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Liste Dedecker, pirates de la mer du Nord

Numéro 05/6 Mai-Juin 2009 par Thomas Ledoux

mai 2009

La Lijst Dede­cker (LDD) a connu une ascen­sion ful­gu­rante depuis sa créa­tion, il y a seule­ment deux ans. Le score de la liste de l’ancien judo­ka et séna­teur VLD Jean-Marie Dede­cker a consti­tué la sur­prise en Flandre des légis­la­tives de juin 2007. Entre-temps, le par­ti popu­liste et ultra­li­bé­ral n’a ces­sé de grim­per dans les son­dages. Le der­nier en […]

La Lijst Dede­cker (LDD) a connu une ascen­sion ful­gu­rante depuis sa créa­tion, il y a seule­ment deux ans. Le score de la liste de l’ancien judo­ka et séna­teur VLD Jean-Marie Dede­cker a consti­tué la sur­prise en Flandre des légis­la­tives de juin 2007. Entre-temps, le par­ti popu­liste et ultra­li­bé­ral n’a ces­sé de grim­per dans les son­dages. Le der­nier en date le place même devant le par­ti libé­ral « clas­sique », l’Open VLD.

Cinq mois après sa créa­tion, au soir du 10 juin 2007, la Lijst Dede­cker obte­nait 6,5% des voix, cinq dépu­tés fédé­raux et une séna­trice. Depuis lors, dans un contexte de para­ly­sie gou­ver­ne­men­tale, le par­ti popu­liste a conti­nué son ascen­sion pour s’afficher à 16,6% dans le baro­mètre de mars de La Libre Bel­gique, soit car­ré­ment devant l’Open VLD de Verhof­stadt et De Gucht, tom­bé à 16,3%.

Mais sa popu­la­ri­té reste vola­tile : un autre son­dage, celui du Stan­daard et de la VRT, a indi­qué une chute de 4,4 points, à 11,8%, entre sep­tembre 2008 et début mars 2009. Sur­fer sur une vague média­tique per­met de rapides ascen­sions, mais la des­cente peut être tout aus­si brusque.

D’où vient ce suc­cès ? Contrai­re­ment aux appa­rences, Jean-Marie Dede­cker n’est pas un novice en poli­tique. L’Open VLD a pla­cé l’ancien coach de l’équipe belge de judo sur ses listes en 1999 comme « bekende Vla­ming ». Élu séna­teur, il a ras­sem­blé autour de lui des libé­raux qui esti­maient que l’équipe de Verhof­stadt, Dewael et De Gucht menait une poli­tique trop cen­triste dans la coa­li­tion avec les éco­lo­gistes et les socia­listes des gou­ver­ne­ments arc-en-ciel (1999 – 2003) et vio­let (2003 – 2007).

Ce mou­ve­ment vers le centre effec­tué par un VLD (qui espé­rait illu­soi­re­ment prendre la place du CD&V) a créé un vide à la droite de l’échiquier poli­tique fla­mand. Le génie de Dede­cker aura été de bien manœu­vrer dans cette « niche » inoc­cu­pée du mar­ché élec­to­ral. Fin décembre 2004, Dede­cker récolte 38% des voix aux élec­tions internes pour la pré­si­dence du VLD face à l’actuel pré­sident Bart Somers (can­di­dat de l’appareil VLD et com­plice des Verhof­stadt, Dewael et De Gucht) qui l’emporte alors de jus­tesse avec 50,5%. Le VLD pousse Dede­cker vers la porte en 2006. Il réagit en consti­tuant le think-tank ultra­li­bé­ral Cas­san­dra. Dede­cker essaie un rap­pro­che­ment avec la N‑VA, qui échoue car le CD&V oppose son veto, annon­çant la fin du car­tel en cas de confir­ma­tion de l’arrivée de Dede­cker à la N‑VA. À la suite de cet épi­sode, Dede­cker crée son propre par­ti début 2007 : « Lijst Dede­cker, par­tij van het gezond verstand ».

Une « idéologie horeca »

