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Les maisons de détention vont-elles supplanter les prisons du XIXe siècle ?
Quand la détention s’impose, elle devrait avoir lieu dans des structures de petite taille, où la priorité serait donnée à la resocialisation de l’individu. Telle est la pierre angulaire d’une politique pénitentiaire mettant l’humain au cœur de ses objectifs et de ses moyens d’action, avec pour défi l’efficacité : couplée à la planification de la détention, qui vise à réintégrer le condamné et à préparer sa sortie, la création de lieux de détention à petite échelle devrait restreindre la récidive, ce qui constitue l’objectif numéro 1 de la politique pénale. Tel est le programme de l’association « De Huizen-Les Maisons », dont l’un des principaux animateurs, Hans Claus, est directeur de prison.
Nous traversons actuellement une période d’importante réforme de l’architecture pénitentiaire, marquée par le remplacement et l’extension d’un « parc pénitentiaire » en grande partie vétuste. Ce pourrait évidemment être l’occasion de concevoir une architecture adaptée aux objectifs de la politique pénitentiaire plutôt que d’abandonner le traçage des plans à la Régie des Bâtiments et aux promoteurs intéressés aux partenariats public-privé (PPP). Il n’est sans doute pas tout à fait trop tard pour amorcer ce virage, mais il est plus que temps.
La Belgique a dû faire face à une surpopulation carcérale jamais égalée : 12.000 détenus pour une capacité d’environ 9.400 places. Le gouvernement fédéral et le « plan justice » du ministre Koen Geens semblent avoir été à l’écoute des nombreux acteurs de terrain et experts qui plaident pour une réforme en profondeur du système pénal et pénitentiaire pour juguler cette escalade et rechercher des solutions alternatives à la prison. L’avenir dira si ces intentions politiques se traduisent en réalisations. En attendant, la politique actuellement à l’œuvre consiste à répondre encore et toujours au problème de surpopulation par la construction de nouvelles prisons.
L’histoire récente se caractérise par l’expansion du parc pénitentiaire, d’abord de manière non programmée depuis 1990, phase qui comporta entre autres la construction des établissements d’Ittre et d’Andenne, et ensuite de manière planifiée dans le Masterplan de 2008. Celui-ci visait à créer 2.500 places supplémentaires. On a ainsi vu s’ouvrir Marche-en-Famenne, Beveren et Leuze-en Hainaut, soit trois fois 312 places. Le Masterplan prévoyait aussi la rénovation et la création de cellules dans les établissements existants, sans parler de la location de Tilburg (Pays-Bas).
La prison : architecture et urbanisme
Des concepts architecturaux et urbanistiques bien différents se sont succédé depuis cent-cinquante ans et laissent leur trace dans le parc pénitentiaire belge actuel. Ces concepts sont étroitement liés à des philosophies carcérales contrastées. Lors d’un remarquable colloque consacré aux « nouvelles prisons1 », David Tieleman et David Scheer ont ainsi planté le décor. Au XIXe siècle, les prisons sont englobées dans le nouveau tissu urbain qui se développe hors du noyau des villes. Les constructions de type Ducpétiaux occupent des ilots conçus à l’échelle piétonne. À l’opposé, au cours des années 1970, les prisons sont construites à l’écart des zones habitables et sont déconnectées des villes. Lantin en est un exemple.
Avec Haren ou Marche-en-Famenne, un nouveau concept est à l’œuvre : celui de la prison-village. Au fil de cette évolution, l’architecture et ses mille détails, comme les portes et les fenêtres, sont marqués par la tendance progressive à la plus grande sécurisation qui, de visible, se fait plus discrète : les grilles laissent place au verre épais, les successions de lourdes portes métalliques aux espaces ouverts…, mais surveillés par caméras.
Les nouveaux villages pénitentiaires (qui n’en sont pas moins des mégaprisons dans certains cas) vont plus loin, favorisant les niveaux ouverts et les limites symboliques plutôt que physiques et la proximité entre détenus et agents, sur la base d’un modèle plus communautaire. Dans ces évolutions domine la continuité d’un modèle basé sur le vieux panoptique de Bentham, centré sur la surveillance, le régime disciplinaire et l’emprise sur l’intimité du détenu, ainsi que sur un certain rapport à la ville.
Le projet « De Huizen-Les Maisons »
L’objectif de ce projet selon le site de l’association et l’ouvrage qu’elle a fait paraitre récemment en version française2 est d’«établir une voie constructive, afin que les erreurs puissent, dans la mesure du possible, être réparées et que les détenus puissent, après leur détention, à nouveau jouer un rôle responsable dans la société ». Le plan architectural des maisons de détention forme à la fois les contours tangibles, les pierres d’angle et les indicateurs de direction de ce concept. « En effet, l’espace dans lequel nous évoluons détermine fortement la façon de se comporter, de se sentir et de penser. » Les trente à quarante grandes à très grandes prisons doivent être remplacées par des centaines de petites maisons de détention. Dans chaque région, tous les programmes pénitentiaires doivent être développés : les maisons de détention diffèrent les unes des autres en termes de sécurité, d’occupation du temps de détention et d’accompagnement.
