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Les jeunes radios privées au Burundi, en RDC et au Rwanda

Numéro 10 Octobre 2010 par Marie-Soleil Frère

octobre 2010

Moyen d’in­for­ma­tion le plus popu­laire dans les zones tant urbaines que rurales, consom­mé autant par les femmes que par les hommes et éga­le­ment pri­sé dans les milieux à haut degré d’ins­truc­tion que par ceux qui ne sont jamais allés à l’é­cole, la radio en Afrique cen­trale sup­plante net­te­ment la presse écrite et la télé­vi­sion, consi­dé­rées comme des médias éli­tistes et cita­dins. Un regard jeté sur une dyna­mique par­ti­cu­lière qui s’est répan­due ces der­nières années, dési­gnée par le terme de « syner­gie », per­met de pré­sen­ter les jeunes radios pri­vées de ces trois pays. Ces expé­riences de par­tage de res­sources et de tra­vail édi­to­rial conjoint entre radios ont vu le jour en période élec­to­rale, lors de l’or­ga­ni­sa­tion des pre­mières élec­tions libres et démo­cra­tiques de l’a­près conflit. Mises en œuvre par les radios burun­daises, congo­laises et rwan­daises pour sur­mon­ter les dif­fi­cul­tés aux­quelles elles sont confron­tées, ces syner­gies ont ins­tau­ré une nou­velle dyna­mique et ren­for­cé la soli­da­ri­té et le pro­fes­sion­na­lisme, même si de nom­breux obs­tacles entravent encore le déve­lop­pe­ment du secteur.

Le Burun­di, la Répu­blique démo­cra­tique du Congo (RDC) et le Rwan­da ont en com­mun d’avoir connu, au cours des vingt der­nières années, la libé­ra­li­sa­tion de l’espace poli­tique et du sec­teur média­tique, après des décen­nies de mono­par­tisme et de mono­pole éta­tique sur les médias. Mais ces trois pays ont aus­si fait l’expérience d’un conflit meur­trier dans lequel cer­tains médias se sont trou­vés impli­qués. La RDC compte aujourd’hui quelque quatre-cents radios pri­vées, le Burun­di dix-huit et le Rwan­da une dizaine. La radio reste un média indis­pen­sable : 88% des ménages burun­dais se disent équi­pés d’un tran­sis­tor (pour seule­ment 23% qui dis­posent d’un télé­vi­seur); 97% des ménages kinois et 85% des foyers congo­lais en milieu rural ont une radio (alors que la télé­vi­sion n’est acces­sible qu’à envi­ron 30% d’entre eux, sauf à Kin­sha­sa où les taux sont net­te­ment supé­rieurs). Quant aux foyers rwan­dais, plus de la moi­tié d’entre eux serait équi­pée d’un transistor.

La synergie éditoriale des radios burundaises

L’expérience pilote de la « syner­gie des médias » a vu le jour au Burun­di lors des élec­tions de 2005. Le pay­sage radio­pho­nique burun­dais était alors assez par­ti­cu­lier. En effet, à la suite de l’expérience trau­ma­ti­sante d’une presse écrite « de la haine1 » dans les pre­mières années de la guerre civile (1993 – 1994) et au choc sus­ci­té par l’expérience, dans le Rwan­da voi­sin, de la Radio télé­vi­sion libre des Mille Col­lines (RTLM), le Burun­di s’est chan­gé en un « labo­ra­toire radio­pho­nique de la paix ». En 1995, l’ONG amé­ri­caine Search for Com­mon Ground (SFCG) y a ins­tal­lé un stu­dio de pro­duc­tion, appe­lé « Ijam­bo » (les « mots sages » en kirun­di), dans le but de pro­duire des pro­grammes radio­pho­niques pou­vant aider à la récon­ci­lia­tion des com­mu­nau­tés. Peu après, des radios pri­vées ont vu le jour, avec l’appui d’ONG inter­na­tio­nales et de bailleurs de fonds, qui relaye­ront lar­ge­ment ces pro­grammes : CCIB-FM (radio de la Chambre de com­merce et d’industrie du Burun­di) est créée en 1995, Radio Umwi­ze­ra (qui devien­dra Radio Sans Fron­tières Bone­sha FM) en 1996, Radio Culture en 1998, Radio publique afri­caine (RPA) en 2001, Radio Isan­ga­ni­ro en 2002, Radio Renais­sance en 20042… Ces radios visent expli­ci­te­ment à pro­po­ser une infor­ma­tion équi­li­brée, ain­si qu’à pro­mou­voir les ini­tia­tives de paix et de rap­pro­che­ment entre les com­mu­nau­tés du Burundi.

Ces nou­velles radios pri­vées bous­culent la pro­gram­ma­tion et le jour­na­lisme radio­pho­niques, tels que mis en œuvre jusque-là par la radio natio­nale, la RTNB (Radio télé­vi­sion natio­nale du Burun­di), en situa­tion de mono­pole depuis sa créa­tion en 1960. Rom­pant avec le « jour­na­lisme gou­ver­ne­men­tal », elles tendent leur micro aux porte-paroles des mou­ve­ments rebelles, recueillent, dans les vil­lages, la parole des citoyens les plus dému­nis, orga­nisent des débats contra­dic­toires à l’antenne autour des grandes thé­ma­tiques d’actualité natio­nale, cri­tiquent les auto­ri­tés publiques cou­pables de mau­vaise gou­ver­nance et s’attaquent aux sujets tabous dont regorge l’histoire vio­lente du Burun­di. Sou­vent en posi­tion de confron­ta­tion avec le gou­ver­ne­ment et vic­times d’atteintes à la liber­té de la presse, les radios pri­vées répondent par la soli­da­ri­té pro­fes­sion­nelle, réagis­sant col­lec­ti­ve­ment lorsque les droits des jour­na­listes sont bafoués. Leur col­la­bo­ra­tion est favo­ri­sée par leur indé­pen­dance vis-à-vis des par­tis poli­tiques et leur fonc­tion­ne­ment sur la base d’équipes mul­tieth­niques. L’appui des par­te­naires inter­na­tio­naux (coopé­ra­tions bila­té­rales fran­çaise, belge, bri­tan­nique, suisse et amé­ri­caine ; fon­da­tions amé­ri­caines, bailleurs cari­ta­tifs…) leur per­met d’effectuer leur tra­vail avec le mini­mum de maté­riel et d’autonomie néces­saires au professionnalisme.

