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Les jeunes face à la mutation du lien social

Numéro 1 Janvier 2012 par Jean-Pierre Lebrun

janvier 2012

Face à une muta­tion contem­po­raine du lien social, carac­té­ri­sée, notam­ment, par un brouillage des repères d’i­den­ti­fi­ca­tion tra­di­tion­nels, com­ment se situent les jeunes géné­ra­tions ? À par­tir de cette ques­tion et ses nom­breuses rami­fi­ca­tions thé­ma­tiques (l’au­to­no­mie, le vivre-ensemble, les rites de pas­sage, l’é­du­ca­tion, etc.), qu’est-ce qu’un pro­jet de ser­vice citoyen, dans ses mul­tiples dimen­sions, pour­rait appor­ter aux jeunes dans ce contexte de chan­ge­ment sociétal ?

Fran­çois Géra­din et Fran­çois Ron­veaux : Dans dif­fé­rents ouvrages et articles, dans votre volon­té de ques­tion­ner les struc­tures mêmes du social, vous mon­trez bien le pas­sage d’une socié­té pyra­mi­dale, ver­ti­cale, à une socié­té « hyper­mo­derne », éga­li­taire et hori­zon­tale, ain­si que les nom­breux risques que ce pas­sage implique. Pour­riez-vous déve­lop­per ce point et mon­trer en quoi les jeunes peuvent être par­ti­cu­liè­re­ment tou­chés par cette « muta­tion du lien social » ? Dans ce contexte de chan­ge­ment socié­tal, que pour­rait appor­ter un pro­jet de ser­vice citoyen et en quoi pour­rait-il éven­tuel­le­ment contri­buer à (ré-)inventer une forme de lien social ?

Jean-Pierre Lebrun : Le fait de pas­ser d’une socié­té ver­ti­cale à une socié­té hori­zon­tale implique pour chaque sujet de ne pou­voir trou­ver la recon­nais­sance que par ses pairs — et non plus par ses pères. Cela entraine que la recon­nais­sance par l’Autre social se déplace d’une ins­tance sym­bo­lique vers un miroir ima­gi­naire. Il n’est pas dif­fi­cile de pen­ser qu’une recon­nais­sance qui ne tient qu’à d’autres qui sont sur le même pied est dans le même mou­ve­ment de recon­nais­sance de ces autres qui me recon­naissent et nous voi­là entrai­nés dans une suite de miroirs qu’aucune limite ne vient arrê­ter. La recon­nais­sance sym­bo­lique, en revanche, demande une recon­nais­sance au-delà de l’image, là où le sujet échappe à l’image que l’on peut avoir de lui, là où l’image est défaillante pour pou­voir le recon­naitre. Or c’est cette der­nière ins­tance qui fait défaut dans une recon­nais­sance seule­ment horizontale.

Il est évident que l’on peut pré­fé­rer un modèle plu­tôt qu’un autre, que l’on peut faire pré­va­loir l’horizontalité sans sup­pri­mer la ver­ti­ca­li­té ou l’inverse comme c’était le cas dans la socié­té pré­mo­derne et ain­si recon­naitre l’irréductible double repé­rage ; mais il faut aus­si tenir compte de ce que nous sommes dans un moment qui se libère de la pré­va­lence du ver­ti­cal et qui donc a ten­dance à for­cer le trait, à dès lors récu­ser toute ver­ti­ca­li­té et c’est alors que le risque de méprise intervient.

Car concrè­te­ment, lorsque pré­vaut de manière exclu­sive l’horizontalité, cela donne des sujets qui sont tri­bu­taires de l’image qu’ils donnent, qu’ils doivent don­ner, mais pas de leur res­pon­sa­bi­li­té à l’égard de ce qu’ils sont, c’est-à-dire du manque qui pour­tant fonde tou­jours leur existence.

C’est aus­si là que l’on peut per­ce­voir le ser­vice citoyen qui vient en quelque sorte redon­ner de la consis­tance à l’instance sym­bo­lique en assu­mant de se faire repré­sen­tant de l’État et de la recon­nais­sance que celui-ci octroie à l’égard des jeunes qui veulent consa­crer un temps de leur exis­tence à des actions de soli­da­ri­té envers la communauté.

