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Les objectifs pédagogiques d’un nouvel enseignement secondaire

Numéro 9 Septembre 2008 - Enseignement-enfance par Francis Tilman

septembre 2008

Les défis auxquels est confrontée l’école sont tels qu’ils exigent une refondation générale de l’enseignement secondaire et non des mesures de réforme disséminées çà et là. Pour ce faire, il semble utile de commencer par définir les finalités et les objectifs prioritaires de l’école. Quatre principes sous-tendent les propositions : tous les jeunes sont capables d’apprendre ; le rôle de l’éducation est de rompre avec les conditionnements pour stimuler le potentiel de chacun ; la relation entre professeur et élève s’inscrit dans le collectif ; les missions de l’enseignement doivent être centrées sur l’essentiel : le développement des diverses formes d’intelligence et l’éducation au vivre-ensemble et à la citoyenneté. Le programme propose de manière systématique une gamme de buts, les classe en sept grands domaines, et les articule dans une perspective de pédagogie active et intégrée.

Nous savons l’ampleur de la crise actuelle de l’école secondaire. Nous croyons aussi qu’il est nécessaire de tenir compte des blocages socioéconomiques et culturels de notre société et de penser à leur dépassement pour construire un projet d’école qui tienne la route. Pour ces deux raisons — la crise présente de l’école et les défi s sociaux majeurs pour le proche avenir -, il ne nous paraît pas pertinent de partir des systèmes de pensée habituels pour trouver la solution aux problèmes actuels et futurs de l’enseignement secondaire. C’est pourquoi nous voulons penser une refondation de l’école secondaire sur des bases radicalement nouvelles.

Un nouveau projet

Un nouveau projet d’école secondaire ne déploiera sa pleine mesure qu’en prenant appui sur une réforme de l’école du fondement (s’adressant aux élèves âgés de six ans à quatorze ans), chargée de mener tous les enfants au socle des compétences requises pour une insertion sociale et citoyenne. Ce socle représente aussi le tremplin pour un perfectionnement à poursuivre, soit grâce aux études dans le cadre scolaire, soit, de manière différée, à travers la formation des adultes, l’éducation permanente, l’apprentissage autodidacte, etc. Ce socle de compétences ne peut donc pas être considéré comme un « minimex » intellectuel, un « bagage pour la vie ». À l’école du fondement, il s’agit déjà d’apprendre à penser par soi-même et à devenir capable de s’approprier des savoirs nouveaux.

Il ne nous semble pas nécessaire d’attendre que la réforme de l’enseignement du fondement soit pleinement aboutie pour nous atteler au projet de refondation de l’enseignement secondaire.

Les perspectives d’une nouvelle école secondaire impliquent la défi nition d’objectifs et le choix de stratégies pédagogiques appropriées ; elles exigent aussi de prévoir une organisation et des structures qui favorisent la poursuite des objectifs et la mise en oeuvre des choix pédagogiques ; elles supposent enfi n de prendre en compte les modifi cations des conditions d’enseignement et du métier d’enseignant découlant des changements souhaités. Dans cet article, nous nous contentons de dessiner les grands principes d’orientation, les buts généraux et les objectifs d’apprentissage qui nous apparaissent prioritaires et à propos desquels nous attendons les réactions des lecteurs. Quant aux aspects organisationnels, aux questions de méthodes pédagogiques et à la réfl exion sur la nouvelle identité enseignante, ces différents thèmes seront développés dans la suite de notre travail prospectif. Le lecteur intéressé trouvera sur les sites de Meta1 et de La Revue nouvelle 2 d’autres textes complétant ce premier volet du projet ainsi que les textes de réaction des lecteurs.

Les pistes que nous ouvrons ici valent pour toutes les formes d’enseignement secondaire. Nous pensons que les objectifs pédagogiques retenus sont suffi samment larges et généraux pour intéresser les jeunes des fi lières de transition comme ceux des fi lières de qualifi cation. Des objectifs pédagogiques communs se justifi ent d’autant plus, selon nous, que l’enseignement secondaire fait partie de l’enseignement obligatoire et s’adresse donc à tous. La traduction organisationnelle concrète devra, quant à elle, articuler ces objectifs à la spécifi cité de chacune des grandes filières.

Quatre grands principes et sept axes pour orienter la définition des buts et objectifs de l’école secondaire

Quatre principes

Notre proposition s’appuie sur quatre principes généraux1. Le premier est celui de l’éducabilité. Il signifi e que tous les jeunes sont capables d’apprendre. Tel qu’il est et à partir de son propre point de départ, chacun peut progresser et ce, dans tous les domaines. Si les dons existent, ils ne s’expriment que grâce au travail de stimulation et d’entraînement d’un potentiel. Il convient d’expérimenter et de développer tous les registres des potentialités, toutes les formes d’intelligence (à la fois sous les facettes de la compétence langagière, du raisonnement logique, de l’habileté corporelle, de la capacité relationnelle, de l’intériorisation, de la sensibilité artistique, du sens moral, etc.).

Le second principe met en avant une nouvelle vision de l’élève. Abandonnons le puérocentrisme : considérons l’enfant/le jeune comme acteur de sa formation et moteur de son apprentissage, certes, mais non comme le producteur totalement autonome de son savoir, ni comme le juge en dernier recours du contenu à apprendre. Construisons une image de l’élève à la fois comme un potentiel à développer et comme un potentiel soumis à un ensemble de contraintes culturelles, économiques, politiques. Le rôle de l’éducation est de rompre avec les conditionnements pour stimuler le potentiel de chacun.

Le troisième principe met en question la conception de la relation pédagogique impliquant un élève caractérisé avant tout par ses traits personnels, son tempérament, ses goûts, ses forces et ses faiblesses, sa motivation, son projet d’avenir, etc., toutes ces caractéristiques étant conçues comme autant d’attributs entièrement individuels (au même titre que l’enseignant se voit caractérisé par des qualités elles aussi éminemment personnelles). Notre proposition vise à inclure d’emblée et en permanence la relation pédagogique profs-élèves ainsi que les savoirs enseignés dans leur dimension collective (on apprend ensemble ; cela se passe au sein d’une institution) et dans un contexte social (on apprend pour se servir à l’extérieur, dans la société, de ce qu’on a appris ; c’est la société qui fi nance l’institution et lui attribue ses missions)

Enfin, dernier principe, il s’agit de simplifi er les missions de l’enseignement, pour se centrer sur le coeur de la cible. Cessons de faire de l’école la bonne à tout faire, chargée de l’éducation à la santé, au code de la route, à la consommation, à la sexualité, à la parentalité, etc. Renvoyons à d’autres institutions et à d’autres acteurs la réalisation de certaines missions confi ées aujourd’hui à l’école et focalisons-nous sur des buts et des objectifs centrés sur ce qui ne peut s’apprendre ailleurs : d’une part, le développement systématique des multiples formes d’intelligence représentant le potentiel de chacun (tout en privilégiant les apprentissages cognitifs liés au langage et au raisonnement) ; d’autre part, l’éducation systématique au vivre ensemble (depuis les relations interpersonnelles jusqu’aux dimensions de la société) et à la citoyenneté.

