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Les promesses de la médiation pénale

Numéro 3 Mars 2011 - prison par Christophe Mincke

mars 2011

La média­tion pénale est la pre­mière pro­cé­dure rele­vant de la jus­tice res­tau­ra­trice intro­duite dans le droit belge. Son avè­ne­ment et son déve­lop­pe­ment ont eu lieu sous l’é­gide de trois idéaux fon­da­teurs répon­dant à trois cri­tiques adres­sées à la jus­tice pénale clas­sique. Ces idéaux per­mettent d’ap­pro­cher les valeurs qui sous-tendent la jus­tice res­tau­ra­trice. Au cœur du pro­jet : une volon­té de pla­cer les jus­ti­ciables au centre du pro­ces­sus. Mais le mou­ve­ment n’est pas dépour­vu d’é­qui­voques, voire de contradictions.

La jus­tice res­tau­ra­trice est un mou­ve­ment qui s’est déve­lop­pé en Bel­gique dès la pre­mière moi­tié des années nonante. C’est en 1994 que, fai­sant suite à un pro­jet pilote, la pre­mière dis­po­si­tion légale influen­cée par ce mou­ve­ment de pen­sée fut adop­tée. La média­tion pénale intro­duite par l’article 216ter du Code d’instruction cri­mi­nelle créait la pos­si­bi­li­té de pro­po­ser à l’auteur d’une infrac­tion d’effectuer un tra­vail d’intérêt géné­ral, de suivre une for­ma­tion ou de se sou­mettre à une thé­ra­pie en échange de l’extinction de l’action publique, laquelle extinc­tion ren­dait défi­ni­ti­ve­ment impos­sibles des pour­suites pénales. Plus encore, une qua­trième pos­si­bi­li­té était pré­vue, rele­vant à pro­pre­ment par­ler de la média­tion : l’organisation d’une dis­cus­sion entre l’auteur et la vic­time, por­tant sur les faits infrac­tion­nels et sur les consé­quences à en tirer.

Cette média­tion pénale sen­su stric­to est un pro­ces­sus volon­taire per­met­tant aux par­ties à un conflit, aidées par un assis­tant de jus­tice, de s’entretenir au sujet des faits (expli­ca­tions, expres­sions des sen­ti­ments res­sen­tis, etc.) et de ten­ter de s’accorder sur des mesures répa­ra­trices au sens le plus large (indem­ni­sa­tion, ser­vices com­pen­sa­toires, expli­ca­tions sur les faits, excuses orales ou écrites, conven­tions sur des règles de vie, etc.)1. L’initiative revient au pro­cu­reur du Roi et concerne, de fac­to, des infrac­tions de faible gravité.

Ce pre­mier pas légis­la­tif fut sui­vi d’autres, consis­tant en le déve­lop­pe­ment de pro­cé­dures de média­tion dans divers domaines (média­tions sco­laire, fami­liale, locale, inter­cul­tu­relle, « en matière pénale », etc.). Judi­cia­ri­sées ou non, elles témoignent d’un engoue­ment pour ce type de pro­cé­dure… et pour le terme « média­tion ». L’on est en effet par­fois fort loin d’une réelle média­tion, ouverte et libre­ment consen­tie. Ain­si en va-t-il de la média­tion pré­vue en matière de sanc­tions admi­nis­tra­tives com­mu­nales (SAC).

D’autres pas furent aus­si accom­plis avec le déve­lop­pe­ment d’autres inter­ven­tions répa­ra­trices en matière pénale (voir la contri­bu­tion de A. Lemonne et B. Claes), qu’elles s’insèrent dans des pro­ces­sus de média­tion (média­tion en matière pénale conduite jusqu’en pri­son, média­tion SAC) ou pas (peine de tra­vail auto­nome). Ici aus­si, si la répa­ra­tion est offi­ciel­le­ment l’un des objec­tifs, les manières d’y par­ve­nir sont très diverses.

La média­tion pénale prend par ailleurs place dans un contexte for­te­ment mar­qué par un sou­ci d’efficacité et d’efficience de l’organisation judi­ciaire et des pro­ces­sus de trai­te­ment des dos­siers pénaux. C’est ain­si que le légis­la­teur a expres­sé­ment inves­ti la média­tion pénale de la tâche de per­mettre une réponse effec­tive et rapide à la com­mis­sion d’infractions jusqu’alors négli­gées par l’appareil de jus­tice. Ce sou­ci fut aus­si à l’origine du déve­lop­pe­ment de pro­cé­dures accé­lé­rées et/ou admi­nis­tra­tives en matière répres­sive (convo­ca­tion par pro­cès-ver­bal, com­pa­ru­tion immé­diate, SAC, etc.).

