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Forces centrifuges et construction de l’autonomie
L’autonomie de l’élève, brandie comme l’un des objectifs centraux de l’éducation à la démocratie, peine à s’incarner. L’institution scolaire, mandatée pour œuvrer à ce projet, rencontre de l’inertie et de l’instrumentalisation. Les élèves, qui se vivent comme un acteur « faible » à l’école, investissent peu les dispositifs de participation. Plus fondamentalement, l’école est traversée par diverses forces « centrifuges » (instrumentalisation de la scolarité, attractivité de la vie juvénile et des épreuves extérieures à l’école) qui minent à la source l’engagement critique nécessaire à l’exercice d’une autonomie pleine. On observe alors chez les jeunes différentes pathologies de la construction de l’autonomie : incapacité à intégrer des codes et des rôles complexes, difficulté à construire une capacité réelle de choix stratégique, difficulté à affirmer l’authenticité du sujet, aliéné par la culture de masse ou par la perception que l’échec scolaire est le résultat d’une incapacité individuelle plus que d’une injustice sociale.
Le paradoxe est frappant : à l’heure où discours normatifs et institutionnels en appellent plus que jamais à l’autonomie de l’élève, c’est avant tout la distance, ou au mieux, l’adhésion calculée, qui caractérise le rapport des jeunes à leur scolarité. L’élève est « enjoint » à être acteur de la vie scolaire et de sa formation ; il est officiellement invité à exercer ses capacités citoyennes au sein de l’établissement. Or, la plupart des recherches menées sur les jeunes en fin de scolarité obligatoire (16 – 18 ans) mettent plutôt au jour des dynamiques de distanciation qui viennent miner à la source l’engagement critique attendu.
Des textes à la réalité
L’autonomie de l’élève, brandie comme l’un des objectifs éducatifs centraux des sociétés démocratiques, se traduit sur le plan pédagogique — l’autonomie de l’apprenant faisant office de moyen, voire de fin, à la relation d’apprentissage. Elle est également instituée à travers divers dispositifs participatifs qui, dans le sillage du décret Missions, placent l’éducation à la citoyenneté parmi les objectifs prioritaires de l’école. Un décret de mars 2007 promulguant la « citoyenneté active et responsable », institue diverses structures visant à éduquer les élèves à la citoyenneté (conseil de participation incluant des représentants d’élèves ; élections de délégués et moyens accrus pour leur formation ; conseils d’élèves, etc.)
Ces dispositifs sont sous-tendus par une double image idéale de l’élève comme sujet autonome : celle du sujet citoyen, soutenu dans sa capacité d’action politique, et celle du sujet moral, invoqué du côté de l’authenticité ou de l’expression de soi. L’élève a été reconnu dans son « égale dignité » face aux adultes et comme citoyen en devenir.
Or, cette reconnaissance semble avoir du mal à passer des textes à la réalité — comme si ce droit peinait à s’incarner, faute de motivation de la part des premiers intéressés. Si l’on en croit certains professionnels chargés d’implanter ces dispositifs, la demande est faible et doit souvent être « suscitée » ou « construite ». Une des inquiétudes de ceux qui se font les chevilles ouvrières de ces projets est que le « soufflé ne retombe » après le départ de sa « locomotive » (adulte ou jeune)… Bref : sans impulsion volontariste, la tendance lourde serait à l’inertie.
Les instances participatives sont peu investies par les élèves et lorsqu’elles le sont, c’est dans une logique assez différente de ce qui est visé. Les sujets mis à l’agenda par les élèves sont étonnamment superficiels, portant sur le vivre ensemble, sur telle campagne de propreté, sur l’accès à tel local pendant la récréation, sur des questions de règlement — piercings, habillement… —, comme si les élèves s’autocensuraient par rapport à des niveaux d’action plus centraux. Convaincus que leurs revendications ont peu de chance d’aboutir (« De toute façon, il y a quasiment rien qui a été fait. Je veux dire, ce que nous on voudrait vraiment, ça passe pas…»), ils se disent souvent déçus ou sceptiques quant à la portée de leur participation. C’est ce dont témoigne cette déléguée, pourtant motivée et investie, qui tient des propos très prudents sur le rôle du conseil d’élèves : « Changer l’école ? C’est ce qu’on aimerait bien, mais euh je ne sais pas si cela change quelque chose. Ça change un petit peu, mais ça fait pas changer l’école vraiment. Souvent les projets, c’est des petits projets du genre mettre en peinture et tout ça, mais je ne sais pas si cela peut vraiment faire changer l’école » (Convert, 2009).