À la veille des élec­tions de 2005, alors que les radios ont conquis le public et dis­tan­cé de loin une presse écrite à la dif­fu­sion limi­tée et une télé­vi­sion natio­nale au cout peu acces­sible, elles décident de s’organiser en « syner­gie », c’est-à-dire de mettre en com­mun leurs res­sources humaines pour tis­ser un réseau de cor­res­pon­dants sus­cep­tible de cou­vrir les élec­tions sur l’ensemble du ter­ri­toire. La créa­tion d’une rédac­tion conjointe doit aus­si per­mettre aux bailleurs de fonds de dis­po­ser d’une struc­ture col­lé­giale unique à laquelle appor­ter leur sou­tien3. Lors du réfé­ren­dum consti­tu­tion­nel, le 28 février 2005, sept médias par­ti­cipent à la syner­gie : Radio Bone­sha, Radio Isan­ga­ni­ro, Radio culture, Radio sco­laire (Nde­ra­ga­ku­ra), Renais­sance FM, le Stu­dioI­jam­bo et l’Agence burun­daise de presse (ABP), média public qui dis­pose d’un impor­tant réseau de cor­res­pon­dants dans les pro­vinces. Soixante-cinq jour­na­listes sont mobi­li­sés, dont une cin­quan­taine est envoyée sur le ter­rain, prio­ri­tai­re­ment dans les com­munes où les ten­sions poli­tiques risquent d’être impor­tantes. Les quinze jour­na­listes res­tants forment une rédac­tion conjointe à Bujum­bu­ra. Les par­ti­ci­pants pro­duisent seize édi­tions de jour­naux par­lés (une moi­tié en fran­çais et l’autre en kirun­di) dif­fu­sées simul­ta­né­ment sur leurs ondes.

Cette expé­rience rem­porte un grand suc­cès et est réité­rée lors des élec­tions com­mu­nales du 3 juin et des légis­la­tives du 4 juillet 2005 : cent-vingt jour­na­listes pro­ve­nant de onze médias burun­dais sont de la par­tie. Aux sept médias pré­cé­dents se sont joints la radio natio­nale (Radio Burun­di), CCIB FM+, Radio Ivy­zi­gi­ro et le Stu­dio de pro­duc­tion Tubane. Une ving­taine d’éditions spé­ciales conjointes de jour­naux par­lés sont pro­duites pour chaque scru­tin. Par le biais du site Inter­net de Radio Isan­ga­ni­ro, ces pro­grammes atteignent éga­le­ment la dia­spo­ra burun­daise. Comme le sou­ligne Nes­tor Nku­run­zi­za, jour­na­liste burun­dais vivant en RDC, grâce à la syner­gie, « la dia­spo­ra a pu avoir accès à l’information en temps réel, alors que ce qui se passe au pays est sou­vent rap­por­té par les radios étran­gères qui déforment la réa­li­té4 ».

Les apports de la syner­gie des médias burun­dais ont été mul­tiples. Ce pro­jet conjoint n’a pas seule­ment per­mis aux jour­na­listes d’être pré­sents dans tous les arron­dis­se­ments élec­to­raux ; il s’est révé­lé utile à l’administration élec­to­rale, faci­li­tant la com­mu­ni­ca­tion entre la Ceni (Com­mis­sion élec­to­rale natio­nale indé­pen­dante) et ses démem­bre­ments locaux le jour du scru­tin. Par exemple, lors des élec­tions col­li­naires, c’est par le biais de la syner­gie que le pré­sident de la Ceni, Paul Nga­rambe, a pu faire savoir à ses col­lègues que la clô­ture des bureaux était repor­tée de quelques heures afin de per­mettre aux pay­sans de ter­mi­ner les tra­vaux des champs. À la veille des légis­la­tives, la syner­gie a dénon­cé l’existence d’un tra­fic de pro­cu­ra­tions et la Ceni a inter­dit le vote par pro­cu­ra­tion, pas­sant par la syner­gie pour com­mu­ni­quer et expli­quer cette infor­ma­tion aux élec­teurs et aux agents élec­to­raux en poste dans les dif­fé­rentes loca­li­tés. Ce sont aus­si les dénon­cia­tions émises par les cor­res­pon­dants de la syner­gie qui ont ame­né l’administration élec­to­rale à revoir cer­tains dis­po­si­tifs le jour même du scru­tin. À Ruyi­gi, où se trou­vaient trois-mille ex-com­bat­tants, le cor­res­pon­dant de la syner­gie s’est éton­né qu’aucun bureau de vote n’ait été pré­vu et aus­si­tôt la Ceni en a fait ins­tal­ler un. Les cor­res­pon­dants de la syner­gie ont ren­du publics d’autres dys­fonc­tion­ne­ments comme le manque d’encre indé­lé­bile dans quelques bureaux, l’absence des bul­le­tins de cer­tains par­tis poli­tiques ou des listes d’indépendants dans d’autres, le retrait déli­bé­ré de listes ailleurs encore.

Pour de nom­breux Burun­dais, la syner­gie des médias « aura per­mis de réduire for­te­ment les risques de fraude du fait que le dérou­le­ment des scru­tins était rap­por­té en direct et à tra­vers tout le pays » (Ntiya­no­geye, 2008). Cer­tains obser­va­teurs estiment que son impact a sur­tout été appré­ciable au sein de la pro­fes­sion : « Elle a contri­bué à récon­ci­lier les médias et la poli­tique » et « elle a prou­vé la capa­ci­té de la plu­part des jour­na­listes burun­dais à sor­tir des années de plomb média­tiques et à sur­mon­ter leurs propres par­tis pris », estime un obser­va­teur du sec­teur média­tique burun­dais5. Enfin, la syner­gie aurait sur­tout amé­lio­ré la qua­li­té de l’information : « Elle a per­mis de com­bler les lacunes en res­sources humaines de chaque média, mais aus­si de recou­per mieux le conte­nu des infor­ma­tions dif­fu­sées puisqu’il y avait plu­sieurs sources d’informations et plu­sieurs per­sonnes qui contrô­laient6. »

Tou­te­fois, la syner­gie n’a pas fait l’unanimité et cer­tains médias ont refu­sé d’y prendre part. « On ne pou­vait pas tous par­ler d’une même voix, il fal­lait bien qu’il y ait de la diver­si­té », pré­cise Alexis Sin­du­hije, direc­teur de la RPA qui n’a pas inté­gré le réseau. Selon lui, un tel méca­nisme appau­vrit l’information car le citoyen ne dis­pose plus d’une plu­ra­li­té de voix. L’abstention de par­ti­ci­pa­tion de la RPA était aus­si moti­vée par le fait que l’initiative de la syner­gie pro­ve­nait de SFCG et que la RPA refu­sait que « le mérite de la réus­site de la cou­ver­ture média­tique des élec­tions revienne aux bailleurs de fonds7 ». Le suc­cès de l’opération a néan­moins été tel que les médias burun­dais ont déci­dé de pour­suivre la syner­gie après les élec­tions et que la RPA a fini par rejoindre le réseau. Régu­liè­re­ment, et par­ti­cu­liè­re­ment lorsque des ques­tions liées à la défense de la liber­té de la presse sont en jeu, les radios burun­daises remettent en place la syner­gie en dif­fu­sant simul­ta­né­ment des émis­sions conçues et pré­pa­rées ensemble.