On le voit, la média­tion pénale par­ti­cipe d’un triple mou­ve­ment légis­la­tif. Y cor­res­pondent trois idéaux fon­da­teurs qui ont pré­si­dé à la créa­tion du pre­mier méca­nisme éta­tique de jus­tice res­tau­ra­trice en Bel­gique et qui conti­nuent de sous-tendre les débats à son sujet2. Bien enten­du, ces idéaux fon­da­teurs doivent une par­tie de leur audience au fait qu’ils répondent à des cri­tiques adres­sées au sys­tème clas­sique de jus­tice et, plus spé­ci­fi­que­ment, de jus­tice pénale.

L’idéal de médiation

Le pre­mier idéal fon­da­teur de la média­tion pénale concerne l’aspect pro­ces­suel : par quelles pro­cé­dures est-il juste de dénouer un litige ? En usant de quels ins­tru­ments et de quelles per­sonnes ? Quelles sont les auto­ri­tés à même de déci­der des normes qui y seront appli­quées ? etc.

En cette matière, l’une des cri­tiques récur­rentes de la jus­tice adju­di­ca­toire3 porte sur le cœur même du pro­jet qu’elle consti­tue : la ratio­na­li­sa­tion du règle­ment des conflits par le recours à la loi. La loi, éma­na­tion de la volon­té de la nation par le biais du Par­le­ment, incarne à la fois la ratio­na­li­té faite norme et la défense la plus par­faite de l’intérêt géné­ral. C’est sur elle que se construit un édi­fice qui per­met­tra, via une sché­ma­ti­sa­tion des conflits, de les trai­ter par genre et de leur don­ner des solu­tions uni­formes. Ain­si, le fait que, au terme de longs mois d’un conflit lar­vé, la main de M. a. ren­contre le visage de mme b. et y laisse une légère marque qui sera qua­li­fiée de coups et bles­sures volon­taires, pas­sibles d’un empri­son­ne­ment de huit jours à six mois et d’une amende de vingt-six à cent euros ou d’une de ces peines seule­ment (art. 398, C. pén.). Ce fait rejoin­dra, dans une même caté­go­rie, les coups de poing por­tés par quelqu’un dans une soi­rée et une bous­cu­lade volon­taire ayant débou­ché sur une chute et quelques héma­tomes. La ratio­na­li­sa­tion du conflit, sa réduc­tion aux élé­ments consti­tu­tifs d’infractions pré­dé­ter­mi­nées, ou encore la dis­cus­sion par le légis­la­teur4 des consé­quences à tirer de ce type de faits sont autant de garan­ties du carac­tère juste de l’issue du conflit. Dans ce cadre, l’intervention d’un juge par­fai­te­ment impar­tial et indé­pen­dant, nom­mé et payé en ver­tu de la loi, agis­sant selon une pro­cé­dure pré­éta­blie et méti­cu­leu­se­ment codi­fiée, et som­mé de jus­ti­fier la moindre de ses déci­sions au regard de la loi et des faits, ajoute à la ratio­na­li­té du pro­ces­sus. Cette per­fec­tion du ratio­na­lisme va pré­ci­sé­ment être au centre d’une vio­lente critique.

Selon celle-ci, le « codage juri­dique » du conflit revien­drait à l’appauvrir au point de tra­hir sa signi­fi­ca­tion pour les par­ties et de n’en lais­ser sub­sis­ter que les aspects qui inté­ressent l’État. Cet appau­vris­se­ment se dou­ble­rait d’une régu­la­tion rigide à l’excès décou­lant de l’application de normes pré­éta­blies à des lieues du ter­rain et du vécu conflic­tuel, en telle sorte que toute appré­hen­sion appro­priée du conflit serait radi­ca­le­ment impos­sible par ce moyen. La pro­cé­dure adju­di­ca­toire se révè­le­rait alors l’instrument d’une confis­ca­tion du conflit et un obs­tacle à sa réso­lu­tion par les par­ties. Le magis­trat, foca­li­sé sur le tra­vail juri­dique, peu sou­cieux (voire empê­ché) de se pen­cher sur la réa­li­té humaine du litige, ne pour­rait que réduire les par­ties à des enti­tés abs­traites : un auteur objet de l’action publique, une par­tie civile réduite à deman­der de l’argent. Au terme du pro­ces­sus, l’application du Code légal binaire (légal/illégal, compétent/incompétent, infractionnel/non infrac­tion­nel) abou­ti­rait à une répar­ti­tion des torts et à une stig­ma­ti­sa­tion des cou­pables qui fige­rait défi­ni­ti­ve­ment le conflit. En fin de compte, ce qui est contes­té, c’est la nature même de pro­ces­sus de réso­lu­tion des conflits des pro­cé­dures adjudicatoires.