Sept axes

Nos propositions sont organisées autour de sept axes : l’école secondaire poursuit des compétences relatives

  • à la vie dans une société technologique ;
  • à la vie dans une société démocratique et pluriculturelle ;
  • au développement cognitif ;
  • au développement artistique ;
  • au développement corporel ;
  • au développement socioaffectif ;
  • au développement des valeurs.

Nous allons à présent démultiplier chacun de ces axes en quelques buts prioritaires et traduire ces derniers en une série d’objectifs plus concrets correspondant à des contenus d’apprentissage. Ce travail programmatique systématique ne signifi e pas que tous les objectifs retenus s’additionnent comme autant d’éléments isolés. Le menu serait alors indigeste ! Selon notre optique, les objectifs se complètent mutuellement, se recouvrent en partie et peuvent être poursuivis grâce à des démarches intégrées. Le menu aura ainsi de la saveur !

Compétences pour vivre dans une société technologique

Quelles seraient les compétences à maîtriser pour vivre dans une société technologique ? Chacun est d’ores et déjà confronté à une telle société, et celleci évolue très rapidement, modifi ant en profondeur de nombreuses dimensions, tant matérielles que culturelles, de notre existence quotidienne. Quels buts prioritaires ce premier axe conduit-il à privilégier ?

Un usager autonome et critique

Nous nous situons ici sur le plan de la vie personnelle, réservant la question de la formation professionnelle à un autre article. Sur un plan personnel, chacun doit pouvoir se situer de manière autonome et critique vis-à-vis des technologies, à la fois comme utilisateur privé et comme usager citoyen. Comme utilisateur privé, il s’agit de pouvoir être relativement débrouillard face aux technologies. Comme usager-citoyen, il s’agit d’être en mesure de participer aux débats démocratiques sur les choix et les enjeux technologiques, à des décisions et à des actions collectives dans ces domaines.

Ce but entraîne le développement de certaines compétences cognitives : être capable de modéliser, maîtriser des langages scientifi ques et techniques, être capable de se documenter, etc. Il implique l’acquisition de certaines compétences socioaffectives, comme avoir confi ance dans son jugement, ne pas être dépendant des experts, ne pas avoir peur de l’inconnu. Ce but suppose aussi la maîtrise de certaines connaissances scientifi ques, techniques, économiques et sociopolitiques.

La société actuelle se caractérise par un système social de communication largement basé sur des médias technologiques dont les jeunes sont familiers (télévision, vidéo, MP3, GSM, I‑phone, divers usages d’internet). Pouvoir décoder les caractéristiques des savoirs véhiculés par les différents médias correspond à un but essentiel. L’enjeu est ici aussi de former un usager autonome et critique. Pour cela, il faut pouvoir comprendre les langages et les grammaires des différents médias, les comparer entre eux, et avec les médias écrits, pour mesurer le pouvoir et les limites de chacun. Le jeune découvrira ainsi comment telle sorte de média véhicule tel type de contenu spécifi que, et donc limité. Rien de tel pour devenir un usager autonome et critique que d’être amené à réaliser soi-même des productions se rapprochant le plus possible des productions professionnelles.

Une attention particulière sera accordée à l’informatique. Au-delà d’une maîtrise minimale des logiciels courants, il semble important de développer la capacité de modéliser les principaux logiciels, dans le but de construire une lecture au second degré des usages habituels et des nouvelles applications. Expérimenter la logique de la programmation (à travers un tableur ou Logo, par exemple) permettra d’ouvrir la boîte noire de l’informatique et de ne pas être naïf par rapport aux possibilités et aux limites de l’ordinateur.

Dans le même ordre d’idées, pour instaurer une lecture au second degré des pratiques concrètes, très familières, mais le plus souvent non réfl échies, de l’outil technologique puissant que représente internet dans la vie quotidienne des jeunes, l’objectif d’apprentissage est de pouvoir identifi er et caractériser divers usages possibles d’internet : recherche d’information ponctuelle, documentation, téléchargement à partir d’un réservoir de fi lms, séries, musique, émissions TV ou radio, outil de communication écrite ou orale, en direct ou en différé, mise en scène de sa vie (blog, webcam), création d’un réseau de relations (« amis », « rencontres », groupe partageant un hobby, partenaires de jeux virtuels). Ensuite, il s’agit de mener une réfl exion en classe sur la manière de se situer personnellement vis-à-vis des différents usages rencontrés et vis-àvis de l’expérience du virtuel (comme société parallèle).

Le rapport nature/technique

Selon une démarche dialectique, le jeune doit expérimenter, au pôle opposé, le contact direct avec la nature, sous ses différentes formes (domestiquée et sauvage). Ces mises en situations l’amènent à comprendre la place première de la nature dans le développement de la vie humaine, sous son aspect biologique et social. Le jeune doit pouvoir analyser la manière dont l’homme a toujours « négocié » avec la nature et découvrir ainsi le rôle de la technique dans l’évolution de notre société. Il s’agit de saisir comment la technique sert à exploiter les ressources de la nature, comment elle rompt avec les processus naturels et tend à se substituer à eux, comment elle justifi e son développement selon sa propre logique d’innovation, comment la recherche de profi t liée au capitalisme industriel s’appuie sur l’innovation technologique et encourage son accélération. Il s’agit alors de tenter d’anticiper les conséquences de cette accélération, ici et ailleurs, et d’intégrer le concept de « prises de risques », dans le cadre des évolutions technologiques couplées à la recherche de profit.

Comprendre le rapport nature/technique ouvre directement sur la capacité d’analyser l’évolution socioéconomique selon un modèle écologique, au sein duquel une série d’éléments sont interdépendants. Cette aptitude est une condition pour la compréhension des enjeux environnementaux et dès lors, pour l’implication des jeunes en tant que citoyens face à ces enjeux qui, de toute façon, les concernent en première ligne.

Instaurer un enseignement des sciences et des technologies non pour elles- mêmes (les sciences triomphantes ont montré leurs limites), mais pour viser un progrès social (ce progrès implique sauvegarde et distribution des ressources, développement collectif et respect des générations futures). Le premier axe se voit ainsi articulé au dernier : l’éducation du sens éthique et le développement des valeurs.

