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Les pouvoirs organisateurs face à leurs organes de représentation et aux syndicats

Numéro 05/6 Mai-Juin 2010 par Delgrange

mai 2010

À lire la légis­la­tion sco­laire, le pou­voir orga­ni­sa­teur est bien nom­mé puis­qu’il dis­pose des pleins pou­voirs au sein de l’é­cole. La réa­li­té appa­rait plus com­plexe et explique peut-être pour­quoi ce pou­voir est si mécon­nu. Ses pré­ro­ga­tives dans l’or­ga­ni­sa­tion de l’é­ta­blis­se­ment ont été rognées non seule­ment par le déve­lop­pe­ment de la règle­men­ta­tion, mais aus­si par la néces­si­té d’adhé­rer à un organe de repré­sen­ta­tion qui se sub­sti­tue sou­vent à lui et par l’o­bli­ga­tion de par­ta­ger ce qui lui reste de pou­voir avec les syn­di­cats. En ce qui concerne l’é­la­bo­ra­tion de la règle­men­ta­tion sco­laire, l’au­to­ri­té poli­tique est ame­née à se concer­ter avec les repré­sen­tants des pou­voirs orga­ni­sa­teurs et avec les syn­di­cats. Cette concer­ta­tion a été for­ma­li­sée. Si elle se déroule de manière bila­té­rale, des voix s’é­lèvent pour qu’elle devienne tripartite.

À lire le décret Mis­sions du 24 juillet 1997, les pou­voirs du pou­voir orga­ni­sa­teur sont très éten­dus : défi­ni­tion des pro­jets édu­ca­tif et péda­go­gique, éla­bo­ra­tion du pro­jet d’établissement et du pro­gramme des études, rédac­tion du règle­ment des études et du règle­ment d’ordre inté­rieur, ges­tion quo­ti­dienne de l’école…

En pra­tique, le pou­voir orga­ni­sa­teur a été dépos­sé­dé d’une grande par­tie de ses pou­voirs. La déter­mi­na­tion des prin­cipes fon­da­men­taux de l’organisation d’une école est deve­nue une œuvre trop com­plexe pour pou­voir encore être défi­nie au niveau local. Les pou­voirs orga­ni­sa­teurs ont ain­si été ame­nés à se déchar­ger de la plu­part de leurs pou­voirs nor­ma­tifs au pro­fit de l’organe de repré­sen­ta­tion auquel ils adhèrent. De même, la ges­tion quo­ti­dienne d’une école est deve­nue trop lourde pour pou­voir être assu­mée par l’autorité poli­tique ou une asso­cia­tion de béné­voles, le plus sou­vent éloi­gnés de la vie de l’école au jour le jour. Cette ges­tion a donc été délé­guée à la direc­tion, le pré­fet ou le directeur.

Les pou­voirs effec­tifs du pou­voir orga­ni­sa­teur se concentrent donc, d’une part, dans l’adoption du pro­jet d’établissement, du règle­ment des études et du règle­ment d’ordre inté­rieur et, d’autre part, dans la dési­gna­tion de la direc­tion et des membres du per­son­nel. Et encore, même dans ce noyau dur, il n’est plus tota­le­ment auto­nome, étant obli­gé de se concer­ter avec d’autres instances.