Ce « gezond vers­tand », expres­sion fla­mande qui réfère au bon sens popu­laire, et pour cer­tains Fla­mands aux rai­son­ne­ments « en bon père de famille », sous-tend les pro­po­si­tions de la LDD. Réso­lu­ment popu­liste, le par­ti a même adop­té cette éti­quette, fai­sant des accu­sa­tions des adver­saires un véri­table concept de mar­ke­ting poli­tique, oppo­sant les « gueux » au soi-disant « esta­blish­ment ». On pour­rait carac­té­ri­ser l’idéologie de la LDD comme une « idéo­lo­gie hore­ca », telle qu’elle peut être défen­due dans cer­taines conver­sa­tions de bis­trot… Le concept de la « liber­té » s’y tra­duit par une reven­di­ca­tion de baisse géné­rale de toutes les taxes, d’une TVA à 6% pour l’horeca, de reven­di­ca­tions pour le « droit » de rou­ler à 170 kilo­mètres par heure sur l’autoroute, pour le « droit » à l’évasion fis­cale, par des limi­ta­tions au droit au chô­mage, par un « État mini­mal » et des réfé­ren­dums contrai­gnants. La LDD veut limi­ter l’immigration à l’immigration éco­no­mique « en fonc­tion des besoins » et elle s’oppose à l’adhésion de la Tur­quie à l’UE. Derk-Jan Eppink, l’un de ses « pen­seurs » met en doute le lien entre l’activité humaine et le réchauf­fe­ment cli­ma­tique1. La LDD défend le main­tien des cen­trales nucléaires. Sur le plan com­mu­nau­taire, Dede­cker défend une ligne « avec la Bel­gique si pos­sible, avec la Flandre s’il le faut ».

La LDD est le seul par­ti démo­cra­tique fla­mand à s’être oppo­sé au cor­don sani­taire et à accep­ter de voter des pro­po­si­tions dépo­sées par le Vlaams Belang. En 2008, le Vlaams Belang lui a pro­po­sé de for­mer un car­tel, mais elle a décli­né l’offre. Elle n’exclut cepen­dant pas de chan­ger de stra­té­gie après les élec­tions, tout en disant que gou­ver­ner avec le VB est « pra­ti­que­ment impos­sible ». Dede­cker entre­tient un flou savant sur ses rela­tions poten­tielles futures avec le VB, visant d’abord et avant tout son élec­to­rat, désor­mais hési­tant face à l’absence de résul­tats de l’extrême droite fla­mande et à ses que­relles internes.

Phénomène typiquement flamand ?

Des paral­lèles avec le phé­no­mène Pim For­tuyn (popu­liste néer­lan­dais), le popu­liste libé­ral du PVV néer­lan­dais Geert Wil­ders, voire avec Sil­vio Ber­lus­co­ni peuvent être tirés : à chaque fois, on est confron­té à des hommes d’affaires « machos » qui pro­voquent l’establishment poli­tique et séduisent des pans entiers de la popu­la­tion, mal­gré un pro­gramme anti­so­cial. Ce phé­no­mène n’est donc pas exclu­si­ve­ment fla­mand et cer­tains hommes poli­tiques fran­co­phones comme José Hap­part (PS) ou Richard Four­naux (MR) ont pu eux aus­si jouer sur une cer­taine fibre anti-establishment.

En Flandre, le vote pro­tes­ta­taire, qui a accé­lé­ré le suc­cès du par­ti de Jean-Pierre Van Ros­sem au début des années nonante, et éga­le­ment contri­bué aux scores du Vlaams Belang, se tourne désor­mais mas­si­ve­ment vers la Lijst Dede­cker. Le peu de pro­po­si­tions que font ses dépu­tés, et l’accent qu’ils mettent sur les « affaires » (le dos­sier Koe­kel­berg ver­sus Dewael et le dos­sier de vente d’actions de For­tis par la femme de Karel De Gucht ont été soi­gneu­se­ment ali­men­tés par la LDD elle-même dis­po­sant mani­fes­te­ment de relais effi­caces par­mi les cadres moyens des ser­vices de police) confirment cette recherche du vote pro­tes­ta­taire. L’engagement d’un détec­tive pri­vé pour trou­ver des élé­ments à charge du ministre VLD Karel De Gucht, illustre à la fois le goût de Dede­cker pour la pro­vo­ca­tion et le fait que toutes les méthodes sont bonnes à ses yeux pour arri­ver à ses fins2.

On pour­rait aus­si faire l’hypothèse que le fonds de com­merce de la LDD réside dans des sim­plismes qui passent pour un franc-par­ler et qui plaisent, mal­gré l’absence de pro­gramme solide, à de larges pans de la socié­té fla­mande, peut-être par une forme de sur­com­pen­sa­tion par rap­port à une rigueur et un confor­misme très puissants. 

Un parti centré sur un seul homme

La mon­tée dans les son­dages attire bon nombre de man­da­taires mécon­tents des autres par­tis, du Vlaams Belang, du VLD, des « bekende Vla­min­gen » et quelques man­da­taires locaux du SP.A, éga­le­ment atti­rés par la pro­messe de len­de­mains qui chantent et de suc­cès faciles, dans la fou­lée du pré­sident-fon­da­teur de la Liste.

