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Les propositions de réformes

Numéro 1 Janvier 2010 par Roger Depré

janvier 2010

Depuis plu­sieurs années, le monde judi­ciaire belge est sou­mis à de nom­breuses pro­po­si­tions de réformes qui ont toutes pour objec­tif de trans­for­mer la jus­tice en une orga­ni­sa­tion moderne et effi­ciente. Au-delà de celles-ci, l’on constate que la recon­fi­gu­ra­tion du pay­sage judi­ciaire devrait être per­çue comme un pro­jet glo­bal, dont les dif­fé­rentes par­ties consti­tuent un équi­libre auquel il est très déli­cat de tou­cher sous peine d’é­bran­ler l’en­semble. Des options doivent être prises en fonc­tion des objec­tifs glo­baux qu’il faut fixer et de l’or­ga­ni­sa­tion judi­ciaire qu’on sou­haite créer. D’autres aspects, comme une pos­sible résis­tance, le cout de la réforme, les consé­quences sur le ter­rain, les gains finaux et la vision de la Jus­tice des décen­nies à venir doivent aus­si être pris en considération.

La carte judi­ciaire belge est carac­té­ri­sée par un grand nombre d’organisations judi­ciaires (trois-cents pour le siège et trente pour le minis­tère public), cha­cune avec une capa­ci­té de per­son­nel rela­ti­ve­ment limi­tée, répar­tie d’une manière inégale. Cela signi­fie qu’une répar­ti­tion ter­ri­to­riale plus équi­li­brée, liée à une répar­ti­tion de moyens adap­tée, est un défi pour la jus­tice de demain.

Les propositions de réformes historiques

Au cours du temps, dif­fé­rentes pro­po­si­tions de réformes de la carte judi­ciaire ont fait sur­face. En géné­ral, on pré­sume qu’une plus grande échelle ter­ri­to­riale abou­ti­rait à l’amélioration de la qua­li­té et de la spé­cia­li­sa­tion, à des couts moins éle­vés et à une orga­ni­sa­tion moins vul­né­rable. Recon­si­dé­rer l’échelle est donc per­çu comme un moyen pour atteindre ces objectifs.

Les quatre pro­po­si­tions prin­ci­pales foca­li­sées sur ce thème sont celles du com­mis­saire royal Charles van Ree­pin­ghen (1958), celle du Centre de recherche inter­uni­ver­si­taire de droit judi­ciaire (1998), la réforme Octo­pus (1998) et le plan Thé­mis (2005).

En 1958, Charles Van Ree­pin­ghen1 avait été dési­gné com­mis­saire royal à la réforme judi­ciaire. À cette époque, la répar­ti­tion géo­gra­phique des cours et tri­bu­naux n’avait presque pas chan­gé, tan­dis que la concen­tra­tion de la popu­la­tion, des voies rou­tières et des infra­struc­tures com­mer­ciales avaient for­te­ment évo­lué. Van Ree­pin­ghen vou­lait limi­ter cette dis­per­sion en reliant le tri­bu­nal social et le tri­bu­nal de com­merce au tri­bu­nal de pre­mière ins­tance au sein d’un tri­bu­nal d’arrondissement, mais en tenant compte de l’autonomie de cha­cun. Les dif­fé­rents tri­bu­naux devien­draient une sec­tion d’un seul tri­bu­nal avec comme chef de corps le pré­sident du tri­bu­nal de pre­mière ins­tance. Cela aurait abou­ti à une sim­pli­fi­ca­tion admi­nis­tra­tive, à une réduc­tion des couts et à une har­mo­ni­sa­tion de la répar­ti­tion des dos­siers. Van Ree­pin­ghen était convain­cu que le nombre de tri­bu­naux de pre­mière ins­tance devait être réduit, mais il était conscient de la résis­tance face à une telle pers­pec­tive. Pour ne pas com­pro­mettre les objec­tifs du plan glo­bal, sa pro­po­si­tion se limi­tait aux can­tons dont la taille dif­fé­rait for­te­ment (entre 100.000 et 5.000 habi­tants). Fina­le­ment, le plan de Van Ree­pin­ghen n’a pas été accep­té, ni par le Sénat ni par la Chambre. Le poids du tri­bu­nal de pre­mière ins­tance était jugé trop impor­tant et les par­te­naires sociaux esti­maient l’autonomie du tri­bu­nal social trop réduite. Au total, le pro­jet a été réduit à un com­pro­mis, résul­tat de longs débats. Le prin­cipe de l’unité du pou­voir judi­ciaire et d’une ratio­na­li­sa­tion plus grande par la créa­tion d’un tri­bu­nal unique au niveau de l’arrondissement n’a pas été concrétisé.

