Les machines à documenter le réel. Percevoir le réel
À partir de l’hypothèse de Vertov voulant que la machine donne un accès particulier, direct, au réel, cet article entend interroger notre rapport au réel dans un monde désormais numérique, tendant à tout intégrer… pour aboutir à une question : une production numérique qui s’occupe « de la vie telle qu’elle est » est-elle possible ?
Lorsqu’on m’a proposé d’écrire sur la thématique « documenter le réel », une affirmation me revenait sans cesse : la caméra dit la vérité parce que c’est une machine, estimait le réalisateur soviétique Dziga Vertov (1896 – 1954). Il proposait « d’établir un lien de parenté entre les hommes et les machines1 ». Il parlait de son point de vue : «… je suis le ciné-œil. Je suis l’œil mécanique. Moi machine, je vous montre le monde comme seule je peux le voir2. » Ses écrits sont remplis de ce genre d’affirmations où, en quelque sorte, c’est grâce à la machine qu’on a accès au réel. Ce qu’il racontait n’avait en soi rien d’étonnant dans les années 1920, ce n’est interpelant qu’au regard des œuvres réalisées par Vertov : ses films sont des œuvres poétiques où la vie déborde partout. Il suffit pourtant de les regarder attentivement, ou même de lire les écrits de l’auteur, pour comprendre l’absence de contradiction ; c’est là qu’il devient intéressant. La pertinence de son rapport aux machines, la richesse du résultat, pourraient nous servir nous, vis-à-vis des nouvelles machines omniprésentes aujourd’hui.
Dans une conférence récente, la philosophe Antoinette Rouvroy remarquait que le traitement en temps réel de masses de données a l’apparence d’un accès direct au réel lui-même. Et elle ajoutait qu’un des effets de ces machines algorithmiques était de « défaire les images ». Ces machines produisent ainsi un réel sans prise sur nous. Vertov semble ouvrir d’autres rapports aux machines, en tout cas il est capable de documenter le réel en produisant des images, qui sont autant de prises sur le monde, avec ces machines… La proposition serait de lire le texte qui suit, de regarder l’aventure de Vertov, les problèmes auxquels il est confronté, en ayant en tête notre monde numérique. Il ne s’agit pas d’aller chercher des recettes. En plus de la distance historique, la caméra de Vertov fonctionne de manière analogique, c’est un autre type de machine. Son problème n’est pas le même, mais c’est peut-être en confrontant des situations différentes que nous pouvons penser le réel dans un monde numérique qui tend à tout intégrer. Bref, à chacun et chacune de voir les liens qu’il ou elle peut faire. Je proposerai les liens que j’y vois à la fin du texte.
Où est le réel ?
Quand Vertov et d’autres cinéastes révolutionnaires3 se proposent de documenter le réel, ils sont confrontés à un problème assez inattendu : le réel n’est pas là, même en utilisant une caméra le réel n’est pas donné. Par exemple, si on place une pièce de monnaie devant l’objectif, cette pièce semble réellement plus grande que le soleil. Cela dit, tout le monde sait que la pièce n’est pas plus grande que l’étoile. Par contre, beaucoup de paysans sont persuadés que la terre appartient naturellement aux nobles, certains ouvriers pensent que travailler pour un salaire constitue un échange équitable. La réalité est que la noblesse s’est approprié la terre. La réalité est que le salaire que reçoit l’ouvrier n’est qu’une partie de la richesse qu’il produit, l’autre est volée par le capitaliste. Mais, comment arriver à documenter cette réalité ?
Enlever le voile des apparences ? En quelque sorte, nos perceptions sensibles, le sens commun, nous trompent, nous montrent une fausse réalité ; si on s’en défait, si on regarde le monde seulement à partir de la pensée critique, nous arrivons à la réalité telle qu’elle est. Nos sens nous disent que la pièce de monnaie est plus grande que le soleil, mais la pensée critique nous détrompe, nous dit la réalité du réel. Le sens commun de certains paysans dit que les nobles possèdent la terre de manière légitime, tandis que la pensée éclairée des militants met à jour la réalité cachée. C’est un peu trop simple… et probablement erroné.