Compétences pour vivre dans une société démocratique et pluriculturelle

Une culture de l’acteur

Un premier grand but prioritaire d’une éducation pour vivre dans une société démocratique et pluriculturelle consiste en l’acquisition d’une culture de l’acteur. La notion d’acteur s’entend à la fois sur le plan individuel et collectif. Autrement dit, l’école doit contribuer à forger une culture où l’élève apprenne à se sentir responsable de sa propre vie, à travers son pouvoir d’action personnel, tout en ayant conscience des forces collectives dans lesquelles s’inscrivent ses choix et ses décisions. Le jeune doit expérimenter à sa mesure l’historicité de la société (cette dernière se construisant à partir des décisions de différents acteurs, ainsi que d’une série d’opportunités).

Un premier objectif concret d’apprentissage en ce sens privilégie le projet. Il s’agit d’apprendre à analyser des projets existants, à l’école ou à l’extérieur. Il s’agit surtout d’apprendre à élaborer et à mener à bien des projets individuels et collectifs, en classe (avec une ouverture éventuelle sur des partenaires extérieurs).

Un second objectif, lié au précédent, vise à faire (re)découvrir la dimension collective présente dans l’expérience vécue du jeune, d’abord, au niveau immédiat de sa vie quotidienne (scolaire, domestique, professionnelle) et ensuite, au niveau de mécanismes plus globaux et abstraits (d’ordre politique, économique, culturel) qui le touchent tout aussi concrètement, même si c’est de manière inconsciente. Sans prise en compte de la dimension collective, il n’y aura pas de véritable culture de l’acteur. Cet objectif va à contre-courant de la culture dominante de la société actuelle, valorisant l’hyperindividualisme et le consumérisme à consonance identitaire (« Vivez comme vous voulez », proclame la chaîne de magasins Delhaize ; « Une école comme je la veux », promet une brochure du ministère présentant le décret Missions de l’école)… L’objectif se heurte aussi à la culture enseignante, marquée par une longue tradition méritocratique, en vigueur à l’école depuis au moins un siècle. La majorité des enseignants privilégient dès lors une lecture individualisante de la réussite scolaire et par extension de la réussite socioprofessionnelle (due avant tout, selon eux, aux aptitudes, aux choix, à la volonté, à l’investissement, à la force de caractère, etc., autant de qualités considérées comme personnelles). Décoder la dimension collective cachée dans la vie de chacun représente donc un objectif particulièrement diffi — cile à poursuivre aujourd’hui, à l’école. Il suppose à la fois de s’appuyer sur l’expérience vécue des jeunes (et des profs qui, de leur côté, doivent être préparés à cette démarche) et de mobiliser des concepts élémentaires d’histoire, d’économie, de sociologie, de psychologie sociale, en vue d’analyser ce vécu.

S’éprouver comme acteur suppose aussi de se (ré)approprier la dimension du temps, à moyen et à long terme. L’histoire abordée comme récit permet de dépasser le culte du présent, la primauté de l’immédiat, l’absence de repères. Voilà donc encore un objectif d’apprentissage lié à l’acquisition de la culture d’acteur.

L’approche historique est utilisée comme instrument de compréhension du présent et de création de l’avenir. Le jeune y trouvera un éclairage sur la situation actuelle grâce à une mise en perspective et à une prise de recul. Il y puisera aussi un réservoir d’utopies et de projets qui ont mobilisé les acteurs du passé, mais n’ont pu être réalisés que partiellement. Ce réservoir légué par les acteurs d’hier, une fois mis en récit et contextualisé, représente alors un gisement d’idées et de pistes susceptibles de nourrir de nouveaux projets pour les acteurs d’aujourd’hui.

L’exercice du pouvoir

Se situer vis-à-vis de l’exercice concret du pouvoir à l’échelle d’une organisation constitue un deuxième grand but de l’éducation démocratique.

Le premier objectif est d’apprendre à analyser les mécanismes du pouvoir au sein de situations vécues par les élèves. Pour comprendre les mécanismes concrets du pouvoir, un courant méthodologique est à la disposition des professeurs : les démarches de l’analyse institutionnelle2 permettent de repérer et de décoder les formes de pouvoir à l’oeuvre dans les organisations de tous types, et en particulier à l’école.

De nombreux événements scolaires et extrascolaires se prêtent à la découverte et au décodage des mécanismes concrets du pouvoir, à l’échelon d’une institution. Si l’on s’entraîne fréquemment à ce genre d’analyse, elle devient familière et peut s’appliquer alors sur les événements les plus courants de la vie à l’école (et ailleurs). Cette compétence d’analyse de l’exercice du pouvoir « sur le vif » prépare directement les jeunes à prendre place dans des instances de démocratie participative ainsi qu’à s’impliquer dans des projets collectifs.

L’objectif d’analyse institutionnelle du pouvoir se prolonge dans un second objectif d’apprentissage : l’exercice direct et collectif du pouvoir par les jeunes. Dans ce domaine également, de nombreuses applications pédagogiques (démarches de coopération, apprentissage de la confrontation de points de vue, de la négociation et de la prise de décisions collectives, conseils de tous, projets de classe, instances formelles de participation des élèves, etc.) et plusieurs courants méthodologiques (pédagogie coopérative, pédagogie institutionnelle, pédagogie du projet, interactionnisme pédagogique, etc.) ont déjà fait leurs preuves. Cet apprentissage de la coopération et de l’exercice partagé du pouvoir, pratiqué à l’occasion des apprentissages cognitifs et de l’organisation de la vie collective de la classe, familiarise les jeunes à la mise en pratique de l’attitude de la solidarité. L’attitude solidaire et le savoir-faire coopératif, au même titre que toutes les découvertes faites et les nouvelles compétences acquises dans le domaine du pouvoir, devraient pouvoir être transférés ensuite, de l’expérience scolaire, vers d’autres lieux collectifs de vie des jeunes.

Toujours en lien avec la question de l’exercice du pouvoir, un dernier objectif nous paraît indispensable : apprendre à traiter les enjeux de la vie collective par la raison (le savoir objectivé, la distanciation, le raisonnement logique). Cela présuppose tout à la fois la reconnaissance du bien-fondé du traitement des problèmes par cette voie et la capacité d’exercer efficacement la raison sur ce genre d’objet (voir l’axe du développement cognitif).

L’enjeu est aussi de faire découvrir que dans l’espace « public », il ne s’agit pas pour les individus de « s’aimer » (au sens d’éprouver des sentiments et des affects positifs ou négatifs), ni de partager les mêmes convictions religieuses, ou les mêmes goûts, ou les mêmes références culturelles, ou les mêmes modes de vie, etc. (cela ressortit à l’espace « privé »). Il s’agit plutôt pour tous de « s’accepter l’un l’autre » aussi différents soient-ils (ce qui est une autre forme d’amour, moins connotée affectivement et plus universelle) et de collaborer au sein d’un cadre institutionnalisé et par rapport à des objets et des buts externes (ce qui introduit une médiation entre les individus). Cette posture d’acceptation mutuelle et de coopération, relativement neutre et sans exclusive, autour de buts et d’activités en commun, devrait caractériser la relation pédagogique profs-élèves ainsi que les rapports entre les élèves en classe, dans la mesure où l’école pour tous relève de l’espace public, et non du monde domestique (à l’instar de la famille). Ainsi se verraient affaiblis les stéréotypes de type raciste, les incompréhensions d’ordre culturel, les compensations affectives à l’ineffi — cacité pédagogique, etc., autant de mécanismes qui vont à l’encontre de notre conception de l’égalité entre les élèves.

