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Les nanotechnologies et l’éthique. Politiques et stratégies

Numéro 11 Novembre 2011 par Philippe Busquin

octobre 2011

Les nano­tech­no­lo­gies sont actuel­le­ment l’une des dis­ci­plines où les tech­niques se déve­loppent le plus rapi­de­ment, avec de nom­breuses appli­ca­tions pro­met­teuses dans des domaines aus­si variés que la méde­cine, l’éner­gie, l’in­dus­trie et la com­mu­ni­ca­tion. Comme toute tech­nique nou­velle, elles posent des pro­blèmes éthiques ; leurs bien­faits et leurs incon­vé­nients éven­tuels font l’ob­jet de plus en plus de débats, ain­si que leurs impli­ca­tions pour les rela­tions inter­na­tio­nales en matière de poli­tiques scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques. L’U­nes­co peut prendre des ini­tia­tives pour dres­ser un état pla­né­taire des dimen­sions éthiques des nano­tech­no­lo­gies et en étu­dier les impli­ca­tions pour les États membres.

À cet effet, l’Unesco a consul­té dès 2003 le Comest (Comi­té mon­dial éthique des sciences et tech­no­lo­gies) com­po­sé de dix-huit membres venant de tous les conti­nents choi­sis pour leur expé­rience scien­ti­fique et leur connais­sance des liens entre la science et la socié­té sur le plan de l’éthique. Avec l’aide d’un groupe d’experts, un pre­mier rap­port a été pro­po­sé en 2008 et est en voie de réac­tua­li­sa­tion vu la rapi­di­té des déve­lop­pe­ments et l’extension de la réflexion aux tech­no­lo­gies conver­gentes : nano, bio­lo­gie, infor­ma­tique, sciences cog­ni­tives (NBIC).

D’un point de vue géné­ral, la réflexion éthique doit s’intéresser aux bien­faits et incon­vé­nients poten­tiels des nano­tech­no­lo­gies mais, sur­tout, elle doit éva­luer et dis­cu­ter sur la scène publique les buts aux­quels ces tech­no­lo­gies ser­vi­ront, à l’heure où la science et la tech­no­lo­gie peuvent être mises à pro­fit pour répondre aux besoins les plus pres­sants de l’humanité.

Pour accroitre la per­ti­nence des ini­tia­tives prises, trois caté­go­ries de par­ties pre­nantes ont été asso­ciées à l’étude des dimen­sions éthiques et acti­vi­tés inter­na­tio­nales : phi­lo­sophe-éthi­ciens, scien­ti­fiques et décideurs.

Caractéristiques des nanotechnologies

Une façon de carac­té­ri­ser les nano­tech­no­lo­gies est qu’elles ont une dimen­sion inter­dis­ci­pli­naire. Il n’y a pas de tech­no­lo­gie par­ti­cu­lière à qui revien­drait l’exclusivité d’être appe­lée « nano­tech­no­lo­gie » puisque le mot désigne plu­sieurs tech­no­lo­gies et sciences. Du point de vue scien­ti­fique, les nano­tech­no­lo­gies remettent en cause les dis­tinc­tions habi­tuelles entre les dis­ci­plines scien­ti­fiques. De sur­croit, c’est un domaine où la dis­tinc­tion entre science et tech­no­lo­gie est très dif­fi­cile à main­te­nir, puisque scien­ti­fiques et ingé­nieurs sont ame­nés à tra­vailler dans les mêmes équipes. Enfin, les fron­tières mêmes entre sciences exactes et sciences humaines s’estompent sitôt qu’on se place à l’échelle nano­mé­trique. Les inter­ac­tions construc­tives entre sciences exactes et sciences humaines doivent donc être ren­for­cées si l’on veut évi­ter les fausses repré­sen­ta­tions mutuelles et les quiproquos.

Du point de vue éthique, cer­taines sin­gu­la­ri­tés des nano­tech­no­lo­gies ne laissent pas d’être par­ti­cu­liè­re­ment préoccupantes :

Invi­si­bi­li­té : du fait de l’invisibilité des appli­ca­tions des nano­tech­no­lo­gies, il est dif­fi­cile d’en mai­tri­ser et d’en loca­li­ser les effets (elles sont sur ce point sem­blables au nucléaire).

Rapi­di­té du déve­lop­pe­ment : du fait de leur déve­lop­pe­ment rapide, il est dif­fi­cile d’en repé­rer les impacts éven­tuels et d’y réagir, en par­ti­cu­lier sur le long terme.