République démocratique du Congo : une solidarité mise à rude épreuve

À l’aube des élec­tions de 2006, le pay­sage radio­pho­nique congo­lais pré­sen­tait une tout autre confi­gu­ra­tion, ren­dant dif­fi­cile ce type de col­la­bo­ra­tion. D’abord, l’immense RDC comp­tait alors plus de trois-cent-cin­quante radios, dont la majo­ri­té est consti­tuée de radios locales, com­mu­nau­taires, confes­sion­nelles ou com­mer­ciales qui n’émettent que sur un péri­mètre restreint.

Deux sta­tions seule­ment pré­ten­daient offrir une cou­ver­ture d’envergure natio­nale. D’une part, la radio natio­nale, la RTNC (Radio télé­vi­sion natio­nale du Congo), qui dis­pose d’une antenne dans cha­cune des onze pro­vinces, sup­po­sées com­plé­ter par des pro­duc­tions locales le signal reçu de Kin­sha­sa et redif­fu­sé. D’autre part, Radio Oka­pi, radio inter­na­tio­nale sous l’autorité de la Monuc (mis­sion de l’Organisation des Nations unies au Congo)8 et gérée par la fon­da­tion suisse Hiron­delle, créée avec la voca­tion affir­mée de ren­for­cer la paix. Étant don­né les dif­fi­cul­tés de retrans­mis­sion de la RTNC dans de nom­breuses pro­vinces, Radio Oka­pi était, de fait, la seule sta­tion acces­sible pra­ti­que­ment sur l’ensemble du ter­ri­toire, soit grâce à l’une de ses propres antennes, soit par le biais d’un décro­chage sur une sta­tion locale. Lan­cée en 2002, à l’époque où le pays était encore mor­ce­lé entre les dif­fé­rentes forces bel­li­gé­rantes, Radio Oka­pi a effec­tué un tra­vail remar­quable de res­tau­ra­tion du lien social congo­lais, per­met­tant aux habi­tants des dif­fé­rentes régions de s’exprimer et de s’écouter à nou­veau après des années de silence. S’exprimant en fran­çais et dans les quatre prin­ci­pales langues natio­nales (lin­ga­la, kikon­go, tshi­lu­ba et kis­wa­hi­li), la radio s’est consti­tuée au fil du temps une rédac­tion de plus de cent-vingt jour­na­listes et s’est démar­quée par la rigueur et le pro­fes­sion­na­lisme de ses pro­grammes d’information. Le pro­jet n’est pas exempt de cri­tiques : il lui est repro­ché de cou­ter trop cher — plus de dix mil­lions de dol­lars par an — et d’avoir débau­ché les meilleurs jour­na­listes dans les médias locaux en leur ver­sant un salaire dix fois supé­rieur à celui qu’offrent les meilleures radios congo­laises. En outre, Radio Oka­pi ne fait pas tou­jours preuve d’indépendance quand il s’agit de cou­vrir des infor­ma­tions rela­tives à la Monuc.

Outre ces deux radios, la ville de Kin­sha­sa compte une tren­taine de sta­tions, dont dix-huit sont cou­plées avec une chaine de télé­vi­sion. Elles sont essen­tiel­le­ment com­mer­ciales ou confes­sion­nelles, aux mains d’Églises dites du Réveil. En pro­vince, où le poten­tiel com­mer­cial est plus limi­té, ce sont les ini­tia­tives com­mu­nau­taires ou asso­cia­tives qui sont lar­ge­ment domi­nantes. Si la guerre a impo­sé à plu­sieurs de ces radios pro­vin­ciales de proxi­mi­té des condi­tions de fonc­tion­ne­ment extrê­me­ment pré­caires, le conflit a aus­si ser­vi à les ren­for­cer aux yeux des com­mu­nau­tés locales dont elles portent la voix et réper­cutent les pré­oc­cu­pa­tions. Peuvent être citées en exemple la Radio Maen­de­leo à Buka­vu, la Radio com­mu­nau­taire du Katan­ga à Lubum­ba­shi, la Radio com­mu­nau­taire Mwan­ga­za à Kisan­ga­ni… Émet­tant en FM dans un péri­mètre sou­vent limi­té (une cen­taine de kilo­mètres à la ronde), les radios com­mu­nau­taires jouent un rôle essen­tiel, dans un contexte où les villes de pro­vince ont arrê­té d’attendre que Kin­sha­sa apporte des solu­tions à leurs pro­blèmes. Por­tées par le milieu asso­cia­tif, ces radios subissent sou­vent de fortes pres­sions de la part des auto­ri­tés locales qui cherchent à en faire l’instrument de leur pouvoir.

À l’approche de la cam­pagne élec­to­rale de 2006, les radios com­mu­nau­taires ont été rejointes, dans les pro­vinces congo­laises, par des sta­tions pri­vées com­mer­ciales, sur­tout dans les villes minières (Mbu­ji Mayi, Lubum­ba­shi…). Plu­sieurs can­di­dats à la dépu­ta­tion ou au gou­ver­no­rat se sont empres­sés de créer un média dans leur loca­li­té d’origine, afin d’en user comme d’un ins­tru­ment de pro­mo­tion indi­vi­duelle. Le Réseau Radio Liber­té, de Jean-Pierre Bem­ba, par exemple, a alors déve­lop­pé son implan­ta­tion dans l’Équateur, pro­vince d’origine et fief du par­ti poli­tique de Bem­ba. Digi­tal Congo, dont la sœur de Joseph Kabi­la est action­naire, a éga­le­ment élar­gi sa por­tée, s’installant en FM dans tous les chefs-lieux de province.

Quant aux radios confes­sion­nelles, catho­liques et pro­tes­tantes, elles sont éga­le­ment pré­sentes à l’intérieur du pays, où elles ne se limitent pas à un rôle d’évangélisation, mais s’investissent dans l’éducation citoyenne et la sen­si­bi­li­sa­tion. C’est le cas de Radio Ama­ni, radio de l’archevêché de Kisan­ga­ni, de Radio Maria (catho­lique) ou de Radio Sau­ti ya Rehe­ma (pro­tes­tante) à Buka­vu, de Radio Fra­ter­ni­té Bue­na Mun­tu à Mbu­ji Mayi, de RTDM (Radio Télé­vi­sion du dio­cèse de Mata­di) à Mata­di ou de Radio Tomi­sa à Kikwit.