Fr. G. et Fr. R.: Dans dif­fé­rents écrits, vous consta­tez une forme de « contra­dic­tion du social » issue de la croyance actuelle qu’un lien social puisse exis­ter sans « ins­tance col­lec­tive ». Pour­riez-vous pré­ci­ser ce que vous enten­dez par cette der­nière notion et nous indi­quer les symp­tômes socié­taux de cette contra­dic­tion ? Face à ce constat, que pour­rait ame­ner pour les jeunes géné­ra­tions l’existence d’un ser­vice citoyen ?

J.-P. L.: Il n’y a pas de groupe humain sans une ins­tance qui le repré­sente pour cha­cun de ses membres comme il n’y a pas de socié­té sans l’institution de la socié­té. Concrè­te­ment, c’est l’existence de cette ins­tance qui don­ne­ra sa légi­ti­mi­té à celui ou celle qui va inter­ve­nir en son nom, au nom de l’Un de l’ensemble, pour rap­pe­ler à cha­cun la pré­va­lence du col­lec­tif sur les inté­rêts de cha­cun. Si cette ins­tance n’existe plus ou qu’elle est trop estom­pée, il fau­dra quand même obte­nir la pré­va­lence de l’ensemble sur cha­cun, mais on y arri­ve­ra alors par une conten­tion laté­rale, seule­ment hori­zon­tale, en sti­mu­lant le sen­ti­ment d’appartenance : ce sont les rol­lers qui déam­bulent ensemble, ce sont les asso­cia­tions de toutes sortes, des malades dia­bé­tiques aux parents d’adoptés de tel pays en pas­sant par les vic­times de telle ou telle injus­tice et c’est ce que j’ai appe­lé l’entou­se­ment. En ce der­nier cas de figure, on ne regarde plus vers le haut pour trou­ver son cap, mais on ne regarde qu’à côté, on se serre les coudes et par conten­tion mutuelle, on va dans le sens du groupe… même si l’on ne sait pas vers où il va !

C’est en cela qu’aujourd’hui, il y a dif­fi­cul­té car la socié­té n’a plus le moyen clas­sique pour coor­don­ner l’ensemble de ses membres : l’autorité. La crise de celle-ci est géné­rale et l’on voit bien que ce qui est illu­soi­re­ment espé­ré, c’est qu’il puisse y avoir coïn­ci­dence entre ce qu’exige le col­lec­tif et ce qu’exige cha­cun de ses membres. L’individualisme qui nous carac­té­rise est à la fois cause et consé­quence de cet état de fait : cause parce que cha­cun tire la cou­ver­ture de son côté en toute légi­ti­mi­té démo­cra­tique — le droit de chaque citoyen à sa sin­gu­la­ri­té — consé­quence parce que du fait de l’affaiblissement de l’intervention pos­sible par l’instance col­lec­tive, cette sin­gu­la­ri­té se retrouve sans limite et n’est plus dia­lec­ti­sée avec l’ensemble.

Donc, pro­po­ser très concrè­te­ment une expé­rience de ser­vice citoyen peut aus­si redon­ner de la visi­bi­li­té à la néces­si­té de prendre en compte le col­lec­tif, de rap­pe­ler que cha­cun, même s’il est invi­té à déve­lop­per ce qu’il a de plus sin­gu­lier, est aus­si quelqu’un comme tout le monde, qu’à cet égard il est radi­ca­le­ment sur le même pied que son alter ego et qu’il faut bien prendre en compte que nous n’existons qu’ensemble.

Fr. G. et Fr. R.: Il semble que, dans le contexte socié­tal actuel, post­mo­derne, de plus en plus de jeunes soient confron­tés para­doxa­le­ment à des attentes et à des injonc­tions d’autonomie. Parce qu’un dis­cours ambiant leur répète dès le plus jeune âge et très fré­quem­ment que chaque indi­vi­du doit s’auto-construire, des thé­ra­peutes ont consta­té que cer­tains jeunes, pié­gés par cette illu­sion d’autonomie, se retrouvent dans une incer­ti­tude exis­ten­tielle par­ti­cu­liè­re­ment patho­gène. Pen­sez-vous que le pro­jet de ser­vice citoyen, parce qu’il pro­po­se­rait aux jeunes une struc­ture enca­drante ras­su­rante et des mis­sions pré­ci­sé­ment défi­nies, pour­rait en quelque sorte les « sou­la­ger » (selon votre propre verbe) de cette demande pres­sante d’autonomie ? En outre, quel pour­rait être un bon équi­libre entre une cer­taine auto­no­mie éman­ci­pa­trice pour le jeune et son inté­gra­tion dans le vivre-ensemble ?

