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Liberté ou autonomie instrumentale ?
À l’origine, le terme d’autonomie désigne le fait de se régir d’après ses propres lois. Aujourd’hui, l’autonomie a surtout un sens instrumental : elle désigne une liberté d’organisation laissée à certains acteurs à qui des objectifs sont assignés du dehors. Le débat sur l’autonomie dans le système scolaire peut avoir des implications très différentes selon le sens que l’on donne à cette notion.
L’autonomie est un terme à la mode, dont le sens évolue selon les contextes. Quelles en sont les définitions qui peuvent être utilement retenues pour débattre de l’autonomie et de la régulation dans le cadre scolaire ? Plutôt qu’un inventaire rigoureux de l’ensemble des significations du terme, nous en donnerons une vision impressionniste fondée sur les connotations attachées à la notion d’autonomie, ainsi que sur les notions connexes, celles auxquelles une réflexion sur l’autonomie devrait conduire.
Au sens littéral, l’autonomie désigne le fait, pour une personne, une institution ou un État, de se régir d’après ses propres lois. Entendue dans ce sens originel, qui est aussi son sens le plus radical, l’autonomie renvoie à la capacité humaine de discerner le juste et l’injuste et de créer, collectivement, les institutions politiques et non politiques qui permettent la meilleure organisation de la vie en commun. On peut y voir, à ce titre, un synonyme de la démocratie entendue comme souveraineté du peuple, ou encore l’inscrire dans la lignée de ce que Castoriadis appelait l’institution imaginaire de la société, l’autocréation du social-historique.
Cette signification fondée sur l’étymologie est d’emblée assez technique, philosophique et juridique à la fois, et elle n’est pas nécessairement opérationnelle dans le cadre du système scolaire belge : qui pourrait sérieusement prétendre, dans le système tel qu’il se dessine aujourd’hui, se régir exclusivement d’après ses propres lois ? Il reste que l’on peut souligner une conséquence de cette définition littérale de l’autonomie, qui n’est pas sans intérêt : l’autonomie n’est pas l’anarchie qui, dans certaines de ses acceptions au moins, se définit comme un refus de la loi. L’autonomie est une conduite normée qui n’empêche pas de devoir rendre des comptes. Nous verrons même qu’elle est inséparable, dans l’acception plus contemporaine qu’en donnent certains, de l’idée de responsabilité. Il n’en reste pas moins que l’autonomie, dans son acception originelle, est une notion radicale, fort proche de la notion de liberté au sens politique du terme.
Liberté ou autonomie
Si l’on passe d’un bond de la signification originelle du terme à l’usage courant qui en est fait de nos jours, l’autonomie doit se distinguer, non pas seulement de l’anarchie, mais aussi de la liberté. La notion de liberté désigne en effet, aujourd’hui, une indépendance plus radicale que la notion d’autonomie. En régime démocratique, la liberté n’est bornée que par trois choses. D’abord par la résistance du réel, qui ne se plie pas nécessairement à notre volonté, ne fût-ce que par les forces d’inertie qui traversent la société comme elles traversent la nature. Ensuite par la coexistence des libertés, par leur entrechoquement, qui a pour effet qu’une liberté peut activement limiter voire combattre une autre liberté. Enfin par le droit, par la loi, qui canalise l’usage légitime de la liberté. Il reste que, malgré ces limitations, la liberté, et en particulier dans le domaine de l’enseignement, est devenue un concept plus radical que l’autonomie. C’est ainsi que le décret du gouvernement provisoire du 16 octobre 1830, qui abolit « toute loi ou disposition qui gêne la libre manifestation des opinions et la propagation des doctrines par la voie de l’enseignement », libère l’enseignement au nom d’un principe solennel, à savoir « que le domaine de l’intelligence est essentiellement libre » et « qu’il importe de faire disparaitre à jamais les entraves par lesquelles le pouvoir a jusqu’ici enchainé la pensée, dans son expression, sa marche et ses développements ».
