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Les négociations sur le climat à la croisée des chemins
Il faudrait être d’un optimisme digne de Pangloss pour qualifier le sommet de Copenhague de succès, tant le fossé entre ce qu’il a produit et ce qui était annoncé comme étant nécessaire pour faire face au réchauffement de la planète — notamment par l’Union européenne — parait abyssal. Point de traité international contraignant, des promesses de financement en trompe‑l’œil, des […]
Il faudrait être d’un optimisme digne de Pangloss pour qualifier le sommet de Copenhague de succès, tant le fossé entre ce qu’il a produit et ce qui était annoncé comme étant nécessaire pour faire face au réchauffement de la planète — notamment par l’Union européenne — parait abyssal. Point de traité international contraignant, des promesses de financement en trompe-l’œil, des objectifs de maitrise des émissions insuffisamment ambitieux et des dispositifs de vérification en carton-pâte, le tout avec pour épilogue une véritable entreprise de flibuste commandée par le duopole sino-américain qui domine la géopolitique de ce siècle naissant. Les causes de la lenteur géologique qui caractérise le processus de négociation sont de natures diverses. La responsabilité de certains États a été pointée à maintes reprises, alors que les organisateurs danois ont essuyé quelques critiques sur leur mode de gestion des derniers évènements. Si ces considérations apportent un éclairage utile sur le déroulement des négociations, il nous semble que l’essentiel de l’explication est à chercher dans les lois d’airain du système politique international.
En dépit des évolutions sociales et technologiques qui ont poussé au rétrécissement de l’espace planétaire, le système politique international demeure fondamentalement westphalien, au sens où il se compose d’États souverains qui disposent d’une autorité quasi absolue sur leur territoire. Si l’intensité des interactions transnationales a contribué à créer une entité sociologique globale que l’on pourrait appeler une « société-monde », cela n’implique aucunement l’intégration politique de celle-ci. De ce point de vue, les grandes lignes de l’analyse « réaliste » des relations internationales demeurent pertinentes : la politique internationale reste une affaire de confrontation d’intérêts dont les États sont les principaux médiateurs.
Cette prémisse invite à s’étonner du caractère particulièrement copieux du menu de Copenhague. Ne l’oublions pas, le climat, ce n’est pas seulement une question de niveaux d’émission de gaz à effet de serre. Lorsqu’on démêle l’écheveau qui se dissimule derrière le problème de ces gaz aux propriétés délétères, on découvre un interminable chapelet de nœuds gordiens : politiques énergétiques, politiques industrielles, aménagement du territoire, transport, commerce international, aide au développement et fonctionnement des institutions financières internationales, droits de propriété intellectuelle, sort des réfugiés climatiques, déforestation, agriculture, situation des peuples indigènes. Et cette liste n’est certainement pas exhaustive. Pour le formuler différemment, les changements climatiques n’appellent pas au traitement technique d’un dysfonctionnement ponctuel nettement circonscrit, ils nécessitent une transformation sociale globale, profonde et multidimensionnelle.
Peut-on raisonnablement envisager de traiter autant de questions extrêmement sensibles dans le cadre d’un processus de négociations intergouvernementales qui est, par définition, lent et difficile ? Négocier au niveau international, c’est nécessairement accepter de marcher au rythme du plus lent. Négocier au niveau international, c’est jouer un jeu à plusieurs niveaux, c’est-à-dire accepter qu’une décision mondiale soit contingente des dynamiques politiques domestiques. Négocier au niveau international, c’est enfin accepter comme prémisse que la dialectique des intérêts et de l’hétérogénéité des conceptions prime sur toute considération que celle-ci soit scientifique ou éthique. Cette arène pour monstres froids que constitue le système politique international semble donc particulièrement peu propice à l’élaboration d’un cadre universel de lutte contre le réchauffement aussi élaboré, a fortiori lorsque l’arène comprend près de deux-cents jouteurs. Jamais il n’a été tenté de réguler à ce point cette « société malgré elle » qu’est devenue notre planète et le cadre multilatéral onusien semble particulièrement inadapté à un tel exercice.
Lieu de représentation de l’universel, il est davantage un cadre d’expression de la diversité, un creuset où se construisent cahincaha les référents normatifs universels, qu’un lieu de production d’action publique, surtout lorsque celle-ci est supposée induire un changement aussi substantiel que celui qu’appelle la question du climat.