La charge contre la jus­tice adju­di­ca­toire s’accompagne bien enten­du de contre-pro­po­si­tions. La média­tion, dans son idéal en tout cas, pré­sen­te­rait des ver­tus la met­tant à l’abri des cri­tiques évo­quées ci-des­sus. Une impor­tante inno­va­tion décou­le­rait du renon­ce­ment à la pré­émi­nence d’une norme légale pré­cons­ti­tuée. Plus radi­ca­le­ment, éla­bo­ra­tion et appli­ca­tion de la loi seraient (par­tiel­le­ment) indif­fé­ren­ciées (De Munck, 1997, 60 – 62), les normes étant (aus­si) pro­duites par les par­ties, au cours du pro­ces­sus de réso­lu­tion du litige. Certes, un cadre légal mini­mal peut être pré­vu, mais il doit être com­plé­té de règles pro­fes­sion­nelles (déon­to­lo­gie, bonnes pra­tiques, etc.) et de conven­tions ad hoc conve­nues par les pro­ta­go­nistes du litige.

D’une manière géné­rale, il s’agit de don­ner la main aux jus­ti­ciables et de leur per­mettre de déter­mi­ner les contours de leur dif­fé­rend, la manière dont ils entendent pro­cé­der pour le résoudre et les normes leur per­met­tant de qua­li­fier les faits et les com­pen­sa­tions pro­po­sées. Cette res­ti­tu­tion du conflit place de fac­to l’État dans une posi­tion secon­daire. Il peut même en être qua­si­ment absent, se bor­nant à créer un espace dans lequel d’autres acteurs pour­ront agir5. Même dans le cas de la média­tion pénale, où l’assistant de jus­tice est employé par l’État au sein d’une mai­son de jus­tice, la posi­tion de ce tiers est conçue de manière radi­ca­le­ment dif­fé­rente de celle d’un magis­trat. Le média­teur est en effet un tiers mini­mal, un faci­li­ta­teur dont l’objectif doit être de per­mettre de renouer les liens du dia­logue entre les par­ties et de s’effacer aus­si vite que pos­sible. Son impar­tia­li­té tient à ce qu’il ne prend pas par­ti — jamais — contrai­re­ment au magis­trat qui sus­pend son choix jusqu’au terme du pro­ces­sus, mais finit par prendre posi­tion en tran­chant le litige.

On le voit, l’idéal de la média­tion se fonde en bonne par­tie sur une cri­tique de la mise à dis­tance du litige et de sa solu­tion : sépa­ra­tion des par­ties, acca­pa­re­ment de la com­pé­tence déci­sion­nelle et confis­ca­tion de la ges­tion du pro­ces­sus, attri­bu­tion de la capa­ci­té à défi­nir les cri­tères de jus­tice en des temps et lieux éloi­gnés des pro­ta­go­nistes, etc. Y répond une pro­po­si­tion pro­ces­suelle basée sur l’empo­werment des par­ties, sur la relo­ca­li­sa­tion maxi­male de la ges­tion des conflits : par elles, pour elles, en fonc­tion de leurs pré­fé­rences deve­nues cri­tères de jus­tice. On l’aura com­pris, la média­tion pénale se veut une nou­velle manière de résoudre les litiges. Ce pro­ces­sus est-il pour autant une fin en soi ?

L’idéal de réparation

Au fon­de­ment de la pro­cé­dure de média­tion pénale ne se trouve pas seule­ment l’ambition de pro­cé­der de nou­velle manière, mais aus­si celle de don­ner de nou­velles fina­li­tés à l’intervention en matière pénale. Il s’agit de renon­cer à punir ou à réha­bi­li­ter pour se cen­trer sur la ques­tion de la réparation.