J.-P. L.: Ce que l’on n’arrive plus à obte­nir par l’autorité — étant enten­du que par auto­ri­té, il n’est pas dési­gné une dimen­sion auto­ri­taire, mais sim­ple­ment la légi­ti­mi­té recon­nue à poser la limite — il faut bien l’obtenir autre­ment : et c’est ce à quoi l’on essaye d’arriver par la per­sua­sion que l’autonomie est une valeur à laquelle cha­cun peut et doit accé­der par lui-même en quelque sorte. Or c’est là que le bât blesse, il n’y a pas en soi, et encore moins spon­ta­né­ment, d’autonomie ; celle-ci n’est jamais que le résul­tat d’une sépa­ra­tion d’avec l’autre, pour chaque enfant d’avec les pre­miers autres qui l’ont entou­ré depuis sa nais­sance et dans ses pre­mières années ; cet enfant, vu sa pré­ma­tu­ri­té exor­bi­tante, ne peut qu’être d’abord dépen­dant, comme je dis, il est d’abord « autro­nome » et d’une manière radi­cale puisque ce sont les autres qui vont com­men­cer par régler son exis­tence. Le fait qu’en plus il est in-fans, non par­lant, le rend radi­ca­le­ment dépen­dant de cet Autre du lan­gage. Il est d’ailleurs sur­pre­nant que ce que nous croyons être nos pen­sées les plus secrètes sont faites dans le maté­riau des mots de tout le monde. Il fau­dra à chaque sujet humain, entre le tiers et le quart de la durée de son exis­tence pour deve­nir auto­nome. Que cette auto­no­mie soit un objec­tif pour tous est effec­ti­ve­ment une valeur, mais elle ne peut se conce­voir que sur fond d’une aut-r-ono­mie, d’une dépen­dance à l’Autre dont ce sujet s’est séparé.

Et lorsqu’aujourd’hui, on en est à vou­loir assé­ner cette auto­no­mie, cela rejoint ces manœuvres hori­zon­tales de per­sua­sion que je viens d’évoquer et qui en fait masquent la dif­fi­cul­té dans laquelle nous nous trou­vons du fait de cette muta­tion, d’encore pou­voir sou­te­nir une auto­ri­té légitime.

Il va dès lors de soi qu’une struc­ture qui accom­pa­gne­rait les jeunes dans ce tra­jet d’avoir à s’autonomiser peut les aider à ne pas conti­nuer dans l’illusion de pen­ser que cela devrait être là d’emblée, ni dans celle qu’il n’est pas néces­saire de se trou­ver par­fois à une place dif­fé­rente des autres pour impo­ser quelque chose au nom de la collectivité.

En revanche, je ne sais pas s’il y a une pres­crip­tion qui per­mette de dire quel serait le bon équi­libre entre éco­no­mie éman­ci­pa­trice et inté­gra­tion dans le vivre-ensemble sim­ple­ment parce que cet équi­libre ne peut se trou­ver qu’au cas par cas. Ce sera à éva­luer pour cha­cun si une dia­lec­tique a vrai­ment opé­ré entre appar­te­nance au col­lec­tif et sin­gu­la­ri­té pour que ce nouage puisse se mettre en place.

Fr. G. et Fr. R.: L’anthropologie clas­sique a bien mon­tré les fonc­tions et les rôles que jouaient les « rites de pas­sage » dans la dia­lec­tique reliant indi­vi­du et col­lec­ti­vi­té. Pour les jeunes géné­ra­tions d’ici et d’aujourd’hui, tou­jours dans cette pers­pec­tive d’instituer des moments de recon­nais­sance col­lec­tive des dif­fé­rentes tra­jec­toires indi­vi­duelles, quel pour­rait être le rôle joué par un ser­vice citoyen ? Ce der­nier, parce qu’il offri­rait aux jeunes un lieu et un temps spé­ci­fiques dans leurs par­cours indi­vi­duels, pour­rait-il jouer ce rôle symbolique ?