De ce point de vue, le fait que l’accord de Copenhague ait été produit par un nombre restreint de chefs d’État en marge du processus formel de négociation, indique la possibilité d’un changement d’approche dans les négociations. Le modèle multilatéral qui a guidé les négociations internationales depuis la fin des années quatre-vingt pourrait être supplanté par une logique de directoire dans le cadre de laquelle un club de grandes puissances donne le « la ». La régulation par le truchement d’un droit public multilatéral produit dans des enceintes garantissant l’égale représentation de tous les États serait supplantée par un droit mou, essentiellement déclaratoire, dont le contenu et la portée seraient déterminés par un nombre restreint de puissances grandes et moyennes. Le G 20 damerait en quelque sorte le pion à l’ONU.
L’autre question qui se pose est celle des limites d’une approche technocratique de la gouvernance internationale. Dans une perception étroitement technique du dossier climat, le seul obstacle à la mise sur pied d’un cadre international de lutte contre les changements climatiques serait le cynisme des intérêts immédiats défendus notamment par quelques grandes puissances économiques. Cette perception nous semble incomplète dans la mesure où elle néglige la dimension idéologique des débats. Dans l’enceinte des négociations, qu’il s’agisse des plénières ou des groupes d’experts, on assiste à l’affrontement de deux conceptions de la politique internationale du climat. La première vise à organiser la baisse progressive des émissions de gaz à effet de serre en utilisant les armes de la technique et du libéralisme, tout en veillant à préserver le caractère ouvert du système économique international et à aider les pays pauvres ou vulnérables. La seconde vise à conditionner la baisse des émissions à une résorption des inégalités internationales financée prioritairement par les pays industrialisés. Ce débat est profondément politique au sens où il met aux prises des groupes d’États porteurs d’intérêts fondamentalement divergents, mais il est également intrinsèquement idéologique au sens où il n’est pas sans rapport avec un ensemble d’idées et de représentations relatives à l’orientation générale du vivre-ensemble planétaire.
Si l’on veut saisir ce qui se joue dans ces négociations, il parait nécessaire de se départir du mythe d’une gouvernance technocratique qui tend à se présenter comme neutre et bienveillante, et à présenter les points de vue divergents comme nécessairement viciés par de l’idéologie, par des intérêts, voire par de l’incompréhension. Derrière les rodomontades bolivariennes de Chavez ou les harangues tiers-mondistes de Lumumba, c’est la colère des damnés de la terre qui gronde. Dans l’intransigeance des Chinois et des Indiens face aux tentatives de les soumettre à des exigences comparables à celles qui s’appliquent aux pays industrialisés s’exprime une revendication fondamentale relative au droit au développement économique et à la reconnaissance corrélative d’un droit égal à l’utilisation de l’atmosphère. Et, reconnaissons-le, sous l’intransigeance symétrique des États industrialisés à l’adresse des pays émergents, se profile la défense d’un niveau de vie qui n’est que très partiellement négociable et la protection d’une compétitivité économique qui fait désormais figure d’intérêt stratégique vital. Ce qui se joue depuis vingt ans dans les négociations sur le climat et qui a atteint une forme paroxystique à Copenhague, c’est bien un conflit d’intérêts et de projets largement discordants, voire radicalement opposés. L’insuccès de Copenhague doit être lu dans cette perspective et il s’explique par la persistance de profondes divergences quant à la finalité de cette politique internationale du climat qui n’en finit plus d’être en gestation.
Copenhague nous laisse en présence d’un paradoxe bien préoccupant : jamais un cadre juridique universel contraignant n’a été à ce point nécessaire et jamais il n’a été aussi difficile de le produire. Les difficultés structurelles pointées ci-dessus ne doivent cependant ni nous désespérer de la politique climatique ni nous convaincre de l’inévitabilité d’une exacerbation de la conflictualité internationale. Leur identification invite au contraire à entamer un dialogue difficile, mais nécessaire sur ce que nous voulons faire de cette « société malgré elle » qui est notre monde commun.
L’auteur s’exprime ici uniquement en tant que membre de La Revue nouvelle.