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Les vraies rénovations sont-elles à venir ?

Numéro 01/2 Janvier-Février 2005 par La Revue nouvelle

janvier 2005

Deux choses sont venues entraver le débat sur les problèmes structurels liés à l’augmentation des dépenses du cabinet Arena : la focalisation sensationnaliste de certains médias sur une… douche et, en retour, la réduction du débat à la mise en cause de ce type de traitement journalistique. Un mot d’abord sur le travail de la presse : en démocratie, […]

Deux choses sont venues entraver le débat sur les problèmes structurels liés à l’augmentation des dépenses du cabinet Arena : la focalisation sensationnaliste de certains médias sur une… douche et, en retour, la réduction du débat à la mise en cause de ce type de traitement journalistique. Un mot d’abord sur le travail de la presse : en démocratie, dénoncer des couts publics injustifiés fait partie de son rôle. On sera gré aux médias de ne pas l’avoir laissé aux bons soins des poujadistes. Encore fallait-il éviter de flirter avec leur style : on a eu droit, dans le registre populo-sexiste, jusqu’à la photo de « la douche qui aurait pu être achetée avec la somme dépensée ». C’est surtout la surface rédactionnelle qu’on a consacrée à « l’affaire » qui pose problème : elle aurait pu faire plus de place à des enjeux sur lesquels le coin du rideau de cette douche a à peine été levé. Mais soyons de bon compte : c’est bien la « simplification » mensongère proférée par la ministre-présidente, mais aussi un certain mépris affiché pour les médias depuis le début de son mandat, qui ont fait rebondir cette histoire, comme un savon humide sur de la faïence « tendance ». Plus en amont, rappelons que le politique est à l’origine de la mise à l’agenda de cette problématique : c’est l’augmentation du nombre de ministres sous la précédente coalition (P.S.-M.R.-Écolo) qui a entrainé l’opposition d’alors (C.D.H.) à exiger la réduction des frais de cabinets…

Sur le fond, et quoi qu’en disent ceux qui dénoncent « la polémique dérisoire qui boostera l’extrême-droite », claquer de l’argent public dans des rénovations pour la plupart non nécessaires, puis se dépatouiller en mentant, constituent des fautes politiques. Même si ce n’est effectivement… pas illégal, comme s’est empressé de le souligner un P.S. travaillé par de vieux souvenirs. La faute est, de plus, d’ordre symbolique. Comment croire qu’inaugurer un mandat par une hausse injustifiée des dépenses de cabinet ne resterait pas en travers de la gorge de telle haute école qui n’a pas assez de locaux pour ses élèves, ou de tel établissement secondaire dont le toit fuit ? Marie Arena ne s’est pas doutée que des secteurs dé-financés depuis quinze ans apprécieraient modérément. L’erreur de jugement est au moins aussi inquiétante que la faute commise : le doute sur l’omni-compétence que « l’Empereur du boulevard » a prêté à sa protégée s’est définitivement installé.

Trois débats sont à présent à instruire plus en profondeur : la place des cabinets ministériels ; la fragilité de la ministre-présidente et de l’institution qu’elle dirige ; et, enfin, les dérapages répétés d’un parti ultra-dominant.
Une confirmation d’abord : les dépenses des cabinets en Communauté française ont bien augmenté de 4,5 %, avec pourtant un ministre en moins que sous la législature précédente et alors même que les trois partis de « l’arc-en-ciel » avaient déjà battu un record. La mauvaise affectation d’une partie de ces sommes a été soulignée par l’absurde lorsque le P.S. et le C.D.H. sont accourus en catastrophe annoncer qu’elles se verront amputées de 10 % dès le prochain exercice budgétaire. Mais pourquoi nos cabinets sont-ils donc si joufflus ? La réponse ne réside pas seulement dans une architecture institutionnelle plus baroque en Wallonie et à Bruxelles, où se multiplient les gouvernements fédérés. Elle se trouve aussi dans une certaine défiance du politique vis-à-vis de l’administration, défiance dont les partis connaissent les causes mieux que quiconque. La politisation de l’administration jette en effet un doute sur sa loyauté : le fonctionnaire qui aura à appliquer telle décision a‑t-il la bonne carte ? Dans le cas du P.S., le paradoxe est pourtant que cette politisation lui a essentiellement profité : l’administration P.S. est en fait court-circuitée par des cabinets P.S. Il faut donc croire qu’un fonctionnaire encarté peut toujours se montrer plus indépendant que des collaborateurs ministériels engagés à durée déterminée, mais peut être surtout que les nominations politiques dans l’administration étaient avant tout le fait des vieilles baronnies socialistes auxquelles s’oppose aujourd’hui une frange « rénovatrice » du P.S. qui a donc d’autant plus besoin de se créer son administration parallèle. Il faut dire, enfin, que le clientélisme a peuplé la fonction publique de personnes qui ne s’y trouvent pas au premier chef en raison de leurs compétences…