J.-P. L.: Le ser­vice citoyen joue­rait effec­ti­ve­ment ce rôle d’équivalent d’un rite de pas­sage s’il deve­nait obli­ga­toire. Le propre du rite de pas­sage, c’est qu’il ne fait pas de doute pour cha­cun qu’il va fal­loir y pas­ser et le dis­cours social ambiant est là pour sou­te­nir la légi­ti­mi­té de ce rite, quel qu’il soit. Il fonc­tionne donc comme une contrainte à laquelle nul ne peut se sous­traire faute de ne pas rece­voir la recon­nais­sance du col­lec­tif. On voit donc la dif­fi­cul­té dans un monde où la contrainte est en soi déva­lo­ri­sée, frap­pée d’emblée de méfiance et où de plus, nous sommes loin de pou­voir pen­ser impo­ser cela à tous.

Ce sera néan­moins, comme je viens de le dire, au cas par cas qu’il convien­dra d’évaluer s’il y a eu la pos­si­bi­li­té d’articuler exi­gence du col­lec­tif et recon­nais­sance de la sin­gu­la­ri­té d’un cha­cun ; il va de soi que même si l’obligation n’est pas au pro­gramme, l’expérience peut cepen­dant tout à fait contri­buer à un tel nouage.

Fr. G. et Fr. R.: On connait cette phrase de Goethe qu’aimait répé­ter Sig­mund Freud : « Ce que tu as héri­té de tes pères, acquiers-le afin de le pos­sé­der ! » Cette for­mule cris­tal­lise puis­sam­ment les thé­ma­tiques sans cesse renou­ve­lées, et sans doute jamais inac­tuelles, de la trans­mis­sion et de l’éducation. Un recours rapide à l’étymologie de cette der­nière nous rap­pelle qu’il s’agit bien de gui­der les jeunes géné­ra­tions hors d’elles-mêmes en aidant cha­cun à sor­tir de soi (« ex-ducere »). Cet idéal régu­la­teur d’ouverture et de décen­tre­ment vous semble-t-il actuel­le­ment mena­cé et, dans l’affirmative, quels pour­raient être les moyens d’y par­ve­nir ? Le ser­vice citoyen, parce qu’il vise à ouvrir les jeunes à la citoyen­ne­té par l’entremise d’une expé­rience immer­sive dans la socié­té, vous semble-t-il pou­voir jouer ce rôle de trans­mis­sion et d’éducation ?

J.-P. L.: Il est vrai que cet idéal est mena­cé sim­ple­ment parce que l’idée de devoir sor­tir de soi-même va à l’encontre de l’idéologie de liber­té qui actuel­le­ment pré­vaut. Sor­tir de soi-même n’est pas syno­nyme de pro­fi­ter de sa liber­té car celle-ci peut très bien s’accommoder d’une reven­di­ca­tion, pour le dire vite, celle de pou­voir n’en faire qu’à sa tête. Le tra­vail de sor­tir de soi-même ne peut équi­va­loir à une libé­ra­tion que si ont été iden­ti­fiées et accep­tées les contraintes et que si est assu­mé l’acte tou­jours quelque peu trans­gres­sif de s’en détacher.

Or toute limi­ta­tion à mon épa­nouis­se­ment, ou plu­tôt à ce que j’estime être tel, peut aujourd’hui être d’emblée récu­sée ; toute atteinte à ma liber­té est alors consi­dé­rée comme néga­tive. Et s’il est accep­té une quel­conque limite, c’est cha­cun qui estime devoir la déter­mi­ner en fonc­tion de ce qu’il lui serait loi­sible d’accepter : autre­ment dit, ce n’est plus une limite qui est impo­sée à tous, qui rabote non pas la sin­gu­la­ri­té d’un cha­cun, mais qui fait que puissent se dia­lec­ti­ser sin­gu­la­ri­té et appar­te­nance — banale et égale — à la communauté.

Dans ce contexte, il est évident que le ser­vice citoyen, s’il en arri­vait à ain­si repro­mou­voir le prix de cette appar­te­nance com­mune, serait pré­cieux, mais vous voyez le che­min à faire. Car il est évident que même si exis­tait une volon­té poli­tique de mettre en place cette obli­ga­tion pour tous, il fau­drait encore qu’elle puisse s’imposer ! Et je crains qu’elle n’aura d’abord affaire avec l’individu qui, d’une cer­taine façon à juste titre — je veux dire par là qu’il trou­ve­ra des argu­ments dans le contexte de l’idéologie actuelle — s’autorisera à refu­ser que le col­lec­tif s’impose à lui.