L’idée que le réel n’est pas perceptible, voire que ce qu’on perçoit est un voile qui empêche d’accéder au réel, ne vient pas du cinéma, elle le précède. La physique au XIXe siècle, et auparavant une partie de la philosophie, puis la politique, avaient pris ce parti qui va proliférer, non sans peine d’ailleurs, comme le seul rapport au réel acceptable. « Beaucoup de pédagogie est nécessaire pour que ce qui a scandalisé les physiciens devienne un scandale qui nous concerne tous : le réel, que nous avions tous en commun est “voilé”! D’autres sciences ont depuis pris le relai, définissant leurs révolutions ou leurs pseudorévolutions sur le même mode : “Vous (le sens commun) croyez que…, mais nous savons désormais que…” Et tous les coups semblent permis : un pli a été pris qui identifie le “progrès” avec ce qui scandalise le sens commun4. »
Au début du XXe siècle, il devient courant de penser que la révolution qu’elle soit politique, scientifique, artistique, urbanistique, ou même que n’importe quel travail sérieux dans ces domaines, finirait par démontrer aux gens qu’ils ne savent pas ce qu’est le réel. Par leur faire accepter que leur rapport au monde est imaginaire, superstitieux, inadéquat. Aujourd’hui, il est même devenu rare d’entendre un discours politique qui ne commence pas par « Je veux briser les tabous…», le sens commun serait l’idole à démasquer. Le réel d’ailleurs ne pourrait être approché qu’à partir d’un appareillage technique ou des procédures qui inhibent les sens. Tout ce système est en arrière-fond chez les cinéastes révolutionnaires qui tentent de documenter le réel.
Si Vertov est particulièrement intéressant, c’est que tout en étant un révolutionnaire, il affirme jusqu’au bout qu’accéder au réel c’est regarder ce qui est visible, entendre ce qui est écoutable, penser en relation avec le sens commun. Les peintres impressionnistes avaient déjà apporté une réponse en ce sens, la poésie surréaliste (Antonin Artaud notamment) aussi. Mais avec le cinéma s’impose une question nouvelle : le rapport avec la machine5.
Regarder le monde visible
« Nous sommes convenus de qualifier de “cinéma non joué” ou de ciné-œil la production filmique où ce prisme ne s’interpose pas entre l’objectif de la caméra et son objet, et où la camera est utilisée exclusivement pour réaliser une enquête documentaire sur le monde visible6 », voici le point de départ de Vertov. Regarder ce qui est visible, c’est à cela que sert la caméra, c’est là que se trouve le réel. Ce réel n’est pas donné, nous verrons qu’il exige un travail énorme, mais qui n’est pas de l’ordre d’un dévoilement. Scandaliser le sens commun par des explications surplombantes ou des émotions provoquées n’ouvre pas vers un cinéma du réel.
Lire l’émotion
« Le principe du drame artistique (de même que le principe du drame théâtral) est de trousser devant le spectateur, avec assez d’adresse et de conviction, une “historiette” amoureuse, policière ou sociale, pour l’amener en état d’ivresse et lui fourrer dans le subconscient telles ou telles idées, telles ou telles conceptions7. » Le résultat : « Vous, patient public des salles de cinéma, supportant comme une mule le fardeau des émotions qu’on vous offre ». Ces émotions écrasent, créent un rapport de classe avec le spectateur, il va devoir les porter sur le dos. Le héros est tellement généreux, tellement beau, tellement intelligent, l’histoire d’amour tellement envoutante, le méchant tellement ignoble qu’il faudra se pencher pour porter toute l’empathie provoquée. Difficile de regarder quelque chose dans ces conditions. Ici la stratégie est d’anesthésier le sens commun avec des émotions hors situation, et tenter de profiter de l’hébétude pour faire passer un mot d’ordre. Non pas se confronter au sens commun, mais l’appauvrir, en faire une caricature de savoir idiot et figé, pour tenter de le contourner.
Vertov rejette cependant avec la même force l’option qui pourrait paraitre à l’opposé du ciné-drame, donner une leçon austère et savante. « Il est évident qu’une critique-nourrice ou tout autre individu gavé de romans et de nouvelles d’apprentissage et d’autres, éprouve des difficultés à abandonner cette satanée habitude de lire le film par les cartons, au lieu de voir avec les yeux. Ce sont précisément ces critiques, prenant un air savant, qui prodiguent des conseils : 1) d’abolir le lien visuel entre les sujets (parce que ce lien est une “ciné-chinoiserie d’intellos”); 2) d’agir sur les cartons explicatifs pour rendre le film clair. Mais clair pour qui ? Pour les ouvriers analphabètes ou pour les critiques décervelés[Vertov D., « Intervention dans le débat du cinéma Malaïa Dmitrovka », 1923, op. cit., p. 145.]]?»
