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Libérer la liberté de la presse

Numéro 9 Septembre 2004 par Lechat Benoît

septembre 2004

De manière cyclique, presque tous les dix ans, La Revue nou­velle consacre un dos­sier à la situa­tion de la presse et des médias en Bel­gique. Sa posi­tion à la fois mar­gi­nale et enga­gée en a fait un lieu natu­rel de réflexion sur cette thé­ma­tique. De manière récur­rente, le tableau bros­sé a mon­tré un sec­teur et une pro­fes­sion si pas […]

De manière cyclique, presque tous les dix ans, La Revue nou­velle consacre un dos­sier à la situa­tion de la presse et des médias en Bel­gique. Sa posi­tion à la fois mar­gi­nale et enga­gée en a fait un lieu natu­rel de réflexion sur cette thé­ma­tique. De manière récur­rente, le tableau bros­sé a mon­tré un sec­teur et une pro­fes­sion si pas en crise, à tout le moins en muta­tion. La régu­la­ri­té du diag­nos­tic devrait donc nous vac­ci­ner contre toute ten­ta­tion de catas­tro­phisme. Tou­te­fois, il nous semble urgent de recon­naitre que les spé­ci­fi­ci­tés locales donnent une tour­nure dra­ma­tique et qua­si­ment exis­ten­tielle à l’é­vo­lu­tion de nos médias. Une évo­lu­tion qui, selon une for­mule, certes usée mais tou­jours vraie, ne devrait lais­ser aucun démo­crate indifférent.

Car, sans avoir évi­dem­ment le même sta­tut et la même légi­ti­mi­té que les trois pou­voirs sur les­quels se fondent les fonc­tion­ne­ments de nos États modernes, le qua­trième pou­voir consti­tue un rouage indis­pen­sable du bon fonc­tion­ne­ment démo­cra­tique. Il ne pro­duit pas de lui-même les conte­nus, pro­jets ou idéo­lo­gies, mais il per­met à ceux-ci de se ren­con­trer et de contri­buer au pro­ces­sus de déci­sion. Sur­tout, il com­plète la concur­rence des pou­voirs que nos consti­tu­tions ont ins­ti­tuée en guise de rem­part contre l’ab­so­lu­tisme. Cette puis­sance basée sur l’exer­cice d’une liber­té fon­da­men­tale ne tire cepen­dant pas sa légi­ti­mi­té de la repré­sen­ta­tion démo­cra­tique, mais tout sim­ple­ment de ses lec­teurs qui en l’a­che­tant lui recon­naissent le droit de pour­suivre sa mis­sion dans l’es­pace public.

Or, aujourd’­hui, tout se passe comme si la presse connais­sait un désen­chan­te­ment com­pa­rable à celui que connaissent nos démo­cra­ties. Aux désaf­fi­lia­tions cor­res­pon­draient les désa­bon­ne­ments. Aux abs­ten­tions, les pertes de lec­to­rat ou d’au­dience. Le phé­no­mène s’ob­serve dans presque l’en­semble du monde occi­den­tal. Mais en Bel­gique fran­co­phone, l’é­vo­lu­tion parait encore plus rapide.

En dix ans, la presse y a per­du des mil­liers de lec­teurs. De même, les médias audio­vi­suels belges comme la R.T.B.F. et R.T.L.-T.V.I. ont per­du une part non négli­geable de leurs parts de mar­chés par rap­port aux chaines de télé­vi­sion fran­çaises. On peut même craindre un véri­table rat­ta­che­ment com­mer­cia­lo-média­tique, avec le risque de voir les chaines fran­çaises effec­tuer direc­te­ment des publi­ci­tés adap­tées au mar­ché belge, ce qui repré­sen­te­rait un manque à gagner poten­tiel ter­rible pour les chaines belges et, indi­rec­te­ment, pour les groupes de presse qui sont action­naires de R.T.L.-T.V.I…

Qu’est-ce qui est en cause ? Plu­sieurs élé­ments sont avan­cés : le faible niveau de lec­ture de jour­naux en Com­mu­nau­té fran­çaise que l’ap­pa­ri­tion de l’In­ter­net aurait aggra­vé, la fra­gi­li­té éco­no­mique des action­na­riats des entre­prises de presse, le rôle de plus en plus impor­tant des dis­po­si­tifs de com­mu­ni­ca­tion et de rela­tions publiques, la domi­na­tion du faits divers comme thème d’in­for­ma­tion et comme mode de trai­te­ment de l’in­for­ma­tion… Autant de fac­teurs qui entrainent nos médias dans une spi­rale néga­tive qui, c’est le plus inquié­tant, emporte d’a­bord les organes dits de « qua­li­té », à savoir ceux qui sont cen­sés ani­mer, reflé­ter, construire le débat public. Évi­dem­ment, Inter­net consti­tue un espace d’ex­pres­sion de plus en plus fré­quen­té par tous ceux que ne satis­fait pas l’offre des médias tra­di­tion­nels, mais ceux-ci conti­nuent de jouer un rôle déter­mi­nant dans l’é­ta­blis­se­ment de l’a­gen­da démo­cra­tique qu’ils ne sont pas encore sur le point d’abandonner.

Nous ne nous ber­çons certes pas d’illu­sions. Com­plices his­to­riques, la presse et la démo­cra­tie sont en quelque sorte pareille­ment vic­times de l’in­di­vi­dua­li­sa­tion qui les a fait naitre et qu’elles conti­nuent de pro­duire. Mais nous n’a­vons pour l’heure guère d’autre choix que de pour­suivre ce pro­ces­sus, à bien des égards infi­ni, et notam­ment parce que nous savons trop bien à quelles menaces nous sommes expo­sés dès qu’il est inter­rom­pu. La mon­tée du popu­lisme et de l’ex­trême droite n’est pas impu­table à la seule évo­lu­tion de la presse, mais celle-ci n’y est assu­ré­ment pas étrangère.

Le pré­sent dos­sier cherche à abor­der ces évo­lu­tions de manière actua­li­sée. Il s’a­git d’une pre­mière étape qui devrait connaitre une suite dans les mois qui viennent. Le sou­ci de la revue est, en effet, de mettre en débat les évo­lu­tions que connaissent les médias en Bel­gique fran­co­phone. Dans cet espace à la fois expo­sé et confi­né, elles prennent une colo­ra­tion par­ti­cu­lière qui tient notam­ment à la pré­sence toute proche d’un autre espace public cultu­rel­le­ment appa­ren­té ain­si qu’au carac­tère pour le moins incer­tain de l’é­che­veau ins­ti­tu­tion­nel belge. Ce contexte ain­si que l’emprise du poli­tique contri­buent à rendre cette socié­té-là et les évo­lu­tions qu’elle connait lar­ge­ment inin­tel­li­gibles, en com­men­çant par les évo­lu­tions que connait la presse elle-même. C’est la rai­son pour laquelle il nous parait indis­pen­sable de pro­duire des regards réso­lu­ment anti­con­for­mistes. Non seule­ment en ten­tant de décrire les pro­ces­sus à l’œuvre, mais éga­le­ment en fai­sant écho à l’ac­tion que mènent cer­tains jour­na­listes, leur asso­cia­tion pro­fes­sion­nelle ou plus sim­ple­ment les citoyens qui ne se satis­font pas de la situa­tion actuelle de notre espace public. La presse est libre assu­ré­ment. Mais cette liber­té for­melle n’est rien sans la recon­nais­sance et la mobi­li­sa­tion du désir de décrire et d’in­ter­ro­ger le monde qui, heu­reu­se­ment, hante encore les rédactions.

Lechat Benoît


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