Dans le même ordre d’idées, préparer à la citoyenneté appelle la valorisation de l’ordre du droit. Les élèves doivent apprendre à (re)connaître la règle commune ainsi que son mode d’élaboration et d’application. Cela veut dire aussi comprendre que le droit et la règle sont indispensables à la vie collective et découvrir que l’ordre du droit délimite un espace public commun sécurisant, dans la mesure où la règle explicite et formalisée favorise à la fois la distanciation et la communication entre tous les individus de son ressort. Ainsi, comme expliqué au point précédent, la règle commune pacifi e le vivre ensemble. De manière dialectique, cet apprentissage de l’« institué » est complémentaire aux objectifs de l’analyse institutionnelle et de la pédagogie institutionnelle qui peuvent, quant à elles, conduire à remettre en question et à vouloir changer la règle établie (pour en instaurer une nouvelle).3

Un patrimoine culturel en héritage

Un troisième grand but prioritaire de l’éducation pour vivre ensemble dans une société démocratique et pluriculturelle est l’acquisition d’une culture commune par tous les jeunes de l’enseignement secondaire. Il s’agit de donner l’occasion de s’approprier des éléments du patrimoine scientifique, littéraire, artistique, technique, spirituel, en lien avec les humanismes qui les ont produits 4. Cela signifi e rencontrer et s’approprier un ensemble d’oeuvres maîtresses du passé, pour déchiffrer le présent, qui en porte certaines traces ou au contraire les a totalement enfouies, pour comprendre l’évolution du monde qui apparaît tantôt en continuité, tantôt en rupture avec ces oeuvres, pour pénétrer dans d’autres visions du monde, pour imaginer plusieurs scénarios d’avenir possibles. Sur un plan culturel général, à l’échelle de l’humanité (ou des humanités), chaque jeune doit être préparé à « hériter » et faire siens, ne fût-ce qu’un peu, les humanismes des générations antérieures, c’est-à-dire les systèmes de représentation par lesquels les hommes et les sociétés ont tenté de donner sens à leur vie et à leur présence au monde. Cet héritage suppose d’élargir le contenu de la découverte au savoir et à l’art non occidentaux.

L’historique du déroulement de la pensée conduisant à la production de l’oeuvre, la reconstitution des chemins suivis, des impasses rencontrées et des obstacles surmontés doivent servir de guide dans la découverte de ce patrimoine, afi n de montrer comment les découvertes scientifi ques, artistiques, etc., concrètes sont des réponses à de grands problèmes du temps, en lien avec le contexte, les représentations et les projets des acteurs qui sont à leur source. Découvrir certaines oeuvres représentatives, léguées par les humanismes des générations antérieures, ne signifi e pas à nos yeux qu’il faille imposer aux adolescents la visite de musées poussiéreux ou l’écoute d’exposés encyclopédiques soporifi ques. Au contraire ! Aujourd’hui, les musées ont développé une pédagogie originale de découverte du patrimoine artistique. De leur côté, les associations de promotion de la science auprès des jeunes, les Jeunesses musicales, les associations de découverte du patrimoine urbanistique, industriel, technologique, ethnologique, spirituel (d’ici ou d’ailleurs), etc., sont en mesure de proposer des outils pédagogiques, des banques de données et des démarches actives aux enseignants, qui peuvent ainsi bénéfi cier d’un appui didactique précieux.

La découverte des oeuvres choisies, dont on aura dégagé les éléments clés (par référence à une liste de questions), ouvrira alors sur une approche pluriet interdisciplinaire et sur une meilleure compréhension du présent.

Démocratie et droits de l’homme

Un quatrième grand but relevant de l’éducation pour vivre ensemble dans une société démocratique et pluriculturelle consiste à s’approprier les droits de l’homme et les règles de fonctionnement de la démocratie représentative, en tant que références culturelles communes de la société occidentale (et au-delà), et à se situer par rapport à eux.

La première étape consiste à viser la mise en place et/ou le renforcement de ces références culturelles communes de la société occidentale, auprès des jeunes, autochtones et allochtones. Dans un second temps, les principes contenus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (ou ceux présidant au fonctionnement de la démocratie représentative) seront relativisés : ils seront contextualités historiquement et seront comparés et confrontés à d’autres principes de droit — issus d’une référence religieuse, par exemple, ou en vigueur dans d’autres sociétés.

Ensuite, vient le temps de l’organisation du débat au sujet du rapport entre, d’une part, la citoyenneté commune (relevant de l’espace « public ») et, d’autre part, les spécifi cités communautaires et autres préférences particulières (relevant de l’espace « privé »), entre autres les religions, les langues, les modes de vie, etc. Il convient de reconnaître les spécifi cités et les limites de chaque culture particulière et le champ de leur expression. La vie quotidienne à l’école est un lieu privilégié pour en faire l’expérience et découvrir l’existence d’une zone privée et d’une zone collective. Cela nécessite d’assurer les conditions qui rendent supportables les contradictions inévitables, voire les confl its, issus de la pluralité des systèmes de valeurs en présence au sein de la classe et à l’école.

Cet objectif d’apprentissage est donc en tension entre deux pôles, accordant la priorité à l’appropriation par tous des valeurs communes, tout en reconnaissant, à travers l’organisation du débat, l’existence d’un pluralisme de valeurs parmi les élèves d’origines ethniques diverses. Un nouveau défi viendra encore nourrir cette tension : il faudra aussi à l’occasion prendre en compte des problèmes éthiques nouveaux (avortement, euthanasie, adoption d’enfants par des couples homosexuels, etc.). D’une manière générale, il s’agit d’adopter une approche rationnelle et de distinguer le registre de la morale et le registre de la loi, qui chacune obéissent à une logique propre, tout en cherchant à jeter des ponts entre les deux registres (voir ci-dessous, à propos des apprentissages liés aux valeurs).

Dans la perspective dynamique d’une société s’ouvrant de plus en plus aux échanges et à la mobilité des biens, des informations et des personnes, à une échelle mondiale, l’éducation à la démocratie et aux droits de l’homme prend une acuité nouvelle et nous semble un but diffi cile, mais nécessaire, de l’enseignement. Un inventaire des méthodes et démarches pédagogiques appropriées permettrait de mieux outiller les enseignants sur ce plan.