La leçon filmée, même si elle se veut révolutionnaire, généreuse, désintéressée (surtout si elle se réclame de tout cela…), n’est que la voix d’un maitre paternaliste. Une voix supposée savoir, sur laquelle devrait se projeter un spectateur censé être un enfant ignorant, sous les yeux admiratifs d’une critique-nourrice. Là non plus il n’est pas question de regarder, il faudrait même se débarrasser du lien visuel entre les images disent les tenants de cette position. Ici, la vérité ne peut venir de ce qu’on voit, le réel n’est pas perceptible. Il faut se méfier des sens, écrire les mots d’ordre, histoire de se rassurer de la justesse d’une position dont on voit bien qu’elle ne tient pas quand on la regarde…
Pour accéder au réel, tout ce cinéma militant demande de faire abstraction de ce qu’on voit, jonglant entre l’émotion et la leçon. « La chronique filmée Pathé et Gaumont, celle du comité Skobelev, puis la chronique Russie libre ont été remplacées, après la révolution d’Octobre, par la kino-nedelia produite par VFKO, département panrusse de la photographie et du cinéma. La kino-nedelia ne se distinguait guère des chroniques précédentes ; seuls les cartons étaient soviétiques. Toujours les mêmes parades, les mêmes funérailles8. » « Les jeunes premiers se déguisent en komsomols et en communistes, les princesses de l’écran, les jeunes filles au sang bleu, etc., prennent des allures de petites “paysannes” et de “militantes clandestines”… Tout le monde se farde de rouge9 », ces films sont construits à partir du même type de regard que ceux de l’époque du tsar ou ceux réalisés par Hollywood, et il faudrait produire une réalité différente…
Regarder
Vertov illustre souvent ceci avec une anecdote qui date de l’époque de la révolution, il sillonnait alors le front dans un train pour filmer et projeter les actualités. « Ce n’est pas seulement les cosaques peinturlurés sur les parois des wagons que les paysans appelaient des artisses, mais aussi les chevaux dessinés à côté d’eux tout simplement parce que sur le dessin, ils étaient mal ferrés. Plus l’endroit était reculé, moins les paysans prêtaient attention au sens général de ces dessins de propagande rasoir. Ils examinaient chaque dessin, chaque personnage en particulier. Quand je leur demandais si les dessins leur plaisaient ils répondaient : “Nous, on sait pas, on est des ignorants, des illettrés”10. » Cet exemple résume tout le problème, la leçon savante ou le ciné-drame aboutissent au même rapport avec le spectateur, le convaincre de son ignorance.
C’est là le seul message clair qu’ils véhiculent : « Vous (le sens commun) croyez que…, mais nous savons désormais que…». Ou, dans le domaine du cinéma : « On ne peut quand même pas vous laisser percevoir les choses n’importe comment… Apprenez à regarder des généralités ! ». C’est toute une manière de faire du cinéma « pédagogique » qui transforme le public en ignorant, elle « apprend » à ne pas regarder, à lire des généralités, c’est cela qu’il faut éviter. Cette tâche est d’autant plus importante pour Vertov qui depuis les années 1920 prend très au sérieux la nécessité de se préparer à l’arrivée d’une image télédiffusée.
La révolution c’est rompre avec le savoir du maitre, pas avec celui du peuple… Pour Vertov, il n’est pas question de railler l’ignorance de ces paysans, mais au contraire de tenter de dialoguer avec leur savoir. Il regarde ces paysans, ils se prétendent ignorants, mais « cela, toutefois, n’empêchait pas les paysans, quand ils parlaient entre eux, de se gausser des chevaux artisses ». Or, « émanciper le regard » va justement dans ce sens, regarder à partir de ce qu’on sait, confronter notre savoir au réel que propose le cinéma. Et, pourquoi pas, se moquer des artisses, porter l’ironie jusqu’à leur faire croire qu’on accepte de se voir comme des paysans ignorants…
Peut-être qu’il s’agissait d’une manière de dire aux artisses que ce n’est pas comme ça qu’un dialogue était possible, encore moins une révolution. C’est en tout cas ce que fait Vertov, se confronter à cette critique, ruminer ce que propose le regard émancipé des paysans. Émancipé non pas parce qu’innocent ou pur, mais parce qu’il ne se prive pas de son expérience, ne se coupe pas de son savoir, de son rapport au monde.
Il convient probablement de « souder le sens commun à l’imagination », comme le proposait A. N. Withehead, un contemporain de Vertov, ça s’applique très bien à son cinéma. « Ce qui suppose un sens commun capable de ruminer, d’objecter, de ne pas se laisser faire, car sans cela aucune opération de soudure n’est concevable[Stengers I., op. cit., 2017, p. 19.]].»
Le problème n’est pas de bannir les cartons, la voix off ou l’émotion des films, il y a tout cela dans les films de Vertov, mais en interaction avec les autres éléments des films, ils ne déterminent pas l’organisation du film, ils ne constituent pas sa logique. « Il faut abolir le lien visuel entre les sujets », lui conseillent les « ciné-nourrices ». Contrôler les liens… ou les laisser proliférer, c’est là le point de rupture.
La vie telle qu’elle est ?
Le monde dans un film
« Le ciné-œil est un mouvement qui va crescendo pour une exploration scientifique du monde visible, mais invisible à l’œil nu11. »
La caméra permet de filmer des mouvements dans des conditions impossibles pour les yeux, encore plus impossibles pour les yeux d’une seule personne. Mais la différence est surtout qu’elle permet une autre organisation du regard lorsque les images sont montées. La caméra offre la possibilité de produire un point de vue singulier, un point de vue qui n’est pas humain en ce sens qu’aucun être humain ne peut voir de cette manière. Ce n’est pas non plus le point de vue de la caméra, qui n’en a pas.