Il ne faut pas commettre d’anachronisme : c’était évidemment une autre époque, un autre contexte, celui de l’indépendance à conquérir à l’égard du régime hollandais. Il reste que le terme d’autonomie apparait bel et bien, aujourd’hui, comme un terme plus modéré, plus « soft », que celui de liberté ; l’autonomie s’entend généralement comme un espace de choix, comme une liberté d’organisation, à l’intérieur d’un cadre donné et compte tenu d’objectifs déterminés. L’autonomie, qui peut prendre la forme d’une véritable injonction — selon le paradoxe bien connu de l’animateur qui ordonne à son groupe : « Dites ce que vous voulez » —, s’entend généralement comme autonomie interne à un système, et non comme autonomie à l’égard du système, comme capacité de définir ou de co-définir ses principes et ses objectifs. Cette acception contemporaine de l’autonomie, qui la limite à une autonomie de moyens à l’intérieur d’un système dont les objectifs et les règles sont définis par d’autres, vaut singulièrement pour les enseignants, qui sont des salariés situés au bout d’une longue chaine d’instances de décision, et pour les élèves, qui sont soumis à l’obligation scolaire. Pour ces derniers en particulier, toute réflexion sur l’autonomie doit intégrer non seulement la leçon déjà ancienne d’Erasme, selon laquelle « on ne nait pas homme, on le devient », mais aussi le paradoxe d’une éducation à l’autonomie et par l’autonomie inscrite dans un cadre contraint au sein duquel une partie de leurs prestations sera évaluée.
Bien plus que l’idée originelle d’obéir à une norme qui serait librement consentie, voire choisie, par celui qui s’y soumet, l’autonomie désigne donc surtout une certaine indépendance opérationnelle, ce que l’on pourrait appeler une autonomie instrumentale. Par autonomie, on entend aujourd’hui le fait de disposer de ressources — de ressources financières ou matérielles, ou d’une palette de modalités d’action —, et de pouvoir choisir l’affectation de ces ressources pour atteindre un objectif quelconque, un objectif dont rien n’empêche qu’il ait été imposé par une tierce personne. Les syndicats, notamment, le savent bien : l’autonomie peut être une modalité de l’obéissance, ou en tout cas un mode de gestion des ressources humaines, qui mobilise des capacités d’autodétermination pour les faire concourir à un objectif commun défini par des supérieurs ou de l’extérieur. À ce titre, pour nombre d’historiens, de sociologues et de psychologues, l’autonomie est consubstantielle à la division du travail, à la spécialisation toujours croissante des fonctions sociales et professionnelles. Ce qui ne l’empêche pas de constituer une véritable conquête pour ceux qui en bénéficient, fût-elle ambigüe.
Un usage politique
L’autonomie, terme à priori consensuel, valeur rarement contestée en tant que telle, pose donc question quant à son usage. D’autant que ce dernier n’est pas forcément neutre, politiquement parlant, ou n’est pas forcément perçu comme étant neutre. On en trouve un exemple récent dans une étude menée par l’université de Gand avec la participation de Marijn Verschelde et de Jean Hindriks. Ce dernier, professeur à l’UCL, en a présenté quelques conclusions dans La Libre Belgique du 8 février 2010, en se revendiquant notamment de son appartenance à Itinera, ce think tank que ses adversaires qualifient de libéral alors qu’Itinera récuse ce terme.
L’article de Jean Hindriks dans La Libre Belgique, qui a pour titre « La performance est liée à l’autonomie » et qui débouche sur un véritable plaidoyer pour l’autonomie des directions d’école, porte sur les motifs de la plus grande efficacité des écoles flamandes par rapport aux écoles francophones. L’étude à laquelle il a participé1 a permis, selon sa synthèse, de faire la part de l’origine sociale ou culturelle des élèves, et, une fois ce facteur neutralisé, d’isoler une variable indépendante, à savoir la plus grande autonomie des directeurs et des enseignants en Flandre, qui expliquerait les écarts d’efficacité entre les écoles flamandes et les écoles francophones. Jean Hindriks pointe notamment l’autonomie des directions d’école flamandes en matière de ressources humaines et de budgets, et il élargit son propos à la Finlande, dont les excellents résultats en matière scolaire sont dus, selon lui, à la grande autonomie des directeurs d’école en matière de recrutement des enseignants et d’affectation des budgets.
