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Les examens d’entrée à l’université, porteurs d’inégalités sociales ?

Numéro 10 Octobre 2012 par Maud Van Campenhoudt

octobre 2012

En cette nou­velle ren­trée aca­dé­mique, il est de bon ton de s’interroger sur les condi­tions d’accès à l’université. De nom­breux tra­vaux réa­li­sés en Bel­gique ont mon­tré que les aspi­ra­tions d’études uni­ver­si­taires et l’accès à l’université sont for­te­ment asso­ciés au capi­tal cultu­rel des familles. En effet, les jeunes issus de familles au sein des­quelles les parents n’ont pas […]

En cette nou­velle ren­trée aca­dé­mique, il est de bon ton de s’interroger sur les condi­tions d’accès à l’université. De nom­breux tra­vaux réa­li­sés en Bel­gique1 ont mon­tré que les aspi­ra­tions d’études uni­ver­si­taires et l’accès à l’université sont for­te­ment asso­ciés au capi­tal cultu­rel des familles. En effet, les jeunes issus de familles au sein des­quelles les parents n’ont pas fait d’études supé­rieures sont moins enclins à envi­sa­ger des études uni­ver­si­taires. Ain­si, l’université en Com­mu­nau­té fran­çaise reste essen­tiel­le­ment fré­quen­tée par des jeunes dont les parents sont eux-mêmes diplô­més de l’enseignement supé­rieur. La part des enfants de parents uni­ver­si­taires ou diplô­més de l’enseignement supé­rieur non uni­ver­si­taire tend même à croitre par­mi les nou­veaux entrants à l’université sans que ce phé­no­mène ne soit uni­que­ment impu­table à la hausse du niveau d’études géné­ral de la popu­la­tion. L’université en Com­mu­nau­té fran­çaise ne semble donc pas s’être démo­cra­ti­sée qua­li­ta­ti­ve­ment2 ces quinze der­nières années.

Tou­te­fois, il existe de nom­breuses excep­tions : cer­tains jeunes dont les parents n’ont pas de diplôme de l’enseignement supé­rieur se lancent néan­moins dans des études uni­ver­si­taires. Ce sont ces jeunes qui nous inté­ressent par­ti­cu­liè­re­ment ici. Quelles seraient les consé­quences poten­tielles de l’instauration d’examens d’entrée à l’université sur les chances d’accès de ces jeunes dont les parents n’ont pas fait d’études supé­rieures ou, plus lar­ge­ment, des jeunes issus de milieux socio­cul­tu­rels « défa­vo­ri­sés » ? Pour répondre à cette ques­tion, on se réfè­re­ra à deux types d’analyse : une ana­lyse qua­li­ta­tive des aspi­ra­tions d’études supé­rieures et une ana­lyse por­tant sur les pro­ces­sus d’affiliation des jeunes au sein de l’enseignement supérieur.

On sait que, de manière rela­ti­ve­ment constante, le taux de réus­site en pre­mière année uni­ver­si­taire est d’environ 40% chaque année, tous domaines confon­dus. Le seul domaine d’études qui se démarque lar­ge­ment des autres est celui des sciences appli­quées avec un taux de réus­site en fin d’année de l’ordre de 59%3. Or l’accès à ce domaine est le seul à être condi­tion­né par la réus­site d’un exa­men d’entrée. À par­tir de là, cer­tains plaident pour la géné­ra­li­sa­tion de cette pro­cé­dure à l’ensemble des domaines d’études afin, d’une part, de dimi­nuer l’échec au sein de l’université et, d’autre part, de res­treindre le cout des redou­ble­ments uni­ver­si­taires (pour les familles, les ins­ti­tu­tions et les pou­voirs sub­si­diants). Ce rai­son­ne­ment est beau­coup trop court.

L’instauration d’examens d’entrée aurait au contraire de graves consé­quences en matière d’égalité des chances. C’est ce que nous vou­drions mon­trer ici à par­tir d’une recherche que nous venons de ter­mi­ner4. Les jeunes dont les parents n’ont pas fait d’études supé­rieures et qui sont néan­moins atti­rés par l’université déve­loppent en même temps plus de craintes face à l’enseignement uni­ver­si­taire. Plus pré­ci­sé­ment, ils ont peur de s’y diri­ger notam­ment parce qu’ils n’ont pas confiance en leurs capa­ci­tés et per­çoivent l’université comme étant redou­ta­ble­ment dif­fi­cile. À pas­sé sco­laire iden­tique, les étu­diants dont les parents n’ont pas fait d’études supé­rieures ont donc une « aver­sion au risque » plus forte et pré­fèrent prendre une option jugée plus « assu­rée » du point de vue des chances de réus­site, en se diri­geant vers l’enseignement supé­rieur non uni­ver­si­taire, quitte à se diri­ger dans un second temps vers l’université, après avoir entre­pris et réus­si des études supé­rieures hors de l’université. Bref, une stra­té­gie « par esca­liers » visant à mini­mi­ser les risques d’échec.