« Exemple : le tournage d’un groupe de danseurs n’est pas le tournage du point de vue du spectateur assis dans une salle et regardant le ballet sur scène. Le spectateur d’un ballet suit de manière désordonnée tantôt le groupe de danseurs, tantôt au hasard tel visage, tantôt de jolies jambes. Cette vision est une série de perceptions éparses, différentes pour chaque spectateur […] L’appareil de prise de vue “entraine” les yeux du spectateur des jolies mains aux jolies jambes, aux yeux, etc., dans l’ordre le plus avantageux et organise les détails grâce à un essai de montage juste12. »
Le montage juste est celui qui nous fait percevoir la poésie de cette danse, dans la mesure bien entendu où elle en possède. Organiser ne veut pas dire modéliser la danse, Vertov n’extrait pas les éléments et les interactions pour reconstituer la danse après coup. Les images ne sont pas des données brutes, elles ne sont pas désindexées, mais une série de perceptions. La perception est située et contient toujours un effort pour produire le sens de ce à quoi elle est confrontée, la manière dont ça peut affecter l’organisme. Ce qu’il s’agit de regarder est la danse dans son ensemble, et chaque élément qu’il inclut dans son film n’a de sens que par rapport à la danse comme unité, c’est dans le mouvement qu’est le réel.
Néanmoins, « filmer des fragments de vérité ne suffit pas. Il faut que ces fragments soient organisés de façon à ce que de leur somme naisse la vérité. Et cette tâche est aussi difficile, voire plus difficile, que celle de filmer des bouts de vérité séparés13 ». Il avait donné une explication quelques années auparavant : « Cela signifie également que la kino-pravda ne prescrit pas à la vie de se dérouler conformément au scénario de l’écrivain, mais qu’elle observe et enregistre la vie telle qu’elle est et ne tire que plus tard des conclusions de ses observations14 ».
On ne fait pas rentrer des éléments isolés dans un scénario, c’est toujours la visée (la vie telle qu’elle est) qu’organise le montage. Par exemple, chaque main filmée dans Kino-Glaz a un sens par rapport à l’action qu’elle mène : guider des cuves de métal en fusion dans un haut-fourneau, rouler une cigarette d’opium, battre le blé. Les mouvements des mains existent dans une histoire qui les précède, dans un monde auquel elles participent.
Les mains dans les films de Vertov sont habiles dans un contexte singulier, on nous montre ce que ces mains savent faire15. Non pas le regard de l’industriel qui se demande quelles compétences générales elles possèdent, comment il pourrait effacer les liens historiques, culturels, sociaux et se les approprier. Ni celui du publicitaire qui se demande si elles correspondent à l’idée d’une main parfaite, celle qu’il lui faut pour induire le rêve qu’acheter sa marque de savon va nous transporter dans un autre monde. Encore moins celui du manageur néolibéral qui est une synthèse des deux précédents. Ici la question est non pas ce qu’elles pourraient faire si elles étaient soumises à un autre savoir, externe, mais ce qu’elles savent faire. La lutte de classe n’est pas surajoutée par un texte, par une voix off ou dans l’accoutrement du héros, elle est dans le réel. Les gestes sont des gestes propres à une classe, issus d’un savoir qui lui appartient. De la même manière c’est lorsqu’il montre des paysans au travail que nous pouvons regarder comment la terre appartient aux paysans. Il faut regarder les gestes, les corps, capables de travailler ces champs et réciproquement, les gestes des paysans façonnés par des siècles de travail de la terre.
Dans la succession des plans, on peut aussi penser la différence de rapport au monde entre les ouvriers et les paysans, comprendre peut-être leur méfiance face au nouveau monde qu’on leur vante. Le réalisateur confronte ces réalités, mais ne tente pas de maitriser les liens que le spectateur peut faire. Pour un révolutionnaire, il n’y a pas lieu de se méfier des sens, au contraire, c’est à partir des sens qu’on peut penser. À condition de ne surtout pas envisager les sens comme une manière d’absorber passivement de l’information.
Produire du réel
Le réel n’est pas donné, documenter la vie telle qu’elle est ne revient pas à installer une caméra de surveillance, là aussi il est question d’une visée dans le travail du réalisateur, de comprendre le sens des choses.
« Les kinoks distinguent :
- Le montage au moment de l’observation : repérage de l’œil désarmé dans n’importe quel lieu, à n’importe quel moment.
- Le montage après observation : organisation mentale de ce qui a été vu en fonction de tels ou tels indices caractéristiques.
