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Liberté sur paroles

Numéro 11 Novembre 2007 par Joëlle Kwaschin

novembre 2007

Quand donc sor­­ti­­ras-tu de pri­son ? Il sou­rit, peut-être jamais… « Qui prier pour oublié ? » Sur le mur de l’un de ces bagnes d’en­fants aujourd’­hui dis­pa­rus, fabriques de délin­quants, une main a cor­ri­gé le « é » d’ou­blier. Qui prier pour oublier ? est un film consa­cré à Jean-Marc Mahy et à deux autres ex-déte­­nus. Désap­­prend-on jamais dix-neuf années de cel­lule, de […]

Quand donc sor­ti­ras-tu de pri­son ? Il sou­rit, peut-être jamais… « Qui prier pour oublié ? » Sur le mur de l’un de ces bagnes d’en­fants aujourd’­hui dis­pa­rus, fabriques de délin­quants, une main a cor­ri­gé le « é » d’ou­blier. Qui prier pour oublier ? est un film1 consa­cré à Jean-Marc Mahy et à deux autres ex-déte­nus. Désap­prend-on jamais dix-neuf années de cel­lule, de vacarme qui conduit à se faire mettre au trou pour trou­ver le silence, d’o­deurs d’hommes entas­sés dans les éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires sur­peu­plés, d’hu­mi­lia­tions de fouilles au corps, répé­tées par­fois à dix reprises lors des com­pa­ru­tions au Palais de jus­tice ? Perd-on la mémoire d’une ten­ta­tive de sui­cide, de l’i­so­le­ment où rode la folie ? Sur­tout peut-on enter­rer les souf­frances des familles de ses vic­times alors qu’elles vous accom­pagnent sans cesse ?

Jean-Marc Mahy a pas­sé dix-neuf ans en pri­son : un jour, la petite délin­quance de l’a­do­les­cent a tour­né à la tra­gé­die, et deux hommes sont morts. Entré à dix-sept ans, il en sort à trente-six. Sou­cieux de désa­mor­cer la fas­ci­na­tion de cer­tains jeunes devant l’i­mage de durs qui colle à la peau de ceux qui sont pas­sés par une ins­ti­tu­tion publique de pro­tec­tion de la jeu­nesse ou la pri­son, il n’a de cesse de témoi­gner de son par­cours. Des gamins qui ont fait l’ex­pé­rience de l’in­car­cé­ra­tion crânent à leur sor­tie : face aux copains, ils ne diront pas qu’ils n’en menaient pas large et qu’en­trer en pri­son revient à vivre en enfer. Grif­fé sur un mur de la pri­son de Schras­sig au Grand-Duché de Luxem­bourg : « Ici, vous trou­ve­rez tout, sauf de l’aide. »

Un mer­cre­di matin enso­leillé, Jean-Marc Mahy arrive dans une classe de sixième pro­fes­sion­nelle d’une école bruxel­loise. Quelques jeunes filles sont voi­lées, ce ne seront pas les moins inté­res­sées. L’un des gar­çons se pré­ci­pite, je vous en prie, ins­tal­lez-vous, voi­là une chaise…, il en fait un peu trop, mais sa cour­toi­sie inat­ten­due émer­veille l’a­mie qui accom­pagne Jean-Marc Mahy. Tiens donc, ces jeunes-là ont de l’é­du­ca­tion. Deux heures sont pré­vues, mais lorsque Jean-Marc Mahy quitte l’é­ta­blis­se­ment, trois bonnes heures sont pas­sées, la cloche a son­né à plu­sieurs reprises et per­sonne ne l’a entendue.

Son témoi­gnage est puis­sant, les élèves, silen­cieux, atten­tifs, le rare mur­mure de l’un immé­dia­te­ment inter­rom­pu par les autres. Deux col­lègues du pro­fes­seur se glissent dans la classe, l’une d’elles qui doit don­ner l’heure sui­vante laisse cou­rir le temps, son cours s’an­nule. Midi sonne, ils n’ont donc pas faim ? La parole est aux élèves, ils posent avec intel­li­gence ques­tions sur ques­tions, s’é­coutent les uns les autres sans se cou­per la parole. Jean-Marc Mahy mar­tèle que l’on a tou­jours le choix, il les bous­cule, c’est un peu facile de trou­ver des excuses dans le fait d’être d’o­ri­gine maro­caine… Son han­di­cap à lui est invi­sible, mais il le traine comme un boulet.

Mal­gré cela, en liber­té condi­tion­nelle depuis sep­tembre 2003, il « remonte vers la vie, marche après marche2 ». Et si l’on en rate une, il faut repar­tir vers l’a­vant, ne pas se lais­ser aspi­rer par le pas­sé. « La ministre de la Jus­tice, Lau­rette Onke­lin­ckx, dit que les déte­nus doivent quelque chose à la socié­té. C’est vrai. Mais pour cela, eux-mêmes doivent avoir reçu quelque chose. J’es­saie de don­ner un sens à ma vie et de ne pas tuer mes vic­times une seconde fois. Je ne demande pas que l’on me par­donne. Je paie le solde de ma dette. »
La qua­li­té de l’ac­cueil des élèves, leur concen­tra­tion res­pec­tueuse valait bien un cour­riel au pro­fes­seur. Diable, il fal­lait tout de même que l’a­mie de Jean-Marc Mahy, venue dans cette école en dis­cri­mi­na­tion posi­tive des cli­chés plein les yeux, fasse amende hono­rable de ses pré­ju­gés. Le cour­rier cir­cule dans toute l’é­cole, du direc­teur au sous-direc­teur, du titu­laire aux élèves. Ce n’est pas si fré­quent que les élèves soient féli­ci­tés par une per­sonne exté­rieure à l’établissement.

Il arrive que cer­tains gamins disent, « l’é­cole, c’est une pri­son ». Jean-Marc Mahy leur explique que ce n’est pas exac­te­ment la même chose, tu vois, toi, la jour­née finie, tu peux ren­trer à la mai­son. Mais ils ont en par­tage avec les ex-tau­lards de devoir sans cesse mon­trer que leurs pattes de jeunes issus de l’im­mi­gra­tion sont bien blanches et qu’ils ne sont pas des délin­quants en puissance.

  1. Qui prier pour oublier, a été réa­li­sé par Ekin Ercan, Gilles Gen­gler et Thi­bault Dars­cotte, Les Ate­liers de l’In­ra­ci, 2007.
  2. On lira le très beau por­trait qu’Anne-Marie Pirard a consa­cré à Jean-Marc Mahy sur le site de la Fon­da­tion Roi Bau­douin. « Remon­ter vers la vie, marche après marche », .
    Dans le cadre du pro­jet Hors-pistes, Jean-Marc Mahy a tour­né avec le réa­li­sa­teur Daniel Nokin un DVD, Liber­té sur paroles qui montre que la réin­ser­tion se pré­pare et sur­tout qu’elle est pos­sible. Ce film est des­ti­né à être dif­fu­sé dans les ins­ti­tu­tions publiques de pro­tec­tion de la jeu­nesse, les pri­sons, les écoles…

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie