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Liban, Syrie. Six ans après « la révolution »

Numéro 4 Avril 2011 par Pierre Coopman

avril 2011

Quand, en décembre 2010, les révoltes déclen­chées à Sidi Bou­zid ont atteint la ville de Tunis, qu’il est appa­ru que le mou­ve­ment social était excep­tion­nel, les médias ont sem­blé oublier, dans leurs ana­lyses, une pré­cé­dente contes­ta­tion dans un pays arabe, au Liban, il y a six ans à peine. Le sou­lè­ve­ment tuni­sien a été pré­sen­té comme inédit. Peut-être parce que cette fois, l’on a pres­sen­ti que la révolte allait abou­tir, et qu’elle pro­dui­rait même — espoir fou — un effet domi­no… Comme s’il était deve­nu pré­vi­sible que la bouf­fon­ne­rie de plu­sieurs dic­ta­teurs ne pou­vait plus durer.

Pour­quoi tant d’optimisme, alors que d’autres agi­ta­tions poli­tiques arabes se sont sol­dées par des échecs et des répres­sions san­glantes (Syrie, 1981 ; Algé­rie, octobre 1988 ; Irak, février 1991, etc.)? Pour­quoi les médias, Al-Jazi­ra en tête, ont-ils tout à coup eu envie d’y croire ? Pour­quoi les com­men­ta­teurs friands de nou­veau­té, d’évènements qu’ils peuvent label­li­ser de « sans pré­cé­dent », n’ont-ils pas rap­pe­lé à leurs publics, qu’il y a six ans, au pays du cèdre, un mou­ve­ment popu­laire avait obte­nu un résul­tat tan­gible : le départ des troupes syriennes, en avril 2005, après vingt-neuf ans de présence ?

Nadim She­ha­di, membre de l’institut de recherches Cha­tham House, à Londres, pense que les évè­ne­ments actuels trouvent leur ori­gine dans la chute de Sad­dam Hus­sein en 2003 : « Il a seule­ment fal­lu attendre huit ans pour que les effets se répandent », a‑t-il décla­ré sur Bara­da TV, une chaine satel­li­taire de l’opposition syrienne1. Vu ain­si, le retrait syrien du Liban, en 2005, aurait cor­res­pon­du à la chute du pre­mier domi­no, après l’enclenchement de 2003 en Irak. Mais en 2011, ce pre­mier domi­no s’est-il redres­sé ? Assiste-t-on, au Liban, à une contre­ré­vo­lu­tion ? Et si tel est le cas, que nous enseigne cette contre­ré­vo­lu­tion sur les risques qu’encourent les autres révo­lu­tions actuel­le­ment à l’œuvre dans le monde arabe ?

Du printemps libanais à son automne

Pour expli­quer, à l’instar d’un récent édi­to­rial de La Revue nou­velle (février 2011), com­ment le prin­temps liba­nais est pas­sé à son automne, il est néces­saire de res­ti­tuer briè­ve­ment la chro­no­lo­gie des évè­ne­ments poli­tiques des six der­nières années, ain­si que la chro­no­lo­gie de l’enquête judi­ciaire sur le meurtre de Rafic Hariri.

Com­men­çons par rela­ter les évè­ne­ments poli­tiques : le mou­ve­ment au Liban (bap­ti­sé « révo­lu­tion du cèdre ») était né de l’émotion pro­vo­quée par l’assassinat de l’ancien Pre­mier ministre liba­nais (de confes­sion sun­nite) Rafic Hari­ri, à Bey­routh, le 14 février 2005. Un mois plus tard, le 14 mars, une mani­fes­ta­tion géante à Bey­routh récla­mait le retrait des troupes syriennes. Hari­ri était un diri­geant clien­té­liste (Pre­mier ministre de 1992 à 1998, puis de 2000 à 2004). Il avait rem­por­té plu­sieurs élec­tions à coup de « lar­gesses » et de mil­lions de dol­lars. Il n’était pas spé­cia­le­ment adu­lé par l’ensemble des Liba­nais. Mais son assas­si­nat avait fait écla­ter les frus­tra­tions accu­mu­lées depuis des années contre la pré­sence syrienne dans le pays. Le res­sen­ti­ment anti­sy­rien s’était cris­tal­li­sé lors de la mani­fes­ta­tion du 14 mars 2005, ses orga­ni­sa­teurs avan­çant le chiffre de plus d’un mil­lion de par­ti­ci­pants. L’opinion géné­rale consi­dé­rait que la Syrie régen­tait les moindres détails de la vie au Liban. Même les Liba­nais loyaux à la Syrie auraient admis cette omni­pré­sence avant de, bien enten­du, la jus­ti­fier… L’implication syrienne dans l’assassinat de Rafic Hari­ri, d’une manière ou d’une autre, parais­sait évi­dente aux yeux de la majo­ri­té, même silen­cieuse ou consen­tante. Sous la pres­sion de la rue et de mani­fes­tants liba­nais osant bra­ver la chape de plomb, l’armée syrienne quit­tait fina­le­ment le Liban en avril 2005. Selon d’autres inter­pré­ta­tions, ce ne serait pas le mou­ve­ment social qui a chas­sé l’occupation syrienne, mais la Syrie qui aurait déci­dé qu’une pré­sence phy­sique n’apportait plus aucune valeur ajou­tée. Le maillage syrien du Liban (social poli­tique et éco­no­mique) se sur­vi­vrait à lui-même2.

Ce départ des Syriens (du moins mili­tai­re­ment) faci­li­tait, au mois de mai 2005, le retour en scène de deux per­son­na­li­tés poli­tiques chré­tiennes, l’une exi­lée, l’autre embas­tillée. Les auto­ri­tés liba­naises per­met­taient en effet au géné­ral Michel Aoun — ancien adver­saire mili­taire de Damas au temps de sa « guerre de libé­ra­tion », en 1989, contre l’armée syrienne — de ren­trer de France. Et le Par­le­ment votait l’amnistie pour Samir Gea­gea, chef de la milice des Forces liba­naises (extrême droite maro­nite), incar­cé­ré depuis 1994.

L’influence de l’Alliance pro-occi­den­tale dite du 14 mars (en réfé­rence à la marche qui avait récla­mé la fin de l’occupation syrienne) était déter­mi­nante durant les années 2005 et 2006. Cette alliance se com­po­sait essen­tiel­le­ment de trois par­tis poli­tiques : les Forces liba­naises, le Par­ti socia­liste pro­gres­siste et le Cou­rant du futur, diri­gés res­pec­ti­ve­ment par Samir Gea­gea, le chef druze Walid Joum­blatt et Saad Hari­ri, le fils de l’ex-Premier ministre assas­si­né. Le géné­ral Aoun et son par­ti, le Cou­rant patrio­tique libre (CPL) se tenaient à l’écart. Aux élec­tions légis­la­tives de juin 2005, le « 14 mars » rem­por­tait la majo­ri­té par­le­men­taire avec 69 dépu­tés sur 128. Mais le CPL décro­chait un excellent résul­tat, avec 15 sièges.

Le Tri­bu­nal spé­cial des Nations unies pour le Liban (TSL) serait ensuite ins­ti­tué, confor­mé­ment à la réso­lu­tion 1664 du 29 mars 2006, afin de pour­suivre les auteurs des actes cri­mi­nels liés à l’assassinat de Rafic Hari­ri. En 2006, tout allait bien, si l’on peut dire (mal­gré les meurtres de per­son­na­li­tés poli­tiques qui se pour­sui­vaient), pour l’Alliance du 14 mars, dont la force et l’influence étaient cen­sées faci­li­ter la mise en accu­sa­tion de la Syrie par le TSL.

Mais le géné­ral Aoun ne tar­de­rait pas à virer sa cuti « de mili­tant anti­sy­rien » en se ral­liant, dès le mois de février 2006, à l’Alliance adverse du 8 mars (en réfé­rence au jour de la marche orga­ni­sée en 2005 pour rendre hom­mage au rôle joué par la Syrie au Liban) domi­née par les chiites des par­tis Amal et Hez­bol­lah. Michel Aoun — mal­gré une rhé­to­rique expli­quant ses choix par sa vision du Pacte natio­nal entre chré­tiens et chiites au Liban3 — n’avait pas trou­vé une place à la hau­teur de ses ambi­tions sur les listes élec­to­rales des membres du 14 mars. En tant que maro­nite, il pou­vait bri­guer la pré­si­dence de la Répu­blique, en ver­tu du sys­tème consti­tu­tion­nel (Pacte natio­nal et Consti­tu­tion) — qui pré­voit que le pré­sident doit être maro­nite, le pre­mier ministre, sun­nite et le pré­sident du Par­le­ment, chiite. Les sup­po­sées ambi­tions pré­si­den­tielles du géné­ral (il ne les a pas concré­ti­sées) ne suf­fi­saient cepen­dant pas à expli­quer ses revi­re­ments poli­tiques. Sans doute fal­lait-il voir, dans sa manière de se repo­si­tion­ner, une simple volon­té de main­te­nir sa sta­ture de chef, un sou­ci de ne pas lais­ser trop de place à d’autres chefs (Joum­blatt, Gea­gea, Saad Hari­ri junior) qu’il consi­dère comme moins popu­laires que lui.

Le Hezbollah au centre des enjeux

La pola­ri­sa­tion du pay­sage poli­tique entre les Alliances du 18 et du 14 mars enté­rine le mor­cè­le­ment de la socié­té liba­naise, à l’œuvre depuis long­temps, avant même la longue guerre civile qui rava­gea le pays de 1975 à 1990. Les dif­fé­rentes par­ties peuvent, comme l’illustre le géné­ral Aoun (et comme le fait régu­liè­re­ment Walid Joum­blatt, spé­cia­liste hors pair du « tour­ner casaque »), se dépla­cer d’un pôle à l’autre au gré des cir­cons­tances et de leurs inté­rêts. Pour l’heure, tous les pro­ta­go­nistes gra­vitent autour d’un noyau cen­tral nom­mé le Hez­bol­lah. Celui-ci peut, comme il l’a fait le 12 juillet 2006, lan­cer une attaque sur une uni­té israé­lienne pro­vo­quant une lourde riposte de l’État hébreu : trente-quatre jours de guerre dans l’ensemble du pays et près de mille-deux-cents morts par­mi les civils liba­nais. Il peut ensuite, comme il l’a fait le 7 mai 2008, prendre part à une mini-guerre civile cir­cons­crite à Bey­routh et limi­tée à quatre-vingts morts (sic), parce qu’il s’estime mena­cé dans ses pré­ro­ga­tives. Le gou­ver­ne­ment avait en effet dili­gen­té une enquête sur le réseau de com­mu­ni­ca­tions secrètes du Hez­bol­lah, cen­sées défendre le pays en cas d’attaque israé­lienne… De fil en aiguille, tous les vieux conflits res­sur­gissent. En aout 2008, dans la ville sep­ten­trio­nale de Tri­po­li, les quar­tiers de Bab Teb­bane (la sun­nite) et de Baal Moh­sen (prin­ci­pa­le­ment alaouite, la confes­sion du clan au pou­voir en Syrie) se refont la guerre. Le 12 aout de la même année, une bombe explose dans la rue des banques (cha­ria’ al-mas­saa­rif), en plein centre ville de Tri­po­li. Déjà vu, déjà enten­du. Au Liban, les scé­na­rios d’il y a plus de vingt ou trente ans res­sus­citent vite.

Le 13 mars 2011, des mil­liers de Liba­nais ont mani­fes­té à Bey­routh pour pro­tes­ter contre les pré­ro­ga­tives mili­taires du par­ti chiite. Mais l’arme du Hez­bol­lah pro­sy­rien, plus que son arse­nal (et la ques­tion épi­neuse de son déman­tè­le­ment) est le chan­tage à la défla­gra­tion géné­rale, exer­cé sur des Liba­nais encore trau­ma­ti­sés par la longue guerre civile des années sep­tante et quatre-vingt. Chan­tage si le par­ti se sent mena­cé et, last but not least, chan­tage s’il se retrouve sur la liste des coïn­cul­pés au terme de l’enquête du TSL. Les adver­saires du Hez­bol­lah ne sont pas en reste et recourent volon­tiers à des méthodes simi­laires : au chan­tage s’oppose le chan­tage. Le pays du cèdre paraît bloqué.