Le décret Mis­sions a en effet impo­sé à chaque éta­blis­se­ment d’instituer en son sein un conseil de par­ti­ci­pa­tion. Comme son nom l’indique, ce conseil vise à faire par­ti­ci­per les dif­fé­rentes com­po­santes de la com­mu­nau­té édu­ca­tive à la vie de l’école. Il inter­vient à cer­tains moments clés tels que la confec­tion du pro­jet d’établissement, l’élaboration du règle­ment d’ordre inté­rieur dans les éta­blis­se­ments de la Com­mu­nau­té fran­çaise… On retrouve au sein de ce conseil, des repré­sen­tants du pou­voir orga­ni­sa­teur ; des membres élus repré­sen­tant les quatre autres corps de l’école : les ensei­gnants, le per­son­nel ouvrier et admi­nis­tra­tif, les parents et les élèves ; des repré­sen­tants de l’environnement social, cultu­rel et éco­no­mique de l’établissement. Dans les réseaux libres, les repré­sen­tants des ensei­gnants sont dési­gnés par les orga­ni­sa­tions syn­di­cales repré­sen­ta­tives, dans les réseaux offi­ciels, ils sont direc­te­ment élus par le per­son­nel. Dans les réseaux offi­ciels, le pro­jet d’établissement adop­té par le conseil de par­ti­ci­pa­tion est sou­mis aux ins­tances syn­di­cales char­gées d’en véri­fier l’adéquation avec le pro­jet édu­ca­tif du pou­voir orga­ni­sa­teur. Le pou­voir dis­cré­tion­naire de choi­sir le direc­teur de l’établissement a été sévè­re­ment enca­dré par le décret du 2 février 2007 fixant le sta­tut des direc­teurs. Celui-ci fixe des condi­tions et une pro­cé­dure de nomi­na­tion. Le pou­voir orga­ni­sa­teur doit ain­si consul­ter les orga­ni­sa­tions syn­di­cales sur le pro­fil de fonc­tion. Le décret défi­nit éga­le­ment très pré­ci­sé­ment les pou­voirs du directeur.

Les syn­di­cats sont éga­le­ment tout natu­rel­le­ment impli­qués dans la défi­ni­tion du sta­tut et la nomi­na­tion des membres du per­son­nel ensei­gnant, notam­ment au tra­vers de com­mis­sions pari­taires. L’on a cou­tume de dire que, depuis l’adoption des décrets de 1993 et 1994 fixant le sta­tut des ensei­gnants dans le libre et dans l’officiel sub­ven­tion­né, la liber­té du pou­voir orga­ni­sa­teur se limite au pre­mier enga­ge­ment de l’intéressé. Il appa­rait néan­moins que, par la suite, le sys­tème de prio­ri­té et les règles de garan­tie de l’emploi rendent très dif­fi­cile la sélec­tion du per­son­nel, même dans l’enseignement libre.

Les pou­voirs orga­ni­sa­teurs auraient pu retrou­ver davan­tage d’autonomie à l’occasion de la pénu­rie d’enseignants, qui leur per­met d’engager des pro­fes­seurs ne dis­po­sant pas des titres requis. Le légis­la­teur est tou­te­fois inter­ve­nu pour gérer cette pénu­rie. Ain­si, les com­mis­sions de réaf­fec­ta­tion ont été rem­pla­cées par des com­mis­sions de ges­tion des emplois qui sont sys­té­ma­ti­que­ment pari­taires. L’objectif du légis­la­teur est d’ainsi « conso­li­der la démo­cra­tie sociale dans le monde de l’enseignement ».

Les syn­di­cats ont encore voix au cha­pitre pour bien d’autres aspects du fonc­tion­ne­ment des éta­blis­se­ments sco­laires, en ce com­pris cer­tains aspects de leur finan­ce­ment. Ils par­ti­cipent éga­le­ment à la défi­ni­tion de l’offre d’enseignement et à la pro­gram­ma­tion, que ce soit par leur pré­sence au sein du Conseil géné­ral de concer­ta­tion, à l’échelle com­mu­nau­taire, ou par la concer­ta­tion au niveau de l’établissement.

Un décret de 2005 por­tant exé­cu­tion de l’accord conclu entre le gou­ver­ne­ment et les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, ren­force le pou­voir d’intervention de ceux-ci dans le fonc­tion­ne­ment des écoles, que ce soit à l’égard de cer­taines caté­go­ries de per­son­nel ou en matière péda­go­gique. Ain­si, un pou­voir d’avis leur est confé­ré dans l’élaboration des pro­grammes d’études.