Comme dans le cas de l’idéal de média­tion, nous sommes ici confron­tés à l’articulation d’une cri­tique du sys­tème rétri­bu­tif (puni­tif) en place et d’une pro­po­si­tion nova­trice. La cri­tique se fonde, d’une part, sur la concep­tion même du litige, l’autre sur celle des réponses à y apporter.

La logique rétri­bu­tive s’appuie sur un élé­ment déclen­cheur très par­ti­cu­lier : l’infraction pénale, à savoir le fait contre­ve­nant à une norme pénale pré­éta­blie. Cette défi­ni­tion du conflit pénal se centre, d’une part sur l’infracteur en tant qu’auteur de la faute et, d’autre part, sur l’État en tant qu’il défend les inté­rêts de la col­lec­ti­vi­té ; la ques­tion des dom­mages cau­sés n’est ici que secon­daire6. Or, cette concep­tion est dénon­cée par les tenants de la jus­tice res­tau­ra­trice comme tra­his­sant les contours réels du litige. La réa­li­té de ceux-ci serait à cher­cher du côté des par­ties qui peuvent légi­ti­me­ment les tra­cer. Plus encore, la moti­va­tion de l’État ne devrait pas être trou­vée dans la défense d’un ordre moral et social mena­cé par l’infraction, mais dans un équi­libre social atteint par un dom­mage. D’une infrac­tion, on pas­se­rait à une « situa­tion-pro­blème », dont l’aspect pro­blé­ma­tique serait issu de la sur­ve­nance de consé­quences dommageables.

Bien enten­du, si le litige est une infrac­tion, la réponse appor­tée est une puni­tion, c’est-à-dire l’infliction d’un mal en retour et en com­pen­sa­tion de l’acte délic­tueux. Ce point est éga­le­ment vio­lem­ment cri­ti­qué, la rétri­bu­tion étant consi­dé­rée comme résul­tant d’un réflexe archaïque de ven­geance et relè­ve­rait de l’idée que l’homme ne peut être gou­ver­né que par la vio­lence et la peur. Conti­nuant d’appuyer « là où ça fait mal », les cri­tiques de l’approche rétri­bu­tive insistent sur le fait que l’inhumanité pénale ne peut même invo­quer à sa décharge son effi­ca­ci­té. Lar­ge­ment contre-pro­duc­tive, la peine ajou­te­rait l’absurde à l’inhumain.

Mais la rétri­bu­tion n’est pas seule en lice dans les réac­tions à la déviance, la jus­tice pénale applique éga­le­ment de nom­breuses mesures réha­bi­li­ta­trices7 — fon­dées sur l’idée d’une réac­tion cura­tive ou pré­ven­tive à un dan­ger consti­tué par une situa­tion ou un indi­vi­du. La réha­bi­li­ta­tion est quant à elle cri­ti­quée sur la base de ses échecs répé­tés et de ses équi­voques fon­da­men­tales. Sous le pré­texte du bien de l’infracteur, l’État se per­met­trait des inter­ven­tions par­ti­cu­liè­re­ment inva­sives et déres­pon­sa­bi­li­santes pour les infrac­teurs. Les poten­tia­li­tés puni­tives de telles mesures seraient de plus bien réelles. Ajou­tons la cri­tique d’une approche peu sou­cieuse d’une vic­time rava­lée au rang de symp­tôme du pro­blème à trai­ter, mais dont l’intervention ne peut être d’aucune utilité.

À nou­veau, ces cri­tiques sont paral­lèles au déve­lop­pe­ment de pro­po­si­tions alter­na­tives, repo­sant cette fois sur ce que nous appe­lons l’idéal répa­ra­teur. Il s’agit de faire droit à une nou­velle appré­hen­sion de la situa­tion à trai­ter. Son élé­ment géné­ra­teur n’est plus une contra­ven­tion à une loi pré­exis­tante, pas davan­tage que d’une situa­tion de dan­ger à laquelle il convient de réagir. Le conflit nait de l’infliction d’un dom­mage : il n’est donc plus tant cen­tré sur l’auteur que sur la vic­time et ses besoins. Com­bi­nant la res­pon­sa­bi­li­té de l’auteur (qui rap­pelle la res­pon­sa­bi­li­té pénale) et la volon­té de répondre à la situa­tion concrète dans le cadre de laquelle l’intervention se pro­duit (qui rap­pelle l’approche réha­bi­li­ta­tive et ses pré­ten­tions de prise sur le réel), la répa­ra­tion entend résoudre le pro­blème né du com­por­te­ment pro­blé­ma­tique par la sup­pres­sion ou la com­pen­sa­tion de ses conséquences.