Des attentes souvent minimalistes
Les élèves semblent donc peu croire en leur véritable capacité d’action au sein de l’école. D’abord, parce que, si les adolescents ont acquis une dose certaine d’autonomie dans divers domaines (vie amoureuse, loisirs, consommation…), ils restent dépendants au sein de la sphère éducative — dépendants de leurs parents concernant les choix d’orientation, dépendants de leurs professeurs pour l’apprentissage, extrêmement dépendants des « verdicts scolaires » qui scelleront leur destin. De plus, les élèves se vivent comme des acteurs faibles à l’école, au sein d’un jeu institutionnel perçu comme inégalitaire : le pouvoir des adultes est vu comme discrétionnaire (les propositions du conseil d’élèves n’ayant, nous disent-ils, aucune chance de passer si les enseignants s’y opposent); les élèves ressentent les « faveurs » dont jouissent les enseignants par rapport au règlement comme une injustice ; bref, les adultes ne passent pas le test de la réciprocité nécessaire à l’établissement d’un contrat entre acteurs autonomes.
Ensuite, on peut se demander si les équipes éducatives ne développent pas, à l’égard de ces dispositifs participatifs, des attentes assez différentes de ce qui est prévu par les textes. Les enseignants semblent davantage espérer l’amélioration du vivre ensemble (ordre, sécurité, diminution de la violence) que vouloir développer un véritable projet d’éducation à l’autonomie1. L’éducation au « respect » semble alors supplanter l’éducation à l’autonomie. Les élèves percevraient-ils que ce sont des enjeux d’ordre qui s’avancent sous les oripeaux d’une rhétorique de l’autonomie ?
Dans ces conditions, les structures de participation sont investies soit de façon assez minimaliste par les élèves, soit de façon assez pragmatique, pour des projets mineurs. Les propositions plus ambitieuses suscitent vite de la déception, ce qui peut engendrer un sentiment d’impossibilité du projet démocratique. Au mieux, ces dispositifs seront utilisés par l’élève comme un moyen de mise à l’épreuve de sa capacité à s’inscrire efficacement dans le jeu social, d’exercer ses compétences sociales.
Des dynamiques de socialisation centrifuges par rapport à l’école
Comment comprendre cette situation ? Au-delà des limites inhérentes aux dispositifs eux-mêmes, trois tendances opèrent comme des « forces centripètes » par rapport aux attentes de participation critique à la vie scolaire.
La crise de la motivation et l’instrumentalisation du rapport aux savoirs
Si l’école n’est plus la seule instance de socialisation légitime (on sait à quel point elle se trouve concurrencée par la culture de masse, internet…), elle opère pourtant plus que jamais comme une machine impitoyable à sélectionner, scellant le destin scolaire et social des élèves. Il est donc impératif de réussir, au moment même où l’adhésion à la culture scolaire est affaiblie. Il est frappant de constater qu’un des grands problèmes des jeunes à l’école est de « se motiver » — et la prolifération de recherches et de manuels sur la motivation scolaire montre qu’on ne sait plus trop quelles « bonnes pratiques » recommander, quelle expertise psychopédagogique déployer pour « construire » la motivation.
Souvent, le rapport aux savoirs est fortement teinté d’instrumentalisation : dans les filières les moins prestigieuses, il s’agit avant tout de « passer» ; dans les contextes plus sélectifs, si l’intérêt pour la culture scolaire est davantage transmis par socialisation familiale, les comportements stratégiques n’en sont pas moins frappants (on dose ses investissements, on soupèse ce qui sera « rentable », on préserve d’autres sphères de la vie…). Bref, si autonomie il y a, elle se limite souvent à la version « minimaliste » évoquée par Bernard Delvaux dans ce numéro : apprendre à tirer son épingle du jeu.
L’appel du large : épreuves de réalité et construction du sujet autonome
La crise de l’institution scolaire se manifeste également par une critique assez nette de la forme scolaire (apprentissage en situation virtuelle et séparée du monde). On observe chez les jeunes une exigence très forte de confrontation de soi dans des épreuves extérieures à l’école, à travers lesquelles ils auront l’occasion d’éprouver leur « vraie » valeur. Ces expériences menées dans la « vie réelle » (stages, jobs, voyages…), très prisées par les adolescents, opèrent très tôt comme grille d’évaluation de la pertinence de ce qu’on apprend à l’école et sont vécues comme des moments importants de construction de soi. C’est là, plus qu’à l’école, que les jeunes entendent forger leur autonomie.