L’appréciation de l’étude même, qui est fondée sur l’enquête PISA 2006, est affaire de spécialistes et a d’ailleurs donné lieu à un vif débat, une chercheuse de l’université de Liège reprochant aux auteurs d’avoir à la fois repris et simplifié les résultats de travaux menés à l’ULg, qui ne conduisaient nullement à constater un tel écart entre l’autonomie des directions et des enseignants des écoles flamandes et francophones2. Quoi qu’il en soit sur ce point — qui n’est pas de détail —, le lien allégué par Jean Hindriks et Marijn Verschelde entre la performance des écoles et l’autonomie des établissements paraît de bon sens : toutes les écoles peuvent être preneuses d’une certaine autonomie d’investissement, qui permet de prendre leurs spécificités en compte, et il est sans doute arrivé à chaque parent de déplorer la présence, dans des équipes pédagogiques, de professeurs qui n’étaient manifestement pas taillés pour leur public et pour le contexte dans lequel ils devaient évoluer, et dont l’affectation avait été imposée à la direction, qui connait pourtant ses élèves et ses professeurs. Cela étant, on ne peut qu’être frappé par le parallèle implicitement esquissé par Jean Hindriks, dans La Libre Belgique, entre les directeurs d’école et les chefs d’entreprise, ainsi que par les accents libéraux qui ponctuent son texte, notamment lorsqu’il salue la réduction de la « bureaucratie » scolaire finlandaise, la division par quatre du nombre de fonctionnaires finlandais de l’éducation ayant permis d’investir massivement, selon lui, dans l’aide aux élèves en difficulté.
Un tel plaidoyer pour l’autonomie revient à défendre sous forme de démonstration scientifique, ce qui sera perçu par certains comme un propos politique ou comme un discours typiquement technocratique, si l’on accepte de définir le discours technocratique comme celui qui dissimule ses choix politiques sous la neutralité affichée de ses solutions techniques. De ce point de vue, un élément frappant des propos de Jean Hindriks est d’établir un lien entre autonomie et responsabilité, lien qu’il présente dans La Libre Belgique comme allant de soi, et qui n’est pas réellement creusé dans l’étude scientifique qui sous-tend son article. Cet exemple illustre bien la difficulté du débat sur l’autonomie : le risque, en maniant ce concept chargé de connotations — positives ou négatives, selon le contexte —, est de discuter d’intentions plus ou moins cachées sans entrer dans le cœur des arguments défendus. En l’occurrence, l’absence d’argumentation découle sans doute d’un sentiment d’évidence porté par l’usage dominant du terme d’autonomie. Dans son acception contemporaine, en effet, l’autonomie est une autonomie de moyens accordée en vue d’atteindre au mieux des objectifs prédéterminés. Entendue dans ce sens, il peut paraitre évident que l’autonomie dont bénéficie un acteur doit s’accompagner d’une responsabilité quant à l’usage qu’il en fait : l’autonomie n’est ici qu’un mode de répartition des responsabilités au profit de la plus grande efficience possible du système, quelle que soit la manière dont on la mesure. Dans un tel cadre, l’acteur autonome est supposé accepter, en même temps que son autonomie, les finalités que le système assigne au bon usage de cette autonomie, et donc sa part de responsabilité quant au fait de contribuer ou non à atteindre ces finalités. Ce qui implique, pour ceux qui revendiquent ce lien entre autonomie et responsabilité — comme c’est le cas dans le débat sur le financement des entités fédérées en Belgique —, de juger les bénéficiaires de cette autonomie sur leurs résultats, et, si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, de les sanctionner ou de les récompenser pour ces résultats obtenus en toute autonomie.
Est-ce ainsi que l’on veut utiliser ce concept dans le système scolaire francophone ? Est-on prêt, d’une part, à limiter les prérogatives des pouvoirs organisateurs au profit des directions d’école et, d’autre part, à revoir les statuts qui organisent la carrière des enseignants, statuts qui sont très détaillés dans l’enseignement officiel et qui sont plus précis qu’auparavant dans l’enseignement libre ? Les acteurs de l’école sont-ils prêts à endosser une autonomie purement instrumentale, subordonnée à des fins systémiques et assortie d’une responsabilité dont les effets se feront sentir sur ces acteurs eux-mêmes, par-delà l’autonomie pédagogique traditionnellement laissée aux enseignants et aux établissements ? Et, si ce n’est pas le cas, faut-il pour autant refuser de réfléchir à la transparence qu’implique idéalement l’autonomie dans son acceptation instrumentale : transparence dans les objectifs à atteindre, dans les moyens dont on dispose, dans les résultats qui seront évalués, dans les méthodes d’évaluation qui seront employées, et dans les conséquences de l’évaluation ? La question n’est pas anodine à l’heure où le débat sur les réseaux scolaires ne se structure plus aussi nettement qu’auparavant autour d’enjeux philosophiques, autour du vieux clivage entre écoles confessionnelles et écoles neutres ou laïques, mais prend davantage la forme d’une différence de culture et de fonctionnement entre le privé et le public.
