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Liège. Une mort annoncée pour la sidérurgie à chaud ?

Numéro 12 Décembre 2011 par Michel Capron

novembre 2011

L’annonce, le 13 octobre der­nier, par la direc­tion d’ArcelorMittal (AM)-Liège de la déci­sion de fer­me­ture défi­ni­tive de la majo­ri­té des outils de la phase à chaud a fait l’effet d’un cou­pe­ret d’une bru­ta­li­té inédite. Elle atteint dure­ment non seule­ment les 581 sidé­rur­gistes (361 ouvriers et 220 employés) et leur famille, mais aus­si, selon les esti­ma­tions, plus d’un […]

L’annonce, le 13 octobre der­nier, par la direc­tion d’ArcelorMittal (AM)-Liège de la déci­sion de fer­me­ture défi­ni­tive de la majo­ri­té des outils de la phase à chaud a fait l’effet d’un cou­pe­ret d’une bru­ta­li­té inédite. Elle atteint dure­ment non seule­ment les 581 sidé­rur­gistes (361 ouvriers et 220 employés) et leur famille, mais aus­si, selon les esti­ma­tions, plus d’un mil­lier de tra­vailleurs employés dans les entre­prises sous-trai­tantes. C’est un coup dur de plus pour la sidé­rur­gie en Wal­lo­nie1. Cette déci­sion illustre bien la stra­té­gie à domi­nante pure­ment finan­cière2 qui anime le pre­mier sidé­rur­giste mon­dial : toute acti­vi­té jugée non ren­table dans la durée doit dis­pa­raitre, sur­tout en période de basse conjonc­ture où guettent les sur­ca­pa­ci­tés et les risques de sur­pro­duc­tion pesant sur les prix de vente de l’acier et donc sur la ren­ta­bi­li­té du groupe. Cela mérite quelques expli­ca­tions : déjà, dès le début 2003, Arce­lor avait mani­fes­té la volon­té de fer­mer les hauts four­neaux (HF) lié­geois parce que jugés trop cou­teux. En 2006, AM ne reprend qu’avec le HF B. À par­tir de novembre 2008, AM alter­ne­ra fer­me­tures et remises en acti­vi­té des HF au gré de la conjonc­ture, mais en sou­met­tant la phase à chaud à deux plans d’économies, dont il attend un retour durable à la ren­ta­bi­li­té. Les objec­tifs de ces plans n’ayant pas été atteints mal­gré les efforts des tra­vailleurs, il finit par déci­der la fer­me­ture au vu d’une basse conjonc­ture qui risque de per­sis­ter. Les sidé­rur­gistes ne l’entendent pas de cette oreille3 : c’est pour­quoi, lors de la pre­mière séance de la pro­cé­dure Renault, le 28 octobre, ils reven­diquent de la part de la direc­tion des comptes prou­vant l’effective non-ren­ta­bi­li­té de la phase à chaud.

Pour bien com­prendre l’historique de cette fer­me­ture, j’aborde ici tout d’abord les signes annon­cia­teurs de menaces pesant sur la phase à chaud d’AM-Liège, avant d’évoquer le contexte immé­diat de la déci­sion de fer­me­ture. J’examine ensuite le pro­fil de scé­na­rios pos­sibles ain­si que les pre­mières actions des sidé­rur­gistes pour conclure briè­ve­ment sur l’avenir de la sidé­rur­gie en Wallonie.