L’affaire Dutroux et la Marche blanche en octobre 1996 ont été l’occasion d’une nou­velle vague de réformes. Le Centre inter­uni­ver­si­taire de droit judi­ciaire (CIDJ) rece­vait du ministre de la Jus­tice (à l’époque Ste­faan De Clerck) la tâche de pro­po­ser un modèle d’organisation pour les cours et les tri­bu­naux. Le CIDJ2 pro­po­sait la créa­tion d’une enti­té au niveau de l’arrondissement et une inté­gra­tion des jus­tices de paix et des tri­bu­naux de police, avec le main­tien de la répar­ti­tion ter­ri­to­riale. Le tri­bu­nal au niveau de l’arrondissement serait com­po­sé de qua­torze sec­tions, cha­cune sous la direc­tion de son pré­sident. Les magis­trats seraient nom­més au tri­bu­nal de l’arrondissement, ce qui aurait signi­fié une amé­lio­ra­tion de leur mobi­li­té. Le CIDJ pro­po­sait aus­si de recon­fi­gu­rer les arron­dis­se­ments exis­tants, afin d’obtenir une échelle opti­male. Fina­le­ment, ce que cette pro­po­si­tion a créé concrè­te­ment reste, jusqu’à pré­sent, très vague…

La réforme Octo­pus, pour sa part, conte­nait des pro­po­si­tions de réformes pour le minis­tère public, le siège et pour quelques pro­blèmes actuels. Quatre prin­cipes géné­raux étaient for­mu­lés : la restruc­tu­ra­tion sur le plan ver­ti­cal du minis­tère public, l’intégration hori­zon­tale des tri­bu­naux de pre­mière ins­tance, la mobi­li­té hori­zon­tale des magis­trats, gref­fiers et per­son­nel du par­quet et un audit de la justice.

En ce qui concerne l’intégration hori­zon­tale, diverses réac­tions cri­tiques ont été for­mu­lées (Fred Erd­man et George de Leval)3 : la sim­pli­fi­ca­tion espé­rée serait un mythe et l’intégration serait néfaste pour la proxi­mi­té. L’idée de la créa­tion d’un tri­bu­nal inté­gré avait jusqu’alors comme but d’éliminer les conflits de com­pé­tences entre tri­bu­naux. Au moment de la réforme Octo­pus, ce n’était plus consi­dé­ré comme un pro­blème, puisque les com­pé­tences des divers tri­bu­naux étaient bien déli­mi­tées4. Par contre, la recon­si­dé­ra­tion des arron­dis­se­ments était assez sou­te­nue dans le monde judi­ciaire et consi­dé­rée comme une prio­ri­té par rap­port à la créa­tion d’un tri­bu­nal inté­gré. En ce sens, la recon­si­dé­ra­tion des arron­dis­se­ments abou­ti­rait à un par­tage de la charge de tra­vail plus équi­li­bré5.

Un des grands pro­blèmes de la réforme Octo­pus est qu’elle a été créée sans la par­ti­ci­pa­tion des magis­trats. De plus, il n’a jamais été cla­ri­fié d’où vien­draient les moyens finan­ciers, la capa­ci­té mana­gé­riale et les ins­tru­ments de ges­tion pour concré­ti­ser ce plan. Jusqu’à pré­sent, cer­tains aspects du plan n’ont jamais été éla­bo­rés concrè­te­ment. Par contre, la créa­tion du Conseil supé­rieur de la Jus­tice, res­pon­sable de la sélec­tion et de la nomi­na­tion des magis­trats, a consti­tué un ins­tru­ment contre l’éventuelle poli­ti­sa­tion de leurs nomi­na­tions. C’est aus­si dans ce cadre qu’un sys­tème de man­dats a été instauré.

