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Les inconnus et les absents
Au début de ce siècle, pour les Palestiniens, la communauté immigrante juive était une énigme. Étrangère, elle ne se préparait pas tant à les dominer qu’à les remplacer. Les confrontations et les exils ont cristallisé le processus d’identification nationale des Palestiniens. Aujourd’hui, malgré le casse-tête de l’imbrication entre Juifs israéliens et Arabes palestiniens, et en dépit de la domination israélienne, un État palestinien doit être fondé aux côtés d’Israël. La solution idéale pour le long terme devrait être la création d’un État binational israélo-palestinien. Mais pour cela, des reconnaissances mutuelles fortes doivent être réalisées, des reconnaissances auxquelles les travaux des « nouveaux historiens » pourraient contribuer.

Élias Sanbar est directeur de la Revue d’études palestiniennes.
Propos recueillis par Pascal Fenaux.
Pascal Fenaux : Dans votre ouvrage Palestine 1948, l’expulsion 1, vous décrivez ce qui fondait la différence entre l’occupant britannique et la communauté immigrante juive en Palestine. Vous distinguez la « communauté des étrangers » de la « communauté des inconnus », communauté qui va fonder l’« État des inconnus ». Que représentait pour les Palestiniens cet « anonymat » collectif de la communauté juive ?
Élias Sanbar : Cette distinction entre colons « étrangers » et « colons inconnus » est la façon la plus adéquate de décrire deux formes de colonisation. D’une part, un processus d’occupation coloniale « classique » dans lequel une population voit arriver des colons venus de pays étrangers et qui se préparent, après une conquête militaire, à prendre le contrôle social, économique et culturel du pays. Pour les citoyens palestiniens de l’époque, l’« inconnu » ne provenait pas seulement du fait qu’au départ ils ne savaient pas de quel pays venaient ces colons, dans la mesure où ils venaient de tous les coins du monde, c’est-à-dire pas d’un État particulier, d’une métropole ou d’un pays donné. Ces colons constituaient une sorte de mouvement de populations qui, à leur arrivée dans le pays, se distinguaient par une multitude de langues, d’habitudes, etc. Mais cela, ce n’était qu’un aspect somme toute secondaire. Ce que j’ai voulu souligner en usant de l’adjectif « inconnu », c’est le fait qu’il s’agissait d’une colonisation de remplacement et
non pas d’occupation au sens « classique » du terme. Cette population ne venait pas là uniquement pour prendre le contrôle du pays à tous les niveaux et dominer les autochtones chez eux. C’était un mouvement de populations qui visait à vider un lieu et à y acheminer dans le même temps des remplaçants de la population d’origine. Voilà ce que j’entendais par « communauté des inconnus ».
P. F. : Ce que vous appelez « colonisation de remplacement », la colonisation de peuplement, est-elle quelque chose d’unique dans l’histoire ?
É. S. : Je crois que le seul cas qui soit semblable, parallèle, est celui de la naissance des États-Unis d’Amérique. C’est le cas le plus proche. Bien entendu, il n’y a jamais de situations tout à fait analogues. Mais de nombreux points sont troublants par leur analogie. Et d’ailleurs je crois que c’est cela qui permet de comprendre cette reconnaissance, cette identification, cet effet de miroir entre la société américaine et la société israélienne qui ne relèvent pas seulement des éléments traditionnels d’alliance politique ou stratégique. Bien entendu, les travaux historiques et politiques ne manquent pas qui parlent du poids des lobbies, des intérêts économiques, politiques, régionaux et stratégiques des États-Unis, d’un certain nombre de facteurs culturels. Sans
parler de la culpabilité éprouvée après l’horreur nazie en Europe et de la nécessité ressentie de trouver une solution pour les citoyens juifs d’Europe. Bien entendu, tout cela a joué. Mais je crois que, très profondément et en partie inconsciemment, il y a un effet de miroir entre les deux sociétés, c’est-à-dire que chacune se reconnait dans l’autre et se légitime en tous points de façon identique. Il ne faut pas oublier que les États-Unis se sont perçus, de façon que l’on pourrait qualifier d’« intégriste », comme la quintessence du bien. En Amérique du Nord comme en Palestine, les colons étaient habités par l’idée qu’ils fondaient là-bas une Terre promise sur les terres du Nouveau Monde, qu’ils venaient apporter le bien et la morale, en dépit du sort réservé aux autochtones du continent américain. Mais il y a cette conviction profonde que les Américains sont la quintessence de la morale et du bien. Ce sentiment très fort a également présidé à la naissance d’Israël, même si c’était pour des raisons peut-être différentes. Il y a une communauté d’identification.