Idéa­le­ment, la répa­ra­tion doit cou­vrir l’ensemble du dom­mage cau­sé. Dès lors, la vic­time peut être, au-delà des per­sonnes direc­te­ment concer­nées par le com­por­te­ment dom­ma­geable, un groupe social plus ou moins éten­du, voire la socié­té dans son ensemble. De là le fait que la peine de tra­vail auto­nome est consi­dé­rée par cer­tains comme une forme de répa­ra­tion, au moyen d’un ser­vice ren­du à la col­lec­ti­vi­té, du dom­mage cau­sé par l’acte injuste.

On l’aura com­pris, la lati­tude est ici très large et l’on ne s’étonnera pas que la notion de répa­ra­tion fasse l’objet de vives contro­verses théo­riques, por­tant notam­ment sur sa pos­sible coha­bi­ta­tion avec les autres types de réac­tions. Quand cer­tains plaident pour une appli­ca­tion maxi­male — et éven­tuel­le­ment com­bi­née avec d’autres types de réac­tions — de la répa­ra­tion (Wal­grave, 1999), d’autres estiment que la répa­ra­tion a voca­tion à rem­pla­cer les modes anciens de ges­tion des conflits pénaux.

Ce qui frappe, ici, c’est qu’il n’est plus ques­tion du réta­blis­se­ment d’un ordre moral au moyen d’une réac­tion puni­tive, pas davan­tage que de per­mettre un fonc­tion­ne­ment sans heurts de la méca­nique sociale au terme d’une réha­bi­li­ta­tion de ses élé­ments dys­fonc­tion­nels, mais, plus modes­te­ment et plus prag­ma­ti­que­ment, de per­mettre un retour, concret ou sym­bo­lique, à la situa­tion anté­rieure à la per­tur­ba­tion sur­ve­nue : un retour à l’équilibre plu­tôt que la défense d’un ordre moral idéal ou que la réso­lu­tion de dys­fonc­tion­ne­ments sociaux.

L’idéal de fluidité

Au-delà des ques­tions pro­ces­suelles et téléo­lo­giques, la média­tion pénale peut être consi­dé­rée sous un angle orga­ni­sa­tion­nel. Or, cha­cun sait que le pou­voir judi­ciaire — et le sys­tème répres­sif dans son ensemble — est sou­mis à des pres­sions et cri­tiques rela­tives à son inef­fi­ca­ci­té réelle ou sup­po­sée. À nou­veau, la mise en cause du sys­tème en place voi­sine avec la valo­ri­sa­tion de la média­tion pénale comme solu­tion aux pro­blèmes identifiés.

Cer­tains dis­cours pro­mou­vant la média­tion pénale pointent ain­si du doigt le sys­tème judi­ciaire comme inca­pable de gérer l’afflux consi­dé­rable de dos­siers. La jus­tice (pénale) serait lente, encom­brée, inca­pable de garan­tir un quel­conque trai­te­ment des affaires, cou­teuse, lourde, etc.

Est dénon­cée, non seule­ment l’indigence de l’appareil judi­ciaire, en moyens tant humains que maté­riels, mais aus­si son fonc­tion­ne­ment selon une logique d’un autre âge. Les garan­ties juri­dic­tion­nelles, les pro­cé­dures com­plexes, les logiques d’action tra­di­tion­nelles du judi­ciaire sont autant de carac­té­ris­tiques qui dénotent dans une époque qui valo­rise à l’extrême les logiques ges­tion­naires et mana­gé­riales. À ce titre, les garan­ties juri­dic­tion­nelles sont de plus en plus pré­sen­tées comme des obs­tacles que comme des garan­ties consub­stan­tielles du sys­tème de jus­tice clas­sique. Bien sûr, le sys­tème judi­ciaire n’a pas été pen­sé pour répondre à une demande for­mu­lée en termes de pro­duc­ti­vi­té d’outputs au départ d’inputs, selon une logique de satis­fac­tion de la clien­tèle, il n’est donc pas éton­nant qu’il prête tant le flanc à la critique.