Le plan Thé­mis, une pro­po­si­tion de la ministre de la Jus­tice Lau­rette Onke­linx, a été approu­vé par le gou­ver­ne­ment en aout 2005. Ce plan avait pour but de réfor­mer le fonc­tion­ne­ment du pou­voir judi­ciaire en se foca­li­sant sur la décen­tra­li­sa­tion de la ges­tion des moyens. La res­pon­sa­bi­li­té de ges­tion ne serait pas trans­mise aux chefs de corps, puisque la taille des enti­tés était trop petite, mais à un niveau par­ta­gé : celui des arron­dis­se­ments et des cours d’appel.

En bref, les objec­tifs du plan étaient les sui­vants. Pre­miè­re­ment, la créa­tion d’une struc­ture inté­grée du minis­tère public et du siège au niveau du res­sort, sous la direc­tion du pro­cu­reur-géné­ral et du pre­mier pré­sident (modèle de la dyarchie).

Deuxiè­me­ment, l’établissement d’un bureau de ges­tion, sous la direc­tion d’un direc­teur (qui n’est pas un magis­trat), assis­té par deux mana­gers (ges­tion du per­son­nel et bud­get) et une équipe admi­nis­tra­tive. Le direc­teur aurait un siège dans le comi­té de direc­tion du res­sort et dans le comi­té de direc­tion de l’arrondissement. Le comi­té de direc­tion du res­sort pren­drait les déci­sions stra­té­giques et opé­ra­tion­nelles de ges­tion et de poli­tique judiciaire.

Troi­siè­me­ment, au niveau de l’arrondissement il y aurait un « col­lège d’arrondissement » où siè­ge­raient un des chefs de corps du siège et du col­lège des repré­sen­tants des tri­bu­naux de police et de paix, et le chef des gref­fiers et des par­quets. Ce col­lège pren­drait les déci­sions stra­té­giques et opé­ra­tion­nelles. Le col­lège dési­gne­rait un comi­té de direc­tion qui serait com­po­sé d’un membre du siège, d’un membre du minis­tère public et d’un mana­ger (le direc­teur du bureau de ges­tion du ressort).

Le plan Thé­mis a été reje­té par­tiel­le­ment. Le sys­tème dual « siège-minis­tère public » a été repous­sé et l’idée de don­ner la place de direc­teur du bureau de ges­tion a quelqu’un qui n’était pas magis­trat a été refu­sée. Par contre, divers experts étaient d’opinion que la non-res­pon­sa­bi­li­sa­tion directe du chef de corps et l’attribution de la ges­tion au niveau inter­mé­diaire étaient sources de pro­blèmes6. Fina­le­ment, le 10 mars 2006, le plan Thé­mis a été modi­fié : le niveau inter­mé­diaire res­tait intact, mais le sys­tème dual était aban­don­né et rem­pla­cé par un modèle de ges­tion sépa­ré pour le siège et le minis­tère public. Le direc­teur du bureau de ges­tion devait être un magis­trat. Fina­le­ment, le plan n’a jamais été installé.

Ces quatre pro­po­si­tions de réformes his­to­riques mènent à quelques conclu­sions. D’abord, pour l’élargissement de l’échelle on a sou­vent opté pour le tri­bu­nal au niveau de l’arrondissement, avec l’intégration des tri­bu­naux de pre­mière ins­tance, les tri­bu­naux de com­merce et du tra­vail (Van Ree­pin­ghen), et par­fois avec les jus­tices de paix et tri­bu­naux de police (CIDJ). L’intégration de ces tri­bu­naux était sou­vent liée au main­tien de la spé­cia­li­sa­tion et de l’autonomie. En géné­ral, l’idée d’une telle inté­gra­tion a sou­vent créé une résis­tance dans le chef des jus­tices de paix et des tri­bu­naux du tra­vail. Par ailleurs, les magis­trats n’acceptent pas qu’un non-magis­trat soit à la tête du comi­té de direction.