La « cité parallèle »
Enfin, un des symptômes du déclin de l’institution scolaire est certainement l’entrée massive de la culture jeune à l’école. Les élèves investissent l’école comme un espace de sociabilité et d’expérimentation de soi. Elle est le terrain premier des relations entre copains, des flirts, de la construction identitaire à travers des catégories juvéniles sans cesse réinventées (les « intellos » ou les « cools », les « racailles » ou les « motivés»…). L’importance de cette sociabilité juvénile est telle que certains, comme Patrick Rayou (1998) y voient une « cité parallèle » au cadre scolaire, bien plus investie que ce dernier. Si, dans le « haut » de l’échelle, cette cité intègre partiellement les catégories scolaires (les surnoms des classes ou des groupes intègrent le rapport aux savoirs), dans les contextes relégués, ce référentiel scolaire vient presque à disparaitre2.
La construction de l’autonomie de l’élève
Mais revenons à la notion même d’autonomie de l’élève : comment la définir ? Quelle « version » de l’autonomie est-il envisageable de construire au sein de l’école et quels obstacles rencontre ce projet ?
Dans son article, Bernard Delvaux évoque deux versions de l’autonomie — l’une, minimaliste ou « circonscrite », se résume à une capacité instrumentale à « tirer son épingle du jeu» ; l’autre, plus ambitieuse, mais plus souhaitable au plan d’une éducation à la démocratie, vise la capacité des individus à développer un regard critique sur les règles du système et à s’autoriser à y intervenir. En m’appuyant sur des distinctions de François Dubet (2002), je défendrai l’idée que l’autonomie est un processus multidimensionnel. Chaque niveau pose des défis spécifiques qu’il s’agit de prendre en charge. Ce que Dubet montre, c’est que l’autonomie du Sujet ne peut plus se penser comme la simple « résultante » de l’intériorisation des valeurs. Dans l’école de la première modernité, l’individu entrait à l’école et y intériorisait les valeurs centrales de la société, se convertissant ainsi en « citoyen autonome ». Aujourd’hui, dans un monde complexe et désajusté, construire son autonomie se conçoit davantage comme un « travail » du sujet sur lui-même à plusieurs niveaux.
Le premier niveau de l’autonomie se conquiert à travers l’intégration des codes et normes sociales qui, loin d’avoir disparu, se sont complexifiés et multipliés. Le travail nécessaire au jeune pour intégrer ces facettes différentes de sa vie est un premier exercice de construction de l’autonomie. Devenir autonome, c’est parvenir à rester sujet sans imploser sous la diversité des sollicitations et des attentes.
À un second niveau, l’autonomie peut être qualifiée d’instrumentale ou de stratégique (et renvoie à la version circonscrite de l’autonomie): il s’agit de développer les capacités stratégiques nécessaires pour prendre une place utile dans le jeu social. Autrement dit, il s’agit d’acquérir les compétences sociales nécessaires au développement d’une action stratégique : apprendre à « jouer le jeu » social avec le plus d’efficacité possible, dans des contextes définis par la concurrence et la rareté des ressources. La société actuelle survalorise cette autonomie « instrumentale », incarnée par l’idéal de flexibilité : garder sa place dans un monde complexe et changeant suppose une solide capacité de décodage et d’adaptation. Ceux qui ne s’y plient pas sont désignés comme faibles et exclus de la compétition. La capacité à poursuivre ses propres fins requiert en effet des « supports » ou des « ressources » : des codes, des capitaux, des compétences sociales et psychoaffectives. À ce niveau, les inégalités sociales classiques se rejouent.
Enfin, la troisième dimension de l’autonomie est éthique ou morale. C’est la dimension la plus exigeante, puisqu’elle correspond à la capacité à saisir, critiquer et transformer les règles du jeu social elles-mêmes, au nom de principes de justice, mais aussi au nom d’un principe d’authenticité.
Si, comme l’affirme Dubet, la formation de l’autonomie contemporaine exige un « travail du sujet » à ces trois niveaux, celle-ci s’avère être un projet ardu et rencontre de nombreux obstacles.
