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Libérer la liberté de la presse
De manière cyclique, presque tous les dix ans, La Revue nouvelle consacre un dossier à la situation de la presse et des médias en Belgique. Sa position à la fois marginale et engagée en a fait un lieu naturel de réflexion sur cette thématique. De manière récurrente, le tableau brossé a montré un secteur et une profession si pas […]
De manière cyclique, presque tous les dix ans, La Revue nouvelle consacre un dossier à la situation de la presse et des médias en Belgique. Sa position à la fois marginale et engagée en a fait un lieu naturel de réflexion sur cette thématique. De manière récurrente, le tableau brossé a montré un secteur et une profession si pas en crise, à tout le moins en mutation. La régularité du diagnostic devrait donc nous vacciner contre toute tentation de catastrophisme. Toutefois, il nous semble urgent de reconnaitre que les spécificités locales donnent une tournure dramatique et quasiment existentielle à l’évolution de nos médias. Une évolution qui, selon une formule, certes usée mais toujours vraie, ne devrait laisser aucun démocrate indifférent.
Car, sans avoir évidemment le même statut et la même légitimité que les trois pouvoirs sur lesquels se fondent les fonctionnements de nos États modernes, le quatrième pouvoir constitue un rouage indispensable du bon fonctionnement démocratique. Il ne produit pas de lui-même les contenus, projets ou idéologies, mais il permet à ceux-ci de se rencontrer et de contribuer au processus de décision. Surtout, il complète la concurrence des pouvoirs que nos constitutions ont instituée en guise de rempart contre l’absolutisme. Cette puissance basée sur l’exercice d’une liberté fondamentale ne tire cependant pas sa légitimité de la représentation démocratique, mais tout simplement de ses lecteurs qui en l’achetant lui reconnaissent le droit de poursuivre sa mission dans l’espace public.
Or, aujourd’hui, tout se passe comme si la presse connaissait un désenchantement comparable à celui que connaissent nos démocraties. Aux désaffiliations correspondraient les désabonnements. Aux abstentions, les pertes de lectorat ou d’audience. Le phénomène s’observe dans presque l’ensemble du monde occidental. Mais en Belgique francophone, l’évolution parait encore plus rapide.
En dix ans, la presse y a perdu des milliers de lecteurs. De même, les médias audiovisuels belges comme la R.T.B.F. et R.T.L.-T.V.I. ont perdu une part non négligeable de leurs parts de marchés par rapport aux chaines de télévision françaises. On peut même craindre un véritable rattachement commercialo-médiatique, avec le risque de voir les chaines françaises effectuer directement des publicités adaptées au marché belge, ce qui représenterait un manque à gagner potentiel terrible pour les chaines belges et, indirectement, pour les groupes de presse qui sont actionnaires de R.T.L.-T.V.I…
Qu’est-ce qui est en cause ? Plusieurs éléments sont avancés : le faible niveau de lecture de journaux en Communauté française que l’apparition de l’Internet aurait aggravé, la fragilité économique des actionnariats des entreprises de presse, le rôle de plus en plus important des dispositifs de communication et de relations publiques, la domination du faits divers comme thème d’information et comme mode de traitement de l’information… Autant de facteurs qui entrainent nos médias dans une spirale négative qui, c’est le plus inquiétant, emporte d’abord les organes dits de « qualité », à savoir ceux qui sont censés animer, refléter, construire le débat public. Évidemment, Internet constitue un espace d’expression de plus en plus fréquenté par tous ceux que ne satisfait pas l’offre des médias traditionnels, mais ceux-ci continuent de jouer un rôle déterminant dans l’établissement de l’agenda démocratique qu’ils ne sont pas encore sur le point d’abandonner.
Nous ne nous berçons certes pas d’illusions. Complices historiques, la presse et la démocratie sont en quelque sorte pareillement victimes de l’individualisation qui les a fait naitre et qu’elles continuent de produire. Mais nous n’avons pour l’heure guère d’autre choix que de poursuivre ce processus, à bien des égards infini, et notamment parce que nous savons trop bien à quelles menaces nous sommes exposés dès qu’il est interrompu. La montée du populisme et de l’extrême droite n’est pas imputable à la seule évolution de la presse, mais celle-ci n’y est assurément pas étrangère.
Le présent dossier cherche à aborder ces évolutions de manière actualisée. Il s’agit d’une première étape qui devrait connaitre une suite dans les mois qui viennent. Le souci de la revue est, en effet, de mettre en débat les évolutions que connaissent les médias en Belgique francophone. Dans cet espace à la fois exposé et confiné, elles prennent une coloration particulière qui tient notamment à la présence toute proche d’un autre espace public culturellement apparenté ainsi qu’au caractère pour le moins incertain de l’écheveau institutionnel belge. Ce contexte ainsi que l’emprise du politique contribuent à rendre cette société-là et les évolutions qu’elle connait largement inintelligibles, en commençant par les évolutions que connait la presse elle-même. C’est la raison pour laquelle il nous parait indispensable de produire des regards résolument anticonformistes. Non seulement en tentant de décrire les processus à l’œuvre, mais également en faisant écho à l’action que mènent certains journalistes, leur association professionnelle ou plus simplement les citoyens qui ne se satisfont pas de la situation actuelle de notre espace public. La presse est libre assurément. Mais cette liberté formelle n’est rien sans la reconnaissance et la mobilisation du désir de décrire et d’interroger le monde qui, heureusement, hante encore les rédactions.