Deuxiè­me­ment, les pro­po­si­tions de réformes ont rare­ment été basées sur des résul­tats de recherches ou sur des don­nées claires et objectives.

Troi­siè­me­ment, entre la for­mu­la­tion de la pro­po­si­tion et l’installation, de grandes périodes de temps se sont sou­vent écou­lées. Le résul­tat est que l’installation n’a jamais pu être abor­dée au fond et qu’on recom­mence à chaque fois avec un nou­veau pro­jet. En bref, il n’y a pas assez de continuité.

Fina­le­ment, la consul­ta­tion du ter­rain a sou­vent été insuf­fi­sante. Par contre, dans la situa­tion actuelle, aus­si bien le siège que le minis­tère public ont for­mu­lé une pro­po­si­tion de réforme. Le gou­ver­ne­ment, en tenant compte de ces pro­po­si­tions, a aus­si for­mu­lé son propre plan. Ceux-ci sont ana­ly­sés ci-dessous.

Les propositions de réformes actuelles

Le plan du minis­tère public (2007)7 a pour objec­tif de créer une orga­ni­sa­tion judi­ciaire moderne qui fonc­tionne mieux, avec un mini­mum d’arriéré et avec une amé­lio­ra­tion des tâches spé­cia­li­sées. Le minis­tère public est d’avis que cer­taines spé­cia­li­sa­tions ou cer­tains par­quets et audi­to­rats devraient être pla­cés à un niveau supé­rieur. En plus, plu­sieurs par­quets et audi­to­rats sont esti­més trop petits pour garan­tir la conti­nui­té du ser­vice public.

Le plan du minis­tère public contient plu­sieurs orien­ta­tions. D’abord, le niveau de l’arrondissement reste per­çu comme enti­té opé­ra­tion­nelle, bien que l’échelle opti­male doive encore être atteinte. Le minis­tère public sug­gère aus­si l’instauration d’un niveau hori­zon­tal avec un par­quet prin­ci­pal. Les par­quets et les audi­to­rats tra­vaille­raient ensemble dans une struc­ture com­mune à un niveau supé­rieur cen­tra­li­sant les spé­cia­li­sa­tions et le mana­ge­ment. Le plan ne pré­cise pas le niveau précis.

Fina­le­ment, le minis­tère public plaide pour le main­tien du niveau des par­quets géné­raux et du col­lège des pro­cu­reurs géné­raux. Au niveau du col­lège, un ser­vice de sou­tien serait ins­tal­lé repre­nant une grande par­tie des tâches de ges­tion et de mana­ge­ment du ser­vice public fédé­ral Jus­tice (l’SPF Jus­tice). L’objectif final serait l’autonomie budgétaire.

Ce modèle pré­sente des points forts et des fai­blesses. L’avantage prin­ci­pal est que la struc­ture aide­ra à l’amélioration des spé­cia­li­sa­tions, sti­mu­le­ra un emploi du per­son­nel plus souple et une ges­tion des moyens plus opti­male. En plus, la mobi­li­té du per­son­nel peut aug­men­ter en créant un niveau hori­zon­tal plus large. Par la cen­tra­li­sa­tion de spé­cia­li­sa­tions, la qua­li­té de la juri­dic­tion pour­rait être amé­lio­rée et la décen­tra­li­sa­tion des moyens abou­ti­ra a plus d’efficience.

Par contre, la fai­blesse prin­ci­pale est que le plan est insuf­fi­sam­ment fon­dé. L’analyse des pro­blèmes de base est trop limi­tée et les couts de la réforme ne sont pas ana­ly­sés. En plus, cer­taines ques­tions res­tent ouvertes, comme le niveau de la struc­ture hori­zon­tale, ou les com­pé­tences exactes qui doivent être décen­tra­li­sés. Les pro­blèmes prin­ci­paux de ce plan sont le manque de capa­ci­té mana­gé­riale pour réa­li­ser les objec­tifs, la divi­sion entre ges­tion et poli­tique judi­ciaire, et la nature floue du rap­port entre les pro­cu­reurs des dif­fé­rents niveaux.

