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Les mots pour rire
Consommatrices, consommateurs, comme nous aimerions vous éveiller soudain du bout de la langue ! Nous causons bien sûr de celle que l’on nomme maternelle et que nous tentons de cultiver un peu en étant conscient de ne jamais assez la connaitre. Nous étions récemment avachi, comme vous l’êtes si souvent, devant un poste de télévision obsolète, […]

Consommatrices, consommateurs, comme nous aimerions vous éveiller soudain du bout de la langue !
Nous causons bien sûr de celle que l’on nomme maternelle et que nous tentons de cultiver un peu en étant conscient de ne jamais assez la connaitre.
Nous étions récemment avachi, comme vous l’êtes si souvent, devant un poste de télévision obsolète, mais encore suffisamment efficace pour fembréer les trinquenicques quotidiennes en évitant le moindre effort au spectateur afin d’assurer l’audience maximale.
Avouons-le, nous étions fatigué. Non point par les cadences infernales d’une usine ou d’un hôpital, par l’aliénation au travail exigée par une quelconque institution ou par le trou noir qui entraine au désespoir le professeur lorsqu’il s’approche imprudemment des béances culturelles de ses élèves. Que nenni ! Nous avons courageusement fui tout cela pour tenter de penser ce qui nous reste de vie. Mais cela aussi, nous vous l’assurons, est assez épuisant. Nous en étions même à nous demander si vivre n’est pas un travail mortel.
Il était donc temps de nous détendre en faisant le vide. Quoi de mieux que nos chaines de télévision ? Nous enfonçâmes le bouton de télécommande de l’appareil susnommé. Et ce fut l’électrochoc.
Un faraud à la syntaxe douteuse interrogeait plein de morgue, deux godelureaux emberlificotés, un dandin et une gigolette, sur leur connaissance relative en chansonnettes débiles. La chaleur du plateau faisait transpirer inélégamment les deux adversaires tandis que le gambregeux volubile, sorte de clown blanc sans âge au visage fendu d’un sourire mécanique, les brocardait allègrement. Son masque de cointerel restait, quant à lui, insensible à toute sudation ainsi qu’à l’empathie. Cela frisait l’impitoyable mise à mort. Hélas, depuis longtemps, le ridicule ne tue plus.
En fond de plateau, un groupe de ménétriers, troubadours et musicos, sans doute intermiteux du spectacle, affublés de robes et de costumes pailletés qui eurent du succès, jadis, dans quelques bals villageois, tentaient de soutenir les maladroites vocalises des deux pigeons afin que l’on puisse reconnaitre les chansons populaires massacrées. Nous en restâmes un instant bouche bée, oreilles débondant.
Puis, exaspéré par le crestelet et ses dandins, nous zappâmes.
Surgirent alors devant nos yeux ébaubis, deux farauds du théâtre politique, gesticulant entre la gauche et la droite, mais soumis à la tringle du marionnettiste. Le décor était beau, dans le genre conte de fées, avec château royal et diverses potiches en arrière-plan. Le premier pantin, sorte de Gnafron caparaçonné d’un lourd manteau, taillé sans doute dans les tentures à carreaux de sa Mère-Grand, débagoulait quelques phrases maladroites. Il s’emberlucoquait, le drôle ! Mais soyons indulgent : il jargonnait dans une langue qui ne lui était, certes, ni maternelle ni clémente. L’autre, par contre, babouinait sec. Bouffard hilare et carnassier, yeux de braises et la houppe d’un Riquet exalté, habillé d’un costume bleu électrique semblable à tous les faquins du Capital, il égrenait ses brimborions, volubile et visiblement très heureux d’être là.
Il jabota la badauderie suivante : « Je suis heureux de pouvoir annoncer qu’après plusieurs heures d’une discussion riche et intense, la décision a été prise de poursuivre des consultations indispensables permettant l’élaboration d’un nouveau débat rassemblant, cette fois, tous les partenaires soucieux de vouloir faire avancer la situation vu l’urgence de se retrouver autour d’une même table afin de sortir de l’impasse et relancer le débat pour peu que chacun, conscient de ses responsabilités, y mette de la bonne volonté…»
Balançant son sourire d’emboiseur et fier de son amphigouri, l’ambrelin acheva de nous exaspérer. Ne pouvant lui infliger de dariole, nous lui coupâmes la parole qui menaçait de desgosiller. Nous accueillîmes en soupirant le silence bienvenu.
Alors surgit en notre esprit rebelle et à nouveau éveillé, cette interjection spontanée et primaire : « Quels cons ! ».
Ce qui acheva de nous déprimer. Nous avons en effet le gout de l’injure bien placée, du gros mot adéquat, de l’invective justifiée. Et les insupportables insanités médiatiques méritaient certes un vocable bien senti. Nous voulions nous y employer, rien que par amour de l’art. Mais nous culpabilisâmes instantanément d’avoir laissé notre esprit conditionné par plus de deux-mille ans de culture patriarcale, utiliser le mot « con » dont l’origine (du monde), mérite bien autre chose qu’une utilisation injurieuse et nous entrainerait plutôt vers l’hommage et même la vénération. Nous fûmes un instant attendri par un vocabulaire suranné, prêt à fêter comme le fit le bon Clément Marot, les plus savoureux secrets du corps féminin en de jolis blasons bien troussés. Mais, Foutrebleu, notre langage a perdu beaucoup de sa saveur et notre époque s’égare encore dans la haine du corps et de nos belles différences. Les clichés réducteurs transmis par le média que nous venions de museler nous firent à nouveau gamberger.
Face à tant de bêtise contre laquelle il s’agit de nuire, comme le disait notre Friedrich avant de péter un plomb, il nous vint le désir intense de développer plus encore notre vocabulaire utile pour dézinguer les gougnafiers.
Aussi, mes chères consommatrices, mes chers consommateurs, nous continuerons à vous surprendre en ne vous vendant rien, et nous vous offrirons désormais sans rien exiger d’autre que ce rire qui est un début de conscience, des collections infinies de gros mots jubilatoires.
Éructant tel le Capitaine toujours ad hoc, nous vomirons nos morbleu, nodocéphale, jarnicoton, mordiou, palsembleu, caquesangue et saprelotte ! Sus aux gabatines ! Tâtons de la picoterie ! Emmerdouillons les torfesors et les triboulets ! Brocardons les margajats. Morbigou !
Faites-en donc autant sinon davantage. Et quand vous n’en aurez plus, inventez-en d’autres ! Cela ne changera peut-être pas le monde (encore que dégommer les butors et pulvériser leurs calembredaines et autres coquecigrues, c’est faire preuve de civisme), mais cela épicera le quotidien et nous soulagera un instant. Cape de Biou !