Il est clair que l’instauration d’examens d’entrée à l’université ne ferait que ren­for­cer ces méca­nismes d’autosélection des jeunes et des familles par rap­port à l’université. En effet, si les jeunes issus de milieux socio­cul­tu­rels « défa­vo­ri­sés » déve­loppent davan­tage de craintes par rap­port à l’université, ils ont éga­le­ment ten­dance à avoir moins d’estime d’eux-mêmes dans le domaine sco­laire. De plus, ils tendent à per­ce­voir, plus que les autres, un écart entre leurs capa­ci­tés intel­lec­tuelles et les exi­gences aca­dé­miques5. Or l’existence d’examens d’entrée amè­ne­rait cer­tai­ne­ment les élèves de der­nière secon­daire à s’auto-évaluer avant de se pré­sen­ter aux exa­mens et à ne s’y rendre que s’ils se sentent capables d’y réus­sir. Dès lors, l’université, par de tels méca­nismes repo­sant sur l’auto-évaluation, ris­que­rait de « se fer­mer » encore davan­tage socia­le­ment en accueillant moins de jeunes issus de familles socio­cul­tu­rel­le­ment plus « défavorisées ».

Notre recherche montre éga­le­ment que l’influence de l’origine socio­cul­tu­relle ne s’arrête pas aux portes de l’université ou de l’enseignement supé­rieur, mais agit encore sur les pro­ces­sus d’affiliation au sein du supé­rieur. Autre­ment dit, il ne suf­fit pas de « pro­mou­voir » l’inscription à l’enseignement supé­rieur pour voir se réduire les inéga­li­tés d’accès à ce type d’enseignement. Il fau­drait encore pou­voir « agir » sur les pro­ces­sus d’affiliation afin que l’inscription au sein du supé­rieur conduise à un véri­table accès (affi­lia­tion sociale, intel­lec­tuelle et ins­ti­tu­tion­nelle) et à la réussite.

Cepen­dant, et c’est cru­cial, la recherche montre net­te­ment que cette influence de l’origine socio­cul­tu­relle s’amenuise avec le temps. Ain­si, même si les étu­diants de pre­mière géné­ra­tion sont moins nom­breux que les autres dans le supé­rieur et même s’ils mettent géné­ra­le­ment plus de temps à s’affilier, la plu­part d’entre eux vont pro­gres­si­ve­ment s’adapter, apprendre à déco­der les exi­gences des pro­fes­seurs, voir leurs cercles d’amis s’agrandir, s’impliquer de plus en plus dans le supé­rieur, etc. On observe donc une cer­taine homo­gé­néi­sa­tion des repré­sen­ta­tions des étu­diants : après plus d’un an pas­sé dans l’enseignement supé­rieur, uni­ver­si­taire ou non, pra­ti­que­ment tous les jeunes étu­diants s’y sentent fina­le­ment de mieux en mieux et même net­te­ment mieux dans le type d’enseignement supé­rieur qu’ils ont choi­si que dans l’enseignement secon­daire. Pro­gres­si­ve­ment, mais sur­ement, l’enseignement supé­rieur, et plus pré­ci­sé­ment l’université, pro­duit donc une socia­li­sa­tion de celles et ceux qui s’y retrouvent.