La pro­po­si­tion du siège8 aborde inten­sé­ment la ques­tion de la ges­tion et, dans une cer­taine mesure l’amélioration du ser­vice public et la qua­li­té de la jus­tice. Sur le plan de la ges­tion, le fait que les tri­bu­naux doivent obte­nir plus de res­pon­sa­bi­li­tés mana­gé­riales fait consen­sus. À côté de cela, le siège pro­pose un regrou­pe­ment des tri­bu­naux de pre­mière ins­tance au niveau géo­gra­phique de la pro­vince. Cela crée­rait un tri­bu­nal pro­vin­cial de pre­mière ins­tance, un tri­bu­nal pro­vin­cial de com­merce et un tri­bu­nal pro­vin­cial du tra­vail. Dans cette struc­ture, on ne sup­prime pas les enti­tés locales, mais on les consi­dère comme enti­tés d’une struc­ture pro­vin­ciale. Le main­tien des enti­tés locales doit garan­tir la proxi­mi­té de la jus­tice pour le citoyen. La ques­tion de l’échelle opti­male est donc ici primordiale.

En ce qui concerne les organes de ges­tion, le siège pro­pose de créer, pour les tri­bu­naux de pre­mière ins­tance, au niveau de la pro­vince, un col­lège pla­cé sous la direc­tion d’un magis­trat mana­ger pro­vin­cial et com­po­sé des pré­si­dents des trois tri­bu­naux et du pré­sident des juges de paix et de police. Ce col­lège serait res­pon­sable de la répar­ti­tion des moyens et de la ges­tion. Une struc­ture paral­lèle sem­blable est pro­po­sée pour les cours d’appel. La répar­ti­tion de moyens en per­son­nel et la mobi­li­té de celui-ci devien­draient la res­pon­sa­bi­li­té du col­lège de ges­tion provincial.

Il convient éga­le­ment de men­tion­ner que, sur la carte judi­ciaire actuelle, le niveau pro­vin­cial n’existe pas. De plus, l’hétérogénéité interne de ce niveau est rela­ti­ve­ment importante.

Glo­ba­le­ment, le plan du siège a quelques lacunes. Il n’est pas basé sur une ana­lyse de don­nées objec­tives et il sous-estime l’importance de la capa­ci­té mana­gé­riale afin de prendre en charge d’une manière pro­fes­sion­nelle les tâches de ges­tion. En plus, le niveau de la pro­vince risque d’augmenter la com­plexi­té en créant une struc­ture inter­mé­diaire. Fina­le­ment, le plan ne consacre pas d’attention au rôle du SPF Jus­tice, ni aux rela­tions entre celui-ci et les dif­fé­rentes entités.

La note d’orientation du ministre de la Jus­tice9 décrit un pro­jet glo­bal de réforme qui prend en compte les dif­fé­rentes facettes de l’organisation judi­ciaire et qui tient compte des autres pro­po­si­tions. D’abord, le ministre sug­gère une réor­ga­ni­sa­tion du sys­tème judi­ciaire. En intro­dui­sant le col­lège du siège, com­pre­nant les pré­si­dents de tous les tri­bu­naux de pre­mière ins­tance et un conseil de direc­tion de dix magis­trats, on crée pour le siège un organe qui est ana­logue au col­lège des pro­cu­reurs géné­raux. Les tri­bu­naux seraient orga­ni­sés par arron­dis­se­ment judi­ciaire. Une inté­gra­tion du tri­bu­nal de pre­mière ins­tance, du tri­bu­nal de com­merce et du tra­vail, des tri­bu­naux de police et des jus­tices de paix est pro­po­sée. En plus, il serait pro­cé­dé à un agran­dis­se­ment de l’échelle géo­gra­phique en rédui­sant le nombre d’arrondissements de vingt-sept à seize, et en main­te­nant des antennes locales au sein des arron­dis­se­ments afin de garan­tir la proxi­mi­té. Ce tri­bu­nal est divi­sé en au moins sept sec­tions (par exemple la sec­tion « famille »). En ce qui concerne les sec­tions, il est impor­tant d’être atten­tif à en limi­ter le nombre afin d’éviter une frag­men­ta­tion orga­ni­sa­tion­nelle trop forte.