Dans ce contexte, émerge un prag­ma­tisme qui veut voir, dans la média­tion pénale, l’instrument d’une diver­si­fi­ca­tion des moyens d’action de la jus­tice pénale. L’instauration de voies sup­plé­men­taires de trai­te­ment des dos­siers est alors à la jus­tice ce que l’élargissement du ring est à la flui­di­té du tra­fic autour de Bruxelles : une mesure méca­nique visant à sup­pri­mer les gou­lots d’étranglement et à flui­di­fier les circulations.

On note­ra que ce dis­cours est essen­tiel­le­ment tenu par le poli­tique, en charge du bon fonc­tion­ne­ment de l’appareil d’État, et qua­si­ment jamais par des pra­ti­ciens de la média­tion pénale qui, au contraire, tendent à sou­li­gner le carac­tère irréa­liste de la fixa­tion d’objectifs productivistes.

La médiation pénale tiraillée

Entre ses trois idéaux fon­da­teurs, la média­tion pénale est tiraillée. Certes, des conver­gences existent entre ces divers pôles. Ain­si, la plu­part des par­ti­sans de la répa­ra­tion conviennent-ils que celle-ci, idéa­le­ment, doit se déci­der dans le cadre d’un pro­ces­sus consen­suel du type de la média­tion. De même, s’il ne s’agit pas d’un objec­tif néces­saire de la média­tion, qui peut se suf­fire à elle-même et ne viser qu’une réso­lu­tion du conflit par le dia­logue, de nom­breux tenants de cette pro­cé­dure affirment qu’il est sou­hai­table qu’elle débouche sur une répa­ra­tion des dom­mages cau­sés par l’infraction. Enfin, on convien­dra que les carences du sys­tème judi­ciaire poin­tées par la cri­tique « orga­ni­sa­tion­nelle » n’œuvrent pas au béné­fice de la répa­ra­tion du dommage.

Pour­tant, d’importantes ten­sions peuvent se faire jour. Il est par exemple par­fai­te­ment envi­sa­geable que les idéaux de média­tion et de répa­ra­tion entrent en conflit ouvert. Ain­si en ira-t-il lorsque le carac­tère consen­suel de la média­tion et l’absence d’autorité du média­teur débou­che­ront sur un blo­cage, les par­ties se refu­sant à s’entendre ou en étant inca­pables. Le res­pect de l’éthique média­trice est alors un obs­tacle sur la voie de l’obtention d’une répa­ra­tion. À l’inverse, si l’on pour­suit l’objectif d’une répa­ra­tion, il n’est pas néces­sai­re­ment pro­blé­ma­tique de recou­rir à des moyens de contrainte ou de s’accommoder de pro­cé­dures peu éga­li­taires. La répa­ra­tion impo­sée peut ain­si s’opposer à une réso­lu­tion du litige, ren­due impos­sible, notam­ment par une dis­tri­bu­tion des rôles entre « répa­rants » et « répa­rés ». Enfin, ce n’est pas un hasard si la logique ges­tion­naire de l’idéal de flui­di­té n’est pas sup­por­tée par les pra­ti­ciens de la média­tion pénale qui savent com­bien com­plexe et lent peut être un pro­ces­sus qui se fixe témé­rai­re­ment l’objectif de résoudre un conflit, même banal.

S’ajoute à cette situa­tion interne, la dif­fi­cile inté­gra­tion de la logique média­trice dans un contexte pénal, satu­ré de règles, de prin­cipes moraux, d’attentes col­lec­tives, de ques­tions sym­bo­liques, de peurs et de pré­ju­gés. Dans ce pano­ra­ma, c’est l’idéal de média­tion qui appa­rait comme le plus « extra­ter­restre ». En effet, l’idéal de flui­di­té, en prin­cipe ges­tion­naire, ne heurte pas de front les prin­cipes mêmes de l’action pénale. L’idéal de répa­ra­tion, quant à lui, peut s’accommoder, dans sa ver­sion maxi­ma­liste, d’une coha­bi­ta­tion avec les logiques répres­sives tra­di­tion­nelles (Wal­grave, 1999). L’idéal de média­tion, par contre, appa­rait comme néces­sai­re­ment incom­pa­tible avec les logiques pénales clas­siques. Il y est donc poten­tiel­le­ment vec­teur d’une révolution.