Les obstacles à la formation de l’autonomie
Deux grandes familles d’obstacles peuvent être identifiées. Il peut s’agir soit d’une « insuffisance » sur l’un des axes définis (registre de l’inégalité sur chacun de ces axes); soit d’une incapacité à assumer la complexité de ce « travail du sujet » entrainant un repli sur une logique (registre de l’abdication face à la complexité du travail de l’autonomie).
Dans le registre de l’inégalité, sur chaque axe, il y a des « forts » et des « faibles », des individus plus ou moins armés socialement pour répondre aux enjeux qui s’y posent.
Ainsi, en ce qui concerne la socialisation à des rôles et les processus d’identification sociale, un des cas de figures les plus classiques mis en évidence par la sociologie concerne la difficulté pour certains jeunes — en particulier de milieux populaires ou immigrés — à intégrer des normes éloignées de leur propre habitus, ou encore à se plier aux règles du jeu scolaire sans perdre la face au regard des critères en vigueur dans la communauté ou les groupes de pairs. Cette problématique de la distance culturelle se double d’une difficulté d’identification sociale positive. Dans les filières les plus dévalorisées, les images professionnelles et sociales qui constituent l’horizon de ces cursus sont peu attractives et très éloignées des aspirations premières de ces jeunes. La confrontation au monde professionnel (via les stages) peut alors se transformer en une dure prise de conscience que l’espace des possibles s’est refermé. Un des enjeux du travail de « resocialisation » auquel doivent s’atteler les professionnels consiste alors souvent à accompagner ce deuil des aspirations. Il s’agit de convertir le rêve en projet « réaliste ». La construction d’une capacité d’action autonome ne peut s’opérer qu’au prix d’une telle conversion. Si celle-ci échoue, le rapport à la scolarité sera marqué par le découragement, ou par une sorte de « ritualisme scolaire » — l’accomplissement mécanique des exigences minimales du métier d’élève, sans y trouver sens.
Pour ce qui est du second niveau — instrumental — de l’autonomie, les difficultés relèvent d’un déficit de ressources nécessaires au développement de la capacité de choix stratégique. Parfois, ce sont simplement les ressources cognitives qui font défaut, lorsque l’élève ne parvient pas à se doter des moyens (scolaires) de ses aspirations. Mais, plus fondamentalement, on peut se demander si ce n’est pas la capacité à faire des choix en elle-même qui est entravée, enrayée, alors même qu’elle est sans cesse invoquée. Dans un système scolaire marqué par la relégation, il est frappant de voir à quel point les carrières scolaires suivent leur cours dans une sorte de non-choix. Pour les meilleurs, la question du choix est mise entre parenthèses, laissée en suspens, puisque ces élèves sont en position de laisser l’espace des possibles ouvert. Pour ceux qui connaissent des carrières scolaires chaotiques, ces changements tendent à être vécus sur un mode subi (« On m’a orienté vers cette option », « je ne sais plus très bien ce qui m’est arrivé, mais en quatrième je me suis retrouvé dans l’option mécanique» ; « là tout à coup j’ai voulu aller en hôtellerie, mais je ne sais plus vraiment pourquoi»…)3. Paradoxalement, c’est à ces élèves « dépossédés » de leur parcours que l’école demande de formuler un projet individuel… Lors d’une recherche menée dans des dispositifs de « re-scolarisation » (Donnay, Verhoeven, 2006), nous avions constaté à quel point les intervenants étaient confrontés à une importante tâche de renforcement des ressources de base (cognitives ou psychoaffectives) préalables au développement de la capacité de formuler des projets « autonomes ». Les dynamiques axées sur la reconstruction de l’estime de soi, de la confiance en soi (valorisation des « petites réussites » de chacun, travail sur des photos ou auto-vidéos, sur la prise de parole en public, etc.) prennent beaucoup d’importance et sont présentées comme une condition sine qua non à la formulation d’un projet subjectivement assumé. Il s’agit de reconstruire de la confiance au sein d’espaces protégés, avant de confronter l’élève à la compétition scolaire et sociale.
