencer à chercher l’argent chez celles et ceux qui passent leur été au Panama.