Uti­li­sa­tions mili­taires et à des fins de sécu­ri­té : les nano­tech­no­lo­gies étant sus­cep­tibles d’utilisations mili­taires ou à des fins de sécu­ri­té, elles pour­raient être incom­pa­tibles avec l’exercice des droits de l’homme.

Impact mon­dial : impacts éven­tuels sur des pays et socié­tés même lorsqu’ils ne par­ti­cipent pas à la mise au point de nanotechnologies.

Risque d’une « frac­ture nano­tech­no­lo­gique » : ren­for­ce­ment éven­tuel des inéga­li­tés entre pays en déve­lop­pe­ment et pays développés.

D’autre part, les nano­tech­no­lo­gies sont une chance à sai­sir dans les nom­breux domaines. Elles offrent d’immenses pos­si­bi­li­tés. Elles exigent donc une approche holis­tique, qui sup­pose un dia­logue authen­ti­que­ment inter­dis­ci­pli­naire. Cela vaut pour toutes les ini­tia­tives pro­po­sées ici : débats, édu­ca­tion, recherche et action publique. Inver­se­ment, l’élaboration des nano­tech­no­lo­gies peut offrir l’occasion de ren­for­cer la coopé­ra­tion entre les dis­ci­plines scien­ti­fiques ain­si que la coopé­ra­tion trans­na­tio­nale, contri­buant ain­si à satis­faire l’une des exi­gences les plus fon­da­men­tales de l’éthique des sciences et technologies.

Mise en place du cadre éthique

Transparence et responsabilité face au public

Les prin­cipes de trans­pa­rence et de res­pon­sa­bi­li­té face au public dans les déci­sions concer­nant les inves­tis­se­ments et la recherche-déve­lop­pe­ment en matière de nano­tech­no­lo­gie doivent être bien déga­gés, en accor­dant une atten­tion par­ti­cu­lière aux impli­ca­tions et aux risques que repré­sentent des inté­rêts mili­taires. Il convient éga­le­ment de modé­li­ser l’application de ces prin­cipes au sein de la socié­té. L’importance de concepts d’éthique orga­ni­sa­tion­nelle telle que la res­pon­sa­bi­li­té sociale des entre­prises doit être rele­vée. La prise de déci­sions en matière de nano­tech­no­lo­gies doit éga­le­ment prendre en compte le par­tage des béné­fices, l’accent étant mis sur la pro­mo­tion de la paix et le règle­ment des conflits.

Renforcement des capacités en matière éthique

L’Unesco doit pro­mou­voir le ren­for­ce­ment des capa­ci­tés pour que les Etats membres et le public en géné­ral soient à même d’aborder les ques­tions éthiques que posent les nano­tech­no­lo­gies, en met­tant en place une pre­mière base de don­nées sur les poli­tiques en vigueur, les codes de conduites et les direc­tives des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles, organes de prise de déci­sions et ins­ti­tuts de recherche, et en fai­sant de cette base un centre de prospective.

Participation du public

La par­ti­ci­pa­tion du public à la for­mu­la­tion des poli­tiques en matière de nano­tech­no­lo­gies doit être ren­for­cée, en fai­sant davan­tage inter­ve­nir les asso­cia­tions de la socié­té civile, notam­ment celles qui s’intéressent à l’environnement, à la san­té ou à la sécu­ri­té publique, ain­si que les syn­di­cats. Il faut insis­ter davan­tage sur la néces­si­té de sti­mu­ler encore l’élaboration de modèles de débats publics por­tant sur les poli­tiques en matière de nano­tech­no­lo­gies. Dans les Etats membres, en par­ti­cu­lier dans les pays en déve­lop­pe­ment, il fau­drait aus­si ren­for­cer la capa­ci­té de faire par­ti­ci­per le public. L’Unesco doit inter­ve­nir dans le débat public sur la ques­tion des nano­tech­no­lo­gies pour s’assurer que le dia­logue est inter­dis­ci­pli­naire et équi­li­bré, et qu’il prend en compte la diver­si­té des opi­nions. Le dia­logue sur les poli­tiques en matière de nano­tech­no­lo­gies doit éga­le­ment être encou­ra­gé au niveau régio­nal, compte tenu des dif­fé­rents degrés de déve­lop­pe­ment et des pré­oc­cu­pa­tions sociales de chaque région.