P. F. : Qu’est-ce qu’un Palestinien ? Comment s’est cristallisée l’identité palestinienne au cœur du Moyen-Orient arabe ?
É. S. : Il y a deux éléments. C’est une question très complexe. Les processus de formation d’identités nationales sont très compliqués, du fait que la plupart des chercheurs ou des citoyens abordent cette question en adoptant une fausse démarche qui est d’essayer de fixer une date de naissance. C’est-à-dire d’établir la date historique à partir de laquelle une communauté éparse et assez hétéroclite commence à se constituer en élément homogène doté de codes de référence unifiés.
Il n’y a évidemment pas de date de naissance pour un sentiment national. L’identité nationale est une sorte de vecteur, de courant, un
mouvement qui croise à un certain moment d’autres éléments. À un moment, l’identité ne nait pas, mais elle se cristallise autour de certains enjeux et ajoute à des références intérieures un certain nombre de traits spécifiques.
Pour en revenir aux Palestiniens, ils se perçoivent depuis des siècles, depuis bien avant l’arrivée du sionisme, comme étant les gens de la Terre sainte. Ils ont un système local de références par rapport à un lieu, à un territoire qui se définit ensuite comme la Terre sainte. Les Palestiniens se conçoivent également par rapport à des références régionales, c’est-à-dire qu’il y a les Palestiniens du Nord, du Centre et du Sud.
Là où les choses se compliquent quelque peu, c’est qu’il y a énormément de recoupements avec les histoires des peuples voisins. La
Palestine porte l’héritage palestinien au sens strict, mais cet héritage se mêle également à un héritage plus ample, l’héritage arabo-islamique. Pendant très longtemps, les Palestiniens se désigneront comme les Arabes de Palestine. Voilà à mon sens les deux piliers de leur identité. Les Palestiniens sont arabes et de Palestine, non pas arabes et palestiniens. En tant qu’Arabes, ils ont ce fond commun d’héritage arabe, c’est-à-dire avant tout une chose fantastique et que l’on a tendance à oublier, une langue qui a des siècles derrière elle, autour de laquelle un imaginaire et une culture se sont formés et qui ne distingue pas les Palestiniens de leurs voisins. Par ailleurs, les Palestiniens sont en Palestine, et leur identité a été modelée, nuancée, enrichie par
des éléments locaux, tout comme on trouve des éléments locaux en Syrie, en Égypte ou au Liban. Voilà pour les composantes.
Cela dit, il est certain qu’à partir de l’exil de 1948, à partir du moment où la Palestine est dépecée en tant que pays et où la majorité écrasante de son peuple se trouve hors de son territoire national, il y a assurément un facteur nouveau. Cependant, ce facteur n’est pas venu fonder une nationalité palestinienne, mais plutôt s’ajouter aux deux autres et lui donner une nouvelle spécificité. Les Palestiniens sont ainsi devenus des Arabes de Palestine exilés chez d’autres Arabes. Cette expérience va modeler encore plus leurs voix, leurs visages. Si vous voulez, c’est comme les traits particuliers d’un visage. Un visage ne nait pas, il évolue.
P. F. : Il est pratiquement inimaginable pour un Européen que des Juifs aient pu ou puissent, pour des raisons diverses, s’identifier aux Palestiniens, partager cette identité palestinienne. Depuis, peut-on considérer que l’identité palestinienne s’est cristallisée et resserrée à mesure que l’identité israélienne s’étendait en termes de territoire et de définition communautaire ?