Il est même per­mis d’émettre l’hypothèse d’une cer­taine appli­ca­tion de la théo­rie des vases com­mu­ni­cants. Le déve­lop­pe­ment de la légis­la­tion rela­tive à l’enseignement a eu pour effet de res­treindre consi­dé­ra­ble­ment la liber­té des pou­voirs orga­ni­sa­teurs. Or il arrive bien sou­vent que cette liber­té ait été res­treinte voire confis­quée au pro­fit d’instances où l’on retrouve notam­ment, à côté des pou­voirs orga­ni­sa­teurs, les syndicats.

L’élaboration de la règlementation scolaire

Au niveau com­mu­nau­taire, le face-à-face entre pou­voirs orga­ni­sa­teurs et syn­di­cats fait place à une rela­tion tri­an­gu­laire où les orga­ni­sa­tions repré­sen­ta­tives de ces deux caté­go­ries d’acteurs se concertent avec l’autorité poli­tique. Jusqu’à pré­sent, cette concer­ta­tion se fait de manière bilatérale.

Une norme concertée avec les pouvoirs organisateurs et négociée avec les syndicats

On vient de le voir, au gré des réformes, les pou­voirs orga­ni­sa­teurs ont vu leur liber­té d’enseignement se réduire consi­dé­ra­ble­ment. Dans le même temps, les organes de repré­sen­ta­tion de ces pou­voirs orga­ni­sa­teurs se sont vu confé­rer un rôle de plus en plus affir­mé dans l’élaboration de ces normes liber­ti­cides. Nou­velle appli­ca­tion de la théo­rie des vases com­mu­ni­cants donc, ce que les pou­voirs orga­ni­sa­teurs perdent indi­vi­duel­le­ment est par­tiel­le­ment récu­pé­ré par leurs organes de représentation.

Le décret Mis­sions a ampli­fié une double démarche pra­ti­quée de longue date dans le mode d’élaboration de la norme scolaire.

La pre­mière consiste à dépos­sé­der le poli­tique d’une com­pé­tence pour la confier à des organes qui regroupent des repré­sen­tants des dif­fé­rentes com­po­santes de la com­mu­nau­té édu­ca­tive. Le décret Mis­sions a ain­si géné­ra­li­sé la pra­tique, appa­rue dans l’enseignement qua­li­fiant, consis­tant à char­ger des groupes de tra­vail d’élaborer les normes sur la base des­quelles les pou­voirs orga­ni­sa­teurs peuvent éla­bo­rer leurs pro­grammes. Il s’agit des socles de com­pé­tences, des com­pé­tences ter­mi­nales, des pro­fils de for­ma­tion… Les membres de ces groupes de tra­vail sont pour la plu­part dési­gnés par le Conseil géné­ral de l’enseignement fon­da­men­tal ou le Conseil géné­ral de concer­ta­tion pour l’enseignement secon­daire, à savoir des organes com­pre­nant prin­ci­pa­le­ment des repré­sen­tants des dif­fé­rents réseaux mais aus­si de l’administration et des syndicats.

Le second mode d’élaboration de la norme contraint l’autorité poli­tique à se concer­ter avec les des­ti­na­taires de celle-ci avant son adop­tion. Depuis la loi du Pacte sco­laire de 1959, il est pré­vu que les réformes fon­da­men­tales de l’enseignement fassent l’objet d’une concer­ta­tion avec les pou­voirs orga­ni­sa­teurs. Le décret Mis­sions a mis en place une pro­cé­dure de recon­nais­sance des organes de repré­sen­ta­tion et de coor­di­na­tion les plus repré­sen­ta­tifs des pou­voirs orga­ni­sa­teurs. Cette concer­ta­tion a été for­ma­li­sée sur le modèle de celle appli­quée avec les syndicats.

Ulté­rieu­re­ment, un décret de 2004 a créé un comi­té de négo­cia­tion et de concer­ta­tion pour les sta­tuts des per­son­nels de l’enseignement libre, à l’image de ce qui se pra­tique pour l’enseignement offi­ciel. Cette négo­cia­tion pré­sente tou­te­fois la par­ti­cu­la­ri­té d’être menée en l’absence des employeurs, les pou­voirs orga­ni­sa­teurs des éta­blis­se­ments libres, puisqu’elle ne réunit que la Com­mu­nau­té fran­çaise, pou­voir sub­si­diant et les repré­sen­tants des per­son­nels. Les pou­voirs orga­ni­sa­teurs sont ain­si éga­le­ment exclus des négo­cia­tions menant à une pro­gram­ma­tion inter­sec­to­rielle bisannuelle.