Des menaces, puis des mises à l’arrêt

En fait, c’est dès 2001 que la situa­tion conti­nen­tale et la répar­ti­tion géo­gra­phique des outils de Cocke­rill Sambre (CS) à Liège posent pro­blème. En mai 2001, un audit de McKin­sey notait, chez CS-Liège, un cout de pro­duc­tion net­te­ment supé­rieur à celui des sidé­rur­gies mari­times. Ce qui déter­mi­ne­ra Usi­nor à inter­ve­nir en met­tant en œuvre, pour CS-Liège, un plan Del­ta visant à la fois l’amélioration de la pro­duc­ti­vi­té et des pertes d’emplois via des pré­pen­sions. En contre­par­tie, Usi­nor s’était enga­gé — sous peine de péna­li­tés — envers la Soge­pa (Socié­té wal­lonne de ges­tion et de par­ti­ci­pa­tions des entre­prises), avant la fusion devant engen­drer la créa­tion d’Arcelor, à effec­tuer la réfec­tion du haut-four­neau 6 à Seraing4 à l’horizon 2006. La fusion entre Usi­nor, Arbed et Ace­ra­lia ne sera effec­tive que début 2002, à la suite notam­ment des exi­gences de la Com­mis­sion euro­péenne et des dif­fé­rentes offres publiques d’échange à opé­rer entre les trois groupes pour consti­tuer Arce­lor. Peu après la consti­tu­tion de ce nou­veau groupe, son admi­nis­tra­teur-délé­gué, G. Dol­lé, met la pres­sion sur les sites conti­nen­taux d’Arcelor en y gelant, dès juin 2002, tout inves­tis­se­ment stra­té­gique et en poin­tant, en sep­tembre 2002, CS‑Liège comme le site le moins per­for­mant. Il annonce, dans la fou­lée, au vu des sur­ca­pa­ci­tés en pro­duits plats en Europe, qu’une déci­sion sera prise par rap­port aux HF de Liège début 2003.

Ces pro­pos ont de quoi inquié­ter le front com­mun syn­di­cal qui tente vai­ne­ment de convaincre Serge Kubla, ministre régio­nal de l’Économie, de rache­ter CS dans la pers­pec­tive d’une reprise par un autre par­te­naire indus­triel, d’autant plus que la réfec­tion du HF 6 est deve­nue pro­blé­ma­tique. On connait la suite5 : le 14 jan­vier 2003, le conseil d’administration d’Arcelor évoque la fer­me­ture des deux HF de Liège en 2005 – 2006 puis, face à une forte contes­ta­tion syn­di­cale et aux réti­cences cer­taines du gou­ver­ne­ment wal­lon, il étale la fer­me­ture des HF. C’est ain­si que le HF 6 de Seraing sera fer­mé en avril 2005 et le HF B d’Ougrée en 2009.

Par la suite, à l’issue d’une OPA ser­rée6, le groupe indien Mit­tal s’assure le contrôle d’Arcelor en juillet 2006 pour consti­tuer le groupe Arce­lor­Mit­tal. Son PDG, L. Mit­tal est per­çu à Liège somme le « sau­veur » de la sidé­rur­gie inté­grée, même s’il ne donne pas de garan­ties for­melles à l’égard de la phase à chaud. Puis, au gré de l’évolution de la conjonc­ture sidé­rur­gique, on assiste à une poli­tique de « stop and go » vis-à-vis des HF lié­geois. Qu’on en juge : le HF B est main­te­nu en acti­vi­té jusqu’en novembre 2008 ; il sera mis en arrêt tem­po­raire (mis « sous cocon ») puis réac­ti­vé en avril 2010 ; il sera remis à l’arrêt en juin 2011 pour une réfec­tion par­tielle puis, en juillet 2011, AM annonce qu’il ne sera pas remis en acti­vi­té avant début 2012. Le HF 6 de Seraing sera remis en acti­vi­té en février 20087 avant d’être remis sous cocon en novembre 2008. Les autres outils de la phase à chaud (acié­rie, cou­lées conti­nues et lami­noir de Cher­tal) seront sou­mis au même régime. Les deux HF sont donc deve­nus effec­ti­ve­ment des variables d’ajustement aux­quelles AM recourt ou qu’il met au ren­cart au gré des varia­tions de la conjonc­ture sidé­rur­gique en Europe. Il en sera d’ailleurs de même pour les autres HF conti­nen­taux (Flo­range, Brême, Eisenhüt­tens­tadt), eux aus­si répu­tés trop couteux.