La menace que le Hez­bol­lah fait pla­ner sur le tra­vail du TSL signe éga­le­ment l’arrêt de mort du com­bat contre l’impunité dans un pays où l’impunité est ins­tau­rée depuis long­temps en règle géné­rale, y com­pris pour ceux qui défendent le TSL (Samir Gea­gea fut un chef de guerre féroce et san­gui­naire). Bref, la Syrie est tou­jours pré­sente. Il serait cepen­dant faux d’affirmer qu’elle est omni­pré­sente. Des diver­gences de vue s’expriment entre Damas et Bey­routh, comme récem­ment à pro­pos de la zone d’exclusion aérienne impo­sée à la Libye. À la Ligue arabe, le Liban a voté pour, la Syrie s’est pro­non­cée contre, bien que l’actuelle majo­ri­té du nou­veau pre­mier ministre Najib Mika­ti soit consi­dé­rée comme pro­sy­rienne. L’ancien conten­tieux entre Bey­routh et Kadha­fi, à pro­pos de la dis­pa­ri­tion, en 1978, en Libye, de l’imam chiite Mous­sa Al-Sadr, n’est sans doute pas absent du choix de vote des auto­ri­tés liba­naises… Non­obs­tant, mal­gré cer­taines marges d’autonomie du Liban vis-à-vis de la Syrie, l’imbrication poli­tique entre les deux pays reste inex­tri­cable. La « révo­lu­tion du cèdre » était peut-être morte avant d’avoir pu naitre. Ou était-elle une illusion ?

La faillite d’une enquête

Était-il écrit d’avance, si l’on s’intéresse à la chro­no­lo­gie de l’enquête judi­ciaire, que le TSL tom­be­rait dans toutes les chausse-trappes qui lui furent ten­dues ? L’Américain Gary Gam­bill, spé­cia­liste des ques­tions stra­té­giques et édi­teur du site Mideast Moni­tor, a détaillé les dif­fé­rents écueils que la com­mis­sion des Nations unies char­gée de l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hari­ri n’a pas pu évi­ter4. Gary Gam­bill explique que, durant l’été 2005, cette com­mis­sion, diri­gée par l’Allemand Det­lev Meh­lis, dis­po­sait de plu­sieurs indices sur les moda­li­tés de l’assassinat, mais ne déte­nait aucune preuve juri­dique. La com­mis­sion a dès lors ten­té de fon­der ses preuves sur les témoi­gnages de deux ex-agents « auto­pro­cla­més » de ser­vices de sécu­ri­té syriens : Husam Taher Husam et Muham­mad Zuhair Sidi­qq. Le pre­mier témoin com­men­ça, notam­ment, par expli­quer qu’il avait assis­té à des réunions de pla­ni­fi­ca­tion de l’assassinat dans l’enceinte même du palais pré­si­den­tiel à Damas. Le second affir­ma avoir orga­ni­sé des réunions secrètes entre offi­ciers des armées syrienne et liba­naise. Il expli­qua éga­le­ment avoir visi­té un camp mili­taire en Syrie où la Mit­su­bi­shi uti­li­sée pour l’attentat était trans­for­mée en engin de la mort.

Ce témoi­gnage de Muham­mad Zuhair Zuhair Sidi­qq fut jugé suf­fi­sam­ment sérieux pour mener à l’arrestation de quatre géné­raux liba­nais. Mais une enquête de l’hebdomadaire alle­mand Der Spie­gel révé­la que Sid­diq était un homme de paille rému­né­ré par Rifaat Al-Assad, l’oncle en dis­grâce et en exil de l’actuel pré­sident syrien Bachar al Assad. Quant à Taher Husam, on le vit sou­dai­ne­ment appa­raitre à la télé­vi­sion syrienne, où il décla­ra avoir été tor­tu­ré et dro­gué par les lea­deurs « du 14 mars », afin de répandre de faux témoi­gnages. Un autre témoin mou­rut dans un acci­dent de voi­ture, un autre encore jura avoir reçu une offre de 10 mil­lions de dol­lars pour dif­fu­ser des mensonges.