É. S. : C’est une grande thèse de l’historiographie israélienne, une thèse quelque peu « biaisée ». D’une part, en vertu du mythe de la « date de naissance », l’existence de la nation palestinienne ne serait que la résultante en négatif de l’émergence d’une nation israélienne, ce qui revient à affirmer l’antériorité de la présence israélienne. C’est un faux débat, mais qui a encore de très beaux jours devant lui. D’autre part, c’est une façon pour les Israéliens de se dédouaner de l’expulsion, de dire : « Comment pouvez-vous dire que nous avons expulsé un peuple, alors qu’il n’y avait pas de peuple avant 1948. En définitive, nous n’avons expulsé personne. Il n’y avait là que des bédouins épars, des nomades qui n’étaient pas plus attachés à leurs terres en Palestine qu’aux pays arabes où ils ont été exilés ». Le troisième élément dont il faut tenir compte est que l’État d’Israël est quand même l’un des produits de l’émergence du nationalisme européen. L’État d’Israël s’est construit dans le sillage de l’État-nation européen, avec cette idée de l’État central qui devient l’élément déterminant de l’identité du citoyen. Le gros problème pour beaucoup de nos interlocuteurs, c’est cette omniprésence de l’État-nation dans leur vision du monde.
Dans les nations du monde moderne et industrialisé, on tend à ignorer deux choses. D’une part, à l’échelle de l’Histoire, ces États-nations européens sont extrêmement récents. D’autre part, d’autres formations nationales ont pu se constituer sans forcément passer par ce schéma de l’État-nation. Il n’empêche que beaucoup de gens essaient d’analyser la nationalité palestinienne avec les critères d’Israël, parce qu’Israël relève de la norme de l’Étatnation européen. On ne comprend pas comment ces Palestiniens, qui n’ont pas d’État, au sens d’État-nation moderne et centralisé, peuvent se prévaloir d’une identité et d’une citoyenneté par rapport à un lieu, un pays qui a pour nom la Palestine. Mais tout cela relève d’une problématique de fond qui dépasse de loin le cadre d’Israël et de la Palestine, celle de l’omniprésence de l’État-nation. Or, ironie de l’Histoire, les Palestiniens vont peut-être avoir leur État-nation. La nation est déjà là, mais l’État n’est pas encore constitué.
P. F. : Ma question portait plus sur la difficulté de comprendre que des Juifs peuvent ou pourraient se définir comme palestiniens. Or certains, comme Ilan Halévi 2, ont posé ce choix radical et extrême.
É. S. : Cela, c’est un volet extrêmement complexe et passionnant, mais qui ne relève pas de l’identité palestinienne. Vous prenez le cas d’Ilan Halévi. C’est un exemple très intéressant d’identité nationale par choix. La famille d’Ilan Halévi est originaire du Yémen. Lui-même est né à Lyon en pleine occupation allemande dans un réseau clandestin de résistants juifs, à l’époque où Klaus Barbie sévissait. C’est déjà une trajectoire significative, annonciatrice peut-être. Par la suite, Ilan Halévi, par démarche militante, a choisi une nationalité, il a opté pourla nationalité palestinienne, une option extrêmement radicale. Personne ne peut évidemment le lui interdire. Un tel choix est exemplatif et suscite la gêne, voire la colère en Israël et dans certaines communautés juives. Ilan Halévi incarne une démarche, courageuse mais inacceptable pour beaucoup, qui est de sortir du tribalisme et de refuser de se voir condamné à appartenir à une tribu, quels que soient ses choix politiques, particulièrement la politique menée en Israël à
l’égard du peuple de Palestine. Le choix d’Ilan Halévi irrite fortement un sentiment tribal très fermé, modèle qui interdit pratiquement de sortir du groupe. Je crois que c’est une démarche qui ne se comprend pas tant en rapport avec le nationalisme palestinien qu’avec le sentiment identitaire juif en général et israélien en particulier.
P. F. : La lourdeur de l’histoire, des faits et de l’expérience est énorme. Mais, en tirant des plans sur la comète, l’identité palestinienne pourrait-elle intégrer la composante juive israélienne ?