Campagnes médiatiques sur les questions éthiques

Les cam­pagnes média­tiques sur les ques­tions éthiques que posent les nano­tech­no­lo­gies sont une chose néces­saire, et des per­son­na­li­tés émi­nentes du monde des médias doivent être invi­tées à infor­mer le public sur ces questions.

Coopération internationale

L’Unesco doit coopé­rer étroi­te­ment avec les autres orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales qui s’intéressent aux nano­tech­no­lo­gies, notam­ment l’OCDE et l’ISO (orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale de nor­ma­li­sa­tion), pour éla­bo­rer un cadre éthique d’ensemble pour les nanotechnologies.

Commission internationale des nanotechnologies et de l’éthique

Compte tenu du fait que les nano­tech­no­lo­gies se déve­loppent très rapi­de­ment, l’Unesco devrait créer une com­mis­sion inter­na­tio­nale des nano­tech­no­lo­gies et de l’éthique, qui serait char­gée de sou­mettre à un exa­men sui­vi l’évolution des pro­blèmes éthiques et l’apparition de nou­velles pro­blé­ma­tiques dans ce domaine ain­si que d’apporter des réponses en temps utile.

Sensibiliser l’opinion et promouvoir le débat

Nécessité d’un débat public équilibré, interdisciplinaire et reposant sur des informations appropriées

Pour que le débat public soit équi­li­bré, inter­dis­ci­pli­naire et repose sur des infor­ma­tions appro­priées, il faut par­tir de la consta­ta­tion que les nano­tech­no­lo­gies sus­citent de nom­breuses attentes et craintes de nature à peser sur l’évolution du dia­logue éthique dans un sens posi­tif comme dans un sens néga­tif. Il convient de pro­mou­voir un débat réa­liste qui s’appuie sur des infor­ma­tions appro­priées et sur un exa­men métho­dique de toutes les don­nées à mesure que les nano­tech­no­lo­gies se déve­loppent ; on veille­ra à ce que des conclu­sions posi­tives ou néga­tives ne soient pas tirées en l’absence d’éléments suf­fi­sam­ment pro­bants. Il faut appor­ter des infor­ma­tions très nuan­cées, objec­tives et pré­cises pour gui­der le public et les décideurs.

L’Unesco devrait sen­si­bi­li­ser l’opinion publique aux risques comme aux bien­faits des nano­tech­no­lo­gies (en par­ti­cu­lier dans les États membres qui n’ont guère de capa­ci­tés dans ce domaine), à la res­pon­sa­bi­li­té des scien­ti­fiques et ingé­nieurs qui doivent veiller à un déve­lop­pe­ment mai­tri­sé des nano­tech­no­lo­gies, à la res­pon­sa­bi­li­té qui incombe au public de recher­cher des infor­ma­tions exactes et de par­ti­ci­per à l’élaboration des poli­tiques en matière de nano­tech­no­lo­gies, ain­si qu’à la néces­si­té de remé­dier aux effets poten­tiel­le­ment désta­bi­li­sa­teurs des nano­tech­no­lo­gies sur les com­mu­nau­tés en voie de trans­for­ma­tion sociale. Ce débat devra prendre en compte les Objec­tifs du mil­lé­naire pour le développement.

Impact environnemental et problèmes sanitaires

Dès le départ, il devra y avoir un débat public qui s’appuie sur des infor­ma­tions exactes et qui soit de nature inter­dis­ci­pli­naire en ce qui concerne l’impact envi­ron­ne­men­tal et les pro­blèmes sani­taires en vue de tirer le maxi­mum de pro­fit des nano­tech­no­lo­gies. Il fau­dra mettre en balance les pos­si­bi­li­tés et les risques que pré­sentent les nano­tech­no­lo­gies dans les pro­duits et appli­ca­tions qui sup­posent un contact avec l’être humain ou qui sont de nature à affec­ter l’environnement.