Au vu de ces sou­bre­sauts suc­ces­sifs, on conçoit l’inquiétude et la colère des sidé­rur­gistes lié­geois, bal­lo­tés entre chô­mage éco­no­mique et trans­ferts vers la phase à froid. C’est en effet depuis 2002 que l’on pou­vait res­sen­tir les incer­ti­tudes liées à l’avenir de la phase à chaud à Liège et à la sur­vie de sa sidé­rur­gie inté­grée puisque, lors des périodes d’arrêt des HF, la phase à froid — dont AM se plai­sait à sou­li­gner la haute qua­li­té des pro­duits — deve­nait dépen­dante d’apports en pro­ve­nance de Dun­kerque, avec les aléas (trans­port, qua­li­té de l’acier, etc.) que cela incluait. Par ailleurs, en novembre 2009, Fran­cis Degée, direc­teur à l’époque d’AM-Liège, esti­mait que la phase à chaud, des­ser­vie par une trop grande dis­per­sion de ses outils, pour­rait être fer­mée à moyen terme8. D’autre part, le rap­port Laplace9 poin­tait comme prin­ci­pal han­di­cap de la phase à chaud à Liège, lié à sa dis­per­sion géo­gra­phique, l’inefficacité de la réuti­li­sa­tion des gaz de coke­rie et de HF dans les fours des­ti­nés à réchauf­fer les brames dans le lami­noir de Cher­tal. En 2010, AM s’était enga­gé à inves­tir 110 mil­lions d’euros pour amé­lio­rer la situa­tion de la phase à chaud, pro­messe non sui­vie d’effets. D’où, mal­gré la mise en œuvre du plan Speed Up en 2009 visant à réa­li­ser 250 mil­lions d’euros d’économies à l’horizon 2011 moyen­nant des éco­no­mies dans tous les sec­teurs, plus de flexi­bi­li­té, de poly­va­lence et de pro­duc­ti­vi­té et cer­taines res­tric­tions sala­riales en vue de réduire l’écart par rap­port aux sites mari­times10, la situa­tion de la phase à chaud res­tait fort problématique.

Une décision brutale

En sep­tembre 2011, AM annonce un plan d’économies d’un mil­liard d’euros dans le sec­teur des pro­duits plats en Europe11 au vu de la dété­rio­ra­tion de la conjonc­ture sidé­rur­gique et, notam­ment, d’un regain d’importations en pro­ve­nance de Chine et des pays de l’Est. Il en résulte des fer­me­tures tem­po­raires de HF sur les sites conti­nen­taux pré­ci­tés, mais aus­si en Espagne, à Ses­tao et à Madrid. Pour les pro­duits longs, une acié­rie élec­trique et deux lami­noirs à Schif­flange et Rodange sont éga­le­ment mis à l’arrêt. Face à cette situa­tion, les sidé­rur­gistes lié­geois mani­festent leur vive inquié­tude par une grève dès le 3 octobre qui, à par­tir des tra­vailleurs du HF B, s’étend à l’ensemble d’AM-Liège. Ils reven­diquent à la fois le main­tien en fonc­tion de tous les tra­vailleurs tem­po­raires (dont vingt-un d’entre eux viennent d’être « remer­ciés »), le paie­ment des dimanches non pres­tés en période de chô­mage éco­no­mique ain­si qu’une infor­ma­tion claire quant à l’avenir de la phase à chaud12. La direc­tion refuse de négo­cier et six de ses membres sont « séques­trés » pen­dant vingt-quatre heures à Flé­malle. Après une semaine de grève, le tra­vail reprend le 11 octobre, la direc­tion ayant fina­le­ment accep­té de réin­té­grer les vingt-un tem­po­raires et d’activer les trans­ferts de tra­vailleurs du chaud vers le froid, au lieu de payer les indem­ni­tés deman­dées. Puis, c’est le coup de mas­sue redou­té : le 13 octobre au matin, la direc­tion d’AM-Liège annonce en conseil d’entreprise la déci­sion du groupe de fer­mer défi­ni­ti­ve­ment les deux HF, l’agglomération, l’aciérie et les cou­lées conti­nues ; elle ne gar­de­ra que la coke­rie et le lami­noir à chaud de Cher­tal. 581 sidé­rur­gistes sont tou­chés et on estime à au moins le double les pertes d’emplois chez les sous-trai­tants. Cette déci­sion, scan­da­leuse parce que pré­pa­rée bien avant l’accord du 11 octobre, sus­cite colère et révolte chez les tra­vailleurs et l’indignation du monde poli­tique wal­lon. Les syn­di­cats reven­diquent, envers et contre tout, le main­tien d’une sidé­rur­gie inté­grée à Liège, parlent de « natio­na­li­sa­tion », et le gou­ver­ne­ment wal­lon assure envi­sa­ger toutes les solu­tions pour ten­ter de faire face au mieux à cette déci­sion qua­li­fiée de « catas­tro­phique13 ». Sa marge de manœuvre est cepen­dant très faible, comme il res­sort des scé­na­rios que l’on pour­rait envisager.

