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Les PO et leurs fédérations face à la Communauté française
Comment ont évolué les relations pouvoirs organisateurs-fédérations depuis le décret Missions de l’école ; comment se caractérisent aujourd’hui les rapports entre réseaux : y a‑t-il rapprochement en même temps que maintien de leur existence propre ? À quelles conditions (création de bassins scolaires, autonomisation du réseau de la Communauté française par rapport à l’autorité politique)?
Le décret Missions de l’école (24 juillet 1997) a renforcé les fédérations de pouvoirs organisateurs, reconnues depuis comme organes de représentation et de coordination des réseaux. Du côté de l’enseignement libre subventionné, le Segec tend à s’établir comme un deuxième ministère. Dans la foulée de la communautarisation (1989), le réseau libre catholique s’est vu attribuer le statut de service public fonctionnel, le réseau officiel étant doté de celui de service public organique. Ce rapprochement relatif n’a pas engendré l’affaiblissement de leur existence propre. Néanmoins, l’idée d’une coopération entre réseaux a émergé, notamment avec la proposition de création d’un nouveau mode de régulation intermédiaire, le « bassin scolaire » conçu à l’échelle interréseaux, ou à celle d’une coupole spécifique pour l’enseignement officiel. La déclaration de politique communautaire 2009 – 2014, qui a réaffirmé l’autonomie des réseaux, a annoncé, outre la création de cette coupole, la séparation du rôle de ministre de l’Éducation de celui de responsable du pouvoir organisateur de la Communauté française.
Perte d’autonomie des pouvoirs organisateurs
Le décret reconnait en effet les fédérations de pouvoirs organisateurs, habilitées à prélever une cotisation sur les subventions accordées aux écoles affiliées. Cette reconnaissance formelle accentue l’importance de ces fédérations dans les instances de concertation et de gestion qui ont été mises en place : conseil de concertation régulant l’offre de formation parmi les pouvoirs organisateurs de même caractère depuis 1993 ; conseils de recours contre les décisions des conseils de classe, etc. Il s’agit d’instances qui réunissent les fédérations de pouvoirs organisateurs par « caractère ». De manière générale, en consacrant le rôle prépondérant des organes de représentation et de coordination des différents réseaux, le décret affaiblit l’autonomie des pouvoirs organisateurs au sein de ces réseaux.
En termes d’évolution, c’est l’enseignement catholique qui a été le plus marqué par le changement : non seulement son statut a été modifié, mais encore le Secrétariat de l’enseignement catholique (Segec) a constitué son pouvoir sur la base de la dissolution de la plupart des congrégations (seuls les jésuites, les Frères des écoles chrétiennes et les aumôniers du travail conservent encore une structure de pilotage). Le poids du Segec est important puisqu’il tend à s’établir comme un deuxième ministère. Il ne se limite plus à une fonction de service aux pouvoirs organisateurs et de représentation de ceux-ci auprès des pouvoirs publics. Il régule les pouvoirs organisateurs qu’il affilie. En effet, il traite de nombreuses données récoltées auprès des écoles ; il gère la rédaction des programmes, il anime un nombre important de conseillers pédagogiques et contrôle d’assez près la programmation d’options dans le secondaire.
Il n’en va pas de même dans l’enseignement officiel subventionné, où les pouvoirs organisateurs gardent leur pouvoir par rapport au Conseil des pouvoirs organisateurs de l’enseignement officiel neutre subventionné (Cpeons) et au Conseil de l’enseignement des provinces et des communes (CECP).
Le rapprochement entre les réseaux : un thème de débat
D’autres évolutions importantes ont été rendues possibles par l’évolution du statut de l’enseignement officiel, d’une part, et de l’enseignement libre subventionné, d’autre part, dans la foulée de la communautarisation (1989). Ces évolutions tendent à rapprocher les réseaux, à réduire leurs différences. La Cour d’arbitrage s’est exprimée à plusieurs reprises pour préciser la signification à donner au nouvel article 24 de la Constitution intégrant le principe d’égalité (Uyttendaele, 1994). Elle précise que seules des différences objectives, notamment les caractéristiques propres à chaque pouvoir organisateur, peuvent justifier un traitement différent (arrêt du 5 décembre 1991). Contrairement à l’enseignement communautaire, qui est chargé d’un service public au sens organique du terme, l’enseignement libre subventionné constitue un service public fonctionnel, en d’autres termes, un service qui est organisé par l’initiative privée pour les besoins de tout ou partie de la population, en vue d’assumer une mission d’intérêt général (arrêt du 2 avril 1992).
