Les enjeux de la gouvernance
Ces dernières années, différents scandales sont venus émailler l’actualité. Tout le monde connait le cas historique d’Enron aux États-Unis, le « dossier Fortis » en Belgique ou, plus récemment, les affaires Samusocial ou Publifin. Ces scandales ne connaissent pas la frontière entre le marchand et le non-marchand, ni même d’ailleurs la frontière entre le secteur public et le privé. Leur point commun ? Une gouvernance défectueuse, c’est-à-dire un manque de leadeurship, une gestion non appropriée et un contrôle insuffisant qui ont mis en péril l’organisation.
En corolaire de ces scandales, une « bonne gouvernance », dont la légitimité et la transparence sont les étendards les plus visibles, est de plus en plus réclamée par la société civile, par les financiers, par l’État, bref par un ensemble de parties prenantes. Pour toutes les organisations, marchandes ou non marchandes, développer une saine gouvernance est une réelle nécessité à la fois pour améliorer leur fonctionnement et augmenter leur légitimité, mais aussi pour attirer des collaborateurs et accéder à des financements1.
De la gouvernance à la bonne gouvernance
Pour commencer, voyons rapidement ce qui est compris par « gouvernance d’entreprise ».
Plus qu’un système ou des règles, la gouvernance est aujourd’hui davantage envisagée comme un processus de leadeurship mis en œuvre pour atteindre des objectifs légitimes. Ainsi, la définition de gouvernance s’est dynamisée au fil du temps pour prendre en compte un ensemble d’aspects plus qualitatifs que quantitatifs. Selon la définition de référence du professeur Mervyn King, la gouvernance est « l’exercice d’un leadeurship éthique et efficace par l’organe directeur en vue de l’atteinte des résultats de gouvernance suivants : culture éthique, bonne performance, contrôle efficace et légitimité.2 » La gouvernance peut se traduire par « faire les bonnes choses et les faire bien ». Ce n’est donc pas une fin en soi, mais bien un moyen d’atteindre une fin.
Compte tenu de ce qui précède, on conçoit aisément qu’il n’existe pas un unique modèle de gouvernance (« One size does not fit all »). Au contraire, une bonne gouvernance est modulable et doit s’adapter au projet de l’organisation, à son environnement, aux personnes qui la composent. Pourtant, et malgré une plasticité possible dans sa pratique, on ne peut évoquer la bonne gouvernance sans évoquer sur plusieurs de ses invariants et de ses préconisations. Ainsi, pour le secteur non marchand, les « recommandations pour la gouvernance des organisations à profit social » développées par la Fondation Roi Baudouin, en collaboration notamment avec Guberna, reprennent la plupart des éléments clefs suivants :
- disposer d’une définition claire de la mission de l’organisation ;
- établir une clarification des rôles et des organes (principalement entre le conseil d’administration (CA), l’assemblée générale (AG) et le management/comité de direction, traditionnellement appelés « le tripode de gouvernance »);
- avoir un équilibre entre pouvoirs et contrepouvoirs en veillant à éviter la collusion des intérêts ;
- organiser une délégation de pouvoir accompagnée d’une responsabilité de reporting ;
- ordonner une transparence tout au long de l’organisation ;
- permettre une réflexion sur la responsabilité sociétale de l’organisation.
Ces recommandations tissent le fil conducteur de la gouvernance : pour réussir à développer l’exercice d’une gestion efficace basée sur du leadeurship et portée par la légitimité. L’organisation a, avant tout, besoin de s’appuyer sur des personnes compétentes qui forment ses organes et qui lui permettent d’exister et d’(inter-)agir avec son environnement. De façon plus spécifique, l’organisation a besoin d’un organe de décision, un CA, composé d’administrateurs. Bien choisir et attirer ces véritables ambassadeurs de la bonne gouvernance, qui doivent avoir pour ambition d’objectiver le processus décisionnel au sein de l’organisation, constitue ainsi un enjeu primordial.
Professionnaliser les CA
Bien évidemment, pour ce faire, il faut établir en parallèle les conditions qui rendent possible le fonctionnement de ce CA comme vecteur de plus-values pour l’organisation. Et cela passe nécessairement par la professionnalisation de son CA. Pour y arriver, certains éléments sont à mettre en avant.
Tout d’abord, un CA doit être composé de façon adéquate dans sa forme, c’est-à-dire ni trop grand ni trop petit, et dans son contenu, c’est-à-dire disposer d’administrateurs ayant des compétences et des expériences complémentaires étant utiles pour l’organisation. Ainsi, un CA bien composé doit permettre à l’organisation d’anticiper ses futurs défis.
Un autre élément également important consiste à évaluer et auto-évaluer son CA3, sur une base régulière, afin d’être en mesure de connaitre ses points forts et ses points à améliorer, tant dans les processus que dans la composition. Une fois évaluée, l’organisation pourra s’adapter afin d’organiser un CA efficace, c’est-à-dire composé d’administrateurs compétents et complémentaires, motivés par le projet de l’organisation et alignés avec les autres pôles décisionnels.