À partir de la condamnation, un « Plan de solutions » (plans de détention et de réinsertion) est élaboré en vue d’indiquer « comment la détention peut être utilisée comme moyen de travailler à une réinsertion constructive dans la société, après avoir commis un délit ». Il établit notamment un parcours, à travers différents types de maisons de détention. Chaque détenu se voit désigner un « accompagnateur individuel de plan », qui suit les plans de détention et de réinsertion au long de toutes les étapes. Les maisons de détention sont reliées au quartier où elles se situent. Dans une perspective de réparation3, elles jouent un rôle économique, social ou culturel dans leur environnement. En vertu du principe de normalisation4, elles utilisent l’offre d’aide et de services provenant des environs immédiats, afin de réaliser les plans individuels.
Du point de vue de l’architecture, la détention a lieu dans des petites maisons de détention, où il est « provisoirement prévu d’accueillir dix détenus » et dont l’association propose trois catégories. La première comporte des maisons de détention fermées et bien sécurisées. Parmi celles-ci, il existe une maison de détention de crise, destinée plus particulièrement aux nouveaux détenus. Un certain nombre de ces maisons proposeront un régime de base, permettant de travailler, de participer à des activités de détente, de bénéficier d’une offre d’aide sociale et de recevoir des visites. Une deuxième catégorie est formée par des « maisons de détention fermées, mais pas fortement sécurisées ». Elles hébergent des détenus qui, selon les dispositions de leur plan de solutions individuel, reçoivent un accompagnement hors des murs. Un régime de base complet est offert à l’intérieur des murs. Les maisons de détention du troisième type sont ouvertes. À l’intérieur des murs, elles offrent seulement un logement, des possibilités de visite et des activités de détente. Le travail, la formation professionnelle et les autres programmes du plan de solutions individuel se déroulent en dehors des murs.
Du point de vue de la localisation et de l’intégration, les différents types de maisons de détention sont implantés dans chaque région, parfois dans le tissu urbain ou semi-urbain, parfois en zone rurale. « De manière constante, elles ont une valeur ajoutée pour le voisinage (refuge pour chiens, atelier pour vélos, restaurant social, salle de théâtre, atelier d’art, marchand de légumes, parking, construction verte…).»
Au cours de leur détention, les détenus peuvent passer dans différentes maisons de détention, selon ce qui est spécifié dans leur plan de solutions individuel. La problématique sous-jacente du détenu, mais aussi les critères juridiques, sociaux et pénitentiaires (danger d’évasion) sont déterminants pour suivre ce parcours. Le reclassement suit la détention et peut être accompagné d’une surveillance électronique. L’accompagnant individuel du plan, qui suivait le plan de détention, supervisera aussi le plan de réinsertion individuel, parce que tous deux font indissociablement partie d’un même plan de solutions.
Dans le système des maisons de détention, le personnel, bien différent des agents pénitentiaires actuels, devra assumer entre autres les fonctions de portier (dans les maisons fermées et semi-ouvertes), d’accompagnateur de maison chargé de veiller au bon ordre et aux conditions de vie commune, d’accompagnateur individuel du plan, chargé de suivre les condamnés tout au long du parcours de détention et de réinsertion (appelé à travailler dans plusieurs maisons), et d’accompagnateurs sous contrat, issus de la société (médiateurs vers l’emploi, enseignants, intervenants psychosociaux…).
le projet « De Huizen-Les Maisons » ne se limite pas à l’architecture carcérale. Le « plan de solutions » en est aussi un élément central : « Une vue de la situation juridique, des condamnations et des faits commis sert de base pour déterminer le calendrier, fixé d’avance et à suivre, pour l’octroi de permissions de sortie, de congés, d’une surveillance électronique, d’une détention limitée, d’une libération conditionnelle ou pour préparer la fin de la peine. Ensuite les solutions et besoins existants sont identifiés, par rapport au logement, revenus, réseau social et rôle dans la société. Sur cette base, un plan de détention est d’abord mis en forme, puis un plan de réinsertion. Tout cela figure finalement ensemble dans un échéancier précis. »
Les dispositions temporelles sont fixées dès le début de la détention. Elles sont basées sur les minimums légaux accordés, lorsqu’il existe suffisamment d’arguments en leur faveur. Elles ne peuvent être modifiées que quand le détenu ne respecte pas les conditions auxquelles il s’est engagé dans le plan. La possibilité d’accorder des permissions de sortie et des congés pénitentiaires avant le délai légal est conforme aux principes fondamentaux de ce projet : ne plus attendre que la détention soit terminée pour travailler sur l’avenir, mais commencer dès le premier jour de celle-ci. C’est un encouragement à ce que le détenu choisisse d’entreprendre un plan de solutions. De cette manière, l’on évite qu’au moment où le détenu est dans les délais pour accéder à une détention limitée, une surveillance électronique ou une libération conditionnelle, il n’existe pas de plan éprouvé. Sans quoi la détention durerait à nouveau plus longtemps et engendrerait un taux accru de surpopulation.