Autre chose serait de consi­dé­rer le dis­po­si­tif cadrant et struc­tu­rant du ser­vice citoyen pour per­mettre au jeune de rejouer ce tra­jet d’encadrement et de struc­tu­ra­tion pour que puisse s’en suivre une libération

Fr. G. et Fr. R.: Dans l’un de vos ouvrages, vous employez l’image d’un « tuto­rat ver­té­bra­li­sant ». Dans le cadre du ser­vice citoyen, un tuteur, au sein de chaque orga­nisme d’accueil, accom­pagne le jeune dans la réa­li­sa­tion de ses mis­sions. Pen­sez-vous que l’on puisse éta­blir un lien ou un rap­pro­che­ment avec la fonc­tion « ver­té­bra­li­sante » pré­cé­dem­ment mentionnée ?

J.-P. L.: Cer­tai­ne­ment, vous voyez bien que la ques­tion est tou­jours la même : là où il n’y a plus la légi­ti­mi­té d’une inter­ven­tion d’autorité, il ne reste qu’à ten­ter de faire entendre que les deux ou trois lon­gueurs d’avance dont peut se pré­va­loir celui qui fait fonc­tion de tuteur légi­ti­ment celui-ci à ne pas lais­ser le jeune s’illusionner sur ce qu’il est inévi­table de devoir assu­mer pour faire face à sa condi­tion d’être humain par­lant. En quelque sorte, il s’agit alors de co-construire l’autorité comme on aime à le dire sou­vent aujourd’hui… Oui, mais à la condi­tion d’identifier que cela n’autorise pas cha­cun des co-construc­teurs à se débar­ras­ser de ce qu’il a construit au moment où cela ne le satis­fait pas ou plus ! La dif­fi­cul­té reste : ce qui est co-construit rejoint tou­jours cette ins­tance qui leur pré­existe et à laquelle il s’agit de recon­naitre sa place.

Ce qui est ver­té­bra­li­sant, c’est ce qui vient d’avant moi, du lieu Autre qui ne m’a pas atten­du pour être déjà là. Il ne suf­fit donc pas de don­ner un bon tuteur, il faut encore que celui à qui ce tuto­rat doit ser­vir en pro­fite pour prendre la mesure de ce qui lui est radi­ca­le­ment autre. Quant à savoir ce qu’est un « bon tuteur », je pour­rais dire que ce serait celui qui l’est assez que pour « tuto­ri­ser » et pas assez que pour ne pas ni avoir d’emprise sur son tuto­ri­sé ni non plus lais­ser croire que sa pré­sence le dis­pen­se­rait d’endosser sa responsabilité.

Fr. G. et Fr. R.: Le ser­vice citoyen est, par nature, un pro­jet des­ti­né à être ins­ti­tu­tion­na­li­sé (recon­nu, sou­te­nu et mis en œuvre par/pour l’État). Pen­sez-vous que la forte charge sym­bo­lique liée à cette ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion est intrin­sè­que­ment impor­tante pour le suc­cès du projet ?

J.-P. L.: Oui, si elle arrive à se faire recon­naitre comme telle. Je pense que cette expé­rience actuel­le­ment à peine née pour­rait avoir un inté­rêt cer­tain si elle arri­vait à être ins­ti­tuée pour tous. Le fait que d’aucuns déjà l’envisagent est en tout cas la preuve qu’au-delà des appar­te­nances et des convic­tions de toutes sortes, la prise de conscience existe bel et bien que nous devons réin­ven­ter les condi­tions d’un lien social qui dia­lec­tise autre­ment le rap­port entre le sujet et le collectif.

L’institutionnalisation de ce ser­vice, fût-il encore seule­ment au stade actuel, est néan­moins effec­ti­ve­ment déjà char­gée sym­bo­li­que­ment de cette pré­oc­cu­pa­tion du col­lec­tif et cela, c’est cer­tai­ne­ment essen­tiel dans le pro­jet. Inutile de pré­ci­ser que cette dimen­sion ne pour­ra que se déployer encore davan­tage, mais qu’elle consti­tue déjà une don­née cru­ciale de l’initiative.

Pro­pos recueillis par Fran­çois Géra­din et Fran­çois Ronveaux

Jean-Pierre Lebrun


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