Enfin, il faut pré­ci­ser que plu­sieurs radios inter­na­tio­nales émettent en FM à Kin­sha­sa (BBC, RFI, Afri­ca n°1, RTBF inter­na­tio­nale). RFI, ins­tal­lée dans six villes du Congo, est par­ti­cu­liè­re­ment bien sui­vie, loin devant la BBC (qui opère des décro­chages sur des radios locales à l’intérieur du pays) ou la RTBF inter­na­tio­nale (uni­que­ment pré­sente à Kin­sha­sa, elle n’apparait même pas dans les son­dages d’audience). La popu­la­ri­té de la radio fran­çaise est telle qu’elle est consi­dé­rée comme un acteur à part entière dans l’espace public local.

Dans un pay­sage aus­si hété­ro­clite et for­te­ment poli­ti­sé, il pou­vait sem­bler uto­pique d’entamer, lors des élec­tions de 2006, une syner­gie « à la burun­daise ». Alors que de véri­tables « guerres des ondes » se déchai­naient entre des radios appar­te­nant aux dif­fé­rents cha­len­geurs, à Kin­sha­sa, dans l’Équateur, ou au Kasaï, cer­taines radios com­mu­nau­taires ont ten­té de déve­lop­per des syner­gies : à Mbu­ji Mayi, Buka­vu, Kisan­ga­ni, Lubum­ba­shi, les radios com­mu­nau­taires, conscientes de leurs faibles moyens indi­vi­duels, ont consti­tué des pools rédac­tion­nels, per­met­tant le par­tage et la dif­fu­sion simul­ta­née de l’information. Au Sud-Kivu, des jour­na­listes issus des dif­fé­rentes radios par­te­naires ont été envoyés dans diverses loca­li­tés, com­mu­ni­quant leurs élé­ments à une rédac­tion cen­trale située à Radio Maen­de­leo. « Pen­dant quatre jours, explique le direc­teur de Radio Maen­de­leo, Kizi­to Mushi­zi, les audi­teurs ont eu l’occasion de suivre non seule­ment l’évolution du scru­tin, mais aus­si l’ambiance qui régnait dans les ter­ri­toires du Sud-Kivu. » Un audi­teur de Buka­vu, ravi, a décla­ré : « Si les jour­na­listes tra­vaillent de cette façon sur toute l’étendue du pays lors des élec­tions, les poli­ti­ciens habi­tués à cor­rompre les médias ris­que­ront de se trou­ver ridi­cules. Ce sera très dif­fi­cile de cor­rompre ou de mena­cer un réseau comme celui-ci9. »

Le suc­cès de ces syner­gies a été indé­niable. Dans les régions où elles ont pu l’organiser, les radios com­mu­nau­taires ont sup­plan­té Radio Oka­pi en pro­po­sant aux audi­teurs des infor­ma­tions de proxi­mi­té, s’appuyant sur des détails locaux. Un pré­fet d’une école secon­daire de Buka­vu s’est écrié que « cette fois, on n’a pas atten­du RFI pour connaitre l’évolution des élec­tions au Sud-Kivu10 ».

Au Katan­ga, où les radios com­mu­nau­taires entre­te­naient des rela­tions conflic­tuelles entre elles, la mise en place de la syner­gie a été labo­rieuse, les direc­teurs des radios récla­mant d’abord des « frais d’antenne » pour dif­fu­ser les pro­duc­tions du réseau. En défi­ni­tive, huit radios se sont regrou­pées, délé­guant cha­cune deux jour­na­listes à la rédac­tion conjointe héber­gée à la Radio com­mu­nau­taire du Katan­ga (RCK). La syner­gie a pro­duit chaque same­di une émis­sion d’une heure en swa­hi­li et en fran­çais, relayée par toutes les radios membres. Puis, pen­dant les cinq jours entou­rant le scru­tin, elle a réa­li­sé trente-six édi­tions com­munes du jour­nal par­lé dont douze en lin­ga­la, douze en kis­wa­hi­li et douze en fran­çais. Le direc­teur com­mer­cial d’une des radios membres du pro­jet, Radio Phoe­nix uni­ver­si­té, recon­nais­sait : « La syner­gie a per­mis aux jour­na­listes et même à leurs dif­fé­rents direc­teurs de conso­li­der les rela­tions et d’installer un cli­mat har­mo­nieux. La concorde s’est for­gée parce qu’avant c’était la guerre entre les radios, mais actuel­le­ment on assiste à des échanges de pro­grammes, de fichiers et d’émissions. La soli­da­ri­té dans le tra­vail est aujourd’hui une réa­li­té11. »

À nou­veau, les syner­gies élec­to­rales congo­laises ont à la fois conso­li­dé la cré­di­bi­li­té des radios, aug­men­té leur popu­la­ri­té auprès du public et ren­for­cé la soli­da­ri­té pro­fes­sion­nelle dans un envi­ron­ne­ment très concur­ren­tiel et poli­ti­sé. Le prin­cipe de la col­la­bo­ra­tion édi­to­riale a été appré­cié et des opé­ra­tions simi­laires se pour­suivent désor­mais régu­liè­re­ment autour de thèmes d’intérêt géné­ral comme la san­té, l’éducation ou la bonne gouvernance.

Au Rwanda : une ouverture progressive

Au Rwan­da éga­le­ment, sui­vant le modèle burun­dais, une col­la­bo­ra­tion des radios a été mise en place lors des élec­tions légis­la­tives de 2008, avec l’appui de l’instance de régu­la­tion, le Haut Conseil des médias. Tou­te­fois, il ne s’agissait pas ici de pré­pa­rer des édi­tions conjointes des jour­naux par­lés, mais d’envoyer dans toutes les loca­li­tés impor­tantes du pays des jour­na­listes éma­nant des dif­fé­rentes radios pri­vées et publiques. Chaque sta­tion dis­po­sait d’une liste repre­nant les noms et contacts de la ving­taine de jour­na­listes mobi­li­sés à l’intérieur du pays et pou­vait appe­ler ces dif­fé­rents envoyés spé­ciaux pour obte­nir de l’information.