É. S. : Non. Tout comme l’identité israélienne ne pourrait intégrer la composante palestinienne. L’exemple des Balkans est de ce point de vue très éloquent. L’identité palestinienne n’a pas à dissoudre une autre en son sein. Je laisse bien entendu de côté les gens qui choisissent volontairement. L’intégration d’une identité dans une autre, ce n’est pas une solution mais une dissolution. Il ne faut pas se faire d’illusions. Entendons-nous, j’ai horreur des ghettos et des cloisonnements. Ce que je pense, c’est que s’il faut œuvrer à une vie commune, celle-ci ne doit pas se faire selon des schémas identitaires, mais selon des schémas de citoyenneté. L’intégration ne peut se réaliser que dans une société de citoyens, c’est-à-dire une société qui laisse l’identité au choix de ses citoyens, des citoyens qui ont évidemment l’identité commune de leur État. Mais l’identité n’est évidemment pas réductible à la citoyenneté, et certaines de ses dimensions peuvent être propres à telle ou telle catégorie de citoyens. Si le déterminant ne peut en aucun
cas être identitaire au sens ethnique, fermé, du terme, il est par ailleurs bien entendu qu’imposer une identité commune intégrale et uniforme, cela équivaut à poser des bombes à retardement
P. F. : Par rapport à cela, lorsque l’on voit le blocage du processus de paix et l’ampleur de l’appropriation de la terre par l’État hébreu à l’échelle d’Israël/Palestine, certains, tant dans la société israélienne que palestinienne, estiment que l’on a atteint un point de non-retour au-delà duquel créer deux États-nations purement et simplement n’est plus possible. L’État-nation palestinien risque de n’être qu’une fédération de bantoustans sans autonomie politique effective. Ceux qui posent ce constat manifestent leur préférence pour un État binational. Comment envisagez-vous cela ?
É. S. : L’État binational est la forme idéale, à partir du moment où aucun des deux peuples n’entend annihiler l’autre et où la perspective de la vie en commun, de la cohabitation, est acceptée. Je crois pouvoir vous dire que, du côté palestinien, c’est une réalité, ce n’est pas un slogan. Il faut dès lors œuvrer pour l’État binational, le seul cadre politique qui permette de laisser une place à un véritable statut de citoyenneté intentionnelle. Mais il faut également voir les choses dans leur réalité, pas dans leur forme idéale, utopique. Au vu de ce qui se passe aujourd’hui sur le terrain, il y a de quoi être extrêmement pessimiste. Si l’on est lucide, on ne peut que prévoir des explosions. Même si la situation n’explosait pas, même si le processus de paix
redémarrait, concrètement, pour arriver à l’État binational, il faudrait d’abord passer par une phase de voisinage. Étant donné la situation actuelle, le poids du conflit, sa durée et les traces profondes qu’il a laissées dans nos consciences mutuelles, on ne pourra faire l’économie d’une période transitoire de bon voisinage — j’insiste sur ce terme, une phase de voisinage harmonieux qui pourrait être le prélude à une binationalité.
P. F. : Dans Ha’Aretz, en février, Tom Segev publiait un texte consacré au voyage de Shimon Pérès dans ce qui fut le shtetl de son enfance, Vishnieva, en Biélorussie. Concluant sur une évocation de la comptabilité macabre autour du massacre de Deir Yassine, Segev estime que les deux peuples, juif et arabe (dans son ensemble), ne pourront réellement se reconnaitre que lorsqu’ils reconnaitront la tragédie qui fonde leurs identités respectives. Les Palestiniens demandent aux Israéliens de reconnaitre ce qu’ils ont fait en 1947 – 1948 ; inversement, les Israéliens demandent aux Palestiniens et au monde arabe de reconnaitre le poids de la Shoah dans l’identité juive et israélienne. Cette proposition est-elle recevable ?