Autres langues, autres visions du monde

Dans l’axe de la gestion de la pluriculturalité en classe, un dernier grand but prolonge celui de la culture commune : il consiste à encourager la connaissance d’autres langues que la langue vernaculaire. L’apprentissage d’une autre langue devient l’occasion de comprendre de l’intérieur en quoi cette langue (comme toute langue) est le véhicule d’une pensée, d’une culture, d’une vision du monde. Pour les immigrés de première génération, c’est la manipulation du français, comme langue étrangère, qui peut favoriser et accélérer le processus de compréhension de l’autre culture.

Compétences liées au développement cognitif

L’axe du développement cognitif se traduit tout d’abord dans deux buts souvent associés : l’entraînement de l’intelligence langagière et du raisonnement. Nous pénétrons ici dans un domaine nettement plus familier à l’enseignement secondaire actuel.

L’intelligence du langage

Dans le domaine des compétences langagières, le premier objectif d’apprentissage est la maîtrise des usages oraux et écrits du français. Cela veut dire pouvoir utiliser la langue commune usuelle, tant orale qu’écrite, en tenant compte des pratiques langagières des différents milieux sociaux. Le jeune sera mis en situations répétées et diversifi ées, le poussant à manipuler la langue orale et écrite, sous toutes les formes et pour tous les usages. Pratiquer l’expression libre5 constitue un puissant moyen pour y arriver. Utiliser la langue dans la poursuite de recherches personnelles ou dans la réalisation de projets collectifs est une autre voie à privilégier. Le travail en petits groupes donne aussi l’occasion d’éprouver les ressorts et les pièges de la langue comme outil de communication entre élèves. De manière complémentaire et dans une démarche dialectique, les rouages de la communication non verbale sont à explorer et à comparer avec ceux de la communication verbale.

Un second objectif consiste, en dehors de tout apprentissage fonctionnel, à favoriser l’expression orale et écrite pour elle-même, à donner le goût de la lecture et à faire découvrir grâce aux livres le plaisir d’explorer divers univers non familiers, réels ou imaginaires, à expérimenter la force de la formulation orale et surtout écrite pour donner forme à sa propre pensée, à apprendre à apprécier les subtilités du langage écrit, tant à la lecture qu’à l’écriture, et la richesse de forme et de contenu de beaux textes. Rien de tel que d’expérimenter la langue comme un moyen personnel et social de connaissance, d’imagination et d’action et, du même coup, comme une source de pouvoir !

D’autres langages devraient être reconnus et entraînés, pour la communication et comme moyen de donner forme à la pensée. Nous pensons ici aux différents modes de formalisation (mathématique, schématisation, graphisme). Nous songeons également aux diverses techniques artistiques (la peinture, la sculpture, l’expression gestuelle, le théâtre, le cinéma, l’expression musicale, etc.). Ces langages artistiques représentent autant de moyens d’expression à utiliser avec les jeunes comme supports de la pensée et de l’émotion (voir aussi les axes du développement artistique et du développement socioaffectif).

L’intelligence de la raison

Le second grand but du développement cognitif vise la maîtrise des mécanismes intellectuels, l’entraînement du raisonnement et l’exercice de l’intelligence logicomathématique.

Ces objectifs d’apprentissage donnent une place centrale à la rationalité, à la fois comme valeur culturelle et comme moyen effi cace de connaissance et d’action sur son environnement. Ils consistent à faire découvrir aux jeunes les caractéristiques et l’épistémologie du fonctionnement de l’intelligence de la raison (sous sa forme formelle-mathématique, scientifi que, herméneutique, spéculative, réfl exive), tout en la mettant en pratique dans toutes sortes de situations (depuis la construction de modèles théoriques dans le cadre d’un problème mathématique ou d’une expérience scientifi que, jusqu’à l’élaboration d’un planning ou la formulation de critères d’évaluation dans le cadre d’un projet d’action). Il s’agit aussi de montrer les forces et les limites de la raison analytique.

Cette réfl exion au second degré au sujet de l’intelligence rationnelle suppose d’être capable de modéliser la notion de vérité dans les différents registres de l’usage de la raison : comment et selon quels critères (impliquant généralement la confrontation aux faits observables) vérifi e‑t-on la validité, l’exactitude, la vérité, la pertinence, etc., des discours produits par cette intelligence, en fonction du registre de rationalité emprunté ? Chemin faisant, le jeune expérimentera que le discours rationnel, qu’il soit orienté surtout par une intention théorique ou surtout par une préoccupation pratique, comprend de toute façon une exigence de modélisation et donc, d’abstraction, et conduit ainsi à se dégager du particulier pour tendre vers le général.

Par rapport au même but de l’exercice du raisonnement, le développement cognitif vise encore à développer chez les élèves une pensée systémique et pluridisciplinaire pour affronter la complexité des situations sous leurs différentes dimensions et envisager les interactions entre ces dernières. Dans le cadre de la résolution de problèmes complexes, cela implique d’apprendre à utiliser le savoir disciplinaire et les concepts nomades6.

Dans la perspective de l’intelligence rationnelle, le développement cognitif doit aussi apprendre à penser en comparant aujourd’hui — hier — demain, ici — ailleurs, quelle que soit la discipline. Il doit apprendre à replacer les concepts et notions au sein de la théorie à laquelle ils appartiennent et à faire bon usage des concepts nomades. Le développement cognitif doit entraîner les jeunes à pratiquer effi cacement la recherche documentaire, à cibler la question orientant une recherche, à accéder aux ressources disponibles, à critiquer la pertinence et la fi abilité des informations. Le développement cognitif dans la perspective de l’entraînement de la raison suppose, enfi n, de pouvoir construire une méta-cognition à propos de son-ses rapport(s) au savoir et de ses manières concrètes de procéder pour analyser et résoudre les problèmes rencontrés.

Les compétences transversales

Le troisième grand domaine du développement cognitif correspond au but de la maîtrise de compétences transversales. Ce but recoupe en partie, mais pas totalement, le précédent. Ces compétences transversales correspondent non seulement à des savoir-faire intellectuels comme « faire preuve d’esprit critique », mais aussi à des attitudes comme « être capable d’écouter » ou « être capable de coopérer ».

Pouvoir transférer d’un contexte à un autre des connaissances, des modèles, des procédures, des savoir-faire, des attitudes, en sachant repérer dans les situations inhabituelles et inédites des analogies avec des situations familières et connues, est non seulement d’une grande utilité pour la vie quotidienne, mais représente aussi un moyen d’accroître par la pratique la puissance de l’intelligence et la capacité d’action de chacun (créativité, capacité d’adaptation, abandon des craintes face à l’inconnu, confi ance en ses propres ressources, etc.). Entraîner la capacité de transfert dans des domaines non liés aux disciplines scolaires classiques aide les jeunes à se sentir prêts à agir plus effi cacement sur des dimensions concrètes de leur vie (voir ci-dessus, à propos du but centré sur une culture d’acteur). Certains pédagogues ont développé des démarches actives visant l’entraînement des compétences transversales liées à différentes situations de vie. Ces démarches conduisent fi nalement à l’entraînement de la méta-compétence de transfert elle-même7.