Le deuxième objec­tif impor­tant est l’augmentation de la capa­ci­té ges­tion­naire. En met­tant la res­pon­sa­bi­li­té de la ges­tion et de la poli­tique judi­ciaire entre les mêmes mains, le prin­cipe du mana­ge­ment inté­gral est intro­duit dans la jus­tice. Concrè­te­ment, cela signi­fie que le chef de corps reçoit la res­pon­sa­bi­li­té du fonc­tion­ne­ment sur le plan judi­ciaire et aus­si sur le plan de la ges­tion des moyens.

Les moyens seront donc alloués par­tiel­le­ment au minis­tère public et par­tiel­le­ment au siège. Afin de réa­li­ser cela, cer­taines res­pon­sa­bi­li­tés du SPF Jus­tice seront trans­mises à un nou­vel organe (de type « agence »): le Ser­vice de ges­tion com­mun (SGC). Tel que pré­sen­té, ce ser­vice révèle un carac­tère hybride : c’est un lieu où le siège, le minis­tère public et le ministre sont pré­sents, c’est un ser­vice « faci­li­ta­teur » avec des res­pon­sa­bi­li­tés impor­tantes sur le plan du bud­get, du per­son­nel, de l’organisation, des bâti­ments, de l’informatique, de l’audit et du contrôle, c’est un ser­vice cen­tral opé­ra­tion­nel et c’est un ser­vice de sup­port horizontal.

L’introduction du SGC, le déve­lop­pe­ment du mana­ge­ment inté­gral et la pré­sence d’un direc­teur de ges­tion créent plus d’autonomie de ges­tion, mais rendent le sys­tème glo­bal de ges­tion plu­tôt com­plexe. Après la négo­cia­tion bud­gé­taire au niveau du gou­ver­ne­ment, trois « enve­loppes » devront être créées : une pour le siège, une pour le minis­tère public et une pour le SGC. Puis, un accord doit être obte­nu sur les enve­loppes des­ti­nées à chaque enti­té (qua­rante-cinq au total). Il est impor­tant de noter que l’introduction de mana­ge­ment inté­gral et du sys­tème des enve­loppes rend néces­saire le déve­lop­pe­ment de la capa­ci­té mana­gé­riale et de tech­niques ges­tion­naires. En plus, le rôle du ministre dans le SCG et le lien entre le SCG et le SPF Jus­tice ne sont pas clairs jusqu’à présent.

Un troi­sième point impor­tant dans le plan concerne les modi­fi­ca­tions dans la ges­tion du per­son­nel. Le cadre de magis­trats, de juristes et de per­son­nel du siège et du minis­tère public sera fixé pour une période déter­mi­née. À côté du greffe, un ser­vice de ges­tion sera ins­tau­ré pour le sup­port admi­nis­tra­tif et logis­tique de chaque enti­té. La direc­tion de ce ser­vice est confiée au direc­teur de ges­tion, qui n’est pas un magis­trat. La note pro­pose d’aboutir à un sys­tème géné­ra­li­sé de défi­ni­tion de pro­fils de fonc­tions décrits par le chef de corps et qui for­me­ront le socle de la sélec­tion et de la dési­gna­tion des postes de tra­vail en interne. Cette dési­gna­tion sera assu­rée par le pré­sident sur la base de l’avis du comi­té de direc­tion. Ce dis­po­si­tif est cadré dans un sys­tème de man­dats d’une durée mini­male de trois ans, renou­ve­lable après éva­lua­tion. Ain­si, la sou­plesse est garan­tie dans le sys­tème et la « res­pon­sa­bi­li­sa­tion » prend une place impor­tante. Le rôle du pré­sident devrait être enca­dré dans un sys­tème de méca­nismes de contrôle et de jus­ti­fi­ca­tion. De plus, il convien­dra encore d’opter entre un modèle de res­pon­sa­bi­li­té et de prise de déci­sion soit col­lé­gial soit un modèle avec res­pon­sable unique en ce qui concerne le fonc­tion­ne­ment du comi­té de direction.