Le Rwan­da compte seule­ment une dizaine de radios pri­vées. En effet, il a fal­lu dix ans, après le désastre de l’unique expé­rience de radio pri­vée au Rwan­da (la sinistre RTLM créée en 1993), pour que de nou­velles radios soient auto­ri­sées à émettre en 2004. Les radios rwan­daises se répar­tissent aujourd’hui en sta­tions pri­vées com­mer­ciales (Contact FM, Radio 10, City Radio, Radio Flash et Isan­go Star à Kiga­li); sta­tions com­mu­nau­taires (Radio Salus de l’École de jour­na­lisme et com­mu­ni­ca­tion de l’université natio­nale du Rwan­da à Butare, Radio Izu­ba à Kibun­go) et confes­sion­nelles12. S’y ajoutent Radio Rwan­da, la radio natio­nale pla­cée dans le giron de l’Orinfor (Office rwan­dais de l’information), trois radios publiques locales situées à l’intérieur du pays et quatre radios étran­gères (RFI, BBC, VOA et DW) émet­tant en FM à Kiga­li, dont deux (la bri­tan­nique et l’américaine) pro­posent un pro­gramme quo­ti­dien d’une heure en kinyarwanda.

Les radios pri­vées rwan­daises res­tent limi­tées par le manque de com­pé­tences dis­po­nibles. Par exemple, sur douze jour­na­listes, l’équipe de Contact FM compte trois Kenyans et deux Burun­dais en charge des bul­le­tins d’information en anglais et en fran­çais. La plu­part des radios com­mer­ciales pri­vi­lé­gient la musique, les annonces, le sport, les prêches reli­gieux ou les pro­grammes à antenne ouverte prin­ci­pa­le­ment tour­nés vers la jeu­nesse. Rares sont celles qui se lancent dans le débat poli­tique ou les pro­grammes éco­no­miques : la pru­dence est de rigueur et, lors des élec­tions légis­la­tives de 2008, cer­taines radios ont choi­si d’éviter de cou­vrir les scrutins.

Contact FM est sans doute la radio la plus entre­pre­nante et ouverte au débat. S’inspirant des expé­riences de syner­gie dans les pays voi­sins, elle a mis en place, en 2007, avec Flash FM et City Radio, une émis­sion-débat sur l’ouverture de l’espace poli­tique au Rwan­da appe­lée « Poli­ti­cal Space » ou « Mu Ruhame », dif­fu­sée conjoin­te­ment par les radios et sur le site de Contact FM (). Avec Radio Salus, qui déve­loppe aus­si des pro­grammes d’information, elles se sont lan­cées dans des syner­gies régio­nales, visant à encou­ra­ger la cir­cu­la­tion de l’information entre les médias et les publics de toute la région. « Géné­ra­tion Grands Lacs » (ins­ti­tué par l’ONG SFCG) est un pro­gramme inter­ac­tif heb­do­ma­daire, ani­mé et dif­fu­sé simul­ta­né­ment par ces deux sta­tions, ain­si que la Radio Maen­de­leo de Buka­vu et la Radio Isan­ga­ni­ro de Bujum­bu­ra. L’émission vise à mon­trer aux jeunes gens des trois pays qu’ils par­tagent des pré­oc­cu­pa­tions simi­laires et pré­sentent des points com­muns au-delà du fos­sé créé entre eux par des années de guerre. L’émission Regards croi­sés sur la région des Grands Lacs, appuyée par l’Institut Panos Paris, qui a pris fin en 2009, asso­ciait éga­le­ment Contact FM, Isan­ga­ni­ro et Maendeleo.

Tour à tour, chaque radio par­te­naire orga­ni­sait la réa­li­sa­tion et la dif­fu­sion conjointe de débats thé­ma­tiques men­suels autour de ques­tions cru­ciales pour l’avenir de la région : la sécu­ri­té, le com­merce trans­fron­ta­lier, la jus­tice et l’impunité, la bonne gou­ver­nance et la démo­cra­tie, l’intégration régio­nale… Ce pro­gramme visait à mieux faire cir­cu­ler l’information entre les trois pays et à ouvrir le public de chaque sta­tion à la pers­pec­tive et aux points de vue des citoyens et des jour­na­listes qui se trouvent de l’autre côté de la fron­tière. Il était ouvert aux inter­ven­tions télé­pho­niques des audi­teurs sou­hai­tant adres­ser des ques­tions en direct aux invi­tés pré­sents en stu­dio. L’émission est aujourd’hui inter­rom­pue, faute de moyens pour main­te­nir un dis­po­si­tif tech­nique com­plexe et cou­teux, mais aus­si à la suite des dis­sen­sions entre les radios congo­laise et rwan­daise. Contact FM a enta­mé à pré­sent une col­la­bo­ra­tion avec la RTGA (Radio Télé­vi­sion du groupe l’Avenir), basée à Kin­sha­sa, à tra­vers un pro­gramme conjoint inti­tu­lé « Convergences ».

Si les syner­gies natio­nales encou­ragent la soli­da­ri­té pro­fes­sion­nelle au niveau local, ces expé­riences régio­nales ont per­mis de com­men­cer à décons­truire le mur de méfiance et de pré­ju­gés que la guerre a éri­gé entre des com­mu­nau­tés voi­sines. Lors d’une étude réa­li­sée sur la récep­tion de ces émis­sions régio­nales, les audi­teurs et per­sonnes res­sources inter­ro­gés avaient, à l’unanimité, sou­li­gné com­bien ces pro­grammes per­mettent de ren­for­cer un sen­ti­ment d’appartenance à un espace com­mun, où les aspi­ra­tions à la paix et à la sécu­ri­té sont lar­ge­ment par­ta­gées par tous. « La région fonc­tionne comme un vase com­mu­ni­quant appe­lant une uni­té de solu­tions », s’est excla­mé un audi­teur, alors qu’un autre esti­mait que ces émis­sions consti­tuaient « l’une des voies de sor­tie à nos conflits »13.

Ces col­la­bo­ra­tions régio­nales ont éga­le­ment conduit à la mise sur pied d’une agence de presse sonore en ligne, Échos des Grands lacs, une pla­te­forme à tra­vers laquelle treize radios de la région s’échangent quo­ti­dien­ne­ment des repor­tages et des élé­ments audio.

Enjeux et défis pour les radios d’Afrique Centrale

Ces quelques expé­riences encou­ra­geantes ne doivent cepen­dant pas faire oublier les dif­fi­cul­tés que ren­contrent les radios de la région pour se conso­li­der et se professionnaliser.

