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Liste Dedecker, pirates de la mer du Nord
La Lijst Dedecker (LDD) a connu une ascension fulgurante depuis sa création, il y a seulement deux ans. Le score de la liste de l’ancien judoka et sénateur VLD Jean-Marie Dedecker a constitué la surprise en Flandre des législatives de juin 2007. Entre-temps, le parti populiste et ultralibéral n’a cessé de grimper dans les sondages. Le dernier en […]
La Lijst Dedecker (LDD) a connu une ascension fulgurante depuis sa création, il y a seulement deux ans. Le score de la liste de l’ancien judoka et sénateur VLD Jean-Marie Dedecker a constitué la surprise en Flandre des législatives de juin 2007. Entre-temps, le parti populiste et ultralibéral n’a cessé de grimper dans les sondages. Le dernier en date le place même devant le parti libéral « classique », l’Open VLD.
Cinq mois après sa création, au soir du 10 juin 2007, la Lijst Dedecker obtenait 6,5% des voix, cinq députés fédéraux et une sénatrice. Depuis lors, dans un contexte de paralysie gouvernementale, le parti populiste a continué son ascension pour s’afficher à 16,6% dans le baromètre de mars de La Libre Belgique, soit carrément devant l’Open VLD de Verhofstadt et De Gucht, tombé à 16,3%.
Mais sa popularité reste volatile : un autre sondage, celui du Standaard et de la VRT, a indiqué une chute de 4,4 points, à 11,8%, entre septembre 2008 et début mars 2009. Surfer sur une vague médiatique permet de rapides ascensions, mais la descente peut être tout aussi brusque.
D’où vient ce succès ? Contrairement aux apparences, Jean-Marie Dedecker n’est pas un novice en politique. L’Open VLD a placé l’ancien coach de l’équipe belge de judo sur ses listes en 1999 comme « bekende Vlaming ». Élu sénateur, il a rassemblé autour de lui des libéraux qui estimaient que l’équipe de Verhofstadt, Dewael et De Gucht menait une politique trop centriste dans la coalition avec les écologistes et les socialistes des gouvernements arc-en-ciel (1999 – 2003) et violet (2003 – 2007).
Ce mouvement vers le centre effectué par un VLD (qui espérait illusoirement prendre la place du CD&V) a créé un vide à la droite de l’échiquier politique flamand. Le génie de Dedecker aura été de bien manœuvrer dans cette « niche » inoccupée du marché électoral. Fin décembre 2004, Dedecker récolte 38% des voix aux élections internes pour la présidence du VLD face à l’actuel président Bart Somers (candidat de l’appareil VLD et complice des Verhofstadt, Dewael et De Gucht) qui l’emporte alors de justesse avec 50,5%. Le VLD pousse Dedecker vers la porte en 2006. Il réagit en constituant le think-tank ultralibéral Cassandra. Dedecker essaie un rapprochement avec la N‑VA, qui échoue car le CD&V oppose son veto, annonçant la fin du cartel en cas de confirmation de l’arrivée de Dedecker à la N‑VA. À la suite de cet épisode, Dedecker crée son propre parti début 2007 : « Lijst Dedecker, partij van het gezond verstand ».
Une « idéologie horeca »
Ce « gezond verstand », expression flamande qui réfère au bon sens populaire, et pour certains Flamands aux raisonnements « en bon père de famille », sous-tend les propositions de la LDD. Résolument populiste, le parti a même adopté cette étiquette, faisant des accusations des adversaires un véritable concept de marketing politique, opposant les « gueux » au soi-disant « establishment ». On pourrait caractériser l’idéologie de la LDD comme une « idéologie horeca », telle qu’elle peut être défendue dans certaines conversations de bistrot… Le concept de la « liberté » s’y traduit par une revendication de baisse générale de toutes les taxes, d’une TVA à 6% pour l’horeca, de revendications pour le « droit » de rouler à 170 kilomètres par heure sur l’autoroute, pour le « droit » à l’évasion fiscale, par des limitations au droit au chômage, par un « État minimal » et des référendums contraignants. La LDD veut limiter l’immigration à l’immigration économique « en fonction des besoins » et elle s’oppose à l’adhésion de la Turquie à l’UE. Derk-Jan Eppink, l’un de ses « penseurs » met en doute le lien entre l’activité humaine et le réchauffement climatique1. La LDD défend le maintien des centrales nucléaires. Sur le plan communautaire, Dedecker défend une ligne « avec la Belgique si possible, avec la Flandre s’il le faut ».
La LDD est le seul parti démocratique flamand à s’être opposé au cordon sanitaire et à accepter de voter des propositions déposées par le Vlaams Belang. En 2008, le Vlaams Belang lui a proposé de former un cartel, mais elle a décliné l’offre. Elle n’exclut cependant pas de changer de stratégie après les élections, tout en disant que gouverner avec le VB est « pratiquement impossible ». Dedecker entretient un flou savant sur ses relations potentielles futures avec le VB, visant d’abord et avant tout son électorat, désormais hésitant face à l’absence de résultats de l’extrême droite flamande et à ses querelles internes.
Phénomène typiquement flamand ?
Des parallèles avec le phénomène Pim Fortuyn (populiste néerlandais), le populiste libéral du PVV néerlandais Geert Wilders, voire avec Silvio Berlusconi peuvent être tirés : à chaque fois, on est confronté à des hommes d’affaires « machos » qui provoquent l’establishment politique et séduisent des pans entiers de la population, malgré un programme antisocial. Ce phénomène n’est donc pas exclusivement flamand et certains hommes politiques francophones comme José Happart (PS) ou Richard Fournaux (MR) ont pu eux aussi jouer sur une certaine fibre anti-establishment.