- Le montage pendant le tournage : repérage de l’œil armé de l’appareil de prise de vue dans le lieu inspecté au point 1. Adaptation du tournage à quelques conditions qui se sont modifiées.
- Le montage après le tournage : ébauche de l’organisation de ce qui a été filmé en fonction des indices de base. Recherche des morceaux manquants dans le montage.
- Le coup d’œil (chasse aux morceaux de montage): repérage instantané dans n’importe quel milieu visuel pour saisir les cadres de liaison nécessaires. Faculté d’attention exceptionnelle. Règle de guerre : coup d’œil, vitesse, pression.
- Le montage définitif, la mise en évidence de petits thèmes parallèlement aux grands. Réorganisation de tout le matériau dans la meilleure succession possible…16 »
La vie telle qu’elle est n’apparait pas d’elle-même à l’écran, il ne s’agit en rien de se laisser spontanément porter ou de suivre passivement ses émotions, mais d’un travail. Le réalisateur doit produire un savoir à partir de ce qu’il perçoit. Si la vie est là finalement dans n’importe quel film de Vertov, c’est qu’elle reste présente à toutes les étapes du travail. La vie comme visée organise chacune des différentes étapes de réalisation d’un film. C’est ainsi que le résultat n’est pas de déplacer la perception au profit d’un « message », au contraire, même lorsqu’il est question de concepts sophistiqués, ils sont rattachés à un fond de perception, ils sont situés dans un certain rapport au monde.
« Ce que fait le montage, selon Vertov, c’est porter la perception dans les choses, mettre la perception dans la matière, de telle façon que n’importe quel point de l’espace perçoive lui-même tous les points sur lesquels il agit ou qui agissent sur lui, aussi loin que s’étendent ces actions et ces réactions17. » Si la machine dit la vérité sur la vie c’est qu’avec Vertov la vie a en quelque sorte colonisé la machine.
« Le champ visuel c’est la vie.
Le matériau de construction pour le montage, c’est la vie.
Les décors (les villes et les villages), c’est la vie.
Les artistes (objets animés et inanimés), c’est la vie18. »
C’est à chaque fois d’une visée dont il est question, c’est pour cela qu’en vis-à-vis il y a une place pour la visée du spectateur.
Le film dans un monde
En somme : « Nous préconisons l’agitation par les faits non seulement pour la vision, mais aussi pour l’ouïe, pour le gout, pour le toucher, etc., qui s’oppose à une agitation d’opium. Il faut faire usage de toutes les issues de l’être humain, pour introduire dans son corps des faits visuels, audibles, odorants, tactiles, etc. Ces faits doivent obliger l’homme à quitter sa chambrette et à se tourner vers l’arène mondiale de la lutte sociale19. »
Agitation par les faits ne veut pas dire diffuser des informations censées être neutres, objectives, innocentes. Ici un fait est lié à la perception. Vertov le précisera lui-même : « Fausse est l’affirmation selon laquelle un fait de vie enregistré par l’appareil de prise de vues perd le droit d’être appelé un fait si ses nom, date, lieu et numéro ne sont pas portés sur la pellicule[Vertov D., « Contre la phrase de gauche (à propos de l’article de Brick publié dans le n° 27 de Kino)», 1926, p. 271.]]». Il ne s’agit pas de classer les faits de la vie, mais d’actualiser leur vitalité.
« L’ouvrier du textile doit voir l’ouvrier d’une usine de construction mécanique en train de fabriquer une machine nécessaire à l’ouvrier du textile. L’ouvrier de l’usine de construction mécanique doit voir le mineur qui fournit à l’usine le combustible nécessaire, le charbon. Le mineur doit voir le paysan qui produit le blé qui lui est nécessaire. Tous les travailleurs doivent se voir mutuellement pour que s’établisse entre eux un lien étroit et indestructible20. » Le problème n’est pas d’informer les métallurgistes ou les ouvriers du textile de l’existence des mineurs, ils savent parfaitement qu’il existe des mineurs, mais de se voir, de comprendre ce travail, comment il fonctionne, quelle organisation il produit, etc. C’est d’ailleurs de la même manière qu’il propose de filmer des ouvriers au travail, des paysans en train de se baigner dans un lac, un vieux magicien chinois en train de faire son numéro au marché, le réveil d’un fumeur de cocaïne, une moissonneuse, un haut-fourneau, un cheval en train de mourir ou la réunion d’un Soviet. Une action, toujours située, toujours filmée en tant que singularité, et la place accordée à chaque spectateur pour regarder, le temps pour ruminer le lien qu’il peut faire avec cela.
Se voir les uns les autres, mais se voir en action, non pas évaluer quelque chose ou quelqu’un, mais produire le lien, l’imaginer. S’il y a un lien à faire, une alliance entre ces travailleurs par exemple, ce n’est pas une question d’intérêts communs comme l’affirme le libéralisme, mais parce que réellement ils produisent quelque chose ensemble. Ce qui fait l’unité possible n’est pas l’appartenance à une catégorie sociologique, mais un mode d’action, un rapport au monde. « Passer du système des accords permanents à celui des actions permanentes21 », écrivait Vertov dans son journal.