Un pre­mier obs­tacle réside dans la fra­gi­li­té éco­no­mique de ces entre­prises. Même les radios qui béné­fi­cient des bud­gets les plus impor­tants (40.000 dol­lars par mois pour Contact FM, 33.000 dol­lars pour Radio Maen­de­leo, 42.000 dol­lars pour Radio Isan­ga­ni­ro) ne peuvent comp­ter que sur un per­son­nel res­treint (une dou­zaine de jour­na­listes) et des moyens maté­riels limi­tés. Cer­taines radios com­mu­nau­taires congo­laises dis­posent tout au plus de 10.000 dol­lars par an et sur­vivent grâce à l’implication béné­vole de leurs animateurs.

L’impossibilité de déga­ger des reve­nus dans un contexte éco­no­mique local pau­pé­ri­sé par des années de guerre entraine sou­vent une dépen­dance struc­tu­relle des radios vis-à-vis des bailleurs de fonds. Les sub­ven­tions étran­gères, si elles per­mettent aux sta­tions d’affirmer leur indé­pen­dance vis-à-vis des per­son­na­li­tés et par­tis poli­tiques, pro­duisent tou­te­fois d’autres formes de frus­tra­tion : les bud­gets étant tri­bu­taires des stra­té­gies et déci­sions des bailleurs de fonds, ces der­niers peuvent aller jusqu’à inter­ve­nir dans la pro­gram­ma­tion de la radio, par exemple en deman­dant la dif­fu­sion d’émissions répon­dant à leurs propres préoccupations.

L’appui des par­te­naires étran­gers consti­tue tou­te­fois un rem­part contre les pres­sions poli­tiques. Sans lui, les radios de proxi­mi­té sont sou­vent dépen­dantes des auto­ri­tés locales pour leur accès à l’énergie, à l’information, ou pour leur sécu­ri­té et la sta­bi­li­té de leur sta­tut admi­nis­tra­tif. L’aide inter­na­tio­nale peut aus­si per­mettre de limi­ter la pra­tique du « cou­page » ou du « publi-repor­tage dégui­sé », géné­ra­li­sé en RDC et qui a ten­dance à s’étendre au Rwan­da et au Burun­di. Cette pra­tique consiste pour un jour­na­liste à attendre une rému­né­ra­tion de la part de la source d’information qui sol­li­cite auprès de lui une cou­ver­ture média­tique. Condam­né par les codes de déon­to­lo­gie des jour­na­listes des trois pays, ce com­por­te­ment se change, dans les médias où les jour­na­listes ont un salaire ridi­cu­le­ment bas (entre 30 et 80 dol­lars par mois dans les radios congo­laises), ou inexis­tant, en un impé­ra­tif de sur­vie. Seules les radios béné­fi­ciant d’un appui exté­rieur consé­quent peuvent rému­né­rer leur per­son­nel à des niveaux de salaire suf­fi­sants (800 dol­lars mini­mum pour le jour­na­liste de Radio Oka­pi ; 300 dol­lars pour celui de Radio Isan­ga­ni­ro), afin de les tenir à l’abri de ce genre de tentation.

La récur­rence des atteintes à la liber­té de la presse consti­tue un second obs­tacle au déve­lop­pe­ment de ces radios. Même si, dans les trois pays, la liber­té de la presse est garan­tie par la Consti­tu­tion et par la loi régis­sant les médias (adop­tée en 1996 au Congo, mise à jour en 2003 au Burun­di et en 2009 au Rwan­da), l’application des textes conti­nue de poser pro­blème. Au Congo, l’association de défense de la liber­té de la presse Jour­na­liste en dan­ger publie chaque année une comp­ta­bi­li­té pré­cise repre­nant l’ensemble des vio­lences per­pé­trées contre les jour­na­listes durant l’année écou­lée : assas­si­nats (qui n’épargnent même pas les jour­na­listes pro­té­gés par la Monuc puisque deux repor­ters de la rédac­tion de Radio Oka­pi à Buka­vu ont été assas­si­nés en 2007 et 2008); empri­son­ne­ments arbi­traires, inter­pel­la­tions sans fon­de­ment, agres­sions, menaces ou har­cè­le­ment, pres­sions admi­nis­tra­tives, éco­no­miques ou judi­ciaires14.

Au Burun­di, plu­sieurs jour­na­listes ont connu de longs mois de déten­tion pré­ven­tive pour avoir dénon­cé les mani­pu­la­tions du pou­voir qui accu­sait cer­tains membres de l’opposition d’avoir fomen­té un coup d’État. Au Rwan­da, l’autocensure est omni­pré­sente : « Les édi­teurs et les jour­na­listes marchent sur une corde étroite, veillant à ne pas som­brer dans une quel­conque forme de jour­na­lisme pou­vant sou­te­nir le divi­sion­nisme, ni publier ce qui ne cadre pas avec des lignes édi­to­riales rigides. Cela affecte la créa­ti­vi­té jour­na­lis­tique », recon­nait le Haut Conseil des médias15. Si les jour­na­listes rwan­dais prennent quel­que­fois des liber­tés avec la loi ou la déon­to­lo­gie pro­fes­sion­nelle, l’interprétation des textes lors des pro­cé­dures judi­ciaires qui s’ensuivent est sou­vent dras­tique à leur encontre et le poids des sanc­tions dis­pro­por­tion­né par rap­port à la faute commise.

Un troi­sième obs­tacle réside dans l’insuffisance de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle des jour­na­listes tra­vaillant dans ces radios. Si des écoles et centres de for­ma­tion existent dans les trois pays, la plu­part des jour­na­listes en acti­vi­té dans les médias ont été for­més sur le tas. Sur les quatre-cent-vingt-sept jour­na­listes recen­sés au Rwan­da par l’instance de régu­la­tion, 27% seule­ment sont déten­teurs d’un diplôme en jour­na­lisme ou en com­mu­ni­ca­tion. En RDC, où l’association des jour­na­listes (l’UNPC, l’Union natio­nale de la presse congo­laise) a recen­sé plus de quatre-mille pro­fes­sion­nels de l’information, ce pour­cen­tage n’est même pas atteint. Les jour­na­listes qui ont la chance de béné­fi­cier d’une for­ma­tion de qua­li­té s’empressent de valo­ri­ser leurs com­pé­tences en trou­vant des emplois mieux rému­né­rés dans les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, les pro­jets de déve­lop­pe­ment ou les cabi­nets poli­tiques. Les radios connaissent donc une forte rota­tion du per­son­nel, la pré­ca­ri­té des condi­tions ne favo­ri­sant pas les pers­pec­tives de car­rière à long terme.