Une qua­trième consta­ta­tion ren­voie à la volon­té d’améliorer la trans­pa­rence et la com­mu­ni­ca­tion à l’aide de l’installation d’un sys­tème de gui­chet unique. Ce gui­chet devrait, d’une part, per­mettre de trai­ter les conflits de com­pé­tences, et, d’autre part, d’être un point cen­tral où le citoyen peut poser des ques­tions, dépo­ser des plaintes ou deman­der de l’information. Il convient d’être vigi­lant à ce que ce gui­chet ne ralen­tisse pas le système.

En cin­quième lieu, il est impor­tant de consta­ter que la qua­li­té du trai­te­ment des dos­siers n’est pas abor­dée dans le pro­jet. Pour­tant il serait inté­res­sant de déve­lop­per des sys­tèmes de qua­li­té ou d’optimaliser ceux qui existent déjà. On devra aus­si réflé­chir à pro­pos de la cohé­rence entre le siège, le par­quet et les ser­vices de police.

Conclusion

Tout d’abord, l’échelle géo­gra­phique opti­male n’existe pas, bien qu’elle soit per­çue par beau­coup comme la solu­tion idéale pour répondre aux lacunes de l’organisation actuelle. En fait, l’échelle idéale est celle qui cor­res­pon­dra aux choix concrets opé­rés et aux fac­teurs défi­nis comme prio­ri­taires. Cela veut dire que, pour réor­ga­ni­ser l’ordre judi­ciaire, dif­fé­rents scé­na­rios sont pos­sibles et qu’ils varie­ront en fonc­tion des objec­tifs à atteindre, de la situa­tion, de l’environnement et de la capa­ci­té gestionnaire.

Puisque cer­tains pro­blèmes locaux et des dys­fonc­tion­ne­ments mani­festes ne peuvent pas être réso­lus avec de grandes réformes, le pre­mier scé­na­rio pour­rait être de pré­voir des actions d’ampleur limi­tée. Pour la carte judi­ciaire, cela veut dire qu’il faut inter­ve­nir en prio­ri­té sur les tri­bu­naux de trop petite et de trop grande taille.

Une autre pos­si­bi­li­té consiste à créer un tri­bu­nal de pre­mière ligne inté­gré, com­po­sé du tri­bu­nal de pre­mière ins­tance, du tra­vail et du com­merce. Cette inté­gra­tion est asso­ciée à un agran­dis­se­ment d’échelle géo­gra­phique. Puisqu’on pré­sume qu’environ cent per­sonnes sont néces­saires pour déve­lop­per une spé­cia­li­sa­tion suf­fi­sante, un cer­tain nombre d’arrondissements seraient encore trop petits.

Par consé­quent, ce tri­bu­nal de pre­mière ligne inté­gré (voir cas pré­cé­dent), serait com­po­sé en plus des jus­tices de paix et des tri­bu­naux de police. Ici, l’avantage est que l’échelle est suf­fi­sam­ment grande pour jus­ti­fier le trans­fert des com­pé­tences de ges­tion aux tri­bu­naux. Le désa­van­tage est la résis­tance pos­sible face une telle intégration.

Le scé­na­rio « concern »: un ensemble de tri­bu­naux auto­nomes, cha­cun avec ses tâches et res­pon­sa­bi­li­tés propres, est diri­gé par une « direc­tion cen­trale ». Plu­sieurs formes sont alors pos­sibles : les tri­bu­naux au niveau de l’arrondissement conti­nuent à exis­ter, mais sont inté­grés dans un concern à un niveau supé­rieur. Cela implique une sépa­ra­tion entre le juri­dic­tion­nel et la ges­tion. La direc­tion du concern n’est pas pla­cée à un niveau supé­rieur, à part, mais située auprès des enti­tés locales. Les tri­bu­naux gardent une res­pon­sa­bi­li­té par­tielle sur le plan mana­gé­rial et ges­tion­naire. La direc­tion du concern éta­blit alors un contrat de ges­tion avec les enti­tés, dans lequel les résul­tats à atteindre et les moyens alloués sont définis.