Les scénarios possibles

Le pre­mier scé­na­rio qui vient à l’esprit est évi­dem­ment celui d’une reprise, par le gou­ver­ne­ment wal­lon, des outils fer­més, dans la pers­pec­tive d’attirer un nou­veau repre­neur indus­triel. Or ce scé­na­rio, outre le fait qu’il exclut toute option d’une sidé­rur­gie inté­grée, se heurte d’emblée à un obs­tacle pour le moment infran­chis­sable : le refus d’AM de céder les outils en ques­tion afin d’éviter toute sur­ca­pa­ci­té de l’offre qui vien­drait à peser sur les prix de vente. Le groupe se dit cepen­dant prêt à endos­ser les couts de la dépol­lu­tion des sols et autres indem­ni­tés. Le ministre Mar­court ne déses­père pas de faire reve­nir AM sur ce refus, mais, à mon sens, cet espoir est plus que ténu. Sup­po­sons tout de même que l’on en arrive à une reprise des outils fer­més. Dans ce cas, on se trou­ve­rait avec des outils à réac­ti­ver — d’où un cout de plu­sieurs dizaines de mil­lions d’euros —, sans cepen­dant dis­po­ser d’un outil de base, à savoir une coke­rie. On en serait donc réduit à ache­ter du coke sur le mar­ché, à des prix fluc­tuants et sans doute éle­vés. Au total, sans lami­noir à chaud, la pro­duc­tion consis­te­rait en brames, c’est-à-dire en demi-pro­duits banaux. Tout ce sys­tème ne pour­rait cepen­dant fonc­tion­ner sans l’apport d’un repre­neur indus­triel exté­rieur. Dans la conjonc­ture actuelle, on voit mal qui serait pre­neur, au sur­plus de brames pro­duites à un prix de revient supé­rieur à celui de la majo­ri­té des autres pro­duc­teurs. L’exemple de Car­sid à Mar­chienne est là pour en témoi­gner14.

Le second niveau de ce scé­na­rio concerne la péren­ni­té de la sidé­rur­gie à froid : si la qua­li­té des pro­duits revê­tus convient pour le moment à AM, la ques­tion qui se pose concerne l’apport de brames ou de bobines — et ses aléas — en pro­ve­nance de Dun­kerque selon qu’AM conti­nue ou non à uti­li­ser le lami­noir de Cher­tal, notam­ment au gré des varia­tions conjonc­tu­relles et de la satu­ra­tion des outils de Dun­kerque éga­le­ment dédiés à l’approvisionnement du site de Flo­range dont les HF sont tem­po­rai­re­ment à l’arrêt.

Si ce pre­mier scé­na­rio bute sur le refus d’AM, le second scé­na­rio sup­pose que l’on s’oriente vers une recon­ver­sion des sites déman­te­lés de la phase à chaud. Le gou­ver­ne­ment wal­lon est en droit d’exiger la dépol­lu­tion des sols15, qui cou­te­rait au groupe entre 600 mil­lions et 1 mil­liard d’euros, et de lui fixer un délai d’exécution de manière à pou­voir dis­po­ser (après rachat) de ter­rains (on parle de 300 hec­tares) ouverts à de nou­velles acti­vi­tés. Cela pose donc la ques­tion de la recon­ver­sion éco­no­mique à laquelle les pou­voirs publics wal­lons et les orga­nismes lié­geois (Meu­sin­vest, SPI+, etc.) risquent de s’atteler une fois de plus avec un retard cer­tain. Le GRE (Grou­pe­ment de redé­ploie­ment éco­no­mique lié­geois), créé à cet effet en juin 2004 et asso­ciant les « forces vives » du bas­sin, s’est révé­lé par­fai­te­ment inef­fi­cace. On peut tou­jours espé­rer que l’Udil (Union pour le déve­lop­pe­ment de l’industrie lié­geoise) dont le ministre Mar­court a annon­cé la créa­tion en sep­tembre der­nier se révè­le­ra plus effi­cace, notam­ment en matière de recherche et d’innovation.