É. S. : Cette proposition est tout à fait recevable. Mais, premièrement, de nombreuses voix arabes ont déjà fait le pas de cette reconnaissance. Je vous rappelle l’épisode de la visite de Yasser Arafat au mémorial de la Shoah à Washington et la violence, la façon tout à fait ignoble avec laquelle les responsables de la communauté juive américaine et du mémorial ont réagi à cette visite. En quelque sorte, Yasser Arafat a reçu la réponse suivante : « Nous ne voulons pas de votre reconnaissance. » Je le dis sans ironie aucune : il faudrait que les bons sentiments soient pris en compte. Deuxièmement, votre formulation est sans équivoque. « Les Palestiniens demandent aux Israéliens qu’ils reconnaissent ce qu’ils ont fait en 1948. » Alors que les Israéliens demandent que les Palestiniens reconnaissent le poids de la Shoah dans le malheur juif et dans la formation de leur identité nationale. Ces deux reconnaissances ne sont pas similaires, elles ne concernent pas les mêmes auteurs. Nous ne sommes pas dans une situation où les Israéliens demanderaient aux Palestiniens : « Reconnaissez le tort que vous nous avez fait » ; nous, Palestiniens, ne sommes pas les auteurs de la Shoah. Ce qui se passe, c’est que les victimes, les Palestiniens, demandent aux Israéliens de reconnaitre leurs responsabilités, tandis que les Israéliens disent en substance : « Il faut que vous nous compreniez, parce que nous avons également été victimes. » Nous trouvons cela un peu facile, parce que les Israéliens peuvent ainsi se décharger d’une responsabilité et éluder une question fondamentale, celle de notre expulsion. Je crois que Tom Segev a consciemment voulu éviter de répondre à cette question : cet État d’Israël, quels que soient les malheurs subis par les Juifs, est-il né d’une injustice fondamentale commise envers notre peuple, le peuple palestinien ?
P. F. : En quoi le mouvement national palestinien a‑t-il réussi et en quoi a‑t-il échoué ?
É. S. : Ce mouvement a connu beaucoup d’échecs, subi de nombreuses défaites et vécu beaucoup de reculs. Il a obtenu également un
point fondamental. Malgré les massacres, les exils, et malgré certaines attitudes critiquables, l’O.L.P. est arrivée, au travers d’un processus long et tortueux, à sauvegarder les noms de « Palestine » et de « Palestinien », deux noms qui étaient voués à l’absence et à la disparition. Cinquante ans après sa disparition, le peuple de Palestine, en tant qu’entité nationale, est à nouveau sur la scène. La Palestine et les Palestiniens n’ont pas disparu. C’est une réussite qui restera très longtemps dans l’histoire à l’actif de l’O.L.P.
P. F. : Alors que, hors d’Israël et parfois en Israël, des documents et des recherches existent depuis une quarantaine d’années, comment ressentez-vous le fait qu’il ait fallu attendre que des historiens israéliens publient leurs recherches pour que des évènements avérés obtiennent un réel droit de cité hors de la communauté palestinienne ?
É. S. : La vérité est plus importante que tout. Même minoritaires dans leur propre société, ces historiens ont joué un rôle très important en brisant le mur du silence autour de la décision officielle qui a présidé aux évènements de 1948, à notre expulsion. Ce qui est quelque peu pénible, ce n’est pas que ces historiens soient des Israéliens plutôt que des Palestiniens ou des Européens, lesquels, soit dit en passant, évoquent ces faits depuis très longtemps. Non, ce qui rend amer, c’est que c’est toujours le discours du seul vainqueur qui est audible. Il est évidemment positif que, dans le camp du vainqueur, des gens se lèvent et contestent sa théorie et son récit. Mais, en fin de compte, les États qui gagnent n’imposent pas seulement leur pouvoir économique et militaire, ils imposent également leur récit. Aujourd’hui, le récit israé-lien est ébréché ; mais il n’empêche, c’est parce qu’ils émanent du camp du vainqueur que ces brèches et ces doutes sont crédibles. C’est, hélas ! une loi universelle.
- Élias Sanbar, Palestine 1948, l’expulsion, Livre de la Revue d’études palestiniennes, Paris, 1984.
- Ancien militant d’extrême gauche israélien. Il quitte Israël en 1977 et, après l’assassinat d’Issam Sartawi, devient représentant observateur de l’O.L.P. auprès de l’Internationale socialiste. Il représente aujourd’hui
le Fatah. Il a publié deux ouvrages en français, Sous Israël, la Palestine (Sycomore) et Question juive : la
tribu, la loi, l’espace (Minuit).