Dès lors, selon la Cour d’arbitrage, toutes les limitations à la liberté de l’enseignement devraient avoir pour objectif de préserver l’intérêt général, donc viser à se donner pour objectif un enseignement de qualité. Dans la mesure où l’enseignement libre subventionné constitue un service public fonctionnel, « cette qualification entraine nécessairement un certain nombre de sujétions, contrepartie du financement reçu » (Vandernoot et Sohier, 1999). Ce rapprochement entre réseaux à partir du concept de service public a suscité diverses polémiques. Il a été regretté que la Cour d’arbitrage n’ait pas explicité sa décision. Ainsi Charles Bricman (1992), juriste de l’université libre de Bruxelles, a conclu que l’enseignement libre se trouve « à la frontière du service public fonctionnel » et le qualifie de « service public fonctionnel atypique » dans la mesure où la soumission aux lois de service public de continuité et d’égalité des usagers est malmenée dans l’enseignement libre1.
De la nécessité de maintenir la pluralité des réseaux…
Depuis la communautarisation, un enseignement public organique et neutre coexiste donc avec un enseignement public fonctionnel libre confessionnel2. Ce sont d’abord les rapports entre les tenants de l’enseignement officiel qui ont été questionnés pour des raisons budgétaires. Ainsi, en 1993, le plan Busquin-Di Rupo a envisagé de regrouper et de spécialiser les réseaux de la Communauté française, des provinces et des communes. Ce plan a échoué, et le mécanisme de rachat par les Régions des bâtiments scolaires de la Communauté a permis de répondre aux besoins financiers du moment.
Dans la mouvance des Assises de l’enseignement (mai 1995) organisées sous l’égide du Conseil de l’éducation et de la formation (CEF), la pertinence de la pluralité des réseaux a été problématisée, sans développement approfondi. En avril 1998, le Parti social chrétien (PSC) estimait que la Communauté française devrait cesser d’organiser ses écoles et qu’il ne faudrait garder que des réseaux subventionnés. L’enseignement maternel et primaire devrait être confié aux communes et l’enseignement secondaire à un conseil autonome gérant l’enseignement de la Communauté (Lemal, 1998).
En octobre 1998, La Revue nouvelle consacrait un dossier contradictoire sur le thème « Libérer la liberté d’enseignement ». Dans l’avant-propos de cette livraison, Théo Hachez soulignait combien le clivage justifiant l’existence des différents réseaux s’était transformé au cours des dernières décennies. Il rappelait le paradoxe du déclin de la pratique religieuse coïncidant avec une augmentation des parts de marché de l’enseignement catholique. Pour lui, « ce succès ne devrait donc s’expliquer que par un usage “inessentiel” de la liberté, la dimension organisationnelle fournissant la seule variable rationnelle qui ne mît pas en cause un usage négatif de celle-ci (dans la ségrégation des publics par exemple)». Le décret Missions aurait recadré la liberté de l’enseignement autour de la liberté pédagogique qui se trouverait non plus dispersée dans les écoles, mais déléguée en droit à une autorité centrale propre à chaque réseau. Ainsi, les fédérations de pouvoirs organisateurs seraient devenues titulaires officiels de l’éventail qu’ouvre théoriquement la liberté de l’enseignement, rabattue sur deux caractères, le confessionnel et l’officiel.
Que pensent les acteurs de la légitimité du maintien des réseaux ? L’officiel subventionné le fait dans son Mémorandum 2009 – 2014 de manière tout à fait instrumentale, ainsi d’ailleurs que le fait le Segec en proclamant que le redoublement est moins fréquent dans ses écoles qu’ailleurs3. L’efficacité serait en l’occurrence due partiellement au moins à l’autonomie des réseaux. Mais qu’en est-il de leur spécificité en matière de projet éducatif ? Le Segec se revendique d’un pluralisme « situé » (par rapport aux valeurs de l’Évangile, présentées comme universelles). La Ligue de l’enseignement a demandé un « nouveau Pacte scolaire » en proposant que l’enseignement privé abandonne d’initiative son caractère confessionnel et opte pour les principes de la neutralité (Hullebroeck, 2008). Le Centre d’étude et de défense de l’école publique (Cedep)4 a réclamé en juin 2009 « la mise en commun des ressources humaines et matérielles dans le cadre d’un service public unifié permettant de dégager les moyens nécessaires pour répondre concrètement aux problèmes inventoriés ». Mais pour cela il faudrait un accord politique stable résultant d’un large débat démocratique en Communauté française.