Le travail du cinéaste, lui aussi, s’inscrit dans le mouvement : « Nous avons cru de notre devoir de ne pas faire seulement des films de grande consommation, mais aussi, de temps en temps, des films qui produisent des films. Et non seulement des films qui produisent des films, mais aussi des hommes qui produisent des films22. » C’est notamment l’un des thèmes de L’homme à la caméra, filmer un opérateur en action. Non pas confronter la vérité du film à l’ignorance du spectateur, mais confronter le réel du film au savoir du spectateur. Des actions qui produisent des actions, faire proliférer l’action. Dans le sens d’êtres humains capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent et d’agir à partir de ce savoir.
Fonction = fiction
Si on réalisait un ciné-drame avec la vie de Vertov, un biopic comme on dit de nos jours, la fin serait résolument triste. À partir de 1934 et jusqu’à la fin de sa vie, on l’empêchera de tourner d’autres films, malgré la très grande reconnaissance obtenue pour ses travaux, notamment L’homme à la caméra. Une voix off grave et savante pourrait discourir sur les raisons du succès et l’échec, écrire un bilan comptable, accompagnée d’une musique pleine d’émotion… On verrait ensuite Elizaveta Svilova, membre du groupe des Kinoks et monteuse de la plupart des films de Vertov, rechercher patiemment des copies de ses films après sa mort. Puis, un saut temporel, les jeunes cinéastes de la nouvelle vague reconnaissent en Vertov le père de tout ce qui est bon dans le cinéma ! Véhiculer l’euphorie et l’impuissance pour laisser de côté l’action, nous faire porter l’émotion et la leçon sur le dos, oublier le mouvement. Espérons qu’une telle horreur échappe aux radars des producteurs de Netflix. Mais Vertov en a vu d’autres, et de pires…
En témoigne un manuscrit intitulé « Mon chemin », rédigé dans les dernières années de sa vie où il conteste les propos d’un critique soviétique à son égard. « Il (le critique) parle des recherches linguistiques, oriente l’attention du lecteur vers la part novatrice technique des œuvres de Vertov et non pas vers leur contenu socialiste. Aucun écrivain, aucun réalisateur, aucun poète ne peut endurer une telle épreuve23. » Pour Vertov, le sens de ce qui est filmé est central à chaque étape. Il n’y a pas une fonction pour le langage, une fonction pour tel ou tel procédé technique, etc., qu’il faudrait assembler en fin de parcours. Le soin porté à chaque plan pour montrer comment les choses existent dans une situation concrète, c’est sa manière de porter la lutte de classe. Et c’est justement ça la question du critique auquel il s’oppose, démembrer le travail vivant pour s’approprier le cadavre. À l’époque il s’agit d’un critique stalinien, aujourd’hui ce serait un jeune communicant branché qui, pour des raisons assez semblables, aurait besoin de mots-clés pour résumer un film. Vertov : #recherches linguistiques, #technique novatrice… il dirait probablement les choses autrement, mais aussi mal. La capacité de Vertov à penser à partir d’une situation dans son ensemble reste une problématique actuelle.
« Vous croyez que…, mais l’algorithme qui est capable de calculer beaucoup plus de données que vous, nous informe que…» Ou alors : « votre vue est partielle, la réalité est que…». L’utilisation des algorithmes s’inscrit d’une certaine façon en continuité avec cette histoire commencée vers le XVIIIe siècle où le progrès consiste à déplacer le sens commun et les perceptions sensibles. Il y a néanmoins une particularité du numérique, sa capacité à écrire le monde24. Un film peut suivre jusqu’au bout un scénario aberrant, peut intégrer des cartons, des voix off, des héros ou des artéfacts qui nous empêchent de regarder, mais il reste toujours une part de rapport sensible aux images et aux sons dans le tournage, dans le montage et dans le regard du spectateur.
Les algorithmes ne peuvent pas regarder les images, mais ils peuvent les numériser, c’est-à-dire les transformer en suites de signes. Ils peuvent ensuite les proposer à certains profils, à partir des classifications produites par des usagers (tags), à partir de critères liés à la manière dont elles sont partagées ou produites (métadonnées) ou à partir de similarités dans le code qui les compose ; ces profils (les spectateurs) sont eux-mêmes des agglomérations ad hoc de données brutes (décontextualisées). Dans cet écosystème les images n’existent qu’en tant que façade d’un monde écrit en code.