La ten­dance de décen­tra­li­ser des com­pé­tences de ges­tion de l’administration cen­trale vers la magis­tra­ture devrait aug­men­ter sa res­pon­sa­bi­li­sa­tion, puisque les tri­bu­naux ne pour­ront plus affir­mer qu’ils n’ont « rien à dire » à pro­pos des moyens qui, à ce jour, sont encore cen­tra­li­sés au sein du SPF Justice.

Au-delà de ces diverses pro­po­si­tions de réformes, la remarque prin­ci­pale à for­mu­ler est que la recon­fi­gu­ra­tion du pay­sage judi­ciaire devrait être per­çue comme un pro­jet glo­bal à trai­ter de manière telle. Reti­rer un élé­ment de cette tota­li­té pour le rem­pla­cer par un autre reste un exer­cice à décon­seiller. Des options doivent être prises en fonc­tion des objec­tifs glo­baux qu’il faut fixer et de l’organisation judi­ciaire qu’on sou­haite créer. D’autres aspects, comme une pos­sible résis­tance, le cout de la réforme, les consé­quences sur le ter­rain, les gains finaux et la vision de la Jus­tice des décen­nies à venir doivent aus­si être pris en considération.

En ce moment la réforme de la carte judi­ciaire est au centre du débat poli­tique. Un groupe par­le­men­taire se penche sur les options à prendre et les objec­tifs et les carac­té­ris­tiques de la jus­tice à défi­nir. Le but du débat doit de toute façon être l’amélioration du sys­tème judi­ciaire, afin de ne pas réfor­mer le pou­voir judi­ciaire d’une telle manière que la struc­ture future devienne pire que la struc­ture actuelle.

  1. Vers­lag konink­lijk com­mis­sa­ris voor de gerech­te­lijke her­vor­min­guit­gave van Charles Van Ree­pin­ghen (1964).
  2. Inter­uni­ver­si­tair onder­zoeks­cen­trum voor gerech­te­lijk recht, (1998), Inrich­ting van de hoven, recht­ban­ken en hun leden, Onuit­ge­ge­ven, 15 p.
  3. Erd­man F., de Leval G., (2004), Jus­ti­tie­dia­lo­gen, Fede­rale Ove­rheid­sdienst Jus­ti­tie, 222 p.
  4. Par­le­men­taire han­de­ling, Bel­gische Senaat, Ver­ga­de­ring van don­der­dag 25 maart 1999.
  5. de Leval G., « La com­pé­tence », dans Tael­man P., Storme M., Dix ans d’application de la loi de 3 aout 1992, Centre inter­uni­ver­si­taire de droit judi­ciaire, La Charte, 2004.
  6. Ples­sers J., Depré R., Hon­de­ghem A., (2008), Het pro­fiel van de « admi­nis­tra­tieve mana­ger » in de context van ver­zelf­stan­di­ging bin­nen jus­ti­tie. Een stu­die in opdracht van : Fede­raal Weten­schaps­be­leid. Brus­sel, FOD Jus­ti­tie & Com­mis­sie voor de moder­ni­se­ring van de rech­ter­lijke orde, 244 p.
  7. Het open­baar minis­te­rie, (2007) Kracht­li­j­nen voor een stra­te­gisch plan voor de moder­ni­se­ring van het open­baar minis­te­rie, Col­lege van pro­cu­reurs-gene­raal, 33 p.
  8. Hoge raad voor de Jus­ti­tie en de vaste ver­te­gen­woor­di­ging van de korp­schefs, (2008), Pro­ject ter her­te­ke­ning van de gerech­te­lijke orga­ni­sa­tie. Tus­sen­ti­jd­srap­port : stand van zaken 4 sep­tem­ber 2008, 48 p.
  9. De Clerck St., en col­la­bo­ra­tion avec Dupré I., Oriën­ta­tie­no­ta. Het gerech­te­lijke land­schap. Naar een nieuwe archi­tec­tuur voor Justitie.

Roger Depré


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