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Les parlements, meilleurs ennemis de l’antiparlementarisme

Numéro 05/6 Mai-Juin 2009 par Lechat Benoît

mai 2009

En approu­vant à quelques enca­blures des élec­tions régio­nales un décret sur l’at­tri­bu­tion des mar­chés publics de révi­so­rat d’en­tre­prises qui vise à com­battre les confu­sions d’in­té­rêts, le Par­le­ment wal­lon a mon­tré qu’il était capable de prendre des mesures cou­ra­geuses. Sera-t-il à même, au cours de la pro­chaine légis­la­ture de pour­suivre dans cette voie et de s’in­ter­dire un cer­tain nombre de […]

En approu­vant à quelques enca­blures des élec­tions régio­nales un décret sur l’at­tri­bu­tion des mar­chés publics de révi­so­rat d’en­tre­prises qui vise à com­battre les confu­sions d’in­té­rêts, le Par­le­ment wal­lon a mon­tré qu’il était capable de prendre des mesures cou­ra­geuses. Sera-t-il à même, au cours de la pro­chaine légis­la­ture de pour­suivre dans cette voie et de s’in­ter­dire un cer­tain nombre de cumuls qui sapent la légi­ti­mi­té et l’ef­fi­ca­ci­té de son action ? Tel est l’un des enjeux majeurs de la pro­chaine légis­la­ture wal­lonne et la même consi­dé­ra­tion est d’ailleurs valable pour le Par­le­ment bruxellois.

Il y a un peu moins de cinq ans1, La Revue nou­velle avait été l’une des toutes pre­mières à bri­ser la loi du silence sur l’at­tri­bu­tion presque sys­té­ma­tique de très nom­breux contrats de révi­so­rat d’en­tre­prises publiques wal­lonnes à une socié­té lié­geoise contrô­lée par le ministre du Bud­get Michel Daer­den. La peur de la sanc­tion de l’é­lec­teur au bout d’une légis­la­ture mar­quée par une impres­sion­nante série de scan­dales concer­nant essen­tiel­le­ment le par­ti socia­liste l’au­ra fina­le­ment empor­té. Le coup de pouce ultime a sans doute été don­né au cours des vacances de Pâques, lorsque les médias se sont beau­coup émus pour un voyage orga­ni­sé par quelques vieilles poin­tures du par­le­ment de Namur, dont son pré­sident, José Hap­part, et l’an­cien ministre-pré­sident wal­lon, M. Van Cau­wen­ber­ghe, qui fait figure de res­ca­pé mira­cu­lé par rap­port à ses proches caro­lo­ré­giens qui font, eux, l’ob­jet de nom­breuses pour­suites pour mal­ver­sa­tions mul­tiples. En pleine dégrin­go­lade éco­no­mique, don­ner avec autant de com­plai­sance le spec­tacle de la goin­fre­rie sur le compte du contri­buable fai­sait, il est vrai, plu­tôt mau­vais genre et témoi­gnait d’une forme d’au­tisme, voire de pro­vo­ca­tion inquié­tante par rap­port au « res­sen­ti » popu­laire expri­mé avec plus ou moins de jus­tesse par les médias. Il fal­lait donc mon­trer que les par­tis étaient capables d’im­po­ser un sur­saut de déon­to­lo­gie publique, ce dont les débou­chés de la famille Daer­den firent les frais.

Paille médiatique et poutre politique

Mais au fond le voyage cali­for­nien n’est-il pas une petite paille média­tique à côté de l’é­norme poutre poli­tique du fonc­tion­ne­ment moyen des ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques fran­co­phones ? Poser la ques­tion, c’est qua­si­ment y répondre. Car le prin­ci­pal pro­blème n’est pas que quelques par­le­men­taires soient par­tis en voyage en Amé­rique faire la tour­née des grands ducs au frais de la prin­cesse — le bud­get total des voyages du Par­le­ment wal­lon n’at­teint pas 300.000 euros sur une légis­la­ture. Il se trouve bien plus du côté de l’ab­sen­téisme dont se sont mon­trés cou­pables nombre de par­le­men­taires wal­lons, tout au long de la légis­la­ture écou­lée et sur­tout de la conti­nua­tion des ten­dances féo­dales que tra­duit le cumul très fré­quent entre un man­dat exé­cu­tif com­mu­nal et un man­dat de par­le­men­taire régio­nal. Si le Par­le­ment wal­lon s’est fina­le­ment doté d’un règle­ment liant les indem­ni­tés par­le­men­taires aux pré­sences, sur le modèle de celui du Par­le­ment bruxel­lois, c’est aus­si parce que plu­sieurs séances de com­mis­sions ont dû être repor­tées de manière un peu trop visible, faute de quo­rum, notam­ment pour exa­mi­ner le bud­get wal­lon… L’ex­pli­ca­tion d’une telle désin­vol­ture réside en grande par­tie dans un fait simple : sur les sep­tante-six par­le­men­taires wal­lons, qua­rante et un sont titu­laires d’un man­dat exé­cu­tif com­mu­nal de bourg­mestre, d’é­che­vin ou de pré­sident de CPAS, soit plus de 53 % du total. Au hit-parade des cumu­lards wal­lons, le MR vient lar­ge­ment en tête avec quinze de ses dix-neuf par­le­men­taires exer­çant dans les exé­cu­tifs com­mu­naux, sui­vi par le PS avec vingt et un sur trente-quatre et par le CDH, avec cinq sur qua­torze, alors qu’à Éco­lo, un tel cumul est sta­tu­tai­re­ment inter­dit. À Bruxelles, la situa­tion est à peine meilleure, avec un total de trente-cinq sur quatre-vingt-neuf, le MR affi­chant quinze cumu­lards sur vingt-quatre, loin devant le PS avec treize sur vingt-six et le CDH, trois sur onze. Le pro­blème est du reste moins l’ab­sen­téisme que ces cumuls encou­ragent que le sous-loca­lisme qu’ils ali­mentent en Wal­lo­nie comme à Bruxelles. Le juste octroi de sub­sides aux com­munes, le bon éta­blis­se­ment des grandes orien­ta­tions en matière éco­no­mique ou d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire exigent en effet que les par­le­men­taires soient en mesure de se his­ser au niveau de l’in­té­rêt géné­ral de la Wal­lo­nie. Or celui-ci ne peut se résu­mer aux arran­ge­ments plus ou moins glo­rieux entre inté­rêts locaux pas­sés par des par­le­men­taires qui sont en même temps de bons repré­sen­tants de leurs com­munes. Le plan Mar­shall n’a pour l’heure pas vrai­ment déro­gé à cette tra­di­tion soli­de­ment ancrée de bal­ka­ni­sa­tion des pou­voirs et des admi­nis­tra­tions, comme en atteste le dos­sier de ce pré­sent numé­ro. À Bruxelles éga­le­ment, on se demande qui sera en mesure d’im­po­ser que les com­munes se défassent de cer­taines de leurs com­pé­tences au pro­fit de la Région, pour par­ve­nir par exemple à la mise en place d’une poli­tique coor­don­née et cou­ra­geuse en matière de mobilité.