Avant de pas­ser la main au Belge Serge Bram­mertz, Det­lev Meh­lis s’est plaint des fuites constantes, bri­sant le secret de l’enquête et l’anonymat des témoins. En consé­quence, Bram­mertz a opté pour une métho­do­lo­gie beau­coup plus dis­crète, com­mu­ni­quant très peu avec les médias. Mais au fil du temps, aucun élé­ment juri­di­que­ment per­ti­nent n’a été publié et les quatre géné­raux liba­nais ont dû être libé­rés. Gary Gam­bill explique que l’absence de résul­tats tan­gibles publiés par les enquê­teurs a fini par décou­ra­ger ceux qui avaient inté­rêt, dans la classe poli­tique liba­naise, à ce que le TSL abou­tisse… Par­tant du constat qu’il serait sans doute impos­sible de « dégom­mer » la Syrie, de nou­veaux retour­ne­ments de situa­tion ont dès lors eu lieu au Liban, Walid Joum­blatt et Saad Hari­ri se sont même dépla­cés pour une visite de cour­toi­sie à Damas. Et Walid Joum­blatt a quit­té l’Alliance du 14 mars.

Pour ajou­ter à la confu­sion, le Hez­bol­lah a com­men­cé à pro­duire ses propres témoins à charge sur l’assassinat de Rafic Hari­ri. Un « espion à la solde d’Israël », Ghas­san El-Jedd, aurait été aper­çu sur les lieux du crime le 14 février 2005. Les témoi­gnages avan­cés par le Hez­bol­lah n’ont pas plus de valeur juri­dique que les pré­cé­dents, mais font mouche auprès d’une opi­nion publique liba­naise pas­sa­ble­ment échau­dée par les bom­bar­de­ments de Tsa­hal en 2006. L’«argument mas­sue » du Hez­bol­lah est que le gou­ver­ne­ment de Saad Hari­ri aurait sciem­ment lais­sé filer le sup­po­sé espion. Le « redou­table agent double » est en réa­li­té un offi­cier à la retraite de l’armée liba­naise qui, sen­tant l’étau se res­ser­rer, a pris la fuite aux États-Unis…

Et le tableau n’aurait pas été com­plet si Wiki­leaks5 n’était pas venu appor­ter du grain à moudre aux polé­miques internes liba­naises. Dans un câble diplo­ma­tique amé­ri­cain datant de mars 2008, dif­fu­sé par le réseau de Julian Assange fin 2010, la syn­thèse d’une entre­vue entre Elias Murr, le ministre de la Défense liba­nais, et l’ambassadrice amé­ri­caine Michelle Sison, révèle que le ministre (aux rela­tions ten­dues avec la Syrie et le Hez­bol­lah) sug­gère indi­rec­te­ment à Israël de ne pas s’attaquer aux zones chré­tiennes, et s’engage, en retour, à gar­der l’armée liba­naise hors du conflit. « L’objectif stra­té­gique des Forces armées liba­naises est de sur­vivre com­plè­te­ment intactes à une guerre de trois semaines, afin de prendre la relève une fois la milice du Hez­bol­lah détruite », aurait confié Elias Murr à son inter­lo­cu­trice américaine.

Des manœuvres et des pres­sions poli­tiques liées entre autres à ces affaires et à la crainte de voir enfin publier l’acte d’accusation du TSL, ont entrai­né la chute du gou­ver­ne­ment de Saad Hari­ri, début 2011, et favo­ri­sé la nomi­na­tion de Najib Mika­ti, cata­lo­gué pro­sy­rien, comme pre­mier ministre. Ce doc­teur de l’université Har­vard, cultive une image de prag­ma­tique modé­ré, de ges­tion­naire bon teint, ouvert aux réformes éco­no­miques libé­rales. Un pro­fi­lage en somme assez simi­laire à l’un de ses meilleurs amis, Bachar el-Assad, le pré­sident de la Répu­blique arabe syrienne et baathiste.