« On peut résumer ainsi la différence radicale entre un procédé analogique et un processus digital : dans les processus analogiques, il existe une continuité avec le milieu qui, par une série d’échanges, peut produire une image, optique ou sonore, sans discrétisation du champ. Autrement dit, dans les processus analogiques, le résultat produit porte la trace physicochimique du découpage opéré…25 »
La caméra de Vertov enregistre des relations physicochimiques, notamment entre la lumière et les réactifs qui se trouvent sur sa pellicule. Ce sont des interactions entre différents matériaux qui sont visibles d’une manière ou d’une autre. Quoi qu’on fasse, il reste toujours un rapport perceptible au monde matériel.
De son côté « un artéfact digital transforme les processus matériels en unités d’information immatérielles26 ». Les « données brutes » que produit le numérique sont abstraites de toute relation matérielle, il y a une rupture avec le substrat matériel, ce sont ces informations immatérielles qui composent le monde digital. Cette rupture est très abrupte. Le type d’organisation fabriquée par les algorithmes ne produit pas d’images parce qu’il s’agit d’un rapport entre signes d’un langage univoque. Les analyses big data produisent une vérité née en deçà des sens et de toute visée du vivant à partir du traitement de données brutes, et affichée sous forme de messages écrits ou de symboles. Un réel totalement imperceptible.
Dans le langage des ciné-nourrices d’aujourd’hui, éviter nos capacités sensibles est présenté comme une manière d’augmenter nos possibilités, de nous donner un accès au réel, de créer un homme amélioré.
C’est ici qu’il est peut-être pertinent d’actualiser les souvenirs du voyage avec Vertov, son rapport à la machine. « Ne copiez pas sur les yeux. Désormais nous affranchissons l’appareil de prise de vue et le faisons fonctionner dans une direction opposée, très éloignée de la copie27. » La machine ne sert pas à parachever l’humanité de chacun, elle n’améliore pas nos capacités. Lorsqu’il est question d’homme augmenté, d’affirmer pour la énième fois que nos sens sont mauvais, qu’ils nous trompent, etc. Ce qu’on produit est un homme en quelque sorte colonisé, puisque incapable de produire un savoir à partir de son expérience. Le geste de Vertov permet de poser une question simple : la caméra n’est pas un œil amélioré, alors qu’est-ce qu’elle permet de faire ? Il ouvre la possibilité d’un savoir sur la machine. Et, par conséquent, la possibilité d’un rapport avec la caméra, confronter notre regard à celui produit par un film, confronter deux logiques différentes.
« Les organismes résultent d’un processus de différenciation organique où, à toutes les phases de cette différenciation cellulaire, l’unité viable de l’organisme est préservée. À l’inverse un artéfact est produit par ajout de composantes, d’“organes”, par agrégation de parties nouvelles28. » C’est cette tension que Vertov maintient dans l’organisation de son montage. Pour le réalisateur, chaque élément existe dans une situation. La caméra ne fonctionne pas de cette manière, mais la question est de s’approprier ce que la caméra produit dans la logique du vivant, sans faire disparaitre la tension entre ces deux logiques différentes.
Néanmoins, pour que ce montage soit possible, la manière même de découper, le choix de ce qu’on filme est un enjeu, là aussi il y a deux logiques. « À ce concept physique d’information, simple avatar d’une énergie protéiforme, nous opposons, en suivant René Thom, celui de “signe biologique” (ou “saillance”), ce qui fait sens (“prégnance”) pour un récepteur29. » Pour que le montage puisse fonctionner dans une logique de la vie, il fallait en amont que le tournage aussi prenne la vie comme logique. Non pas capter de l’information, mais produire un savoir situé, partir de la perception, du sens commun.
Une production numérique qui s’occupe de la vie telle qu’elle est au sens de Vertov est-elle possible ? Il est peut-être trop tôt pour le dire. Le travail de Scott Eaton, par exemple, semble être une tentative pour aller en ce sens. Il serait fastidieux et difficile de résumer son travail ici, je proposerai plutôt de profiter des avantages du monde numérique pour s’en faire une idée.. En tout cas, il produit une base de données pour un algorithme à partir d’une grande quantité de photos qu’il a lui-même réalisées. Il apporte aussi une visée dans la phase d’apprentissage de son algorithme, qui doit en quelque sorte reprendre le style des photos qui composent sa base de données. Puis, utilise son algorithme plutôt à la manière d’un pinceau et, en aucun cas, comme une baguette magique. Il est dans une recherche, en train de travailler plutôt que dans l’attente d’un output miraculeux.
Vertov parlait d’un cinéma non joué, le ciné-œil, disait-il, est le cinéma où le cinéma joué ne s’interpose pas entre l’objectif de la caméra et l’objet filmé. Il est peut-être intéressant de le rapprocher de l’équation du biologiste Henri Atlan : fonction = fiction. Chaque élément d’un organisme fonctionne aussi en résonance avec l’ensemble. Isoler le rôle d’un élément, ce qu’il peut ou pas, ce qu’il devrait faire, c’est tout cela qui est une fiction, au sens du cinéma joué de Vertov.
