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Les leurres démocratiques en RDC
Des dizaines de morts dont quatre policiers, des pillages, des destructions de véhicules, des sièges de partis incendiés… tout cela sous les cris de « Kabila, dégage » : voici le Congo « démocratique » en proie à de nouvelles violences dans le contexte d’un imbroglio institutionnel que l’élite politique congolaise, au pouvoir ou non, ne parvient pas à maitriser tout entière […]
Des dizaines de morts dont quatre policiers, des pillages, des destructions de véhicules, des sièges de partis incendiés… tout cela sous les cris de « Kabila, dégage » : voici le Congo « démocratique » en proie à de nouvelles violences dans le contexte d’un imbroglio institutionnel que l’élite politique congolaise, au pouvoir ou non, ne parvient pas à maitriser tout entière vouée qu’elle est à la dynamique de rapports de force clientélistes mouvants. Et ce n’est sans doute pas terminé puisque de nouvelles « manifestations » sont annoncées pour les prochains mois, dont celles qui pourraient avoir lieu à la date fatidique où le président en place devait en principe céder la place à son successeur.
Sans vouloir établir des priorités dans les responsabilités en cause, récusant tout simplisme dans l’analyse d’une situation où il n’y a pas d’un côté des « bons » et de l’autre des « méchants » et où l’informe prédomine le plus souvent, on s’attachera ici à dégager quelques lignes de force explicatives.
Une commission électorale qui n’a pas rempli sa mission
Au départ, il y a l’institutionnalisation depuis 2004 d’une commission électorale indépendante, la CEI, devenue par la suite CENI. Selon la dernière loi organique publiée au Moniteur congolais en juillet 2010, cette CENI est un organisme de droit public autonome et permanent chargé de l’organisation des élections et dont les titulaires sont désignés par l’Assemblée nationale parmi les membres de la majorité comme par ceux de l’opposition, son président étant traditionnellement issu de l’un des cultes reconnus par la RDC.
Indépendamment des critiques qui lui furent adressées par les observateurs internationaux à l’issue des dernières élections présidentielle et législative de 2011, la CENI s’est surtout illustrée par son incapacité à effectuer depuis lors un suivi régulier du fichier électoral dont elle avait statutairement la charge. Résultat : à deux mois du scrutin présidentiel et législatif de novembre 2016, on estime que deux millions d’électeurs décédés depuis 2011 n’ont pas été radiés des listes électorales et huit autres millions de nouveaux majeurs n’y ont pas été inscrits. À la même époque, le président de la CENI annonce lors d’une conférence de presse le report du scrutin « au moins jusqu’à juillet 2017 », alors que l’enrôlement des électeurs a débuté dans une seule province, celle du Nord Ubangui.
Dans diverses déclarations et interviews, le président de la CENI invoque le plus souvent son entrée en fonction récente (novembre 2015), un fichier électoral « en mauvais état », et un manque de moyens financiers pour illustrer le retard. Or, faire dépendre ce retard d’une nomination récente à la présidence démontre que la commission électorale qui disposait pourtant de plus d’une centaine de bureaux dans l’intérieur du pays ne s’est jamais attelée sérieusement au travail de mise à jour régulière des listes d’électeurs à travers le pays. Pour ce qui regarde le financement, un ancien ministre congolais des Finances devenu fonctionnaire du FMI a pu mettre en évidence le caractère somptuaire du budget des élections de 2016. « Le budget de 1,1 milliard de dollars mis en avant par la CENI est colossal, explique-t-il. En augmentation de près de 57% par rapport au budget de l’élection de 2011, ce montant est presque trois fois supérieur au budget des scrutins de 2006. » On pouvait comprendre que les partenaires et bailleurs de fonds internationaux de la RDC se posent des questions, d’autant plus que ces derniers ne parvenaient pas à obtenir de la CENI le calendrier électoral qu’ils réclamaient légitimement.
Le silence indécent du président
Face à ces incertitudes, le président Kabila entre dans l’arène pour annoncer en novembre 2015 la tenue d’un « dialogue politique national » qui serait essentiellement centré sur la sortie de l’impasse électorale. À ce stade, cette initiative pouvait être considérée comme fondée, mais c’était sans compter sur la levée de boucliers d’une opposition, par ailleurs divisée, qui suspectait le chef de l’État de vouloir s’accrocher au pouvoir. Ce grief était d’autant plus fondé que Joseph Kabila se taisait dans toutes les langues sur ses intentions : serait-il candidat ou non à concourir pour un troisième mandat présidentiel, ce que lui interdisait formellement la Constitution ? Par ailleurs, du fait des multiples tractations qui suivirent l’annonce du dialogue, celui-ci ne démarra effectivement que près d’un an plus tard (1er septembre 2016), c’est-à-dire à une époque où la campagne électorale présidentielle aurait dû battre son plein. Il n’est pas impossible que beaucoup de participants, tant de l’opposition que de la majorité et de la société civile — ils étaient plus de deux-cents — ne furent pas indifférents au montant généreux du « per diem » qui leur fut alloué (283 dollars par jour alors que le salaire moyen d’un fonctionnaire était de 100 dollars).