… À la proposition de contourner les clivages
En dépit de ces débats récurrents, les réseaux subsistent. Mais l’idée a progressivement émergé qu’il fallait développer la coopération entre réseaux. La publication des résultats des enquêtes Pisa a secoué l’opinion publique et la sphère politique. Ce n’était plus le déficit de gestions ou de ressources qui se trouvait au cœur du débat, mais le défaut de résultats. Pour les améliorer, la ministre Marie Arena a lancé, le 21 mai 2005, un projet de Contrat stratégique pour l’éducation visant le renforcement de la qualité, la lutte contre les inégalités et la modernisation de l’organisation du système éducatif.
C’est ce troisième point qui nous intéresse ici. Il reposait sur un principe de gouvernance, revenant au mode de contrôle à distance, basé sur le tryptique « Régulation par le politique – Responsabilisation des acteurs – Évaluation des résultats (externe)». Un nouveau mode de régulation intermédiaire était proposé, celui du « bassin scolaire », destiné à réduire les inégalités de résultats entre élèves et les inégalités entre écoles (par coresponsabilisation). Il s’agissait de rendre obligatoire une concertation entre établissements de tous réseaux dans l’espace du bassin, différente de celle des zones qui fonctionnent sur la base du clivage officiel-confessionnel.
La notion de bassin a rencontré le refus du réseau libre catholique, soucieux du respect de l’autonomie des acteurs, mais aussi de celui des pouvoirs organisateurs de l’enseignement officiel subventionné. Et elle n’apparaissait plus dans le Contrat pour l’école, version définitive du Contrat stratégique. Le projet a pourtant continué son chemin dans la zone de Charleroi : en juillet 2008, le gouvernement de la Communauté française a approuvé la mise en place d’une expérience pilote de bassin scolaire pour les enseignements technique et professionnel. Le 30 avril 2009, le Parlement de la Communauté française a adopté le décret visant à étendre l’expérience à l’ensemble de la Communauté et à créer dix instances subrégionales de pilotage. Néanmoins, il faut noter l’écart entre le projet initial qui entendait attribuer au bassin d’importantes compétences à tous les niveaux de l’enseignement, et le décret qui ne porte que sur l’enseignement qualifiant et la programmation et la rationalisation d’options.
Autonomie des réseaux et coupole des pouvoirs organisateurs
La déclaration de politique communautaire 2009 – 2014 a réaffirmé l’autonomie des réseaux, des pouvoirs organisateurs, des établissements scolaires, qui doit aller de pair avec un pilotage global du système éducatif. Cette déclaration plaide pour une synergie dans et entre les réseaux. Mais le fossé est grand entre l’idée de la chose et sa réalisation. Reste qu’il est prévu de renforcer la synergie entre les réseaux de l’enseignement officiel organisé et subventionné par la Communauté française en créant une « coupole » des pouvoirs organisateurs de l’enseignement, tout en respectant les prérogatives de chacun. Voilà qui n’est pas évident. Pour renforcer la Fédération Wallonie-Bruxelles dans son rôle de régulateur, il est envisagé de distinguer le rôle de ministre de tutelle de l’enseignement de celui de responsable du pouvoir organisateur du réseau de la Communauté française.
La même déclaration de politique communautaire a repris l’intention de la proposition de décret modifiant le décret du 19 mai 2004 relatif à la négociation en Communauté française, visant à ce que la programmation intersectorielle soit négociée en tripartite (gouvernement, syndicats et organes de représentation des pouvoirs organisateurs). Envoyée au Conseil d’État, la proposition n’a pas pu passer avant la fin de la législature (juin 2009). C’est pour donner une fonction d’arbitre au gouvernement de la Communauté entre les syndicats et les pouvoirs organisateurs qu’il a été suggéré de créer un organe autonome doté des compétences de pouvoirs organisateurs pour les établissements relevant de la Communauté, comme cela s’est fait en Flandre.