Aujourd’hui, lorsque des gens sérieux évoquent les compétences, les intentions, la fonction, l’intérêt de quelqu’un, tout ce cinéma joué (au sens que Vertov lui confère), ils prétendent parler du réel. C’est tout ceci qui serait concret et le reste ce seraient des histoires. C’est peut-être de ce genre d’histoire qu’il faudrait se libérer, de ces tentatives de faire rentrer la vie dans un scénario. Ces histoires qui veulent nous convaincre que le scénario est plus réel et plus désirable que la vie, que la vie est terne. Vertov apporte une autre histoire, celle d’un réel qui contrairement aux bourgeois ne se cache pas derrière les apparences, d’une vie remplie de poésie, de sens, de luttes.
« On ne le répètera jamais assez : qui dit “visée” ne dit pas intentionnalité. L’intention est l’une de ces histoires que les humains sont susceptibles de se raconter à eux-mêmes, et c’est une histoire bien pauvre par rapport à celles que, selon Kauffman, et bien d’autres, nous avons besoin d’apprendre à raconter30. »
- Vertov D., « Nous. Variante du manifeste », juillet 1922, repris dans Dziga Vertov, Le ciné-oeil de la révolution, Écrits sur le cinéma, Les presses du réel, 2018, p. 105. Par la suite la pagination des articles de Vertov correspondra, sauf précision contraire, à cette édition.
- Vertov D., « Kinoks révolution », 1923, op. cit., p. 131.
- Il y a une scène artistique extrêmement puissante, créatrice, expérimentale, dans les premières années de la révolution. Elle sera massivement étouffée à partir des années 1930, malgré le fait que ses principaux référents sont des révolutionnaires convaincus (ou peut-être justement à cause de cela).
- Stengers I., Civiliser la modernité ? Withehead et les ruminations du sens commun, Les presses du réel, 2017, p. 18.
- Vertov n’est certes pas le seul, on pourrait aller chercher cette question aussi bien chez des cinéastes plus récents comme Pasolini, Ivens ou parmi les cinéastes vivants, chez Lucrecia Martel, par exemple. L’avantage de Vertov pour nous est qu’étant un pionnier la problématique est plus nette, il n’a pas une histoire du cinéma derrière lui.
- Vertov D., « Au sujet du film d’éducation politique », 1931, op. cit., p. 395.
- Vertov D., « Ciné-oeil », 1926, op. cit., p. 227.
- Vertov D., « Rapport de Dziga Vertov au sujet de la kino-pravda, 9 juin 1924 », op. cit., p. 157.
- Vertov D., « Le front du ciné-œil », 1926, op. cit., p. 250.
- Vertov D., « Le ciné-œil », 1926, p. 224.
- Vertov D., « Le ciné-œil, le radio-œil et le soi-disant “documentalisme” (note historique)», 1931, op. cit., p. 400.
- Vertov D., « Kinoks révolution », 1923, op. cit., p. 129.
- Vertov D., « Je veux faire part d’une expérience », 1934, op. cit., p. 476.
- Vertov D., « Rapport de Dziga Vertov au sujet de la kino-pravda, 9 juin 1924 », op. cit., p. 161.
- C’est le cas un peu partout dans ses films, le chapitre 4 de L’homme à la caméra est probablement le sommet.
- Vertov D., « Le ciné-œil », 1926, op. cit., p. 237.
- Deleuze G., L’image mouvement, éditions de minuit, 1983, p. 117.
- Vertov D., « Intervention dans le débat du cinéma Malaïa Dmitrovka », 1923, op. cit., p. 143.
- Vertov D., « Le radio-œil », 1925, p. 220.
- Vertov D., « Le radio-œil », 1925, p. 217.
- « Journal de Dziga Vertov », 1936, publié dans Dziga Vertov, Articles, journaux, projets, 10/18, 1972, p. 276.
- Vertov D., « À propos de mon amour pour l’homme vivant », 1940, p. 560.
- Vertov D., « Mon chemin ». Le texte ne fut pas publié à l’époque, il a été écrit en 1947, p. 565.
- À ce sujet on peut se référer au travail extrêmement complet et par ailleurs passionnant de Clarisse Herrenshmidt, Les trois écritures, Gallimard, 2007.
- Benasayag M., La singularité du vivant, Le pommier, 2017, p. 129.
- Benasayag M., Ibidem, p. 129.
- Vertov D., « Kinoks révolution », 1923, p. 128.
- Longo G., « Éloge de la ligne : vers de nouveaux contours pour l’humain ». Publié comme prolongement de La singularité du vivant, op. cit.
- Benasayag M., op. cit., p. 94.
- Stengers I., op. cit. p. 127.