Dès lors, en met­tant en lien ces résul­tats avec la ques­tion de l’examen d’entrée qui nous pré­oc­cupe aujourd’hui, il nous semble clair que les pro­ces­sus plus longs d’affiliation des étu­diants de milieux socio­cul­tu­rels « défa­vo­ri­sés » aux études supé­rieures néces­sitent qu’il n’y ait pas de bar­rière bru­tale à l’entrée de l’université, et qu’au contraire on leur laisse le temps de s’adapter pro­gres­si­ve­ment. Der­rière le phé­no­mène de l’échec de grande ampleur en pre­mière année uni­ver­si­taire, les par­ti­sans d’un exa­men d’entrée ne voient pas tous les pro­ces­sus d’affiliation qui ont cours durant la pre­mière année pas­sée dans le supé­rieur et qui amènent une grande par­tie de ces jeunes ayant effec­ti­ve­ment échoué en pre­mière année uni­ver­si­taire à être en « voie de réus­site ». Cette for­mule per­ti­nente est de Lam­bert6 qui écrit avec rai­son que « toute pro­cé­dure de sélec­tion pré­coce aurait imman­qua­ble­ment pour effet d’éliminer pré­ma­tu­ré­ment une frac­tion impor­tante d’étudiants dont on sait ex post (puisqu’ils obtiennent fina­le­ment leur diplôme) qu’ils avaient les apti­tudes requises ».

En conclu­sion, nous plai­dons, à l’instar de Dupriez et Maroy7, pour que l’université reste ouverte à tous les déten­teurs du cer­ti­fi­cat d’enseignement secon­daire supé­rieur (CESS): « Il faut sans doute accep­ter que […] la pre­mière année soit une année qui se clô­ture tan­tôt par une confir­ma­tion des choix, tan­tôt par une réorien­ta­tion des étu­diants. En amont de cela, il ne faut bien enten­du pas leur­rer les étu­diants sur les exi­gences uni­ver­si­taires, il faut mul­ti­plier auprès de tous les publics les occa­sions d’en prendre conscience avant de s’y enga­ger, il faut aus­si géné­ra­li­ser les tests diag­nos­tics en début de for­ma­tion et pro­po­ser des accom­pa­gne­ments aux étu­diants qui en ont besoin et le souhaitent. »

  1. Notam­ment Van Cam­pen­houdt M. et Maroy Chr., « Les déter­mi­nants des aspi­ra­tions d’études uni­ver­si­taires des jeunes de der­nière année secon­daire en Com­mu­nau­té fran­çaise de Bel­gique », Cahiers de recherche en édu­ca­tion et for­ma­tion, 77, mars 2010 ; Dupriez V., Mon­seur C. et Van Cam­pen­houdt M., « Étu­dier à l’université : le poids des pairs et du capi­tal cultu­rel face aux aspi­ra­tions d’études », Cahiers de recherche en édu­ca­tion et for­ma­tion, 75, 2010 ; Ver­man­dele C., Plai­gin C., Dupriez V., Maroy Chr., Van Cam­pen­houdt M. et Lafon­taine D., « Pro­fil des étu­diants enta­mant des études uni­ver­si­taires et ana­lyse des choix d’études », Cahiers de recherche en édu­ca­tion et for­ma­tion, 78, 2010.
  2. La démo­cra­ti­sa­tion qua­li­ta­tive (Prost, 1986) ren­voie aux dif­fé­rences d’accès entre les groupes sociaux à un niveau sco­laire don­né et implique donc, dans notre cas, des chances d’accès sem­blables à l’enseignement uni­ver­si­taire peu importent le niveau de diplôme des parents ou les res­sources cultu­relles, éco­no­miques… de la famille.
  3. Droes­beke J.-J., Hec­quet I. et Wat­te­lar C. (dir.), La popu­la­tion étu­diante : des­crip­tion, évo­lu­tion, pers­pec­tives, éd. Ellipses, 2001.
  4. Van Cam­pen­houdt M., Les condi­tions sociales d’accès et d’affiliation à l’université, thèse de doc­to­rat en sciences poli­tiques et sociales, 2012 ; bien­tôt en ligne via les biblio­thèques de l’UCL.
  5. Ber­cy P., Del­vaux B., Isaac T., Ligot Fr., Piret C., Swar­ten­broeck B. et Tyte­ca P., La démo­cra­ti­sa­tion de l’accès à l’enseignement supé­rieur, UCL et MOC, avril 2002.
  6. Lam­bert J.-P., « Faut-il intro­duire un exa­men d’entrée à l’université ? », expo­sé pré­sen­té dans le cadre des Midis de l’éthique, Chaire Hoo­ver d’éthique éco­no­mique et sociale, UCL, 8 avril 2003.
  7. Dupriez V. et Maroy Chr., Quelles sont les impli­ca­tions d’un exa­men d’entrée ?, Lou­vain, 2008.

Maud Van Campenhoudt


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