Le métier d’élève

Nous associons au développement cognitif, un quatrième et dernier but : celui de rendre le jeune capable de décrire en quoi consiste son métier d’élève et de se situer personnellement par rapport à ce dernier, en coopération avec le professeur et les autres élèves de la classe. Pour y parvenir, l’enseignant suscite l’expression de l’élève au sujet de ce qu’il pense du travail à l’école, non pas théoriquement ou formellement, mais à partir de son propre vécu et de sa propre manière de se représenter son expérience scolaire. L’élève est sollicité pour expliciter les règles de fonctionnement en classe, pour énoncer les buts de l’activité scolaire, pour exprimer comment il s’y prend en vue de remplir les demandes de l’enseignant, comment il établit les liens entre règles, buts, « bonnes » stratégies, d’après lui, et la manière dont il perçoit l’effi cacité d’une activité d’apprentissage (en vue de la réussite ou en fonction d’un souci d’intégration sociale au groupe-classe ou en fonction de toute autre utilité, selon ses propres critères). L’objectif est toujours de faire exprimer le point de vue propre de l’élève sur la question, de préférence en situation et au sein du groupe-classe, dans une optique de travail psychosocial et anthropologique sur les représentations sociales, et non dans une optique de psychologie individuelle.

Pouvoir décoder les consignes données par l’enseignant (ce qui est dit et, surtout, ce qui demeure implicite parce que codé culturellement), disposer d’une méthode de travail et pouvoir réfl échir à cette méthode sont des objectifs complémentaires de l’apprentissage du métier d’élève. Toutes ces démarches de réfl exion au sujet du métier d’élève doivent conduire à un profi l d’élève plus effi cace dans son travail scolaire, à un profi l d’élève plus conscient des priorités didactiques de ses enseignants comme de ses attentes personnelles en termes de résultats, à un profi l d’élève meilleur stratège.

Compétences liées au développement artistique

Trois buts prioritaires nous paraissent orienter le programme de cet axe de l’enseignement.

Expérimenter la création

Premier but, le jeune doit pouvoir expérimenter la création artistique dans différents registres (plastique, musical, corporel, cinématographique…). La meilleure façon d’entrer dans la création artistique, c’est de l’expérimenter soimême. Si l’essentiel est de créer, la technique artistique occupe une place secondaire et est mise au service de l’expression. Une réfl exion sur la démarche suivie par les élèves les aide à comprendre de l’intérieur l’activité créatrice des artistes appartenant au domaine travaillé. La rencontre avec des oeuvres existantes et, si possible, le témoignage d’artistes au sujet de leur travail de création viennent compléter la découverte de l’expérience artistique par les élèves.

Comprendre les oeuvres

Le second but poursuivi dans le cadre du développement artistique consiste à rendre les élèves capables de comprendre et de commenter des oeuvres artistiques majeures dans différents domaines d’expression. Pouvoir exprimer les émotions ressenties devant une oeuvre d’art et pouvoir analyser les caractéristiques techniques qui ont permis sa réalisation et soutiennent sa force d’expression, voilà deux objectifs de cet entraînement à la lecture d’oeuvres d’art. Une connaissance du contexte de la vie de l’auteur, ainsi que des informations historiques sur son époque, aide les élèves à mieux pouvoir décoder les intentions de l’auteur.

Disposer de repères

Le troisième but est de donner des repères généraux aux élèves afi n de pouvoir relier des oeuvres ponctuelles à différents courants ou styles qui servent de balises pour organiser le paysage artistique global. Des informations historiques sur l’époque permettent ici encore de mettre en relief les caractéristiques des grands courants, de dégager des cohérences internes et d’établir des comparaisons. Le jeune comprendra ainsi que les productions artistiques sont toujours inscrites dans une dynamique : soit en phase, soit en réaction avec un courant dominant. L’objectif est de familiariser les élèves aux courants et aux mouvements artistiques, dans un registre étudié, au choix. Ensuite, il s’agit de pouvoir y situer une série d’oeuvres ponctuelles, en justifi ant pourquoi elles sont représentatives de tel ou tel courant et en dégageant les traits spécifi ques qui en font des oeuvres majeures (selon des critères à discuter).

Compétences liées au développement corporel

Notre corps est notre présence personnelle au monde. Développer les compétences qui donnent au corps aisance et effi cacité dans ses évolutions correspond à l’un des axes prioritaires du programme. Ce but s’impose d’autant plus que le temps de l’école secondaire recouvre la période des grandes transformations physiques de l’adolescence.

Développer des aptitudes de base

Les objectifs dans ce domaine consistent à développer une série d’aptitudes physiques de base telles la souplesse, l’endurance, la force, la vélocité, la puissance, l’adresse et la détente.

Une perspective anthropologique

Si un entraînement systématique permet de développer chacune de ces qualités pour elle-même, il importe surtout de les travailler dans leur dimension anthropologique et sociale. La pratique sportive individuelle et collective représente à la fois un moyen d’entraînement de certaines aptitudes physiques et une expérience de la manière dont le jeu du corps est mobilisé dans des cadres sociaux et culturels. L’expression gestuelle dans ses différentes formes, comme la danse, l’expression corporelle, le mime, par exemple, ainsi que les arts de maîtrise du corps comme le yoga et le taï chi, par exemple, sont d’autres modes de rencontre entre la culture et la performance physique. L’initiation aux arts martiaux peut constituer pour certains jeunes un puissant moyen d’éducation à la fois physique et mental. L’entraînement de l’habileté manuelle dans le domaine de la fabrication artisanale est une autre voie de développement à la fois corporel et culturel.

Dans ces différents domaines, la rencontre directe ou indirecte avec des « praticiens » de haut vol enrichit la compréhension des jeunes au sujet des possibilités ouvertes par un corps développé et maîtrisé, ainsi que des moyens requis pour y arriver.

Une perspective intégrée

Dans toutes ces pratiques impliquant le corps, la dimension sociale apparaît immédiatement, tout comme la dimension cognitive. Sur le plan social, le développement des aptitudes physiques permet entre autres d’expérimenter la vie de groupe ainsi que la symbolique liée au corps (en particulier, celle liée à la différence de sexe). Jeter un pont avec l’expression artistique permet de creuser la piste du corps comme langage8. Sur le plan cognitif, l’éducation physique peut être articulée, entre autres, à l’élaboration de stratégies de jeu ainsi qu’à une découverte de la biologie de l’organisme. L’enseignant peut donc, à partir d’une entrée centrée sur la technique corporelle, relier celle-ci à un usage culturel et l’articuler à des objectifs poursuivis dans les autres axes du programme, dans une perspective d’éducation intégrée.