Par ailleurs, pour le ministre Hen­ry, il n’est plus ques­tion d’accorder des quo­tas CO2 à Mit­tal pour 2012, et le ministre Nol­let a annon­cé la sus­pen­sion de la négo­cia­tion d’un contrat de recherche de 4 mil­lions d’euros avec AM. D’autre part, on pour­rait remettre en ques­tion les syner­gies entre le CRM (Centre de recherches métal­lur­giques) et le labo­ra­toire lié­geois d’AM ou, à défaut, exi­ger que les fruits de leurs recherches soient inves­tis en Wal­lo­nie. À cela s’ajoutent quelques dizaines de mil­lions d’euros d’aides accor­dées, notam­ment à la recherche, qu’il s’agit de récu­pé­rer. La Région wal­lonne a consti­tué une pro­vi­sion de 150 mil­lions d’euros en vue de pal­lier les pro­blèmes d’AM-Liège. On peut sup­po­ser qu’elle en aura bien besoin.

Par ailleurs, le scé­na­rio social de l’après-fermeture n’est pas encore des­si­né. La pre­mière réunion, le 28 octobre, en conseil d’entreprise pour enta­mer la pro­cé­dure Renault a sur­tout vu les délé­ga­tions syn­di­cales poser des ques­tions pré­cises et légi­times sur la situa­tion d’AM en Bel­gique et en Wal­lo­nie, sur la réelle situa­tion de la phase à chaud, etc. Par la suite, il fau­dra sans doute envi­sa­ger un plan social. AM a pré­ci­sé qu’il n’y aurait pas de licen­cie­ments secs. Mais on voit mal com­ment reclas­ser la majo­ri­té des tra­vailleurs du chaud soit dans la sidé­rur­gie à froid, soit par exemple chez Indus­teel qui, ne tra­vaillant pas à plein régime et recou­rant à de la main‑d’œuvre tem­po­raire, ne pour­rait absor­ber un nombre impor­tant de sidé­rur­gistes venant de Liège. Il y aurait donc cer­tai­ne­ment lieu de recou­rir soit à des mesures de pré­pen­sion, soit à des cel­lules de recon­ver­sion (qu’il fau­drait éga­le­ment ouvrir aux tra­vailleurs des socié­tés sous-trai­tantes). Il est clair que, là aus­si, les tra­vailleurs sont en droit d’exiger un maxi­mum d’indemnités de la part d’AM.

Cela étant, les syn­di­cats lié­geois ont réagi avec une déter­mi­na­tion mesu­rée et semblent plu­tôt opter pour une riposte gra­duée. Une mani­fes­ta­tion a réuni quelque 10.000 per­sonnes à Seraing le 26 octobre : outre les tra­vailleurs d’AM, des sala­riés d’autres entre­prises du bas­sin et des délé­ga­tions de Sid­mar et de Flo­range étaient pré­sents, mani­fes­tant leur volon­té de lutte contre la poli­tique du groupe AM. Les sidé­rur­gistes lié­geois par­ti­ci­pe­ront à la mise sur pied d’une mani­fes­ta­tion euro­péenne des sidé­rur­gistes de tous les sites d’AM le 7 décembre à Bruxelles. Par ailleurs, ce 30 octobre, les sidé­rur­gistes ont blo­qué les quais de char­ge­ment de coke à des­ti­na­tion de Dun­kerque pour pro­tes­ter contre le licen­cie­ment sec de dix-neuf des vingt-un tem­po­raires réen­ga­gés le 11 octobre, à l’encontre des enga­ge­ments d’AM pris ce jour-là. Cet inci­dent ne fit qu’accroitre la méfiance syn­di­cale envers AM. D’autres actions devraient cer­tai­ne­ment suivre.