Le gouvernement de la Communauté française est évidemment engagé dans cette intention de constituer une coupole des pouvoirs organisateurs de l’enseignement officiel. Reste que parler d’une « coupole » pour l’enseignement officiel en respectant les prérogatives de chacun a sa part d’ambigüité.
L’accord semble se faire autour de la distinction des rôles de pouvoir organisateur et de ministre, ce qui procurerait à l’enseignement de la Communauté française une réelle représentation dans les discussions sur l’enseignement.
Le modèle flamand et les hésitations francophones
Le modèle flamand peut servir d’exercice, pour décrire l’un des scénarios les plus probables pour la Communauté française. L’Argo (conseil central de l’enseignement de la Communauté), créé au moment de la communautarisation, est devenu le GO ! (enseignement communautaire) avec un statut d’organisme d’initiative publique. Au niveau central, le GO!, pouvoir organisateur et organe fédérateur, est dirigé par un conseil de l’enseignement communautaire et un administrateur-délégué. Au niveau médian, les groupes d’écoles (entités géographiquement établies dans lesquelles sont représentés des établissements de tous les niveaux, dans l’enseignement fondamental et l’enseignement secondaire). Au niveau local, les écoles sont dirigées par un directeur, assisté par un conseil scolaire consultatif. Un contrôle de la qualité est réalisé aux différents niveaux de gestion.
Par ailleurs, l’enseignement officiel subventionné (OGO) comporte l’enseignement communal et l’enseignement provincial. Leurs pouvoirs organisateurs sont réunis sous deux coupoles : le Secrétariat d’enseignement des villes et des communes de la Communauté flamande (OVSG) et l’Enseignement provincial de Flandre (pouvoirs organisateurs-POV). L’enseignement libre subventionné (VGO), composé essentiellement d’écoles catholiques, est réuni sous la coupole du Secrétariat flamand de l’enseignement catholique (VSKO).
Que pourrait-il se passer du côté francophone ? L’autonomisation de l’enseignement communautaire comme organisme d’utilité publique, placé sous la responsabilité d’un administrateur-délégué et doté d’un statut de pouvoirs organisateurs, est tout à fait possible5. Dans son Mémorandum 2009 – 2014, le Cpeons refuse toute restructuration de l’enseignement officiel qui gomme les atouts de l’enseignement officiel subventionné, qui conduise à une réduction de son financement, qui fragilise alors la démocratisation de l’accès à l’enseignement de tous les publics, qui réduit la capacité de pouvoirs de proximité à piloter leur enseignement, qui cloisonne l’enseignement par niveaux et empêche toute intégration verticale. On ne voit donc pas en quoi l’enseignement communautaire et l’enseignement officiel subventionné auraient un intérêt à fusionner. On devine que l’enjeu pour l’un et l’autre est de réfléchir à la mise en place d’une coupole commune qui préserve l’autonomie de chacun, tout en permettant l’accomplissement d’une mission de coordination de l’ensemble de l’enseignement obligatoire officiel, fondamental et secondaire. Elle pourrait surplomber des coupoles zonales correspondant aux dix zones d’enseignement.
- Continuité : un établissement ou un pouvoir organisateur peut suspendre ou réduire son activité. Égalité des usagers : nombre de pouvoirs organisateurs lient l’inscription d’un élève ou l’engagement d’un professeur à un engagement philosophique ou religieux.
- Par facilité, rangeons la Fédération de l’enseignement libre non confessionnel plutôt du côté de l’enseignement officiel subventionné.
- Comme récemment dans Le Soir du 30 janvier dernier.
- Le Cedep, fondé en 1985, est constitué de dix associations représentant des pouvoirs organisateurs, des enseignants, des parents et des sympathisants de mouvements laïques. Son but est l’échange d’informations et l’organisation d’actions communes en vue de soutenir et de promouvoir l’enseignement officiel, c’est-à-dire l’enseignement organisé par les pouvoirs publics (communes, provinces, Région de Bruxelles-capitale et Communauté française de Belgique).
- Ce scénario est évidemment différent de celui de la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (Fapeo) qui souhaiterait une double pilarisation de l’enseignement (création d’un Secrétariat général de l’enseignement officiel parallèlement à l’existence du Secrétariat général de l’enseignement catholique) et de celui annoncé par le CDH (un enseignement officiel primaire communal et un enseignement officiel secondaire organisés par un pouvoir organisateur indépendant de la Communauté française).