Dans cet axe comme dans les autres, l’important n’est pas tant de couvrir tout le champ du développement corporel, mais plutôt de choisir quelques pistes, de les approfondir et de découvrir leur signifi cation dans une approche humaniste. D’autres pistes peuvent être abordées dans une optique de simple sensibilisation, en vue d’inciter le jeune, dans ce domaine aussi, à « apprendre tout au long de la vie ».

Compétences liées au développement socioaffectif

Parent pauvre de l’éducation scolaire en général, le développement socioaffectif nous paraît néanmoins receler des enjeux éducatifs fondamentaux à rencontrer à l’école. Cet axe recouvre une dimension interpersonnelle et une dimension intrapersonnelle. Les compétences socioaffectives sont directement utiles à la construction d’une culture d’acteur, sur le plan personnel et collectif, dans le cadre d’une société démocratique. Contrairement à la représentation courante, cet axe est étroitement imbriqué à l’axe du développement de l’intelligence rationnelle. Il s’articule également au développement des valeurs abordé au point suivant. Et il sert de terreau au développement des compétences langagières, tout comme à l’initiation artistique et au développement corporel. Cet axe mérite donc toute l’attention des enseignants et devrait encore être exploré plus avant, à la fois pour affi ner les buts prioritaires et à la fois pour mettre au point des démarches pédagogiques appropriées, qui semblent moins développées dans ce domaine que dans les autres axes abordés.

Nous voulons faire une autre remarque préalable. Nous situons les perceptions, les émotions et les sentiments dans le registre de la psychologie individuelle et sociale. L’axe socioaffectif correspond à des compétences à développer de manière fonctionnelle, voire technique, en adoptant une approche objective et neutre, et non une approche normative et morale. « Écouter », « faire preuve d’initiative », « gérer ses émotions », « faire preuve d’intériorité », etc. sont considérés comme des savoir-faire à entraîner (pour être plus effi cace) et non comme des valeurs à faire adopter (pour être meilleur moralement).

Gestion des émotions

Un premier but prioritaire du développement affectif est d’apprendre à reconnaître ses émotions et leurs effets. Cela signifi e pouvoir identifi er quelles émotions sont éprouvées devant telle ou telle situation, analyser comment et pourquoi elles surgissent, comprendre la façon dont elles affectent la pensée et les comportements, le plus souvent de manière inconsciente.

Dans le même registre, il faut aussi apprendre à garder la maîtrise de ses émotions. Cela signifi e pouvoir dominer ses impulsions, ses peurs et ses colères, ses découragements et ses excitations positives, les reconnaître et canaliser l’énergie qu’elles contiennent, si possible mobiliser cette énergie et en tirer parti pour élaborer une réaction créative pertinente face à la situation qui les a suscitées.

Autoévaluation

Un second grand but de cet axe poursuit le développement de la capacité à s’autoévaluer. Cela signifi e pouvoir identifi er ses ressources et ses limites personnelles, connaître ses points forts et son talon d’Achille, être capable de tirer parti de ses expériences d’échec et de réussite, pouvoir faire preuve d’humour et de recul par rapport à soi-même.

Confiance en soi

En prolongement du but précédent, il s’agit de développer la confi ance en soi, c’est-à-dire créer un sentiment fort et solide de sa valeur et de ses capacités personnelles (en lien avec la capacité à s’autoévaluer). L’attitude de confi ance en soi est source d’assurance dans les rapports humains, permet d’oser défendre des points de vue dissidents et encourage la prise d’initiative, tout en s’accompagnant d’une perception lucide des diffi cultés, des incertitudes, des risques ou des pressions possibles.

Initiative et persévérance

En lien avec les deux compétences ci-dessus — la capacité d’autoévaluation et l’attitude de confi ance en soi assortie de lucidité — le développement socioaffectif vise encore à entraîner le jeune à faire preuve d’initiative et de persévérance dans la poursuite d’un objectif perçu comme important à ses yeux. Un jeune maîtrisant cette double compétence peut déceler et saisir les opportunités qui s’offrent à lui, de la même manière qu’il peut prévoir et intégrer les diffi cultés prévisibles. Il est capable de s’appuyer sur une analyse de la situation pour préciser ses objectifs et ajuster ses stratégies d’action, en faisant preuve de créativité pour dépasser les obstacles. Il peut également faire une lecture froide des revers rencontrés et en tirer habilement parti pour relancer l’action. Il est capable de tenir la longueur, en ayant appris à planifi er son action et à doser ses efforts en conséquence…

Intériorité

Un but aujourd’hui négligé dans le développement socioaffectif, et à prendre en compte d’urgence dans l’enseignement, nous semble-t-il, est le développement de la compétence de l’intériorité. Cela implique d’organiser, dans le cadre même de l’école, des situations favorisant la poursuite de ce but, notamment en ménageant des temps de solitude et de silence, en encourageant la lecture ou l’écriture personnelles, l’exploration de l’art, l’écoute de la musique, le contact avec la nature, les moments d’introspection de type « retraite », etc., autant de situations où l’élève est entraîné à entrer en lui-même et à découvrir ses multiples ressources mentales, dans le registre des perceptions, des émotions, des sentiments, de l’imaginaire et de la créativité. C’est en lui-même aussi que le jeune doit pouvoir élaborer sa mémoire biographique, tisser sa quête d’identité, se poser des questions existentielles, donner forme à ses goûts, à ses aspirations et à ses projets. Sans la capacité de faire preuve d’intériorité, le développement de plusieurs autres compétences du domaine socioaffectif, comme aussi des domaines cognitif, artistique ou éthique, pourrait se voir compromis.

Écoute active

Un autre but du développement socioaffectif est d’apprendre l’écoute active et d’acquérir une méthode pour pouvoir refl éter ce qui a été exprimé par autrui. Cette compétence est à exercer dans des relations interpersonnelles comme dans le cadre d’un groupe.

Travail en groupe

Dernier but de cet axe, la compétence du travail en groupe doit faire l’objet d’un apprentissage systématique : par des mises en situation, il s’agit d’entraîner une série d’attitudes qui améliorent l’effi cacité du fonctionnement de groupe (comme nous l’ont appris les travaux sur la dynamique des groupes).

Compétences liées au développement des valeurs

Valeurs et affectivité

Le premier but de l’axe relatif au développement des valeurs à l’école consiste à apprendre à relier valeurs et affectivité. Les valeurs apparaissent à la conscience à partir de réactions affectives, comme l’enthousiasme ou l’indignation. Pouvoir décoder ses réactions émotionnelles et remonter aux valeurs qu’elles traduisent, tel est ici l’enjeu (voir aussi l’axe du développement socioaffectif).