À l’entame du dialogue, la nouvelle, qui circulait « sous le manteau » tomba comme une bombe : le président de la CENI annonça que le fichier électoral ne pourrait être achevé qu’en juillet 2017 et que les premières élections (présidentielle, législatives et provinciales) n’auraient pas lieu avant… décembre 20181. De la Tanzanie où il était en voyage officiel, le chef de l’État, sans cautionner la date, annonça le report des élections : quelques jours auparavant, il avait lancé depuis Kinshasa un appel au calme et à la poursuite du dialogue national. Mais encore et toujours, c’était le silence sur ses intentions.
Une majorité et une opposition en trompe‑l’œil
Le silence assourdissant de Joseph Kabila et le dysfonctionnement de la commission électorale s’inscrivent aussi dans une dynamique politique où l’on peine à voir clair dans les rapports de force en présence. Opposition ? Majorité ? Cette terminologie classique a peu de prise sur la vie politique congolaise dominée avant tout par des baronnies et/ou des figures mythiques ou non qui ont chacune leur propre agenda, mais aussi leurs antagonismes internes.
Parmi celles-ci, on citera d’abord Étienne Tshisekedi, figure emblématique du refus tous azimuts. Entré en opposition contre Mobutu en 1980 après s’être associé à lui dans les années 1960, il refuse d’être signataire de l’accord de Sun City qui réconcilie une large partie de la classe politique en 2002 et est à l’origine du boycott, sans succès, du référendum sur la Constitution congolaise. En 2011, il s’autoproclame président de la République dans la foulée de l’élection présidentielle marquée par de nombreuses irrégularités. En juin 2016, il rentre au Congo après un long séjour médical en Belgique — il est âgé de quatre-vingt-deux ans — où il se place à la tête d’un « Rassemblement » qui réunit en Belgique une centaine de délégués et quelques grands ténors de l’opposition contre le dialogue de Joseph Kabila. Un « Rassemblement », avec lequel certaines têtes de son parti, l’UDPS, ont rompu et qui joue dangereusement avec le feu dans la mesure où la mobilisation lancée par le « leader maximo » touche surtout des centaines de jeunes casseurs et de « kuluna » (jeunes hors-la-loi) qui font partie de son environnement immédiat à Kinshasa. Après les émeutes sanglantes dans la capitale ces 19 et 20 septembre, il n’hésite pas à annoncer publiquement que son combat continuera « quel qu’en soit le prix ».
Une seconde figure, plus jeune et très populaire, est l’ancien gouverneur du Katanga au nom prédestiné de Moïse Katumbi2. Homme d’affaires et surtout patron à Lubumbashi d’un club de football internationalement connu, le « tout puissant Mazembe », considéré comme une des personnes les plus influentes de la RDC, quitte la majorité présidentielle à la fin septembre 2015 dans la foulée de la décision du chef de l’État de mettre en vigueur l’article de la Constitution qui divise le Katanga en quatre provinces. Depuis lors, il est courtisé à la fois par le « Rassemblement » de Tshisekedi, mais aussi par un groupe de sept dissidents de la majorité présidentielle, le G7.
Cet autre « rassemblement », constitué à partir de février 2015, comprend un groupe de sept « frondeurs », anciens ministres, comme Olivier Kamitatu et Charles Mwando Nsimba, anciens présidents d’assemblées, comme Christophe Lutundula et Kyungu wa Kumwanza, voire conseiller spécial du président congolais à l’instar de l’ancien ministre Pierre Lumbi. Ils déclarent s’opposer à toute tentative de prolongement du deuxième et dernier mandat du président congolais.
Une autre figure semble encore conserver une certaine aura, celle de Jean-Pierre Bemba, bien que celui-ci ait été condamné à dix-huit ans de réclusion par la Cour pénale internationale. Sa formation, le MLC (Mouvement de libération congolais), divisée entre ceux qui ont accepté de participer au dialogue et ceux qui l’ont récusé, est toujours active sur le plan parlementaire.
Le cas de Vital Kamerhe, autre opposant à l’avant-plan, est particulier. Ancien allié de Joseph Kabila dont il a organisé la campagne en 2006 avant de quitter la majorité présidentielle, il a finalement rallié les « dialoguistes » en escomptant sans doute jouer un rôle de premier plan dans la transition puisque les participants au dialogue ont convenu de la constitution d’un gouvernement d’union nationale dirigé par un opposant.