La dif­fi­cul­té, c’est que la toxi­ci­té éven­tuelle des nano­ma­té­riaux est, scien­ti­fi­que­ment, d’une incer­ti­tude très grande. En fait, c’est la défi­ni­tion même de la toxi­ci­té de ces maté­riaux qui fait pro­blème. En outre, on ne voit pas bien com­ment cette toxi­ci­té, à sup­po­ser qu’elle soit défi­nie, pour­rait être mesu­rée de façon scien­ti­fi­que­ment indis­cu­table. Enfin, nombre de maté­riaux n’ont pas fait l’objet de tests scien­ti­fiques sys­té­ma­tiques de toxi­ci­té. L’un des thèmes abor­dés pour­rait être le fait que cette toxi­ci­té peut prendre du temps à se mani­fes­ter, comme ce fut le cas avec l’amiante dans un autre contexte. Par consé­quent, il fau­dra étu­dier la ques­tion de l’applicabilité du prin­cipe de pré­cau­tion, sans que les incer­ti­tudes scien­ti­fiques amènent à élu­der ou à repous­ser le débat nécessaire.

Nécessité d’une évaluation des risques

Les ques­tions d’analyses des risques et de nor­ma­li­sa­tion doivent don­ner lieu à une étude éthique appro­fon­die, et pas seule­ment à une étude scien­ti­fique. Il faut que l’Unesco coopère avec des orga­ni­sa­tions comme l’OCDE, qui est actuel­le­ment en train d’élaborer des normes d’évaluation des risques. Il faut infor­mer les scien­ti­fiques et ingé­nieurs qui tra­vaillent dans le domaine des nano­tech­no­lo­gies de la néces­si­té de pro­cé­der à une éva­lua­tion des risques et leur pré­sen­ter le concept de pro­ba­bi­li­té en matière d’évaluation des risques, et ce par des ini­tia­tives de sen­si­bi­li­sa­tion et d’éducation éthique. On pour­rait éga­le­ment à cette fin pro­mou­voir la prise en compte des impé­ra­tifs de ges­tion et d’identification des risques comme élé­ment à exa­mi­ner dans les pro­cé­dures d’octroi de bourses de recherche en nanotechnologies.

Nanomédecine

Appli­quées à la méde­cine, les nano­tech­no­lo­gies posent divers pro­blèmes, qui doivent être exa­mi­nés à l’avance à par­tir d’informations appro­priées et de façon inter­dis­ci­pli­naire et publique. La faci­li­té d’accès aux nou­velles méthodes de diag­nos­tic est un pro­blème (par exemple, la pos­si­bi­li­té de mesu­rer la pré­dis­po­si­tion aux mala­dies); les pers­pec­tives d’amélioration du corps humain posent d’autres ques­tions (par exemple la ques­tion de savoir ce qui fait véri­ta­ble­ment par­tie du corps, ce que sont une amé­lio­ra­tion et l’instance qui le défi­nit). L’Unesco peut pro­mou­voir l’application à la nano­mé­de­cine des prin­cipes de bioé­thique ins­crits dans la Décla­ra­tion uni­ver­selle sur la bioé­thique et les droits de l’homme, et exa­mi­ner les don­nées tech­niques néces­saires pour prendre en compte les ques­tions éthiques que les nano­tech­no­lo­gies posent dans le domaine des soins de santé.

Confidentialité

Un débat public pré­coce, infor­mé et inter­dis­ci­pli­naire pour­rait éga­le­ment être consa­cré aux concepts juri­diques et éthiques fon­da­men­taux qui ont trait à la pro­tec­tion de la vie pri­vée et de la confi­den­tia­li­té. En effet, les nano­tech­no­lo­gies per­mettent des sys­tèmes de sur­veillance sans pré­cé­dent (depuis les nano­ca­mé­ras jusqu’aux nano­mar­queurs repé­rables par GPS), et il faut se deman­der si pareils dis­po­si­tifs sont accep­tables et à quelles conditions.

Propriété intellectuelle

Un débat public pré­coce, infor­mé et inter­dis­ci­pli­naire pour­rait aus­si être orga­ni­sé sur les pro­blèmes de pro­prié­té intel­lec­tuelle liés aux nano­tech­no­lo­gies. L’une des rai­sons en est que les nano­tech­no­lo­gies rejoignent la bio­tech­no­lo­gie, et que la ques­tion de la bre­ve­ta­bi­li­té des orga­nismes vivants et des gènes inté­resse aus­si les nano­tech­no­lo­gies. Une autre rai­son est l’effacement des limites entre sciences et tech­no­lo­gie qu’entrainent les nano­tech­no­lo­gies : si le savoir scien­ti­fique est un bien com­mun, les pra­tiques tech­no­lo­giques ne le sont en géné­ral pas. De plus, la mul­ti­pli­ca­tion des bre­vets ris­que­rait d’aggraver la « frac­ture nano­tech­no­lo­gique ». Par consé­quent, la bre­ve­ta­bi­li­té des inno­va­tions dans les domaines liés aux nano­tech­no­lo­giques devrait être de plus en plus contes­table et cette ques­tion devrait être abor­dée sous forme d’une éva­lua­tion des risques et bénéfices.