Le soulèvement populaire comme seule issue incertaine ?

Gary Gam­bill a diag­nos­ti­qué une fatigue des appa­reils poli­tiques liba­nais. Au Liban, le « chan­ge­ment » se mord la queue… Le seul indice sérieux d’une véri­table révo­lu­tion poli­tique au pays du cèdre — ou d’un bas­cu­le­ment vers plus de chaos et de vio­lence — vien­drait de la pos­si­bi­li­té d’une révo­lu­tion poli­tique et popu­laire en Syrie (au moment de bou­cler cet article, des mani­fes­ta­tions répri­mées dans le sang ont eu lieu à Deraa dans le sud de la Syrie et les pro­tes­ta­tions se sont répan­dues à Lat­ta­quié, sur le lit­to­ral médi­ter­ra­néen). Ce constat peut paraitre étrange, tant le Liban offre les appa­rences d’un pays plus plu­ra­liste et plus démo­cra­tique que la Syrie. Il s’agit de se deman­der si les révoltes pure­ment popu­laires, telles que décrites par Mejed Ham­zaoui dans ce dos­sier de La Revue nou­velle, seraient la seule planche de salut face à des sys­tèmes poli­tiques et sécu­ri­taires com­plè­te­ment rom­pus à l’art de la mani­pu­la­tion, de la cor­rup­tion et du retour­ne­ment de situa­tion ? À suivre les ana­lyses de Bau­douin Dupret, les remous popu­laires sont d’abord une indi­ca­tion don­née aux pou­voirs en place afin qu’ils se réforment. Ces pou­voirs obtem­pèrent sou­vent dans une cer­taine mesure, mais sans fon­da­men­ta­le­ment chan­ger les sys­tèmes en vigueur. La chro­no­lo­gie des évè­ne­ments qui ont sui­vi la « révo­lu­tion du cèdre » montre à tout le moins que plu­sieurs retours à la case départ peuvent se pro­duire avant que les chan­ge­ments soient durables. Ces chan­ge­ments se réa­li­se­ront-ils au fil d’une ligne du temps plus éten­due ? Au Liban, la messe est loin d’être dite. Le pays du cèdre n’est pas encore sor­ti de l’ornière.

Le 29 mars 2011

  1. Nadim She­ha­di, « Saddam’s down­fall paved way for demo­cra­tic revo­lu­tion », http://syriaintransition.com, 27 février 2011.
  2. Agnès Leval­lois, « Les rela­tions éco­no­miques entre la Syrie et le Liban, héri­tage et pers­pec­tives », dans La Syrie au pré­sent, Actes Sud, 2007.
  3. Fayez Qaz­zi, « Min Has­san Nas­ral­lah ila Michel ‘Aoun, qira’ siyâ­siya li Hez­bol­lah » (De Has­san Nas­ral­lah à Michel Aoun, une lec­ture poli­tique du Hez­bol­lah), Riad El-Rayyes Books, Bey­routh, jan­vier 2009 (en arabe).
  4. Gary Gam­bill, « The Hari­ri Inves­ti­ga­tion and the Poli­tics of Per­cep­tion », Mideast Moni­tor, www.globalpolitician.com (2009).
  5. « Wiki­leaks sème la ziza­nie au Liban », par Del­phine Minoui, blog.lefigaro.fr, le 3 décembre 2010.

Pierre Coopman


Auteur

Pierre Coopman a étudié le journalisme à l'ULB et la langue arabe à la KUL, au Liban et au Maroc. Pour La Revue nouvelle, depuis 2003, il a écrit des articles concernant le monde arabe, la Syrie et le Liban . Depuis 1997, il est le rédacteur en chef de la revue Défis Sud publiée par l'ONG belge SOS Faim. À ce titre, il a également publié des articles dans La Revue nouvelle sur la coopération au développement et l'agriculture en Afrique et en Amérique latine.