Par ailleurs, cette évaluation devrait aussi permettre à l’organisation de mieux percevoir ce qu’est un CA, dans ses objectifs et dans son fonctionnement, mais aussi au conseil lui-même de mieux saisir ses missions et ses responsabilités. Connaitre la réalité opérationnelle de l’entreprise, mais ne pas y rester fixé, afin de pouvoir apporter une perspective plus globale : voilà comment doit agir un conseil efficace et porteur de plus-values.
Ensuite, il est difficile d’évoquer la professionnalisation des CA sans évoquer celle des administrateurs. Loin d’un acquis faisant automatiquement suite à une (longue) expérience, le métier d’administrateur est un métier à part entière, avec ses spécificités propres. Comme pour tout autre métier, il s’apprend, notamment par la formation. Cela devra aider l’administrateur à agir de façon responsable en étant une plus-value pour l’organisation ; notamment grâce à la « vue d’hélicoptère » et à l’acquisition de compétences spécifiques.
Responsabilité, collégialité et rémunération
Par ailleurs, il est compliqué d’évoquer la professionnalisation des administrateurs et des CA sans aborder leur rémunération. L’idée n’est pas ici de trancher un débat, ne manquant pas d’arguments valables de part et d’autre, mais plutôt d’apporter quelques considérations importantes. Tout d’abord, il peut être entendu que le bénévolat, tel qu’il est admis dans la grande majorité des CA dans les asbl, peut nuire à l’image professionnelle que doit disposer et renvoyer le conseil. Mais, surtout, derrière ce « bénévolat », les responsabilités légales imputées à l’administrateur sont réelles. Pour l’organisation, un des enjeux consiste à trouver un équilibre entre des moyens financiers limités et le caractère nécessairement chronophage (après tout, « tout travail mérite salaire ») et professionnel du mandat d’administrateur.
Enfin, nous pouvons apporter une dernière considération. Celle-ci concerne la collégialité du CA. Outre le fait que cet organe est considéré juridiquement comme collégial, son fonctionnement doit également refléter cet état d’esprit. Pour le CA, c’est une condition sine qua non d’un processus décisionnel objectif et porteur d’une plus grande valeur ajoutée par le biais de l’intelligence collective qui se dégagerait des échanges. Il existe bon nombre d’outils et de choses à mettre en place pour soutenir cette collégialité, mais, en parallèle, il est nécessaire de garder en tête qu’en dernier recours, l’efficacité de cette collégialité dépendra notamment du « bon vouloir » des administrateurs.
À cet égard, on peut voir d’un bon œil la dynamique actuelle où des administrateurs disposent, ou ont disposé, de mandats dans différents secteurs, marchand et non marchand. S’ils ont bien absorbé leurs métiers d’administrateurs, ils arboreront une posture équilibrée entre leurs propres logiques et modes de fonctionnement et la prise en compte des spécificités de l’organisation. On peut supposer que ce « va-et-vient » amène une différence de vues et une pluralité des compétences. Si elles sont complémentaires et réciproquement reconnues, elles seront une réelle plus-value pour les débats et les prises de décisions.
En conclusion, nous pouvons retenir que professionnaliser un CA, ainsi que les administrateurs, représente un enjeu majeur pour toute organisation, que ce soit une association ou une entreprise. L’idée n’est donc pas d’imposer une logique gestionnaire, un contrôle à outrance, de nouvelles contraintes et davantage de rigidité. Au contraire, l’idée est d’amener un fonctionnement qui, par une régulation (pro-)active du pouvoir, doit permettre d’apporter une valeur ajoutée à l’organisation en objectivant le processus décisionnel. Mais disposer d’un CA actif, efficace et garant d’une plus-value ne va pas de soi et plusieurs pistes ont été évoquées, comme la composition, l’(auto-)évaluation, la formation, la rémunération, la collégialité… Une fois toutes ces conditions remplies, le CA et ses administrateurs disposent de toutes les cartes, non pas uniquement pour mieux contrôler les actions du management, mais bien pour soutenir l’organisation dans l’écriture d’un scénario robuste, cohérent, efficace et qui fait sens avec son projet.
- Voir, par exemple, l’outil « charity navigator » qui a été créé en 2001 et le plus utilisé aux États-Unis. L’idée est ainsi d’évaluer chaque association (plus de neuf-mille) selon plusieurs critères (dont celui de la transparence), afin d’aiguiller les citoyens-donateurs.
- Cette définition est issue du King Report 4 sur la gouvernance d’entreprise.
- Pour se faire, il existe plusieurs outils. On peut épingler le nouvel outil élaboré par une collaboration de la Fondation Roi Baudouin, l’Unipso et Verso. Cet outil, gratuit, est accessible ici. Guberna possède également des outils pour évaluer un CA et l’accompagner de conseils personnalisés.