La média­tion pénale est-elle dès lors irré­mé­dia­ble­ment condam­née à une divi­sion interne la pous­sant sur la voie de la schi­zo­phré­nie ? Nous ne le pen­sons pas. Il nous paraît qu’un élé­ment en consti­tue l’articulation cen­trale, sous la forme d’un dépla­ce­ment du centre de gra­vi­té de la pro­cé­dure. En effet, aus­si bien dans l’idéal de média­tion que dans l’idéal de répa­ra­tion, c’est le jus­ti­ciable lui-même qui consti­tue le pivot de l’intervention.

En pre­mier lieu, ce sont ses valeurs et per­cep­tions qui consti­tuent en prin­cipe l’étalon de la pro­cé­dure. L’appréciation de la jus­tesse de la répa­ra­tion, l’élaboration des règles de pro­cé­dure, la déter­mi­na­tion des normes per­met­tant de qua­li­fier les faits et gestes des par­ties, la défi­ni­tion des contours du litige, la déci­sion que le conflit est réso­lu sont consi­dé­rées comme devant lar­ge­ment pro­cé­der des par­ties. Même si celles-ci ne sont pas lais­sées tota­le­ment libres, il est clair que le centre de gra­vi­té se déplace d’une col­lec­ti­vi­té natio­nale repré­sen­tée par les ins­ti­tu­tions éta­tiques vers les per­sonnes — et non d’individus abs­traits — dont les inté­rêts propres sont en jeu dans le conflit. Les idées de res­pon­sa­bi­li­sa­tion, de proxi­mi­té, d’activation ou d’empo­werment sont inti­me­ment liées à ce mou­ve­ment. La média­tion pénale est donc, en soi, le vec­teur de l’irruption de logiques exo­gènes dans le domaine de la jus­tice pénale. En conclure que les jours de cette der­nière sont comp­tés serait aller bien vite en besogne. On garde à l’esprit la contes­ta­tion radi­cale de la rétri­bu­tion clas­sique par les tenants de la réha­bi­li­ta­tion, d’approches pro­tec­tion­nelles de ges­tion de la dan­ge­ro­si­té et de méthodes médi­co-scien­ti­fiques. Elle abou­tit bien davan­tage à ajou­ter une strate au sys­tème de trai­te­ment des conflits pénaux qu’à remettre concrè­te­ment en ques­tion la jus­tice pénale clas­sique. Il y a fort à parier que la média­tion pénale et, plus lar­ge­ment, le mou­ve­ment de la jus­tice res­tau­ra­trice abou­ti­ront à ce type de résul­tat que l’on voit déjà poindre dans les pro­po­si­tions d’accommodements rai­son­nables que font les tenants d’une appli­ca­tion maxi­ma­liste de ce type de méca­nisme (Wal­grave, 1999).

  1. Pour une pré­sen­ta­tion de la pro­cé­dure, voir Mincke, 2006.
  2. Les consi­dé­ra­tions qui vont suivre ont été ample­ment déve­lop­pées dans un ouvrage récem­ment paru qui reprend ces ques­tions et pré­sente les résul­tats d’une recherche empi­rique por­tant sur les rela­tions se nouant entre les par­ti­ci­pants à la média­tion pénale, dans le bureau même de l’assistant de jus­tice (Mincke, 2010).
  3. Nous appel­le­rons « jus­tice adju­di­ca­toire » les pro­ces­sus fon­dés sur une attri­bu­tion des torts et des droits par un tiers neutre en posi­tion d’autorité. L’exemple type en est la jus­tice pénale classique.
  4. On note­ra que la notion de légis­la­teur est elle-même issue d’une géné­ra­li­sa­tion, le légis­la­teur n’étant pour ain­si dire jamais deux fois le même et n’ayant pas d’existence indi­vi­duelle propre hors des per­sonnes qui le composent.
  5. C’est ce qui se pro­duit dans le cadre de la « média­tion en matière pénale », laquelle per­met l’intervention d’associations pra­ti­quant la média­tion, sans consé­quence néces­saire sur la pro­cé­dure pénale ou l’exécution des peines et sans inter­ven­tion d’agents étatiques.
  6. Ain­si le dom­mage n’est-il pas néces­saire pour que des pour­suites soient inten­tées. S’il en est sur­ve­nu, ils seront trai­tés dans une par­tie annexe au pro­cès pénal ou au cours d’un pro­cès civil distinct.
  7. Inter­ne­ment des délin­quants malades men­taux, mesures pro­tec­tion­nelles vis-à-vis des jeunes délin­quants, mesures de sureté vis-à-vis des délin­quants réci­di­vistes, etc.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.