Actions en cours

La prise de conscience est mon­diale, la qua­trième réunion annuelle du pro­jet « nano » lan­cée par la direc­tion géné­rale san­té et consom­ma­teurs de l’UE tenue à Bruxelles : « Safe­ty For Succes Dia­logue » (29 – 30 mars 2011) a per­mis de mesu­rer la mon­dia­li­sa­tion de la réflexion, sa com­plexi­té, du besoin de coopé­ra­tion inter­na­tio­nale (défi­ni­tions, approches, etc.), les aspects juridiques.

L’Union euro­péenne, aus­si bien la Com­mis­sion que le Par­le­ment, tente de défi­nir un code de conduite com­mun sur tous les aspects des nano­tech­no­lo­gies, le domaine des cos­mé­tiques étant déjà règle­men­té. Il y a une cer­taine urgence à défi­nir des codes de conduite (des direc­tives étant inef­fi­caces vu l’évolution rapide des connais­sances et la com­plexi­té des défi­ni­tions adop­tées) car se pro­file un débat plus long et plus dif­fi­cile encore sur ce que cer­tains qua­li­fient de « trans­hu­ma­nisme » lié aux tech­no­lo­gies conver­gentes (NBIC).

À cet égard, les tra­vaux du groupe d’éthique euro­péen, sous la pré­si­dence de Goran Her­mee­ren, s’interrogent dans ses recom­man­da­tions. Une approche fon­dée sur le prin­cipe de pré­cau­tion consti­tue-t-elle une solu­tion ? Une telle approche doit être cla­ri­fiée, afin d’éviter des mal­en­ten­dus. Le prin­cipe de pré­cau­tion sup­pose l’existence d’un risque, l’éventualité d’un pré­ju­dice et une incer­ti­tude scien­ti­fique sur la sur­ve­nue effec­tive de ce pré­ju­dice. Mais le prin­cipe de pré­cau­tion ne signi­fie pas pour autant « ne rien faire », car cela peut éga­le­ment com­por­ter des risques. Il n’exige pas non plus une situa­tion à « risque zéro ». Aucun pro­grès ne serait pos­sible, si cette exi­gence était prise au sérieux et appli­quée strictement.

Le débat sur le prin­cipe de pré­cau­tion et son bon usage est déter­mi­nant, il s’agit de l’interpréter d’une manière posi­tive : « Dans le doute, mets tout en œuvre pour agir au mieux », ce qui implique sou­vent des recherches sup­plé­men­taires. Le sujet doit tou­te­fois être bien cer­né car la science-fic­tion est en effet sus­cep­tible d’exagérer la dimen­sion tant des espé­rances que des inquié­tudes et accroitre l’aspect émo­tion­nel. Le débat est indis­pen­sable et les défis à rele­ver s’adressent tant à la com­mu­nau­té des cher­cheurs qu’aux déci­deurs poli­tiques et à l’opinion publique concer­née. Une approche inté­grée, impli­quant l’ensemble des acteurs, doit être enga­gée le plus tôt pos­sible. L’objectif est d’éviter les erreurs liées à de mau­vaises inter­pré­ta­tions autant qu’à de faux espoirs.

En conclu­sion, comme le sou­ligne Alain Pom­pi­dou, pré­sident de Comest : « Bien que les nano­tech­no­lo­gies soient pro­met­teuses, les consé­quences éthiques et poli­tiques liées à une telle recherche ne sont pas radi­ca­le­ment dif­fé­rentes de celles aux­quelles nous avons déjà été confron­tés, mais elles donnent l’occasion de les abor­der en connais­sance de cause et avec plus de suc­cès que par le passé. »

Les règles qui en découlent peuvent être éla­bo­rées selon un pro­ces­sus construc­tif per­met­tant de trans­for­mer ces défis en oppor­tu­ni­tés pour l’ensemble des habi­tants de la pla­nète. Nos démo­cra­ties doivent se réap­pro­prier ce type de débats cru­ciaux dans leur choix de société.

Philippe Busquin


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