Pour une critique de la gabegie féodale dans les grandes gares wallonnes

Plu­tôt que d’être les relais des par­ti­cu­la­rismes, les Par­le­ments régio­naux pour­raient aus­si ren­for­cer leur tra­vail de contrôle des exé­cu­tifs et pas­ser à la mou­li­nette tous les arran­ge­ments féo­daux dont la « poli­tique » fer­ro­viaire wal­lonne offre une cui­sante illus­tra­tion. Même si le rail reste une com­pé­tence fédé­rale, le Par­le­ment wal­lon pour­rait en effet très bien pous­ser le gou­ver­ne­ment régio­nal à peser de tout son poids sur la manière dont les prio­ri­tés fer­ro­viaires wal­lonnes sont éta­blies avec la béné­dic­tion des fran­co­phones de la SNCB et du gou­ver­ne­ment fédé­ral. La répar­ti­tion des inves­tis­se­ments fer­ro­viaires wal­lons de ces der­nières décen­nies est en l’oc­cur­rence lit­té­ra­le­ment scan­da­leuse, en rai­son prin­ci­pa­le­ment de la folie des gran­deurs qui conti­nue d’a­ni­mer cer­tains res­pon­sables de grandes villes wal­lonnes qui orientent vers leurs loca­li­tés des sommes colos­sales pour la construc­tion de nou­velles gares au détri­ment de la réno­va­tion d’un réseau pour­tant en très piètre état. À Liège, le chan­tier de la gare TGV enta­mé en 1999 sera peut-être fina­le­ment ache­vé à l’au­tomne et les res­pon­sables poli­tiques lié­geois ne man­que­ront pas de s’en gar­ga­ri­ser. Mais si leurs fan­tasmes pha­rao­niques auront été assou­vis, ce sera sur le dos de l’in­té­rêt géné­ral wal­lon. En effet, alors que rien n’a été vrai­ment concer­té quant à l’in­té­gra­tion de la gare dans la ville, le chan­tier a déjà englou­ti au moins 400 mil­lions d’eu­ros (16 mil­liards de francs, pour que ce soit plus clair) pour guère plus de 36.000 voya­geurs par jour. Et l’on a réduit le nombre de voies ! À titre de com­pa­rai­son, à Ber­lin, dans la capi­tale de la répu­blique fédé­rale alle­mande, une polé­mique est née parce que pour construire une nou­velle gare pour plus de 300.000 voya­geurs par jour, un mil­liard d’eu­ros ont été dépen­sés… Les Mon­tois ont des rai­sons de se faire du sou­ci parce que le même « archi­tecte » a été choi­si par Elio Di Rupo pour construire une gare (en par­tie en forme de… dra­gon) qui devrait coû­ter « seule­ment » une cen­taine de mil­lions d’eu­ros (esti­ma­tion de départ…), alors que les autres gares de la région sont dans un état pitoyable. Dénon­cer et com­battre pareilles poli­tiques est autant du res­sort des Par­le­ments que des médias. Les enjeux, ne fût-ce qu’en termes bud­gé­taires, sont autre­ment impor­tants, mais aus­si plus dif­fi­ciles à défendre que les grandes bouffes de quelques res­ca­pés de la vieille culture poli­tique. En renouant plei­ne­ment avec leur fonc­tion de contrôle des exé­cu­tifs, les Par­le­ments sont en mesure de se faire les meilleurs enne­mis de l’antiparlementarisme.-

  1. La Revue nou­velle, « Libé­rer la liber­té de la presse », sep­tembre 2004.

Lechat Benoît


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