Un avenir possible pour la sidérurgie en Wallonie

Le bas­sin sidé­rur­gique lié­geois se trouve à l’heure actuelle dans une situa­tion cri­tique. Non seule­ment la phase à chaud sera fer­mée, mais les syn­di­ca­listes nour­rissent aus­si des craintes quant à la péren­ni­té de la phase à froid. La direc­tion d’AM-Europe s’évertue cepen­dant à réaf­fir­mer un ave­nir cer­tain (mais pour com­bien de temps?) pour la sidé­rur­gie à froid, avec ses pro­duits de haute valeur ajou­tée, gal­va­ni­sés et revê­tus (via notam­ment la tech­nique du revê­te­ment sous vide d’Arceo, dont on attend la trans­po­si­tion à échelle indus­trielle), son appro­vi­sion­ne­ment étant assu­ré à moindre cout à par­tir de Dun­kerque16. Quant aux autres sites d’AM, Indus­teel à Char­le­roi se porte assez bien mal­gré la conjonc­ture du fait de sa spé­cia­li­sa­tion en tôles fortes et aciers spé­ciaux de grande qua­li­té pour une clien­tèle bien spé­ci­fique. Ape­ram à Cha­te­let qu’AM avait filia­li­sé début 2011 (avec ALZ-Genk) en exter­na­li­sant sa pro­duc­tion d’inox, vient de connaitre une grève le 5 octobre à la suite de l’annonce de qua­rante-six pertes d’emplois (sur sept-cent-trente) d’ici fin 2012. Le sec­teur euro­péen de l’inox s’oriente sans doute vers des regrou­pe­ments à la suite du tas­se­ment du mar­ché, de quoi inquié­ter les travailleurs.

Par ailleurs, pour se limi­ter à l’essentiel, si le groupe Dufer­co renoue avec les béné­fices, Car­sid est tou­jours à l’arrêt dans l’attente d’un repre­neur. Le groupe Novo­li­petsk (nlmk) annonce, lui, à la fois une réduc­tion tem­po­raire de pro­duc­tion à La Lou­vière et l’inauguration à Cla­becq d’une nou­velle uni­té de pro­duc­tion de tôles fortes anti-abra­sives à haute élas­ti­ci­té et à fine épais­seur. Par­mi les aciers actuel­le­ment pro­duits, c’est sans doute du côté de ces pro­duits de niche ciblant une clien­tèle pré­cise (comme c’est le cas pour Indus­teel et Cla­becq) que se trouve l’avenir de la sidé­rur­gie en Wal­lo­nie. Le CRM au Sart-Til­man pour­rait jouer là un rôle majeur en termes d’innovation et d’acquisition de bre­vets que l’on pour­rait exploi­ter dans les lami­noirs de Cla­becq et La Lou­vière d’une part, dans les lami­noirs à froid et les outils de revê­te­ment de Liège d’autre part, voire ailleurs, sans exclure la mise en ser­vice de nou­velles lignes de pro­duc­tion. Il reste donc un ave­nir pos­sible pour la sidé­rur­gie en Wal­lo­nie, même si les centres de déci­sion ne s’y trouvent plus depuis pas mal de temps. Cela n’empêchera cepen­dant pas les groupes mul­ti­na­tio­naux qui contrôlent la sidé­rur­gie en Wal­lo­nie d’intégrer ces inno­va­tions si elles offrent une plus-value à leurs acti­vi­tés chez nous.