Il existe certes d’autres lieux de ren­contre, notam­ment au tra­vers du pilo­tage de l’enseignement qui devient un enjeu consi­dé­rable. Au sein de la Com­mis­sion de pilo­tage, la repré­sen­ta­tion des pou­voirs orga­ni­sa­teurs et des syn­di­cats est tou­te­fois diluée, ceux-ci étant lar­ge­ment enca­drés de repré­sen­tants de l’administration et d’experts péda­gogues. Dans le même temps, les pou­voirs du Conseil géné­ral de concer­ta­tion pour l’enseignement secon­daire, qui pré­sente la par­ti­cu­la­ri­té d’être doté d’une com­po­si­tion tri­par­tite, ont été rognés. Il a en effet été pri­vé de son pou­voir d’avis contrai­gnant au pro­fit d’un simple avis, notam­ment dans le domaine de la pro­gram­ma­tion. La volon­té était de confé­rer au gou­ver­ne­ment un pou­voir et une res­pon­sa­bi­li­té pleine et entière en cette matière.

Vers une concertation tripartite ?

La Com­mu­nau­té fran­çaise est désor­mais dotée de méca­nismes pré­cis de concer­ta­tion per­met­tant au gou­ver­ne­ment de prendre en compte le point de vue tant des organes de repré­sen­ta­tion des pou­voirs orga­ni­sa­teurs que des orga­ni­sa­tions syn­di­cales en vue de l’adoption de textes réfor­mant l’organisation de l’enseignement.

Il appa­rait tou­te­fois que ces concer­ta­tions se font de manière bila­té­rale, le gou­ver­ne­ment n’étant donc pas pla­cé en posi­tion d’arbitrer les reven­di­ca­tions des uns et des autres. Les organes de repré­sen­ta­tion des pou­voirs orga­ni­sa­teurs reven­diquent donc une place à la table des négo­cia­tions réunis­sant syn­di­cats et Com­mu­nau­té. Lorsqu’on voit l’importance des trois pro­to­coles d’accord conclus depuis 2004, du point de vue des ques­tions sta­tu­taires et baré­miques, on com­prend leur insis­tance. Réponse du ber­ger à la ber­gère, les syn­di­cats entendent par­ti­ci­per à la concer­ta­tion menée entre ces organes de repré­sen­ta­tion et la Communauté.

La façon la plus idoine d’établir le gou­ver­ne­ment de la Com­mu­nau­té dans un rôle d’arbitre entre les pou­voirs orga­ni­sa­teurs et les orga­ni­sa­tions syn­di­cales serait de s’inspirer de l’exemple fla­mand. Dès la com­mu­nau­ta­ri­sa­tion de l’enseignement, la Com­mu­nau­té fla­mande a en effet mis en place un organe auto­nome, l’Argo deve­nu GO!, qui exerce en lieu et place du gou­ver­ne­ment les com­pé­tences de pou­voir orga­ni­sa­teur à l’égard des éta­blis­se­ments rele­vant direc­te­ment de la Com­mu­nau­té. Dans ce sys­tème, le gou­ver­ne­ment n’est en effet plus juge et par­tie mais seule­ment arbitre. La der­nière décla­ra­tion de poli­tique com­mu­nau­taire fran­co­phone 2009 – 2014 annonce que la mise de cet ouvrage sur le métier sera envisagée.

Delgrange


Auteur

Xavier Delgrange est premier auditeur chef de section au [Conseil d'État->http://www.raadvst-consetat.be/] et chargé d'enseignement aux [facultés universitaires Saint-Louis->http://www;fusl.ac.be], maitre de conférences à l'[Université libre de Belgique->http://www.ulb.ac.be].