Enfin, un qua­trième pro­blème réside dans la dif­fi­cile évo­lu­tion des radios d’État vers des conte­nus de « ser­vice public ». Dans les trois pays, la radio natio­nale est cen­sée opé­rer une muta­tion qui lui per­mette d’ouvrir ses ondes à l’ensemble des com­po­santes repré­sen­ta­tives de la popu­la­tion. Mais elle reste avant tout « gou­ver­ne­men­tale » dans ses conte­nus et peine à don­ner la parole sur ses antennes à l’opposition poli­tique ou à la socié­té civile. Cette res­tric­tion contri­bue à radi­ca­li­ser cer­tains médias pri­vés sou­cieux de faire entendre d’autres sons de cloche.

Au Burun­di, la RTNB, qui dis­pose de deux chaines de radio, a évo­lué, de 2004 à 2006, vers une plus grande ouver­ture, sou­te­nue par un appui impor­tant de la coopé­ra­tion belge (3 mil­lions d’euros sur trois ans). Ce pro­jet visait à assu­rer sa mise à niveau tech­nique (essen­tiel­le­ment le pas­sage à la tech­no­lo­gie numé­rique) et à la ren­for­cer dans ses mis­sions de ser­vice public. La poli­tique de com­mu­ni­ca­tion adop­tée par le conseil d’administration de la RTNB en décembre 2003 sti­pu­lait que : « Les ondes appar­tiennent à tous, et chaque citoyen a le droit de connaitre les prin­ci­paux points de vue sur toute ques­tion impor­tante inté­res­sant la socié­té burun­daise. » Tou­te­fois, à l’issue du pro­ces­sus élec­to­ral de 2005, le par­ti arri­vé au pou­voir a rapi­de­ment réaf­fir­mé sa main­mise sur la RTNB, à tra­vers les licen­cie­ments et les nomi­na­tions des cadres diri­geants. Les antennes sont deve­nues moins diver­si­fiées et ouvertes à l’opposition poli­tique qu’elles ne l’étaient quelques années aupa­ra­vant, même si la radio demeure plus plu­ra­liste que la télé­vi­sion nationale.

Au Rwan­da, la radio natio­nale demeure toute puis­sante. Elle a implan­té des sta­tions régio­nales à Ruba­vu, Huye et Musanze et pré­tend à pré­sent cou­vrir 95% du ter­ri­toire. Les études de moni­to­ring de la cou­ver­ture média­tique des élec­tions légis­la­tives de 2008 ont mon­tré le dés­équi­libre fla­grant du média public en faveur du par­ti au pou­voir16. Quant à la RTNC de RDC, elle est à la fois mono­po­li­sée et com­plè­te­ment délais­sée par le gou­ver­ne­ment : si ce der­nier, et par­ti­cu­liè­re­ment le ministre de la Com­mu­ni­ca­tion, assure sa main­mise sur l’opérateur public, aucun inves­tis­se­ment majeur n’a été consen­ti pour sor­tir cet ancien fleu­ron du mobu­tisme de son état de déla­bre­ment. Au contraire, les moyens dis­po­nibles sont désor­mais orien­tés vers des médias ou struc­tures de pro­duc­tion pri­vés dont l’allégeance au pou­voir en place est acquise, ou vers les ser­vices de com­mu­ni­ca­tion des offi­ciels qui livrent des repor­tages « prêts à dif­fu­ser » aux rédac­tions de la RTNC.

Conclu­sion

Tou­jours en proie à ces diverses dif­fi­cul­tés, les radios d’Afrique Cen­trale affrontent à nou­veau, cette année et la pro­chaine, des échéances élec­to­rales, à la fois cru­ciales pour la sta­bi­li­té des pays et por­teuses d’énormes ten­sions. Les défis liés à l’absence d’indépendance des médias publics, aux atteintes mul­tiples à la liber­té de la presse et à la poli­ti­sa­tion des médias pri­vés sont plus que jamais d’actualité dans les trois pays.

Ain­si, au Burun­di, où un cycle élec­to­ral géné­ral, éten­du sur quatre mois, a débu­té en mai 2010, la résur­rec­tion de la Syner­gie ne s’est pas faite sans peine, le pay­sage radio­pho­nique s’étant modi­fié depuis deux ans. D’une part, sans doute pour contour­ner la popu­la­ri­té des radios pri­vées, le par­ti au pou­voir a entre­pris de mettre en place ses propres radios, non seule­ment à Bujum­bu­ra (Réma FM), mais dans en pro­vince (Umu­cu FM à Ngo­zi et Star FM à Kayo­go­ro). L’apparition de radios « poli­tiques » dans le champ média­tique burun­dais a for­te­ment ébran­lé la confra­ter­ni­té. D’autre part, à l’approche du scru­tin, la radio natio­nale a été par­ti­cu­liè­re­ment mise au pas, de sorte que sa par­ti­ci­pa­tion à la syner­gie, qui avait été une réus­site en 2005, a été com­pro­mise à plu­sieurs reprises. Fin juin, la RTNB a refu­sé de dif­fu­ser cer­tains jour­naux par­lés pro­duits par la Syner­gie, car ils com­pre­naient des pas­sages cri­tiques vis-à-vis du gou­ver­ne­ment. Réma FM a contri­bué plei­ne­ment au réseau, aux côtés de 14 autres radios, mais a quand même été épin­glée par la mis­sion d’observation de l’Union euro­péenne, pour l’agressivité du ton uti­li­sé dans ses propres pro­grammes. Enfin, en pleine période élec­to­rale, le 17 juillet 2010, le jour­na­liste de presse écrite, Jean-Claude Kavum­ba­gu, direc­teur de l’agence en ligne Net Press, a été pla­cé en déten­tion, accu­sé de « tra­hi­son » pour avoir publié un article dans lequel il s’interrogeait sur les capa­ci­tés des ser­vices de sécu­ri­té burun­dais à faire face à des atten­tats ter­ro­ristes du type de ceux qui venaient de frap­per l’Ouganda. Il risque la pri­son à perpétuité…

Au Rwan­da voi­sin, la situa­tion des médias est éga­le­ment pré­oc­cu­pante. En juin 2010, le direc­teur de publi­ca­tion du jour­nal Umu­vu­gi­zi, Jean-Léo­nard Rugam­bage, était abat­tu devant la porte de sa mai­son, en plein jour. Il s’agissait du pre­mier jour­na­liste assas­si­né dans ce pays depuis plus de douze ans. Quelques semaines aupa­ra­vant, en avril, son jour­nal ain­si que le bien connu Umu­se­so, un des plus imper­ti­nents vis-à-vis du pou­voir, avaient été sus­pen­dus pour six mois par le Haut Conseil des médis. Une semaine avant le scru­tin pré­si­den­tiel du 9 aout, le Haut Conseil des médias publiait une liste de qua­rante-et-un médias agréés et mena­çait de sus­pen­sion ceux (dont quelques jour­naux et radios très popu­laires) qui ne s’étaient pas encore confor­més aux nou­velles exi­gences admi­nis­tra­tives impo­sées par la loi sur la presse adop­tée en 2009. Le moment sem­blait mal choi­si, alors que le manque de plu­ra­lisme réel du pro­ces­sus élec­to­ral, qui met­tait en com­pé­ti­tion le pré­sident sor­tant Paul Kagame avec trois de ses proches, était déjà sévè­re­ment critiqué.