À qui appartient l’école ?
La version contemporaine du concept d’autonomie, qu’on pourrait qualifier d’instrumentale, est donc bien éloignée de sa signification originelle. Pour l’observateur extérieur, il semble même évident que l’autonomie, valeur en vogue s’il en est, est en recul à l’école, en tout cas en ce qui concerne les enseignants et, peut-être aussi, en ce qui concerne les élèves, du moins si l’on considère que l’école s’efforce de les rendre autonomes, non pour eux-mêmes, mais pour accroitre leur potentiel d’employabilité, l’autonomie devenant alors un moyen et non une fin. On peut en tout cas noter que, dans notre système scolaire d’une redoutable complexité, l’autonomie peut se loger ou, au contraire, briller par son absence dans tous les rouages du système et à toutes les étapes de son élaboration. Si l’on repense à la notion originelle d’autonomie, au fait de choisir soi-même les normes auxquelles on adaptera son comportement, l’école fait surgir une question abyssale : qui peut légitimement élaborer ces normes, qui peut décider des objectifs, des pratiques et du mode de fonctionnement de l’école ? Instantanément, cinq groupes au moins viennent à l’esprit : les élèves, fussent-ils mineurs, puisqu’ils sont les premiers concernés, et qu’ils doivent au moins constituer la finalité du système à défaut d’en être les auteurs ; les parents, juridiquement et moralement responsables de leurs enfants ; les enseignants ; les pouvoirs organisateurs ; les autorités politiques issues d’élections libres. Sans parler d’autres catégories qui peuvent également faire valoir leurs droits à participer à l’organisation du système, telles que les employeurs, puisque l’école a aussi vocation à préparer à la vie professionnelle, ou les directions des établissements, ou encore les syndicats, l’administration, etc. Qui, en d’autres termes, peut décider de l’autonomie à conférer ou à refuser aux autres, des lieux où elle s’exerce, des limites à y apporter ? La question n’est pas seulement de savoir qui peut être autonome et en quoi, mais avec qui il faut « faire école », à la fois au sens de faire école au quotidien et au sens de « faire société ».
Cette question est d’autant plus difficile que le système scolaire, en Communauté française, est d’une remarquable stabilité. Certes, on s’inquiète de plus en plus de le réguler, et il est modifié à cette fin par touches successives depuis une quinzaine d’années. Mais il continue à reposer sur des bases juridiques et sur des compromis politiques qui remontent, eux, à une cinquantaine d’années en ce qui concerne le Pacte scolaire, et à bientôt deux siècles en ce qui concerne les règles constitutionnelles de base, qui ont été confirmées et complétées en 1988, lors de la communautarisation de l’enseignement, qui a consacré dans la Constitution certains caractères spécifiques des réseaux de pouvoirs organisateurs.
Si l’on s’attarde à cette constance, qui est frappante, on peut avancer l’hypothèse que, dans les faits, l’école appartient surtout à trois types d’acteurs. Aux réseaux de pouvoirs organisateurs, d’abord, qui sont porteurs de philosophies distinctes et qui ont cherché à préserver leur propre autonomie au sein du système sans se priver pour autant de réfléchir aux réformes qu’il convenait d’y apporter. Aux partis politiques, ensuite, qui ont été conduits à concilier les visions divergentes des réseaux quelle que soit leur propre vision de l’école, et qui sont comptables des grands compromis historiques, compromis qu’ils n’ont pas su ou pas voulu défaire jusqu’ici. Aux parents, enfin, dont la liberté de choix d’un établissement scolaire pour leurs enfants est particulièrement protégée par la Constitution, et ce dès 1831, et qui contribuent à la configuration du système par leur manière d’user ou de ne pas user de cette liberté, la somme de leurs décisions individuelles pesant paradoxalement plus lourd que les effets de leurs mobilisations collectives.