Mais la Liste Dede­cker a du mal à se struc­tu­rer. Elle repose, mal­gré la pré­sence en cou­lisses de quelques fortes per­son­na­li­tés qui l’épaulent, essen­tiel­le­ment sur la per­son­na­li­té, la force de convic­tion et la san­té de Jean-Marie Dede­cker. La Lijst Dede­cker s’illustre trop sou­vent par ses que­relles internes de lea­der­ship ou par la lutte des places qui fait rage en vue des élec­tions régio­nales, obli­geant Dede­cker à rap­pe­ler ses troupes à l’ordre et à pour­suivre sa quête de perles rares qui pour­raient le secon­der plus effi­ca­ce­ment que ses actuels col­lègues au Parlement.

Pour pour­suivre son tra­vail poli­tique et en s’appuyant sur la visi­bi­li­té média­tique de Dede­cker côté fran­co­phone, cer­tains ont pour­sui­vi l’idée de créer son pen­dant fran­co­phone, avec la liste LiDé de Rudy Aer­noudt, ami de Dede­cker, mais après moult rebon­dis­se­ments et des vel­léi­tés de rap­pro­che­ment avec le MR, ce pro­jet a avorté.

Tout récem­ment, illus­trant le manque de cohé­rence et la fra­gi­li­té de l’édifice, un des cinq dépu­tés LDD à la Chambre, le très pâle Dirk Vijnck3 (disant être mécon­tent de l’affaire du détec­tive pri­vé, mais pro­ba­ble­ment déçu par la for­ma­tion des listes) vient de retour­ner au VLD. Pour le groupe par­le­men­taire Lijst Dede­cker, la consé­quence est lourde, avec la perte de 500.000 euros de dota­tion et de neuf col­la­bo­ra­teurs au 1er mai, dès lors que le nombre mini­mal de cinq dépu­tés n’est plus atteint !

L’échiquier flamand chamboulé

Pré­ten­dant avoir le mono­pole sur ce « bon sens du peuple », la LDD contri­bue à « droi­ti­ser » encore le champ poli­tique fla­mand. Ses gains de popu­la­ri­té spec­ta­cu­laires forment la prin­ci­pale cause des repo­si­tion­ne­ments idéo­lo­giques et stra­té­giques des autres par­tis. La Liste Dede­cker prend en effet des élec­teurs à tous les par­tis fla­mands, sauf à Groen. Les trois par­tis clas­siques ain­si que le Vlaams Belang se repo­si­tionnent donc pour tenir compte de cette nou­velle donne.

En tant que par­ti réso­lu­ment ultra­li­bé­ral, il incite l’Open VLD à se recen­trer sur son core-busi­ness de la réduc­tion des impôts, et à se déchaî­ner contre l’ancien Pre­mier CD&V Yves Leterme. Le SP‑A, qui cède éga­le­ment des élec­teurs au LDD, adopte depuis lors une rhé­to­rique plus ferme et laisse par­fois entendre des tona­li­tés popu­listes, mais jusqu’ici, appa­rem­ment en vain si on en croit les sondages.

Dede­cker s’est dit prêt à entrer dans une coa­li­tion avec le CD&V et l’Open VLD après les élec­tions régio­nales. Mais l’épisode du détec­tive pri­vé risque de lais­ser des traces au sein du VLD. Néan­moins, si ce scé­na­rio se réa­li­sait, cer­tains au CD&V ont déjà décla­ré qu’ils exi­ge­raient d’y inté­grer éga­le­ment la N‑VA, « car le CD&V ne veut pas être confron­té seul à deux par­tis libé­raux », selon ce qui se dit à l’intérieur du parti.

La mon­tée en puis­sance de ce par­ti de « droite sans com­plexe » rebat les cartes. Au Par­le­ment fla­mand, l’éparpillement des voix sur neuf par­tis a pour consé­quence que la coa­li­tion future sera pro­ba­ble­ment construite autour d’un axe consti­tué par les deux grands par­tis, CD&V et l’Open VLD. Le vent des son­dages du nord la tire vers la droite, qu’elle soit ren­for­cée par la LDD et/ou la N‑VA. Seul le main­tien au pou­voir du SP.A et une éven­tuelle mon­tée de Groen ! dans une « grande coa­li­tion » orange-bleue-rouge-verte, consti­tue­raient une alter­na­tive par­tielle à cette droi­ti­sa­tion encore plus forte de l’exécutif flamand.

  1. Derk-Jan Eppink, « Groen­rechts denkt posi­tief over milieu », De Stan­daard, 13 février 2009.
  2. Rap­pe­lons que c’est le même Dede­cker qui a per­mis à un jour­na­liste de VTM de péné­trer dans la cel­lule de Marc Dutroux il y a quelques années…
  3. « Un gen­til gar­çon dont la plus grande qua­li­té était de dis­tri­buer les sand­wichs lors des réunions internes du par­ti », dira Dedecker.

Thomas Ledoux


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