Les politiques préfèrent donc continuer à déforcer une administration traditionnellement faible chez nous en lui pompant une partie de son personnel compétent pour remplir le cadre de cabinets pléthoriques. Avec une série d’effets pervers : la concentration des pouvoirs dans les mains des ministres, le contournement de procédures légalement prévues… mais aussi des entraves à l’action politique. Le cabinet Arena a ainsi été (im)mobilisé pendant plusieurs semaines sur une seule école : l’athénée Jacquemotte d’Ixelles, dont la ministre est le pouvoir organisateur direct. Au lieu d’être confié à une structure indépendante comme en Flandre, le réseau de la Communauté continue en effet à être directement piloté par le ou la ministre qui y joue même parfois les préfèt(e)s quand il y a le feu au lac et, plus structurellement, qui y nomme notamment le personnel (alors que théoriquement il suffit d’y appliquer les règles de promotion les plus strictes)…

La première des leçons à tirer de ce débat sur les dépenses du cabinet de la ministre de l’Enseignement est que cette dernière ne peut être ministre de tous, tout en étant pouvoir organisateur d’un réseau en particulier. À quand des responsables de l’éducation qui ne soient plus juges et parties ? Quand on place en tête d’un « contrat stratégique pour l’école » le souci de la « bonne gouvernance », c’est le genre de problèmes structurels qu’on se doit de régler. En n’en prenant pas conscience au moins en commençant à diminuer le poids de ses collaborateurs directs dans le système, Marie Arena s’est tirée une balle dans le pied. Ou plutôt un missile : son « contrat stratégique », la grande affaire de la législature, est désormais passé largement au second plan. Quoi qu’on pense de l’intérêt de cette démarche « contractuelle », elle exige un bon rapport de force avec les acteurs de la communauté éducative et particulièrement avec ceux qui y sont dominants, comme les réseaux ou les syndicats. La fragilité politique de la ministre-présidente lui permet-elle encore d’aborder ces négociations dans de bonnes conditions ?

Au-delà, n’est-ce pas toute la Communauté française que ces fautes politiques ont contribué à fragiliser ? Sur le terrain, le refinancement n’a pas encore donné de résultats tangibles. L’affaire Arena ne fera que confirmer aux yeux des travailleurs des secteurs éducatifs et culturels que si ce refinancement a sauvé l’institution, il n’a pas sauvé ses politiques… Cet approfondissement du manque de légitimité de la Communauté vis-à-vis de ses propres troupes se double d’une aggravation de son contrôle par d’autres instances. Déjà sous haute surveillance du ministre du Budget wallon (et incidemment de la Communauté), Michel Daerden, l’institution francophone s’est vu dicter par le même Michel Daerden et les présidents de partis à quelle hauteur la ministre-présidente pourra engager des dépenses de cabinet, pendant que le Parlement attendait un réel débat sur toutes ces questions… La Communauté n’avait pas besoin de ça : en moins de deux mois, ce sont ses deux têtes institutionnelles qui se seront vues mises en cause dans des dérapages déontologiques. La présidente du Parlement, Isabelle Simonis, n’avait pas pu éviter la démission. Est-ce un hasard si elle est également mandataire de ce P.S. « rénové » ?

À quoi peut bien servir d’avoir du pouvoir, si ce n’est pour en abuser ?, se demandait André Cools. La question doit hanter la nouvelle génération du parti. Même formellement déprise d’un tel cynisme, la simple position de dominant crée des chaussetrappes que le surinvestissement dans l’image et les jalousies internes rendent béants. Comment Elio Di Rupo ne les a‑t-il pas vus ? Imposer de nouvelles têtes par le haut dans le but annoncé de provoquer la rupture comporte deux risques : celui de trébucher sur un manque d’expérience dans la gestion de vieux atavismes structurels, et celui de d’autant plus décevoir des attentes qu’on les met spectaculairement en scène. Manifestement un changement générationnel ne suffira pas, et la com’ « nœud pap’ et paillettes » pourrait même encore se retourner contre son promoteur. C’est bien la cohérence même entre les promesses formelles du discours de la rénovation et ses réalisations concrètes qui est en cause. La rénovation du P.S. serait-elle structurellement plus ardue et encore plus politiquement couteuse qu’un lifting pensé par un archi-scénographe ? Finalement, si rénovation il doit y avoir, c’est bien celle d’un certain fonctionnement politique qui ne peut être concentré dans les mains d’un cabinet, d’un parti et de son président tout puissants.

La Revue nouvelle


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