Les autres acteurs cités plus haut jouent évidemment aussi un rôle, à commencer par les enseignants, qui usent des marges d’autonomie dont ils bénéficient dans leur classe ou au moment de l’évaluation des élèves. Mais la remarquable continuité des grands principes d’organisation du système me paraît bien renvoyer, quant à elle, aux trois types d’acteurs que je viens de citer — et qui ne sont, évidemment, pas égaux entre eux, ni d’un type d’acteurs à l’autre, ni au sein de chaque catégorie, en particulier parmi les parents. Si l’ensemble des réformes élaborées depuis une quinzaine d’années indique une montée en puissance de l’acteur politique, la fronde d’une partie des parents devant certaines dispositions récentes en matière d’inscription marque les limites de ce volontarisme.
L’acteur le plus puissant ? Les réseaux
L’acteur qui nous paraît demeurer le plus puissant est celui que nous avons cité en premier : les réseaux, les fédérations de pouvoirs organisateurs, qui participent activement au pilotage du nouveau système en cours de construction alors que la reconstruction du système était destinée, entre autres, à implémenter des règles transversales, de nouveaux standards, qui ignorent le pré carré des réseaux, qui contournent certaines spécificités forgées au cours de l’histoire.
La participation des réseaux à une régulation scolaire visant des objectifs transversaux aux réseaux les place ainsi sur les deux versants de la notion d’autonomie : ils sont appelés à exploiter leur autonomie de moyens pour amener le système à atteindre ses objectifs au plus près ; et ils participent, à travers diverses instances de pilotage, d’avis, de formation continuée, etc., à la définition de ces objectifs eux-mêmes, ou en tout cas à la définition de certains d’entre eux. Il faut évidemment nuancer ce propos selon les réseaux, l’enseignement catholique étant doté d’une fédération forte alors que, dans les deux réseaux de l’enseignement officiel subventionné, les pouvoirs organisateurs n’ont pas confié les mêmes prérogatives à leur fédération. En outre, la montée en puissance des syndicats, qui participent également à de nombreuses instances de régulation du système, vient tempérer la puissance des réseaux, au point de susciter des tensions entre les uns et les autres. Les degrés d’autonomie, au sens de la participation à la définition des objectifs généraux du système, varient donc plus que jamais d’un acteur à l’autre, sans que cela empêche le développement d’un phénomène paradoxal : les enseignants considérés isolément, les maitres dans leur classe, à l’école et face à leurs obligations à domicile, se sentent de plus en plus contraints par de multiples injonctions pédagogiques et administratives, alors qu’ils sont pourtant les praticiens au quotidien d’un système scolaire qui valorise l’autonomie.
Il ne s’agit évidemment pas, en formulant ces remarques, d’essayer de disqualifier la notion d’autonomie. Elles visent simplement à souligner que l’autonomie, valeur positive à priori, peut faire l’objet de débats infinis et d’un dialogue de sourds si l’on ne veille pas, chaque fois ou presque que l’on emploie ce terme, à vérifier son sens, son usage, ses bénéficiaires, ses conditions d’exercice. C’est à cette condition, notamment, que l’on peut engager la discussion sur les liens entre autonomie et régulation sans préjuger de la relation qui unit les deux termes : rien ne permet d’affirmer à priori, avant qu’une réflexion collective et contradictoire soit menée, s’il faut d’abord penser la régulation comme un nécessaire correctif à d’éventuels excès d’autonomie, ou si autonomie et régulation peuvent être pensées comme allant de pair, comme deux termes qui ne seraient pas nécessairement en opposition, ni même en tension, mais qui pourraient s’avérer convergents. L’autonomie au sens contemporain du terme, et certainement dans sa version la plus instrumentale, n’est pas incompatible par principe avec des procédures de régulation, bien au contraire.
- Jean Hindriks et Marijn Verschelde, « L’École de la chance », Regards économiques, n° 77, février 2010, 27 pages.
- Cf. La Libre Belgique et Le Soir, 11 février 2010.