Argumentation

Apprendre le bon usage des valeurs à l’école, c’est aussi développer la capacité de formaliser des problèmes plutôt que d’asséner des vérités. De même, le jeune doit pouvoir expliciter, de son propre point de vue, le rapport qu’il établit entre débat rationnel et valeurs fondatrices, c’est-à-dire pouvoir traduire dans le registre de l’argumentation logique quels sont les principes à la base de ses valeurs personnelles. Entraîner le jeune au débat rationnel à propos des valeurs, c’est lui apprendre à expliciter les valeurs au nom desquelles on établit des critères dans le cadre d’une évaluation, au nom desquelles on fonde des règles de droit, au nom desquelles on défend tel ou tel argument dans le cadre d’une confrontation de points de vue, etc.

Pratique du débat

La société démocratique et pluriculturelle accepte et encourage la confrontation des points de vue et exige, en conséquence, un travail d’explicitation et de confrontation des valeurs sous-jacentes. Un but prioritaire est dès lors d’entraîner le jeune à la négociation, qui va de pair avec la pratique du débat d’opinions. Cet apprentissage implique, d’une part, d’expliciter et de reconnaître un socle commun de principes moraux qui cimente le groupe, à travers les valeurs qui inspirent les mêmes réactions affectives et les mêmes arguments rationnels, d’adhésion ou de rejet, chez les élèves. L’apprentissage implique, d’autre part, d’expliciter et organiser un débat sur les valeurs qui, au contraire, suscitent entre les élèves des réactions affectives et des argumentations allant en sens opposé. Dans le débat entre les élèves, la confrontation avec le socle culturel commun des valeurs de notre société (démocratie et droits de l’homme) sert de garde-fou face aux risques de relativisme. Il revient à l’enseignant d’introduire et de défendre ces références culturelles dans le débat.

Rapport aux normes

Autre but encore, le jeune doit pouvoir expliciter son rapport personnel aux valeurs et aux normes, comment il se situe dans la tension dialectique entre la conformité aux règles et leur transgression, ce qu’il ressent face à la sécurité ou à l’insécurité, comment il marque ses repères face à la stabilité ou à l’incertitude, comment ses besoins affectifs ou ses préférences psychiques jouent sur ses choix de valeurs, sur ses décisions d’action, sur ses projets personnels.

Puzzle des systèmes de valeurs

L’éducation au développement des valeurs dans le cadre scolaire représente enfi n l’occasion d’un apprentissage qui ne se fait quasi jamais ailleurs. Il s’agit de faire comprendre au jeune les mécanismes par lesquels sont produites et intériorisées les normes et les valeurs qui guident ses choix et ses décisions. Cela signifi e lui faire prendre conscience que les positions morales et les normes de comportement que nous adoptons sont des productions sociales et non, des créations purement individuelles (émanant d’une personne libre de toute contrainte), ni, à l’autre extrême, des ordres « venus d’en haut » (d’origine sacrée ou transcendantale). Dans cette optique, le jeune doit pouvoir mettre à jour les différents systèmes de valeurs véhiculés par sa famille, son groupe d’amis, divers milieux socioprofessionnels, un club de fans ou de supporters dans le domaine artistique ou sportif, la publicité, etc., Enfi n, dans la mesure où chaque jeune participe luimême à différents groupes d’appartenance et où le groupe-classe est à son tour un kaléidoscope d’appartenances culturelles plurielles, l’école donne l’occasion à chacun de réfl échir à la manière dont il réalise le passage d’un système de valeurs à un autre et dont il cherche à composer le puzzle de son identité.

Quelles traductions organisationnelles ?

Dans cet article, nous nous sommes attachés en priorité à fi xer les grandes orientations d’une nouvelle école secondaire, dans l’optique d’une éducation intégrale et coopérative. Chaque objectif peut être poursuivi grâce à des méthodes et des outils pédagogiques, en grande partie déjà disponibles, dont il serait utile de dresser l’inventaire. Il reste à dessiner une nouvelle organisation des activités d’apprentissage et de l’emploi du temps scolaire permettant de concrétiser l’ensemble du programme, sous ses différentes facettes. Ce remaniement en profondeur du fonctionnement de l’école secondaire implique de nouvelles tâches et une nouvelle conception du métier d’enseignant. En réalité, c’est toute l’organisation du travail dans l’enseignement secondaire qui devrait faire l’objet d’un nouveau contrat engageant, en premier lieu, les enseignants et les élèves. C’est sur ce plan que la réfl exion prospective sera poursuivie, dans une perspective pratique.

  1. Derrière les grands principes, buts et objectifs retenus, se profi lent une vision de la société future ainsi qu’un imaginaire sociopolitique au sujet de l’avenir souhaitable auquel l’enseignement est censé préparer la nouvelle génération. Dans ce court article, nous explicitons peu l’arrière-plan sociopolitique. Nous y reviendrons à l’occasion du débat ultérieur.
  2. L’analyse institutionnelle propose des concepts et une méthode pour débusquer les formes cachées du pouvoir réel dans les institutions. La pédagogie institutionnelle, qui en est dérivée, cherche, grâce à des démarches collectives et des organes (conseil de tous, par exemple), à faire établir par les élèves eux-mêmes des règles de vie en classe ou dans l’école, et à les faire respecter par eux.
  3. L’« institué » désigne les formes d’organisation et de pouvoir explicites en place.
  4. Il convient d’élargir la notion de patrimoine culturel commun en y incluant l’architecture, l’invention technologique, les arts décoratifs, les arts culinaires, les traditions populaires, les diversités des modes de vie ici et ailleurs, etc.
  5. L’expression libre est une démarche pédagogique cherchant à faire s’exprimer l’élève, dans un registre médiatique ou artistique. Dans cette approche, le contenu de ce que le jeune a à dire est, dans un premier temps, plus important que la maîtrise technique du moyen d’expression. Celle-ci vient en second lieu, en soutien à la volonté de communiquer et comme moyen de réaliser un message plus effi cace.
  6. Un concept « nomade » est un concept issu d’un champ disciplinaire et utilisé dans d’autres champs (exemples : cellule, interface, fonction, etc.). Lors de la transposition, basée sur l’analogie, un glissement de sens s’opère, dont il faut tenir compte.
  7. Transférer n’est pas une attitude spontanée. Elle doit être voulue et se faire avec méthode. À force d’entraînement, l’activité de transfert, elle-même formalisée dans ses principes, peut devenir une compétence en soi.
  8. Cette piste peut prendre en compte d’autres formes de langage corporel familières des jeunes, comme certains styles vestimentaires ou les pratiques de piercing et de tatouage.

Francis Tilman


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