En Flandre, le vote protestataire, qui a accéléré le succès du parti de Jean-Pierre Van Rossem au début des années nonante, et également contribué aux scores du Vlaams Belang, se tourne désormais massivement vers la Lijst Dedecker. Le peu de propositions que font ses députés, et l’accent qu’ils mettent sur les « affaires » (le dossier Koekelberg versus Dewael et le dossier de vente d’actions de Fortis par la femme de Karel De Gucht ont été soigneusement alimentés par la LDD elle-même disposant manifestement de relais efficaces parmi les cadres moyens des services de police) confirment cette recherche du vote protestataire. L’engagement d’un détective privé pour trouver des éléments à charge du ministre VLD Karel De Gucht, illustre à la fois le goût de Dedecker pour la provocation et le fait que toutes les méthodes sont bonnes à ses yeux pour arriver à ses fins2.
On pourrait aussi faire l’hypothèse que le fonds de commerce de la LDD réside dans des simplismes qui passent pour un franc-parler et qui plaisent, malgré l’absence de programme solide, à de larges pans de la société flamande, peut-être par une forme de surcompensation par rapport à une rigueur et un conformisme très puissants.
Un parti centré sur un seul homme
La montée dans les sondages attire bon nombre de mandataires mécontents des autres partis, du Vlaams Belang, du VLD, des « bekende Vlamingen » et quelques mandataires locaux du SP.A, également attirés par la promesse de lendemains qui chantent et de succès faciles, dans la foulée du président-fondateur de la Liste.
Mais la Liste Dedecker a du mal à se structurer. Elle repose, malgré la présence en coulisses de quelques fortes personnalités qui l’épaulent, essentiellement sur la personnalité, la force de conviction et la santé de Jean-Marie Dedecker. La Lijst Dedecker s’illustre trop souvent par ses querelles internes de leadership ou par la lutte des places qui fait rage en vue des élections régionales, obligeant Dedecker à rappeler ses troupes à l’ordre et à poursuivre sa quête de perles rares qui pourraient le seconder plus efficacement que ses actuels collègues au Parlement.
Pour poursuivre son travail politique et en s’appuyant sur la visibilité médiatique de Dedecker côté francophone, certains ont poursuivi l’idée de créer son pendant francophone, avec la liste LiDé de Rudy Aernoudt, ami de Dedecker, mais après moult rebondissements et des velléités de rapprochement avec le MR, ce projet a avorté.
Tout récemment, illustrant le manque de cohérence et la fragilité de l’édifice, un des cinq députés LDD à la Chambre, le très pâle Dirk Vijnck3 (disant être mécontent de l’affaire du détective privé, mais probablement déçu par la formation des listes) vient de retourner au VLD. Pour le groupe parlementaire Lijst Dedecker, la conséquence est lourde, avec la perte de 500.000 euros de dotation et de neuf collaborateurs au 1er mai, dès lors que le nombre minimal de cinq députés n’est plus atteint !
L’échiquier flamand chamboulé
Prétendant avoir le monopole sur ce « bon sens du peuple », la LDD contribue à « droitiser » encore le champ politique flamand. Ses gains de popularité spectaculaires forment la principale cause des repositionnements idéologiques et stratégiques des autres partis. La Liste Dedecker prend en effet des électeurs à tous les partis flamands, sauf à Groen. Les trois partis classiques ainsi que le Vlaams Belang se repositionnent donc pour tenir compte de cette nouvelle donne.
En tant que parti résolument ultralibéral, il incite l’Open VLD à se recentrer sur son core-business de la réduction des impôts, et à se déchaîner contre l’ancien Premier CD&V Yves Leterme. Le SP‑A, qui cède également des électeurs au LDD, adopte depuis lors une rhétorique plus ferme et laisse parfois entendre des tonalités populistes, mais jusqu’ici, apparemment en vain si on en croit les sondages.
Dedecker s’est dit prêt à entrer dans une coalition avec le CD&V et l’Open VLD après les élections régionales. Mais l’épisode du détective privé risque de laisser des traces au sein du VLD. Néanmoins, si ce scénario se réalisait, certains au CD&V ont déjà déclaré qu’ils exigeraient d’y intégrer également la N‑VA, « car le CD&V ne veut pas être confronté seul à deux partis libéraux », selon ce qui se dit à l’intérieur du parti.
La montée en puissance de ce parti de « droite sans complexe » rebat les cartes. Au Parlement flamand, l’éparpillement des voix sur neuf partis a pour conséquence que la coalition future sera probablement construite autour d’un axe constitué par les deux grands partis, CD&V et l’Open VLD. Le vent des sondages du nord la tire vers la droite, qu’elle soit renforcée par la LDD et/ou la N‑VA. Seul le maintien au pouvoir du SP.A et une éventuelle montée de Groen ! dans une « grande coalition » orange-bleue-rouge-verte, constitueraient une alternative partielle à cette droitisation encore plus forte de l’exécutif flamand.
- Derk-Jan Eppink, « Groenrechts denkt positief over milieu », De Standaard, 13 février 2009.
- Rappelons que c’est le même Dedecker qui a permis à un journaliste de VTM de pénétrer dans la cellule de Marc Dutroux il y a quelques années…
- « Un gentil garçon dont la plus grande qualité était de distribuer les sandwichs lors des réunions internes du parti », dira Dedecker.