Enfin, en RDC, les vio­lences contre les jour­na­listes et les médias se sont éga­le­ment mul­ti­pliées ces der­niers mois, à tel point que les asso­cia­tions mon­diales et locales de défense de la liber­té de la presse ont adres­sé, en sep­tembre 2010, une lettre ouverte au pré­sident Kabi­la, dénon­çant « l’espace de plus en plus res­treint qu’occupe la libre expres­sion dans le pays. » Alors que le nou­veau calen­drier élec­to­ral vient d’être publié, les fais­ceaux des sta­tions de télé­vi­sion et de radio de Jean-Pierre Bem­ba (CCTV, CKTV et Réseau Liber­té) ont encore une fois été inter­rom­pus durant trois jours en juillet, ce qui laisse pré­sa­ger des entraves au plu­ra­lisme des médias en période pré­élec­to­rale. De son côté, la RTNC a béné­fi­cié d’un appui sub­stan­tiel du gou­ver­ne­ment, pour ses rédac­tions de Kin­sha­sa et des pro­vinces, offi­ciel­le­ment dans le but de se pré­pa­rer aux célé­bra­tions du Cin­quan­te­naire. Cepen­dant, la troi­sième chaine déve­lop­pée à l’occasion de ces fes­ti­vi­tés, est déjà, à l’évidence, un ins­tru­ment de cam­pagne élec­to­rale, et ses conte­nus visent essen­tiel­le­ment à pro­mou­voir l’action du pré­sident en exer­cice. En marge de cette vitrine flam­boyante, plu­sieurs jour­na­listes congo­lais crou­pissent en pri­son, d’autres reçoivent des menaces de mort, dans un contexte ten­du où l’assassinat d’un des plus célèbres défen­seurs des droits de l’homme, Flo­ri­bert Che­beya, retrou­vé mort dans son véhi­cule début juin, tarde à être élucidé.

Le che­min est encore semé d’embuches pour les radios de la région des Grands Lacs et, plus que jamais, la soli­da­ri­té pro­fes­sion­nelle des jour­na­listes (au niveau natio­nal, régio­nal et inter­na­tio­nal) et l’appui des par­te­naires finan­ciers demeurent des atouts, voire des néces­si­tés, pour que les citoyens de la région puissent conti­nuer à accé­der à une infor­ma­tion diver­si­fiée et crédible.

  1. C’est en effet au sujet des jour­naux burun­dais que l’organisation de défense de la liber­té de la presse Repor­ters sans Fron­tières uti­lise pour la pre­mière fois ce terme en 1993.
  2. Le pay­sage radio­pho­nique compte en outre quelques radios confes­sion­nelles (Radio Ivy­zi­gi­ro, pen­te­cô­tiste, à Bujum­bu­ra et Radio Maria Burun­di, catho­lique, à Gite­ga) et inter­na­tio­nales (RFI, ins­tal­lée en FM depuis 1998, BBC depuis 2000 et VOA depuis 2003 ; les deux der­nières émet­tant en kirun­di une heure par jour).
  3. Le pro­jet a reçu l’appui de l’USAID, de la coopé­ra­tion fran­çaise, de l’Unesco, de l’asbl belge Kabon­do, de la CENI (Com­mis­sion élec­to­rale natio­nale indé­pen­dante) et d’un spon­sor com­mer­cial, la Bra­ru­di (Bras­se­ries du Burundi).
  4. Nes­tor Nku­run­zi­za, inter­viewé dans le Jour­nal par­lé de 13 heures, syner­gie du 25 sep­tembre 2005.
  5. Note de syn­thèse de Jean-Fran­çois Bas­tin (asbl Kabon­do, pro­jet d’appui à la RTNB).
  6. Adrien Sin­dayi­gaya, direc­teur du Stu­dio Ijam­bo, entre­tien per­son­nel, Bujum­bu­ra, sep­tembre 2009.
  7. Alexis Sin­du­hije cité par Eva Pal­mans, Médias et poli­tique en situa­tion de crise : le cas du Burun­di, thèse de doc­to­rat, uni­ver­si­té d’Anvers, 2008, p. 163.
  8. La mis­sion s’est chan­gée en Monus­co en 2010. Tou­te­fois, nous uti­li­se­rons ici le pré­cé­dent acronyme.
  9. Témoi­gnages recueillis par Pas­cal Chi­rhal­wir­wa, Rap­port interne de l’Institut Panos Paris, novembre 2006, p. 2.
  10. Cité par Jour­na­liste en dan­ger (JED), La liber­té de presse en période élec­to­rale. Assas­si­nats, agres­sions, menaces, expul­sions, des­truc­tions, pro­pa­gandes, pro­cès bidons et déra­pages dans les médias, Kin­sha­sa, novembre 2006., p. 22.
  11. Dimi­tri Musam­pule, secré­taire exé­cu­tif du Remack, direc­teur com­mer­cial de Radio Phoe­nix uni­ver­si­té, cité par Ins­ti­tut Panos Paris, Rap­port final du pro­jet Spot, Kin­sha­sa, 2008, p. 15.
  12. Radio Mariya, Radio Ijwi Ry’ibyiringiro, Radio Res­tore et Radio Umu­cyo. Media High Coun­cil, State of the Media Report 2008, Kiga­li, mai 2008.
  13. Cités dans Nin­do­re­ra Willy, Rap­port glo­bal d’évaluation de l’émission « Regards croi­sés sur les grands lacs », Ins­ti­tut Panos Paris, Bujum­bu­ra, 2009.
  14. Voir les rap­ports annuels de Jour­na­liste en dan­ger dis­po­nibles sur le site www.jed-afrique.org.
  15. Media High Coun­cil, State of the Media Report 2008, Kiga­li, mai 2008, p. 34.
  16. Media High Coun­cil, Media Moni­to­ring Report on the allo­ca­tion of air­time and space in the public media to poli­ti­cal par­ties and inde­pen­dant can­di­dates, Kiga­li, 3 octobre 2008.

Marie-Soleil Frère


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