Utopie, effet de mode ou projet réaliste ?
On voit donc que le projet est déjà défini dans les détails, avant même la première expérience pilote. L’ouvrage publié cette année par l’association comporte des plans qui ont d’ores et déjà été tracés par des architectes. Tout cela peut paraitre illusoire au moment où la politique fédérale est nettement orientée vers la construction de grandes prisons. Pourtant, on aurait tort d’y voir une utopie.
La Cour des comptes elle-même5 a épinglé en 2011 la nécessité d’évaluer les besoins en matière d’infrastructure pénitentiaire et d’étudier les concepts de prisons innovants. Son rapport déplorait que le choix du Masterplan se soit « porté sur des prisons standards non différenciées selon le type de détenus (à l’exception des internés et des mineurs d’âge), le programme ou le régime proposés » et sur le « concept Ducpétiaux, complété par une infrastructure d’encadrement plus développée ».
Interrogé le lendemain de l’annonce de la parution en français de l’ouvrage de l’association « Les Maisons », le ministre de la Justice Koen Geens s’est dit favorable à des prisons plus petites où les détenus recevraient un accompagnement personnalisé. Son porte-parole a déclaré qu’il souhaitait inclure ces institutions dans un « nouveau plan destiné à améliorer la capacité des places de prison en Belgique ». En attendant, il est vrai, les préparatifs de construction de la mégaprison de Haren poursuivent leur cours…
En 2012 déjà, quatre députés fédéraux flamands, appartenant aux partis N‑VA, SP.A et Écolo-Groen, avaient appuyé le projet « De Huizen-Les Maisons » par une proposition de résolution6 demandant au gouvernement « à l’exemple du projet “De Huizen” […], de mettre sur pied un projet pilote avec quelques maisons de détention fermées, pour un groupe restreint et délimité de personnes qui requièrent une approche similaire, en veillant chaque fois [aux] garanties de sécurité, d’accompagnement intra-muros et d’organisation de la détention intra-muros ». Non sans raison, le projet de résolution invitait le gouvernement fédéral à travailler en concertation et en en coopération avec les Communautés dans le cadre d’un protocole d’accord.
Un autre argument convaincant est tiré de l’expérience d’autres pays où existent des établissements du type préconisé par « Les Maisons », les pays scandinaves, mais aussi la France, la Suisse et le Grand-Duché de Luxembourg.
Les caractéristiques des expériences menées à l’étranger touchent tantôt à la taille de la prison, tantôt à son degré d’ouverture et de sécurité, tantôt à la relation entre la prison et son environnement, voire à l’ensemble de ces variables. Limitons-nous ici à renvoyer à un rapport officiel français relatif à la faisabilité de l’extension du « régime ouvert de détention7 ». Ce rapport plein d’intérêt relate l’expérience de nombreux pays et il conclut qu’il faut aujourd’hui tirer les conséquences « de l’utilisation de ce modèle en France, ainsi que des nombreuses autres utilisations du même type en Europe » et que « ces résultats montrent que les prisons ouvertes sont une véritable réussite dans la recherche d’un minimum de contrainte pour un maximum de sécurité ».
- Colloque intitulé « Des (nouvelles) prisons et après ? », ULB, 15 mars 2014.
- Collectif, Les Maisons. Vers une approche pénitentiaire durable, Bruxelles, AS, 2015.
- Au sujet de la justice pénale réparatrice, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, dans son Manuel sur les programmes de justice réparatrice (Nations unies, New-York, 2008), retient la définition suivante : « Les programmes de justice réparatrice se fondent sur l’idée selon laquelle les parties à un conflit doivent activement participer à sa résolution et à l’atténuation de ses conséquences. Ils procèdent également, parfois, d’une volonté de revenir à une prise de décisions locale et de renforcer la communauté. Ces démarches sont également vues comme un moyen d’encourager l’expression pacifique d’un conflit, de promouvoir la tolérance et l’intégration, de faire respecter la diversité et de favoriser des pratiques locales responsables. »
- À ce propos, nous renvoyons au texte de Christophe Mincke dans ce dossier.
- « Mesures de lutte contre la surpopulation carcérale », rapport adopté le 21 décembre 2011 par l’assemblée générale de la Cour des comptes et transmis à la Chambre des représentants, Bruxelles, décembre 2011, p. 117.
- Proposition de résolution relative à l’élaboration d’un projet pilote en matière d’exécution différenciée des peines, déposée par Mme Sarah Smeyers et consorts, Doc. Parl., Chambre, 2012 – 2013, doc. n° 53 – 2443.
- Paul-Roger Gontard, « Mission d’étude de faisabilité : Le régime ouvert de détention peut-il être étendu dans le champ pénitentiaire français ? », Services du secrétariat à la Justice, Paris, 2010.