Enfin, certains adolescents sont entravés dans leur accès à la troisième dimension — morale — de l’autonomie, qui correspond à la capacité de poser des jugements authentiques et au développement d’une capacité de critique sociale. Le développement de ce type d’autonomie se heurte d’abord à diverses dynamiques d’aliénation culturelle, lorsque l’authenticité se trouve piégée par la culture de masse, « confisquée » par les signes fascinants qu’elle véhicule. C’est ainsi que certains jeunes s’enferrent dans un effort mimétique envers les corps parfaits de la pub ou du cinéma, dans des tentatives extrêmes de modelage de leur apparence, ou de poursuite insatiable des objets désirables sur la grande scène de la consommation. De récentes enquêtes ethnographiques (Jacobs, 2009) montrent que l’espace scolaire des écoles de relégation peut se retrouver envahi par les marqueurs de cette culture de masse — MP3, GSM, vêtements de marque… —, ou encore par un rapport compulsif à la « malbouffe » jusqu’en classe, comme si remplir son corps remplaçait l’avidité d’apprendre…
L’émergence de l’autonomie morale semble enfin entravée par la difficulté à formuler une critique sociale construite, dans un système où l’échec scolaire est interprété, non comme une injustice sociale, mais sur le mode de l’indignité personnelle, de l’incapacité individuelle à saisir sa chance. Nos recherches montrent des jeunes qui subissent les inégalités de plein fouet sans pour autant parvenir à formuler une critique du système ; ces élèves se présentent comme des « faibles », des « nuls », des « paresseux », tout en exprimant souvent un puissant désir d’intégration sociale (Donnay, Verhoeven, 2006).
Enfin, il arrive que le travail de construction de l’autonomie apparaisse trop exigeant, trop « lourd », insurmontable. On assiste alors à diverses formes d’abdication de l’autonomie face à la complexité, les jeunes se repliant alors sur l’une des logiques d’action, hypertrophiée. Il peut s’agir d’un repli sur la communauté (tribus adolescentes, bandes de cité, communauté religieuse…), qui permet au jeune d’évoluer dans un espace sécurisé et de mettre ses capacités critiques en veille. La logique instrumentale peut elle aussi être surinvestie, l’élève agissant alors essentiellement en fonction des conséquences anticipées de ses choix : il soupèse ses investissements, dose ses engagements en fonction des bénéfices escomptés sur le « marché » scolaire ou social. Enfin, le repli peut aussi se faire à travers des formes de surdimensionnement de la subjectivité (quête obsédée de soi, sentiment de vide narcissique, repli artistique nombriliste…), pouvant se manifester dans certains types de rapports compulsifs à la télévision, au monde virtuel ou aux drogues (Ehrenberg, 1995).
Mettre l’autonomie au travail
À l’heure de l’invocation incessante de l’autonomie du Sujet-élève, son émergence effective reste un projet fragile. L’institution scolaire, officiellement mandatée pour construire cette autonomie et pourvue de dispositifs citoyens plus développés que jamais, bute sur de l’inertie et de l’instrumentalisation. S’il faut prendre acte des forces centrifuges qui traversent l’école, il ne faut pas pour autant renoncer à accompagner le jeune dans la conquête de son autonomie. Cela doit passer par un travail aux différents niveaux : rendre les codes scolaires accessibles, rendre attractives des images sociales et professionnelles mobilisatrices dans toutes les filières, constituent des préalables nécessaires pour inscrire l’autonomie au sein d’une demande légitime d’intégration sociale. Assurer l’acquisition de compétences scolaires de base, restaurer les compétences psychoaffectives telles que la confiance et l’estime de soi, sont des conditions sine qua non à l’émergence d’une capacité effective de choix. Enfin, l’émergence d’une véritable autonomie morale suppose un travail sur l’authenticité, qui doit pouvoir s’affirmer contre la culture de masse, mais surtout, une formation à une analyse sociale critique qui permet de sortir le sujet de son autodévaluation.
Ne faut-il pas admettre que c’est à ces conditions, en intégrant ces enjeux, que les dispositifs d’autonomie à l’école peuvent avoir du sens ?
- C’est ce que montre le mémoire de M. Convert (2009), pourtant réalisé dans une école relativement sélective socialement et donc relativement préservée.
- C’est ce que montrent bien des études ethnographiques récentes menées auprès de jeunes en fin de scolarité obligatoire (Siroux, 2008 ; Jacobs, 2009).
- C’est ce qu’a mis en évidence une étude menée en 2007 qui analysait les trajectoires scolaires de jeunes de nationalité ou d’origine étrangère dans l’enseignement secondaire (Verhoeven, Rea, Martiniello et alii., 2008).