Enfin, il y a ces figures dont on ne sait pas trop où elles se situent sur le plan politique. Tel est le cas de l’ancien Premier ministre de Mobutu, Léon Kengo wa Dondo, qui paraît à certains moments dehors et à d’autres, dedans.
Du côté de la majorité présidentielle, on ne trouve aucun « grand format » autre que le chef de l’État qui, du fait de sa fonction même, est le dispensateur de privilèges et de prébendes. Sans aucun charisme comme ses prédécesseurs, il règne sur une clientèle de ministres, de conseillers, de parlementaires ou de « petites mains » dispersées au sein de petites formations — il y a plus de quatre-cents « partis » politiques officiellement enregistrés en RDC — qui ont beaucoup à perdre de son départ. Le pouvoir en place éprouve beaucoup de peine à les coordonner.
Les faiblesses de l’action internationale
Comme pour les pays voisins, le Congo-Brazzaville, le Rwanda et le Burundi, où le principe constitutionnel de l’alternance à la tête de l’État est malmené et les droits de l’homme partout bafoués, les réactions des parrains internationaux ont été à géométrie variable.
Au Congo-Brazzaville, où le président Sassou-Nguesso, qui, outre qu’il ne peut plus se représenter, a de surcroit atteint la limite d’âge sur le plan constitutionnel, soit on renvoie le dossier à l’Union africaine, soit on en appelle à un « processus électoral crédible ». Au Rwanda, pays érigé en modèle de gouvernance « moderne », on émet des réserves polies sur la tenue d’un référendum populaire où le résultat est acquis d’avance. Par contre, au Burundi, on bombarde le pays de sanctions, tandis qu’en RDC, soit il est question d’y recourir, soit on les active.
On pointera en particulier la position américaine qui, n’ayant pu se faire entendre ni à Kigali ni à Bujumbura sur l’obligation d’alternance démocratique, a voulu durcir le ton pour ce qui regarde Kinshasa. Son représentant a entamé un périple européen visant à dégager des « conclusions fortes » concernant un pays au bord, selon lui, d’une « grave crise de régime ». Des « conclusions fortes » qui n’ont pas manqué d’inspirer l’Union européenne alors que le fameux dialogue national, certes contesté, accouchait finalement d’une ouverture « à la congolaise » qui pouvait difficilement être ignorée : tenue des élections en avril 2018 et régime de transition où un « opposant » serait à la tête d’un exécutif « surveillé » par une commission d’organisations internationales
Ces traitements diplomatiques différenciés ou radicaux ne doivent pas occulter une réalité qui les transcende, à savoir une indifférence généralisée à l’égard d’une région et d’un continent où les luttes pour le pouvoir et entre les satrapes ont encore de beaux jours devant eux. En se centrant sur les aléas de l’alternance au sommet, ces parrains n’évoquent plus qu’à mots couverts les sanglants affrontements d’«en bas » qui ont lieu depuis plus de vingt ans dans la partie orientale de la RDC où ont convergé des bandes armées originaires des pays des Grands Lacs voisins et où l’on a récemment recensé plus de septante milices en activité3. « L’Afrique des Grands lacs demeure hors des radars médiatiques », déploraient récemment les journalistes et « correspondants de guerre » réunis à Bayeux le 9 octobre dernier. « La précarité de la profession, la dangerosité du reportage sur le terrain font qu’il est extrêmement compliqué, dans la logique des chaines “tout info”, d’avoir une écoute4. »
Alors, les « politiques », grands consommateurs de médias, n’ont aucune raison d’en faire écho, que ce soit à Washington, à Paris ou à Bruxelles, où le dossier du Moyen-Orient et celui de l’Ukraine occupent tant de vaines énergies. Ni bien évidemment à Kinshasa où, sur les onze points de la feuille de route du dialogue national, aucun ne porte sur ce type de conflictualité qui ravage le pays.
- Alors que de leur côté, les experts électoraux de l’ONU et de l’OIF (Organisation internationale de la francophonie) évoquaient la date de mars 2018.
- On rappellera que le premier gouverneur du Katanga après l’indépendance, qui s’illustra dans la sécession de sa province, était lui aussi un homme d’affaires et s’appelait Moïse Tshombe.
- Des milices armées dont les chefs et/ou les membres peuvent tout aussi bien être des anciens militaires que des « intellectuels » qui œuvrent dans des ONG de paix et de développement, voire dans l’humanitaire. Voir à ce sujet le remarquable ouvrage de Justine Brabant, Qu’on nous laisse combattre, et la guerre finira. Avec les combattants du Kivu, La Découverte, 2016.
- Agence France-Presse, 9 octobre 2016.