2 novembre 2011

  1. Sur l’évolution de la sidé­rur­gie en Wal­lo­nie depuis les années sep­tante, voir M. Capron, « Les méta­mor­phoses de la sidérur­gie », Des usines et des hommes, revue annuelle de l’asbl Patri­moine indus­triel Wal­lo­nie-Bruxelles, n°3, 2011, p. 16 – 23.
  2. La stra­té­gie indus­trielle d’AM (acqui­si­tion de lignes de char­bon et de fer, rachat ou créa­tion de cer­tains outils, prin­ci­pa­le­ment dans les pays émer­gents) est en fait sou­mise à l’impératif de ren­ta­bi­li­té financière.
  3. Voir notam­ment le dos­sier « Sidé­rur­gie », Syn­di­cats, n° 18, octobre 2011, p. 7 – 10.
  4. Voir à cet égard M. Capron, « La sidé­rur­gie en Wal­lo­nie entre Usi­nor, Dufer­co et Arce­lor », Cour­rier heb­do­ma­daire, Crisp, n° 1786 – 1787, 2003, p. 45 – 57.
  5. Voir M. Capron, op. cit., p. 66 – 77.
  6. Sur les péri­pé­ties de cette OPA, voir Fr. Gilain, Mit­tal-Arce­lor. Les des­sous du bras de fer, Jour­dan édi­teur, 2006.
  7. Moyen­nant l’obtention par AM de quo­tas CO2 sup­plé­men­taires. Voir B. Denis, « La relance de la phase à chaud de la sidé­rurgie lié­geoise », La Revue nou­velle, mai-juin 2008, p. 11 – 14.
  8. Inter­view dans Le Soir, 21 – 22 novembre 2009. Voir aus­si M. Capron, « La sidé­rur­gie en Wal­lo­nie entre craintes et espoirs », La Revue nou­velle, juillet-aout 2010, p. 11 – 14.
  9. Laplace Conseil, « Atouts et défis de l’acier wal­lon au XXIe siècle », novembre 2009.
  10. Cet écart aurait été réduit de 100 à 50 euros la tonne.
  11. En même temps, AM s’étend aux quatre coins du monde : ren­for­ce­ment de ses implan­ta­tions au Kha­zaks­tan, joint ven­ture en Ara­bie saou­dite pour la pro­duc­tion de tubes, rachat d’une mine de char­bon au Libé­ria, ouver­ture d’une mine de fer près du pôle Nord au mépris des dégâts envi­ron­ne­men­taux, le tout dans la pers­pec­tive d’une inté­gra­tion ver­ti­cale plus poussée.
  12. Une frus­tra­tion d’autant plus grande que les sidé­rur­gistes se sont pliés aux mul­tiples contraintes du plan Speed Up sans en per­ce­voir concrè­te­ment les résultats.
  13. Les consul­tants Laplace et Syn­dex (qui conseillent les repré­sen­tants syn­di­caux au comi­té d’entreprise euro­péen d’AM) ont été char­gés d’actualiser l’audit de 2009.
  14. Pour le HF de Car­sid, A. Goz­zi, CEO de Dufer­co Bel­gium, se montre rela­ti­ve­ment opti­miste. Il s’est fixé le délai de juin 2012 pour trou­ver un repre­neur. À cet égard, il fait état de trois repre­neurs poten­tiels : un groupe ukrai­nien, le groupe thaï­lan­dais Saha­vi­riya Steel qui a déjà repris une ins­tal­la­tion de Tata Steel en Grande Bre­tagne et le groupe ita­lien Mar­ce­ga­glia. Tou­te­fois, à la dif­fé­rence de Liège, Dufer­co est prêt à inves­tir, avec l’aide des pou­voirs publics wal­lons, dans la réfec­tion par­tielle de la coke­rie de Mar­chienne, dans la remise en état du HF et, à défaut de repre­neur, d’investir 65 mil­lions d’euros dans la recon­ver­sion du site de Car­sid via sa socié­té Dufer­co Diver­si­fi­ca­tion. Cela étant, le prix de revient de brames de Car­sid reste supé­rieur à la moyenne du marché…
  15. Cela ne semble pas poser trop de pro­blèmes à AM, même s’il va négo­cier le prix de cette dépol­lu­tion. Via sa filiale AM Finance and Ser­vices Bel­gium, le groupe béné­fi­cie lar­ge­ment des inté­rêts notion­nels. Et pure coïn­ci­dence sans doute : le groupe AM vient de se reti­rer d’une joint ven­ture avec le groupe amé­ri­cain Pea­bo­dy Ener­gy pour la prise de contrôle majo­ri­taire d’un des lea­deurs dans la pro­duc­tion de char­bon pul­vé­ri­sé, utile pour les coke­ries, le groupe aus­tra­lien Macar­thur Coal. La revente de sa par­ti­ci­pa­tion de 16 % dans Macar­thur Coal, rap­porte quelque 1,152 mil­liard d’euros à AM…
  16. Voir l’interview de R. Himpe, direc­teur des aciers plats d’AM en Europe, L’Écho, 15 octobre 2011.

Michel Capron


Auteur

Michel Capron était économiste et professeur émérite de la Faculté ouverte de politique économique et sociale ([FOPES) à l'Université catholique de Louvain.